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10/07/2024 | LUXEMBOURG | N°48080

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2024, 48080


Tribunal administratif N° 48080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48080 1re chambre Inscrit le 24 octobre 2022 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48080 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2022 par Maî

tre Radu Alain Duta, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux...

Tribunal administratif N° 48080 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48080 1re chambre Inscrit le 24 octobre 2022 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48080 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2022 par Maître Radu Alain Duta, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Colombie), et de son épouse, Madame A, née le … à … (Venezuela), tous deux de nationalité vénézuélienne, les deux demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 octobre 2022 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 janvier 2024.

Le 3 août 2021, Monsieur A et son épouse, Madame A, ci-après désignés « les époux A », introduisirent en leurs noms personnels, ainsi qu’au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs B et C, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des intéressés sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 13 octobre 2021, 9 février et 14 mars 2022, respectivement les 3 et 25 novembre 2021, ainsi que le 2 février 2022, les époux A furent entendus séparément par un agent du ministère sur leur situation et sur leurs motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.

1 Par décision du 3 octobre 2022, notifiée aux époux A par lettre recommandée expédiée le 6 octobre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les intéressés que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme étant non fondées tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« […] J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites en date du 3 août 2021, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 ») en votre nom et au nom de vos enfants mineurs B, né le …. à … et C, né … à …, les deux de nationalité américaine.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux motifs de fuite invoqués à la base de votre demande En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 3 août 2021, votre rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, Monsieur, des 13 octobre 2021, 9 février et 14 mars 2022, et le vôtre, Madame, des 3 et 25 novembre 2021 et 2 février 2022, sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire, Monsieur, que vous avez par le passé été enregistré en Allemagne sous la même identité mais avec une autre date de naissance […]. Vous avez été expulsé d'Allemagne en 2001 et avez été sous le coup d'une interdiction d'entrée sur le territoire allemand jusqu'en 2014. Vous signalez être né en Colombie le …, mais être de nationalité vénézuélienne. Le 8 juin 2015, vous auriez quitté le Venezuela avec votre épouse à bord d'un avion à destination des Etats-Unis, en précisant posséder des visas de touristes pour les Etats-Unis qui seraient valables pour une durée de dix années. Vous y auriez en outre droit à un titre de séjour renouvelable tous les deux ans, alors que votre sœur y aurait demandé une protection internationale. Or, étant donné qu'il y aurait beaucoup de racisme aux Etats-Unis et que l'enfant de votre voisin y aurait été tué, vous auriez eu peur pour la sécurité de votre famille et auriez recherché un pays sûr. Le 18 juillet 2021, en compagnie de votre famille, vous auriez pris un avion à destination du Portugal où vous seriez restés quelques jours avant de venir introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg.

Vous auriez été obligés de quitter le Venezuela en 2015 parce que vous auriez été menacé par la « police du gouvernement » en précisant que votre épouse aurait travaillé comme journaliste.

Monsieur, vous signalez auprès de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes être né à … en Colombie mais être de nationalité vénézuélienne. Âgé de sept ans et accompagné de votre mère, vous auriez fui la violence en Colombie. Depuis, vous n'auriez plus jamais voulu avoir de contact avec votre pays de naissance. Vous confirmez avoir droit à des papiers colombiens en tant que personne née en Colombie de parents colombiens, mais vous n'auriez jamais eu d'intérêt pour les demander. Convié à vous expliquer alors que vous êtes forcément à considérer comme un citoyen colombien, vous répondez qu'on ne serait pas « d'où on est né, on est de là où on a grandi » (p. 18 du rapport d'entretien). De plus, vous ne 2vous sentiriez pas colombien, votre mère non plus ne voudrait pas y vivre et votre père aurait également quitté le pays. A cela s'ajouterait que votre épouse, affectée par la violence vécue au Venezuela et aux Etats-Unis, aurait besoin de vivre dans un pays sûr et sans violence « alors imaginez celle de la Colombie » (p. 18 du rapport d'entretien). En outre, il y aurait beaucoup de discrimination en Colombie. Vous n'y connaîtriez d'ailleurs personne et en tant que travailleur social, vous feriez partie du groupe de gens qui seraient le plus assassinés en Colombie. En tant que détenteur de diplômes d'études, vous n'iriez pas non plus vivre en Colombie pour « vendre des fruits » alors que vous voudriez aider des gens. Vous craindriez en outre que votre famille ne puisse être victime de xénophobie en Colombie, tel que cela vous aurait été rapporté par des amis à qui vous auriez parlé.

De 1987 à 2015, vous auriez vécu à Caracas avec votre épouse, votre mère et votre frère et vous y auriez travaillé, tout comme votre épouse journaliste, comme fonctionnaires d'Etat en tant que coordinateur de production pour la chaîne de télévision gouvernementale Televisora venezolana social (TVES), en vous occupant de la coordination des programmes et de l'envoi d'équipes sur le terrain. Vous auriez en outre travaillé avec des Indiens en Amazonie et donné des cours à l'université. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez pour votre sécurité et celle de votre famille au Venezuela alors que vous auriez été menacés et agressés par des personnes inconnues que vous supposeriez être des policiers, des gardes du corps ou des « colectivos ».

