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10/07/2024 | LUXEMBOURG | N°49670

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2024, 49670


Tribunal administratif N° 49670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49670 3e chambre Inscrit le 21 juillet 2023 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49670 du rôle et déposée le 7 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre-Marc KNAFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algé...

Tribunal administratif N° 49670 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49670 3e chambre Inscrit le 21 juillet 2023 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49670 du rôle et déposée le 7 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Pierre-Marc KNAFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 octobre 2023 prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le7 février 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 2 juillet 2024.

Le 6 octobre 2017, Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Toujours le 6 octobre 2017, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres 1par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Une recherche effectuée par les autorités luxembourgeoises dans la base de données du système d'information sur les visas (VIS), ainsi que dans la base de données EURODAC et la base de données du système d’information Schengen (SIS), révéla (i) que Monsieur … était en possession d’un visa délivré par les autorités françaises valable du 26 octobre 2014 au 23 avril 2015, (ii) qu’il avait déposé une demande de protection internationale en Suède le 22 août 2015, en Suisse le 29 décembre 2015, en Autriche le 3 août 2016, en France le 5 janvier 2017, ainsi qu’aux Pays-Bas le 5 mars 2017 et (iii) qu’il faisait l’objet d’un signalement par les autorités françaises, sous l’alias …, et par les autorités suisses.

Par arrêté du 6 octobre 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, ci-après désignée par « SHUK », pour une durée de trois mois.

En date du 19 octobre 2017, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités par courrier du 24 octobre 2017.

Par décision du 30 octobre 2017, ayant fait l’objet d’un affichage public, le ministre décida de transférer l’intéressé vers la France, comme étant l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale.

Par courrier du même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises afin de les informer que le transfert de Monsieur … devrait être temporairement suspendu au motif qu’il avait disparu de la SHUK.

Toujours le 30 octobre 2017, le ministre demanda à la police grand-ducale de procéder au signalement national de Monsieur … en vue d’un placement en rétention.

Il est constant en cause que le transfert de Monsieur … vers la France ne put être exécuté dans les délais prévus par le règlement Dublin III, de sorte que les autorités luxembourgeoises devinrent responsables de l’examen de la demande de protection internationale.

Par décision du 13 septembre 2019, notifiée à l’intéressé par affichage public, le ministre, d’une part, rapporta la susdite décision de transfert du 30 octobre 2017 et, d’autre part, informa Monsieur … que sa demande de protection internationale était considérée comme implicitement retirée, conformément à l’article 23 de la loi du 18 décembre 2015.

En date du 30 mai 2023, les autorités néerlandaises adressèrent aux autorités luxembourgeoises une demande de reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III suite à la demande de protection internationale introduite par l’intéressé aux Pays-Bas en date du 26 mai 2023.

2Suite à une recherche effectuée le 2 juin 2023 par les autorités luxembourgeoises auprès du Centre de coopération policière et douanière (CCPD), ladite demande de reprise en charge fut acceptée par le ministre en date du 6 juin 2023.

En date du 25 août 2023, jour de son transfert depuis les Pays-Bas, Monsieur … introduisit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.

Le même jour, l’intéressé fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois sur base de l’article 22, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015.

Le 1er septembre 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 septembre 2023, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), points a) et j) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire sans délai vers l’Algérie ou tout autre pays dans lequel l’intéressé aurait le droit de séjour.

Les recours contentieux introduits à l’encontre de ces trois volets de la décision du 5 septembre 2023 furent rejetés par jugement du juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la 1ère chambre du tribunal administratif du 18 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49454 du rôle.

Par arrêté ministériel du 20 octobre 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prononça une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen à l’encontre de Monsieur … sur base des considérations suivantes :

« […] Vu l’article 124 (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu ma décision de retour du 5 septembre 2023, lui notifiée en mains propres le jour même ;

Considérant que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;

Arrête :

Art. 1er.- L’entrée sur le territoire est interdite au nommé …, né le … à …, de nationalité algérienne, alias …, né le …, de nationalité tunisienne, pour une durée de cinq ans à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de sa sortie de l’espace Schengen ; […] ».