Vous affirmez à cet égard que vos problèmes auraient débuté en 2013, alors que vous auriez « appartenu » au parti Avanzada Progresista et que vous auriez travaillé en tant que freelance pour ce parti, en précisant « qu'on mettait des affiches avec la propagande du parti » (p. 8 du rapport d'entretien). A ce moment, la superintendante des coûts et des prix serait passée avec ses gardes du corps et un de ces derniers vous aurait reproché d'être en train de trahir la patrie. Vous n'auriez pas pris cette remarque au sérieux. Par la suite, vous précisez avoir été prié de faire partie d'un syndicat de travailleurs qui devrait être créé au sein de la TVES avec quatre ou cinq autre personnes. Après l'arrivée de Winston VALLENILLA comme nouveau président de la chaîne, des irrégularités auraient commencé, « dont des voyages à Cuba » (p. 9 du rapport d'entretien). Votre épouse, en tant que journaliste, aurait été responsable d'organiser certains voyages pour la chaîne, tandis que vous, en tant que coordinateur, auriez organisé la logistique de ces voyages. Après avoir organisé un tel voyage pour trois personnes, votre épouse vous aurait toutefois montré une facture faisant état d'un voyage d'une semaine de sept personnes au prix de 7.000.- dollars par personne. Vous auriez transmis cette facture audit syndicat, où d'autres irrégularités auraient été découvertes. Un ami vous aurait par exemple prié de chercher un travail pour sa sœur et vous auriez par conséquent transmis son dossier aux ressources humaines de votre chaîne. Or, bien que trois emplois aient été vacants, on vous aurait expliqué qu'il n'y aurait pas de place pour employer la sœur de votre ami. Vous auriez en outre reçu « la carte de déjeuner » (p. 9 du rapport d'entretien) de la fille du Président de la chaîne, de sa nièce et de sa tante, comme si elles étaient employées chez vous, ce qui n'aurait pas été le cas. De plus, lorsque vous auriez organisé des événements, votre chaîne aurait reçu des cadeaux, comme des appareils électrodomestiques, mais ces derniers ne seraient jamais arrivés dans les locaux et auraient terminé chez la famille du Président de la chaîne et chez …, le chef de la sécurité, capitaine de l'armée et un des sept profiteurs dudit voyage.

Lors d'une de vos réunions de syndicat, le secrétaire aurait proposé de réunir toutes les preuves, afin de les transmettre au dénommé …, un député ou à son fils …, un journaliste.

Beaucoup d'employés de la chaîne auraient possédé de telles preuves et vous en auriez réuni 3un grand nombre. Or, lesdites preuves auraient disparu et, étant donné que ledit secrétaire aurait été promu comme secrétaire personnel de Winston VALLENILLA, vous auriez compris qu'il aurait fait disparaître les documents. Vous vous seriez alors retiré dudit syndicat. Vous ajoutez par la suite que ce syndicat n'aurait en fait jamais été officiellement créé « à cause de la mort de … » (p. 11 du rapport d'entretien), un de ceux qui auraient réuni le plus de preuves.

Vous ne sauriez rien sur les raisons de sa mort, tout comme sa famille, mais selon des rumeurs et une publication dans un journal, il aurait été impliqué dans le trafic de drogues, une information que vous ne voudriez pas croire.

Le 14 novembre 2014, en rentrant avec votre épouse à la maison en voiture, vous auriez été arrêtés par deux motards habillés en civil, qui auraient - selon vous - été des policiers ou des gardes du corps, voire, des « colectivos ». Un de ces motards se serait placé devant la voiture, l'autre derrière et puis « Ceux qui sont devant » (p. 9 du rapport d'entretien), vous auraient prié de sortir de la voiture et de leur montrer vos documents. Après avoir trouvé votre « carte du gouvernement », on vous aurait questionné sur votre travail et votre fonction et demandé si vous étiez chaviste. Comme vous n'auriez pas répondu, votre interlocuteur aurait commencé à vous insulter et à vous frapper à la tête, ce dont vous ne vous seriez cependant pas rendu compte puisque vous auriez porté un bonnet. Il aurait ensuite pointé une arme sur vous et vous aurait demandé si vous étiez arrogant et connaissiez des gens importants. On vous aurait ensuite volé trois portables. En retournant à votre voiture, vous auriez retrouvé votre épouse en pleurs et les jambes recouvertes de boue. Elle vous aurait alors expliqué qu'ils auraient pointé leur arme dans son vagin et qu'ils l'auraient maltraitée. Vous auriez été très fâché et auriez voulu retrouver vos agresseurs, mais votre épouse vous aurait calmé et prié de rentrer à la maison. Le lendemain, elle aurait consulté un médecin et ensuite, vous seriez allés porter plainte. Votre vie aurait alors « complètement changé » alors que vous auriez évité de rouler sur les voies rapides et que vous auriez dès que possible, proposé à des collègues de travail de les ramener chez eux pour ne pas être seul dans votre voiture. Vous prétendez en outre avoir reçu des SMS vous menaçant de vous briser les jambes que vous auriez toutefois ignorés. A cause de ces faits, vous seriez devenu « paranoïaque » (p. 9 du rapport d'entretien).

En avril 2015, vous auriez été chargé de l'organisation d'un casting pour une novela.

Après que MADURO l'aurait mentionnée à la chaîne nationale, plus de 800 candidats se seraient présentés. Vous auriez été débordé et vous n'auriez pas pu vous occuper de tout le monde. Certains candidats mécontents auraient alors commencé à chanter des slogans contre VALLENILLA et contre MADURO. Vous auriez sélectionné entre 100 et 150 personnes à revenir le lendemain, mais parmi les candidats retenus, il y en aurait eu qui auraient participé auxdits chants. Du coup, un garde du corps de la chaîne, un certain Monsieur D, serait entré dans votre bureau et vous aurait menacé avec une arme pour vous signaler que vous ne devriez pas sélectionner des candidats qui seraient opposés au régime. Le lendemain, vous auriez porté plainte contre cette personne. On vous aurait demandé s'il y avait des témoins de la scène, mais personne n'aurait voulu témoigner, alors que tout le monde aurait su que Monsieur D serait une personne dangereuse. Par la suite, vous auriez commencé à recevoir des appels menaçants et vous auriez demandé à votre épouse de s'installer ailleurs dans « un village ».

Le 5 mai 2015, Monsieur D aurait été tué. Vous seriez d'avis que sa mort aurait un lien avec votre plainte. Vous précisez que peu avant sa mort, il aurait perdu son rôle au sein de l'entreprise et son influence auprès de Winston VALLENILLA. A partir de ce moment, il y aurait eu beaucoup de soupçons et les gens auraient soupçonné VALLENILLA d'avoir commandité sa mort, alors qu'officiellement, il serait mort lorsque quelqu'un aurait tenté de lui voler son arme. Vous précisez en outre avoir été curieux de sorte à ce que vous seriez allé 4observer ses funérailles avec une collègue belge nommée Cathy GOOSENS et que personne n'aurait pu vous voir puisque vous seriez restés dans votre voiture ayant les vitres teintées.

Vous auriez trouvé cela bizarre que Winston VALLENILLA n'aurait pas été présent. Le 10 mai 2015, vous auriez reçu des messages vous menaçant que « tu vas payer ça, on va te couper les jambes » ou « nous allons t'emmerder » (p. 10 du rapport d'entretien). Quelques jours plus tard, vous auriez réussi à identifier l'expéditeur de ces messages comme étant un garde de sécurité qui aurait travaillé pour « le ministère de Karlin GRANADILLO » (p. 10 du rapport d'entretien) laquelle serait la compagne d'un de vos amis. Elle vous aurait confirmé connaître ledit garde et vous aurait promis de s'informer sur ce personnage, mais vu votre départ pour les Etats-Unis, vous n'auriez plus entendu de ses nouvelles. En mai 2015, vous et votre épouse auriez en tout cas sollicité des congés et vous ne seriez plus rentrés chez vous. Votre épouse se serait installée chez sa grand-mère à Guanare, tandis que vous auriez habité dans la maison inoccupée de votre frère, qui aurait déjà à ce moment vécu aux Etats-Unis où il aurait introduit une demande de protection internationale pour une raison que vous ignoreriez. A ce moment, avec votre épouse, vous auriez également pris la décision de quitter le pays.

Vous faites encore état d'un prétendu enlèvement de votre mère puisque vous mentionnez qu'elle se trouverait actuellement à Caracas et qu'« Elle bouge souvent entre la Colombie, l'Allemagne et le Venezuela. Elle allait aussi aux Etats-Unis, mais elle a été enlevée on lui a enlevé son passeport. Il y aussi la plainte de l'enlèvement de ma mère dans les documents que j'ai apportés » (p. 17 du rapport d'entretien). Rendu attentif par l'agent chargé de votre entretien que la copie de plainte versée ne fait état que d'un vol à main armée, vous répondez que « Oui c'est comme ça, ce n'est pas dans la plainte (…) ils ne notent pas tout » (p.

17 du rapport d'entretien). Votre mère vous aurait signalé que l'enlèvement aurait duré trois heures et qu'elle aurait été déshabillée et frappée.

Le 8 juin 2015, vous auriez donc quitté le Venezuela par vol à destination de Miami moyennant des visas américains. A Miami, vous auriez loué une voiture pour rejoindre Chicago, où vous auriez séjourné entre cinq et six ans et où vous auriez travaillé en tant que chauffeur Uber, tout en donnant des cours d'espagnol et d'aide aux études. Avec votre épouse, vous auriez introduit des demandes de protection internationale aux Etats-Unis mais n'auriez jamais reçu de réponse. Vous auriez uniquement reçu un « papier », mais auriez été obligés de payer pour vos « frais, le foyer, les transports » (p. 6 de votre rapport d'entretien). Vous auriez en outre possédé un permis de travail, mais vous n'auriez pas reçu de permis de séjour et auriez toujours attendu votre entretien concernant vos demandes de protection internationale. Après six ans, vous auriez pris le choix de quitter les Etats-Unis à cause de la violence, en précisant qu'une personne afro-américaine aurait une fois craché au visage de votre épouse et que la soeur d'une amie de votre fils aurait été tuée par une balle perdue. En plus, en achetant une voiture, vous auriez été victime d'un vol d'identité et perdu 4.000.- dollars et, en faisant une livraison, deux inconnus auraient essayé de voler votre voiture mais n'auraient finalement réussi qu'à s'emparer de votre portable. Enfin, vous signalez que votre épouse aurait fait une dépression aux Etats-Unis et que vous auriez déjà voulu partir il y a trois ans au Canada, mais que la frontière aurait été fermée à cause de la pandémie du Covid-19. A la recherche d'un pays sûr, votre choix serait alors tombé sur le Luxembourg.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux dans les grandes lignes. En 2012, vous auriez commencé à travailler comme freelance pour la chaîne de télévision TVES et en 2013, vous y auriez été employée en tant que fonctionnaire du gouvernement, d'abord comme assistante puis comme journaliste et productrice. Vous auriez contribué à récolter des preuves quant auxdites irrégularités au sein de votre chaîne que vous auriez transmises à votre époux.

5Vous supposeriez que votre supérieur et le président de la chaîne seraient d'avis que vous auriez transmis des informations à votre époux, puisqu'après que la secrétaire prévue du syndicat aurait été employée comme secrétaire du président de la chaîne, votre « niveau de travail » (p. 6 du rapport d'entretien) aurait commencé à diminuer et vous n'auriez plus été envoyée à des événements. Votre supérieur vous aurait en outre dit de vous taire et de ne pas parler de ce qui se passerait dans la « direction des événements officiels » (p. 6 du rapport d'entretien). Vous auriez toutefois pris cette remarque comme une blague.

Le 14 novembre 2014, avec votre époux, vous auriez été arrêtés par « deux motards » (p. 6 du rapport d'entretien), voire « quatre » (p. 7 du rapport d'entretien), appartenant au gouvernement, dont deux s'en seraient pris à vous, pendant que les autres auraient parlé à votre époux. On vous aurait d'abord demandé vos papiers et interrogée avant de vous avertir « ne parle pas (« no te comes la luz ») » (p. 6 du rapport d'entretien). Comme vous n'auriez pas répondu, vous auriez été giflée et traînée hors de la voiture en vous blessant aux jambes.