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 novembre 2023, Monsieur … fit introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 20 octobre 2023, précité, lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Dans la mesure où l’article 124, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », sur base duquel l’arrêté litigieux du 20 octobre 2023 a été pris dispose que « […] Les recours prévus aux articles 113 et 114 sont applicables », et que l’article 113 de cette même loi prévoit un recours en annulation à exercer devant le tribunal administratif dans les formes et délai ordinaires, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, et en ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée, le demandeur se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée, le demandeur fait plaider que celle-ci devrait encourir l’annulation pour avoir été prise en violation de l’article 112 de la loi du 29 août 2008, dans la mesure où il ne constituerait pas de menace pour l’ordre public. Il en conclut que l’interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans prononcée à son encontre ne serait pas justifiée.

Le délégué du gouvernement après avoir expliqué que la décision ministérielle litigieuse aurait été prise sur base de l’article 112, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et non pas sur base de l’article 124, paragraphe (2) de la même loi, conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, à l’époque de la décision déférée, le ministre de l’Immigration et de l’Asile.

Quant à la légalité interne de la décision litigieuse, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 112 de la loi du 29 août 2008, « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. […] ».

Il est constant en cause que la décision de retour sans délai prise à l’encontre du demandeur en date du 5 septembre 2023 est entretemps coulée en force de chose jugée, le recours contentieux introduit contre cette même, décision ayant été rejeté, tel que relevé ci-avant, par jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49454 du rôle, jugement non frappé d’appel.

4C’est dès lors à bon droit que le ministre a pris une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire à l’égard du demandeur, étant rappelé à cet égard que l’article 112, précité, de la loi du 29 août 2008 est à interpréter en ce sens que le ministre est obligé d’assortir automatiquement une décision de retour ne comportant pour l’intéressé aucun délai de départ d’une décision d’interdiction d’entrée en soutenant que le terme « peuvent », utilisé dans ledit article 112, vise le seul choix à effectuer par le ministre de prendre une telle décision simultanément avec la décision de retour ou par un acte séparé, conformément à l’article 6, paragraphe (6) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, et que l’obligation faite par le même article 112 de prendre en considération les circonstances propres à chaque cas se rapporte essentiellement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée. L’article 112, paragraphe (1), précité, oblige donc le ministre à assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire dont la durée ne peut, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale1.

Si le demandeur entend néanmoins contester la légalité de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre en affirmant qu’il ne constituerait pas de menace pour l’ordre public, force est toutefois de constater qu’il ressort clairement du libellé dudit article 112 de la loi du 29 août 2008 que ce n’est que dans l’hypothèse où la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire dépasse cinq ans que la partie étatique est obligée d’invoquer des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, alors que pour prononcer une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée inférieure ou égale à cinq ans, tel que c’est le cas en l’espèce, le ministre dispose d’un pouvoir discrétionnaire, sous réserve de l’obligation de prise en compte des circonstances propres à chaque cas.

Il ressort de ces considérations que le moyen tiré d’une violation de l’article 112 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet, étant relevé que les développements du demandeur quant à l’absence de tout danger pour l’ordre public dans son chef, ne sont pas pertinents en l’espèce.

Dans un souci d’exhaustivité, il convient encore de constater que si le ministre a un large pouvoir d’appréciation dans la fixation de la durée de l’interdiction du territoire sous la seule limite de la durée maximale fixée en principe à cinq ans et de la prise en compte des circonstances propres de l’espèce, un tel pouvoir n’échappe cependant pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité ayant pris la décision2.

1 Cour adm., 11 octobre 2018, n° 40795C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 747 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 729 et les autres références y citées.

5 Le tribunal relève qu’en l’espèce le comportement du demandeur est à prendre en considération dans le cadre de la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire, qui, en l’espèce, a été fixée au maximum légal de cinq ans, tel que prévu pour les étrangers qui ne constituent pas une menace pour l’ordre public, la sécurité publique et la sécurité nationale.

Force est cependant de constater que le demandeur est resté en défaut de rapporter un quelconque élément de nature à remettre en cause la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire, étant encore relevé qu’il ressort des éléments du dossier administratif, de même que des développements circonstanciés et non contestés de la partie étatique, que le demandeur a introduit une multitude de demandes de protection internationale dans différents Etats européens, qu'il a quitté le Luxembourg sans autorisation au cours de l'année 2017 après y avoir introduit une demande de protection internationale et qu'il est connu des autorités françaises, belges et allemandes pour diverses infractions pénales.

Eu égard à l’ensemble de ces considérations, le tribunal arrive à la conclusion que le ministre n’a pas dépassé sa marge d’appréciation, ni méconnu le principe de proportionnalité, en fixant la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire à cinq ans.

Au vu de ce qui précède et à défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du10 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49670
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-10;49670 ?

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