Ensuite, un de vos assaillants aurait inséré son arme dans votre vagin en vous répétant de ne pas parler tout en vous menaçant de vous tuer la prochaine fois. Le lendemain, vous auriez consulté un médecin, subi un curetage et porté plainte. Après quinze jours de congé de maladie, le 30 novembre 2014, vous auriez repris votre travail et vous auriez commencé à recevoir des messages et appels menaçants sur le téléphone de la société. Vous auriez transmis le numéro de l'expéditeur de ces menaces à Karlin, une amie de votre époux, qui serait « Ministre du prix ». Cette dernière aurait identifié l'auteur et vous aurait mise en garde de faire attention alors qu'il appartiendrait à la police et à une institution du gouvernement, « Activiste ou quelque chose comme ça » (p. 7 du rapport d'entretien). Par la suite, vous invalidez cette version des faits en expliquant que vous n'auriez jamais reçu d'appels ou messages menaçants sur votre lieu de travail, mais bien votre époux.

Le 7 juin 2015, vous auriez quitté le Venezuela en direction des Etats-Unis. Vous n'auriez pas possédé de titre de séjour aux Etats-Unis et n'auriez pas non plus pu en demander sur base de la nationalité américaine de vos enfants. Vous n'auriez pas non plus entrepris des démarches pour obtenir un titre de séjour et auriez uniquement possédé un titre de travail.

Vous signalez d'abord avoir travaillé comme enseignante aux Etats-Unis, puis, interrogée sur les raisons qui vous auraient poussée à quitter les Etats-Unis après y avoir vécu pendant six ans, vous déclarez alors que vous n'auriez pas reçu d'aide et que vous auriez été obligée de dormir par terre pendant l'hiver. Vous auriez du coup accepté un travail de femme de ménage dans un fast-food, mais seriez alors tombée enceinte de votre premier enfant. Après qu'un « garçon » vous aurait craché au visage, vous auriez démissionné et trouvé un travail dans un autre restaurant. Vous auriez cependant été virée après qu'un client se serait plaint que vous ne comprendriez pas l'anglais. Vous auriez par la suite travaillé avec votre époux dans le cadre de ses livraisons lorsque vous auriez été braqués par deux « afro-américains ».

Vous auriez porté plainte, mais il aurait uniquement été retenu qu'on vous aurait volé vos portables.

Madame, Monsieur, à l'appui de vos dires, vous présentez les pièces suivantes :

- Votre passeport vénézuélien, Monsieur, émis le … 2013, prolongé en décembre 2018 et 2020 et le vôtre, Madame, émis le … 2014 et prolongé en mars 2020, ainsi que vos cartes d'identité vénézuéliennes émises le … 2014 ;

- les passeports américains de vos enfants, émis le … 2014 et vos quatre permis de travail américains, valables de … 2016 à … 2018 et de … 2019 à … 2021;

- deux copies en langue espagnole, émises par le TVES qui informeraient que vous, Monsieur, y auriez travaillé comme coordinateur d'octobre … à mai … et vous, 6Madame, comme productrice de juillet … à mai …, ainsi que vos badges de travail ;

- un badge vous présentant, Monsieur, comme collaborateur de la « … » ;

- une photo montrant une jambe dont la peau contient des éraflures et des bleus, ainsi qu'une photo qui montrerait un rapport médical établi suite à l'agression dont vous auriez été victime, Madame, accompagné d'une traduction non officielle et non signée ;

- la photo d'une plainte que vous auriez déposée le 15 novembre 2014, accompagnée d'une traduction non officielle et non signée, ainsi qu'une photo qui concernerait la plainte déposée par votre mère, Monsieur, le 11 février 2018, après le prétendu enlèvement subi ;

- deux copies en langue espagnole de deux plaintes que vous auriez déposées les 11 mars 2013 et 15 novembre 2014 ;

- deux badges vous présentant, Monsieur, comme étudiant au City colleges of Chicago et un badge vous présentant, Madame, comme étudiante de la Universidad Catolica Santa Rosa ;

- une copie en langue espagnole, accompagnée d'une traduction non signée et non officielle, qui aurait été émise par le coordinateur du parti Avanzada Progresista en date du 15 octobre 2015, pour confirmer que vous seriez un « leader engagé » du parti et un coordinateur régional volontaire qui aurait été « responsable dans les élections présidentielles et régionales (et dans) la coordination du Tableau de l'unit démocratique » ;

- deux copies de rapports d'un psychiatre en langue espagnole, datant de novembre 2020, accompagnées de leurs traductions anglaises, informant que vous, Madame, souffririez de dépressions et auriez besoin de voyager et d'être accompagnée par un animal domestique comme soutien émotionnel, votre badge émis par le « USA Service Dog Registration », vous accordant le droit à un « emotional support » d'un chien et vous accordant le droit de voler accompagnée de votre chien ainsi que des droits liés au « Fair Housing Amendments Act », ainsi qu'un certificat datant de novembre 2020, confirmant que vous avez correctement enregistré votre chien aux Etats-Unis comme animal de support émotionnel ;

- votre certificat de mariage, conclu le … 2014, à Chicago.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Madame, Monsieur, avant tout autre développement en cause, il faut soulever que des doutes évidents doivent être formulés par rapport à la crédibilité de vos dires et à la réelle gravité de votre situation au Venezuela, respectivement, quant aux véritables motifs qui vous ont poussés à quitter le Venezuela, puis les Etats-Unis, pour venir introduire des demandes de protection internationale au Luxembourg.

En effet, il s'agit tout d'abord de noter qu'il est légitime d'attendre de personnes réellement persécutées ou à risque d'être persécutées et en besoin réel de protection, qu'elles soient reconnaissantes d'avoir pu s'enfuir de leur pays vers un pays sûr, s'installer de manière légale dans ce pays et d'avoir la chance d'y refaire sa vie en ayant un travail et en étant notamment inscrit à l'université. Or, il se dégage justement de vos dires que vous avez pu vous installer aux Etats-Unis grâce à des visas qui seraient valables pendant dix ans et que vous avez, tous les deux, possédé des permis de travail renouvelables. De plus, Monsieur, vous prétendez avoir possédé un titre de séjour grâce à votre sœur qui y séjournerait et surtout, Madame, Monsieur, vos deux enfants y sont nés et possèdent la nationalité américaine. A 7supposer que vous ayez donc vraiment dû fuir le Venezuela parce que vous auriez estimé que vous auriez besoin de la protection d'un autre pays, il est clair que vous auriez pu continuer à vivre aux Etats-Unis et à profiter de la protection offerte par les autorités américaines.

Ce constat vaut d'autant plus que, hormis le fait que vous auriez été victimes de deux vols ou qu'une personne vous aurait une fois craché au visage, Madame, il ne vous serait rien arrivé aux Etats-Unis, ni à vous deux, ni à vos enfants. Il paraît dès lors évident que des seules considérations de nature économique, voire, de convenance personnelle, vous ont après cinq ou six ans de séjour aux Etats-Unis, poussés à quitter ce pays pour vous installer ailleurs.

Madame, interrogée sur les raisons qui vous auraient poussée à quitter les Etats-Unis après y avoir vécu pendant six ans, vous avancez d'ailleurs justement le motif que vous n'auriez pas reçu d'aide et que vous auriez été obligée de dormir par terre pendant l'hiver. Vous précisez dans ce contexte avoir accepté un travail de femme de ménage, mais que vous auriez démissionné après que le « garçon » vous aurait craché au visage, puis que vous auriez trouvé un travail dans un autre restaurant, duquel vous auriez toutefois été viré après qu'un client se serait plaint que vous ne comprendriez pas l'anglais.

Votre comportement étant en tout cas clairement compatible avec celui de personnes cherchant à s'installer dans un pays qui pourrait leur garantir de bonnes prestations sociales ou matérielles, respectivement un cadre de vie plus élevé, contrairement, en apparence, aux Etats dans lesquels elles auraient séjourné jusque-là. En effet, si vous aviez vraiment quitté le Venezuela pour avoir éprouvé des craintes d'y être victimes de persécutions, vos problèmes auraient été résolus et vos craintes auraient fait partie du passé en continuant tout simplement à vivre aux Etats-Unis. Ajoutons à toutes fins utiles à ce sujet que les Etats-Unis ne se résument évidemment pas à Chicago et que si la situation générale ne vous y aurait pas plu, vous auriez été libres de vous installer ailleurs dans ce pays d'une superficie de quelques dix millions de kilomètres carrés.

Cette réflexion peut être répétée pour ce qui de votre pays d'origine, Monsieur. En effet, vous confirmez être né en Colombie de parents colombiens et avoir droit à des papiers colombiens. Par conséquent, si vraiment vous aviez dû fuir le Venezuela, ce qui reste contesté, vous auriez manifestement pu vous installer avec votre épouse en Colombie pour y rechercher une protection et trouver une solution à vos soucis. Le seul fait que vous n'auriez jamais eu d'intérêt pour vous installer en Colombie, parce que vous ne vous sentiriez pas colombien, que vos parents auraient également quitté le pays, à cause de l'insécurité ou parce qu'il y existerait de la discrimination, ne saurait en tout cas pas valoir comme excuse à votre totale inaction.

En tant que personne née en Colombie de parents colombiens, vous êtes en tout cas à percevoir comme un citoyen colombien et vous restez en défaut d'avancer la moindre explication pertinente qui justifierait votre choix de ne pas partir avec votre épouse en Colombie, respectivement, votre choix de ne jamais avoir demandé la délivrance de documents colombiens.

A nouveau, il paraît évident que des motifs économiques ou de convenance personnelle expliquent votre choix d'apparemment ne même pas avoir tenté de vous réinstaller en Colombie, après avoir prétendument quitté ce pays à l'âge de sept ans. Ce constat se trouve davantage confirmé par votre propre explication selon laquelle vous n'auriez pas eu envie, en tant que détenteur de diplômes, de vivre en Colombie pour « vendre des fruits », de sorte que des considérations économiques vous ont manifestement guidé dans votre parcours et non pas des prétendues craintes d'être victime de persécutions en rapport avec le Venezuela.

8A cela s'ajoutent d'autres incohérences ou contradictions ressortant de vos dires, qui ne font que confirmer que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises.

Ainsi, il s'agit notamment de soulever que vous vous efforcez tous les deux au cours de vos entretiens respectifs à développer sur plusieurs pages des théories ou des versions des faits, seulement pour les renier ou invalider par la suite et présenter une toute autre version.

Madame, vous prétendez par exemple qu'après votre retour au travail suite à votre congé de maladie, vous auriez commencé à recevoir des messages et appels menaçants. Interrogée quant à ces menaces, vous finissez toutefois par admettre qu'en fait, vous n'auriez jamais reçu de telles menaces, mais que vous auriez voulu parler des prétendues menaces dont votre époux aurait été victime. Vous prétendez aussi à un moment donné qu'une collègue de travail vous aurait transmis à plusieurs reprises des « preuves » quant à des irrégularités au sein de votre société, que vous auriez alors transmises à votre époux. Or, par la suite, vous prétendez que cette collègue ne vous aurait qu'une seule fois transmis des preuves, mais qu'il se serait agi de tout un classeur de preuves. Monsieur, il en est de même de vos propos alors que vous prétendez pendant une grande partie de votre entretien avoir aidé à créer un syndicat au sein de TVES, mais que vous finissez votre récit en expliquant qu'en fait aucun syndicat n'aurait jamais créé.

Dans ce même contexte, Madame, il s'agit de soulever que votre attitude ou vos réponses quant aux questions de l'agent chargé de votre entretien visant justement les incohérences ou contradictions ressortant de vos dires, ne permettent pas de rendre celles-ci plus crédibles. Ainsi, il faut noter que soit, vous ne répondez pas aux questions qui vous sont posées dans ce contexte, soit vous signalez par exemple être fatiguée lorsque des questions vous confrontant justement avec vos incohérences vous sont posées (p. 11 et 12 de votre rapport d'entretien).

Notant ensuite que l'histoire des motards qui vous auraient interceptés n'emporte pas non plus conviction. En effet, à part le fait qu'il résulte à plusieurs reprises de vos dires que vous auriez été stoppés par « deux motards » mais que vous auriez par la suite été menacés par quatre personnes, il s'agit surtout de soulever qu'il est tout à fait inimaginable, tel que vous le prétendez tous les deux, que vous, Monsieur, ne vous soyez à aucun moment rendu compte du fait que des personnes seraient en train de s'en prendre à votre épouse à quelques mètres de vous. En effet, Monsieur, il est totalement irréaliste que vous prétendez n'avoir rien vu ou entendu pendant que ces motards auraient traîné votre épouse hors de la voiture, l'auraient interrogée, menacée ou insultée et puis agressée avec leur arme, alors que vous auriez tout au plus été placé à quelques mètres de votre voiture et que vous auriez par conséquent dû parfaitement être au courant de ce qui serait en train d'arriver à votre épouse. Il est par conséquent aussi exclu que ce prétendu incident se soit déroulé de la façon décrite.

De plus, il s'agit de constater que vous ne semblez même pas vous être donnés la peine de vous faire une idée du contenu des copies de plaintes que vous avez versées pour corroborer vos dires. En effet, il saute aux yeux, Madame, que vous ne connaissez pas le contenu de votre propre prétendue plainte (p. 15 de votre rapport d'entretien), respectivement, il s'agit de constater que vous contredisez les informations inscrites dans cette plainte et qui constitueraient pourtant, du moins en théorie, vos propres déclarations faites à l'époque à la police vénézuélienne. Il ne ressort en effet nullement de vos déclarations faites auprès de la Direction de l'immigration que vous n'auriez initialement pas voulu déposer plainte contre vos agresseurs, ni que le lendemain de cette prétendue agression, des personnes inconnues seraient apparues devant votre maison et auraient pris en photo votre voiture.

9 Monsieur, le constat est similaire pour ce qui de la copie que vous avez versée et qui constituerait une plainte déposée par votre mère suite au prétendu enlèvement dont elle aurait été victime à une date inconnue par des personnes inconnues. En effet, à part la manière confuse, vague et superficielle avec laquelle vous parlez de ce prétendu enlèvement, il s'agit surtout de constater que vous non plus ne semblez pas vous avoir donné la peine d'au moins lire les documents ou de vous familiariser avec le contenu des pièces que vous avez voulu verser à l'appui de vos dires. Ainsi, vous versez ladite plainte en précisant notamment au sujet de votre mère qu'« Elle bouge souvent entre la Colombie, l'Allemagne et le Venezuela. Elle allait aussi aux Etats-Unis, mais elle a été enlevée on lui a enlevé son passeport. Il y aussi la plainte de l'enlèvement de ma mère dans les documents que j'ai apportés ».

Force est toutefois de constater que, comme vous l'a également déjà fait comprendre l'agent chargé de votre entretien, la copie de plainte versée ne parle aucunement d'un quelconque enlèvement, mais concerne un vol dont aurait été victime votre mère. Votre tentative de justification selon laquelle « Oui c'est comme ça, ce n'est pas dans la plainte (…) ils ne notent pas tout » (p. 17 du rapport d'entretien) ne saurait évidemment pas emporter conviction, alors que vous-même aviez précisément versé ladite copie pour appuyer vos dires quant à un prétendu enlèvement et qu'il ne fait pas de sens non plus que les policiers en charge lors de la rédaction de cette prétendue plainte aient préféré éviter de noter le moindre mot quant à un enlèvement dont aurait été victime la plaignante, en se contentant de parler du seul vol.

Enfin, ajoutons encore au sujet des incohérences ressortant de votre dossier administratif, que lors de votre séjour en Allemagne, Monsieur, avez y avez été enregistré sous une autre date de naissance que celle fournie aux autorités luxembourgeoises, de sorte qu'il faut évidemment se demander pour quelles raisons vous avez décidé ou préféré vous présenter sous deux identités différentes lors de vos séjours en Allemagne et au Luxembourg. Dans ce même contexte, il s'agit également de se poser des questions quant aux raisons qu'avaient les autorités allemandes de vous expulser du pays en 2001 et de vous imposer une interdiction d'entrée sur le territoire valable jusqu'en 2014.

Au vu de tout ce qui précède, la crédibilité de vos propos doit être rejetée et il doit être conclu que vous avez fait état d'un récit, respectivement, de motifs de fuite inventés de toute pièce, dans le but évident d'augmenter les probabilités de vous faire octroyer une protection internationale tout en camouflant les motifs économiques et de pure convenance personnelle lesquels sont manifestement à la base de votre voyage en Europe, et plus précisément au Luxemburg. Monsieur, vous finissez d'ailleurs par indirectement avouer que des motifs économiques ou de convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale alors que vous expliquez ne pas avoir tenté de vous installer dans une autre partie du Venezuela, au motif que « D'abord le travail et aussi que l'insécurité est partout. S'ils veulent te chercher ils te trouvent. En déménageant dans un autre ville ou Etat, de quoi allais-

je vivre ? Aux Etats-Unis je pouvais travailler comme chauffeur Uber et donner des cours de soutien d'espagnol et d'aides aux études mais pas au Venezuela » (p. 18 de votre rapport d'entretien).

Dans ce contexte, on peut préciser qu'il paraît d'autant plus évident que des motifs économiques ou de convenance personnelle fondent vos demandes de protection internationale, alors qu'à part le fait que vous n'auriez en 2015 pas voulu vous installer en Colombie pour y « vendre des fruits », vous auriez donc quitté le Venezuela en 2015, en pleine 10crise économique et humanitaire et à l'instar de millions d'autres Vénézuéliens qui ont au cours de la dernière décennie décidé de quitter leur pays à cause de cette crise et comme l'aurait notamment fait votre frère, Monsieur, qui serait lui aussi parti demander l'asile aux Etats-Unis. On peut ainsi noter que « The country is bankrupt, and widespread undernourishment has driven people to seek refuge elsewhere, causing the largest exodus in Latin American history. (…) "no independent government institutions remain today in Venezuela to act as a check on executive power…. Severe shortages of medicines, medical supplies, and food leave many Venezuelans unable to feed their families adequately or access essential healthcare". The COVID-19 pandemic has compounded the suffering. Venezuela was woefully unprepared for the pandemic because years of economic mismanagement exhausted their healthcare infrastructure and medical supply reserves ».

Toutefois, suite à l'exode massif des années 2010 susmentionné, l'année 2020 s'est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées. Ces retours au pays se sont encore multipliés récemment, à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d'autres pays sud-américains pour fuir la crise économique dans leur propre pays.

Ces retours démontrent en même temps, tel que relevé ci-avant, que les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des persécutions, tout en ne craignant manifestement pas d'y retourner.

Quoi qu'il en soit, des motifs économiques ou de convenance personnelle, respectivement, la seule situation économique ou humanitaire générale au Venezuela, soit en Colombie, sinon aux Etats-Unis, ne saurait en tout cas pas suffire pour justifier dans vos chefs l'octroi d'une protection internationale.

Quand bien même une once de crédibilité devrait être accordée à vos dires, ce qui reste contesté, il s'agirait de noter qu'aucune suite positive à vos demandes de protection internationale ne saurait être envisagée pour les motifs étayés ci-dessous.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils 11émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu'une d'elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Notons en premier lieu qu'une demande de protection internationale s'analyse par rapport au pays d'origine, respectivement, par rapport au pays dont le demandeur possède la nationalité. Il s'ensuit que vos demandes de protection internationale seront analysées aussi bien pour ce qui est de vos craintes de persécution en rapport avec le Venezuela, pays dont vous, Madame, Monsieur, possédez la nationalité, ainsi qu'avec les Etats-Unis, le pays dont vos enfants possèdent la nationalité.

Outre les doutes évidents soulevés par rapport à vos dires, il échet de relever en premier lieu que vos prétendus problèmes au Venezuela dateraient de 2015, de sorte qu'absolument rien ne permet de conclure qu'ils seraient toujours d'actualité en cas d'un retour chez vous. En effet, des motifs de fuite en lien avec des craintes datant de 2015, doivent être perçus comme étant trop éloignés dans le temps pour pouvoir justifier l'octroi du statut de réfugié en 2022.

Ensuite, et indépendamment du constat que vos prétendus problèmes sont trop anciens, vous seriez donc tous les deux uniquement en mesure d'émettre des suppositions quant aux motards qui vous auraient menacés. En effet, vous supposeriez qu'il s'agirait de policiers ou bien de gardes du corps non autrement définis ou bien de « colectivos » à nouveau non autrement précisés. Force est partant de constater que vous n'auriez aucune idée qui vous aurait interceptés lorsque vous auriez été dans votre voiture, pour finalement vous voler trois portables. Hormis les doutes plus qu'évidents qui sont, comme susmentionné, à formuler quant à votre description de ce prétendu incident, il y a donc aussi lieu de retenir qu'il ne saurait aucunement être exclu que vous ayez été victimes d'un simple vol, commis par des délinquants dans un but purement lucratif. Vois restez en tout cas en défaut d'établir que cette agression unique dont vous auriez été victimes serait à mettre en relation avec votre prétendue adhésion à un parti d'opposition, Monsieur, voire, Madame, Monsieur, à vos prétendues activités en lien avec les « preuves » que vos auriez collectées sur des irrégularités financières qui auraient été commises au sein du TVES. Vous restez dès lors en défaut de lier vos prétendus problèmes et craintes à l'un des cinq critères susmentionnés prévus par la Convention de Genève.

Il est par ailleurs évident qu'aucun élément de votre dossier administratif ne permet de retenir que vous seriez menacés par la « police du gouvernement » au Venezuela. Ce constat vaut d'autant plus que vous auriez donc vous-mêmes décidé de rechercher le lendemain de cette prétendue agression, l'aide de la police en allant tous les deux déposer plainte et sans apparemment éprouver des craintes quelconques de vous présenter à cette même « police du gouvernement ».

Il doit dès lors en plus être conclu qu'il ne saurait être établi que vous n'auriez pas pu trouver une protection au Venezuela ou y faire valoir vos droits. Le fait qu'aussi bien vous-mêmes, que votre mère, aient jugé bon ou utile d'aller déposer plainte et ainsi rechercher la protection des autorités au Venezuela dans le cadre de vos prétendus problèmes, prouve à suffisance que vous aviez accès à la protection dans votre pays d'origine et il ne saurait dès lors pas être conclu que les autorités vénézuéliennes n'auraient pas pu ou pas voulu vous venir en aide. Ce dernier constat vaut d'autant plus que vous confirmez avoir tous les deux travaillé 12jusqu'à votre départ du pays comme fonctionnaires du gouvernement pour sa chaîne de télévision et que vous ne vous êtes donc manifestement pas trouvés dans le collimateur du gouvernement vénézuélien ou d'autorités dépendant de ce même gouvernement.

Enfin, Monsieur, pour ce qui est des menaces anonymes qui vous auraient été envoyées et dont vous auriez par la suite découvert qu'elles proviendraient d'un garde travaillant pour la sécurité d'un ministère, ainsi que de cette intimidation dont vous auriez une fois été victime au travail pour avoir fait passer des candidats ayant chanté des slogans contre MADURO ou le président de votre chaîne à l'occasion d'un casting, soulevons que ces incidents, à les supposer réels, ne revêtent clairement pas un degré de gravité tel à pouvoir être définis comme des actes de persécutions au sens desdits textes. Le constat que vous, Madame, vous n'auriez en plus éprouvé aucun problème à retourner à votre travail pour le gouvernement après que vous et votre époux auriez prétendument été victime des incidents mentionnés, et même de retravailler pour la personne que vous supposeriez être responsable de l'agression que vous auriez subie, ne fait que confirmer le non-sérieux de vos propos et craintes et que la réelle gravité de votre situation au Venezuela doit être relativisée. Ce constat se trouve davantage confirmé par le maintien de votre mère, Monsieur, à Caracas, après avoir prétendument été victime d'un enlèvement au Venezuela et avoir pu voyager en Colombie, en Allemagne et aux Etats-Unis, tout en préférant retourner volontairement chez elle et ne pas rechercher de protection dans ces pays. Etant donné qu'elle continuerait pour le surplus de voyager entre différents continents, on ne lui aurait donc pas non plus enlevé son passeport. Pour être complet à ce sujet, notons encore, Madame, que votre père et vos deux sœurs habiteraient eux-

aussi toujours au Venezuela, sans que ne vous fassiez état d'un quelconque problème qu'ils y auraient rencontré.

Quant à vos craintes, respectivement, celles de vos enfants, en rapport avec les Etats-Unis, soulevons en premier lieu que vous ne faites pas état du moindre problème personnel auquel auraient été confrontés vos enfants dans leur pays. En effet, vous vous limitez à parler de l'insécurité générale qui règnerait à Chicago et vous mentionnez le racisme auquel vous auriez dû faire face, sans pourtant à nouveau faire part de quelconques soucis personnels ou de discriminations vécues par vos enfants. Il s'ensuit que vous n'avancez aucun élément pertinent par rapport aux dispositions de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015.

Notons ensuite que, comme susmentionné, les problèmes personnels que vous, Madame, Monsieur, auriez vécus aux Etats-Unis, ne sauraient pas non plus suffire pour justifier votre départ de ce pays, respectivement, justifier dans vos chefs l'octroi du statut de réfugié au Luxembourg. En effet, le fait de s'être fait une fois cracher au visage ou avoir une fois été licenciée pour ne pas parler l'anglais, Madame, ne saurait par son manque de gravité évident, manifestement pas suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée d'être victime de persécutions aux Etats-Unis, tel que définies par la Convention de Genève. Monsieur, il en est de même quant au braquage que vous auriez vécu pendant une livraison en voiture ou du vol d'identité dont vous auriez été victime après avoir acheté une voiture. Hormis le constat que ces problèmes ne sont manifestement pas liés à l'un des cinq critères prévus par la Convention de Genève, ils ne revêtent eux non plus un degré de gravité tel à pouvoir être perçus comme des actes de persécution au sens desdits textes. A cela s'ajoute qu'il ne serait manifestement pas établi que vous n'auriez pas pu compter sur l'aide des autorités américaines, respectivement, que celles-ci n'auraient pas pu ou pas voulu vous aider, vous offrir une protection ou vous permettre de faire valoir vos droits aux Etats-Unis.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas octroyé.

13 • Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Outre les conclusions ci-dessus retenues quant aux doutes relatives à la crédibilité de vos déclarations, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre ou vos pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.

En effet, Monsieur, à part le fait que vous n'avancez aucun motif valable lié à une telle atteinte grave pour expliquer pourquoi en tant que personne née en Colombie de parents colombiens, vous n'auriez jamais recherché à vous y installer avec votre famille, il y a lieu de retenir qu'il ne saurait pareillement pas être retenu que vous risqueriez d'être victimes, Madame, Monsieur, d'une telle atteinte grave en cas d'un retour au Venezuela.

Il en est de même pour ce qui serait d'un retour aux Etats-Unis, où clairement, vous ou vos enfants ne risqueriez pas non la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements inhumains ou dégradants, tout comme vous ne risqueriez pas d'être victimes de menaces graves contre vie en raison d'une violence aveugle dans le cadre d'un conflit armé.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination du Venezuela, des Etats-Unis, de la Colombie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. […]. » 14 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 octobre 2022, les époux A ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 3 octobre 2022 portant refus de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 3 octobre 2022, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient en substance aux faits et rétroactes tels qu’ils ont été retranscrits dans leur rapport d’audition auprès du ministère. Ils précisent que Monsieur A aurait appartenu au parti politique « Avanzada Progesista » et qu’il aurait milité activement par la pose d’affiches et l’organisation de groupes de travail et de réflexion.

En droit, les demandeurs se rapportent à prudence de justice en ce qui concerne les causes d’illégalité externes pouvant affecter les décisions attaquées.

Les demandeurs exposent ensuite, en substance, que le Venezuela ferait face à une crise économique et politique et citent un extrait du site « France Diplomatie ». Ils se réfèrent encore à un rapport de « Human Rights Watch » et estiment que ledit rapport relaterait « d’une manière générale exactement les mêmes abus et difficultés que ceux décrits par [eux] », de sorte qu’il accréditerait leur récit, qui serait ainsi circonstancié et appuyé par des pièces concrètes. Ils précisent qu’il serait « illusoire d’espérer le salut de la part de la police ou de la justice, par manque aussi bien de volontés que de moyens ».

Les demandeurs soulignent que l’interdiction du territoire allemand de Monsieur A ne serait pas pertinente dans le cadre de la demande de protection internationale, alors que ces circonstances seraient étrangères à ladite demande.

S’agissant de l’argumentation du ministre, selon laquelle Monsieur A aurait pu fuir vers la Colombie, les demandeurs font valoir qu’il ne serait pas établi que Monsieur A serait de nationalité colombienne, alors qu’il ne suffirait pas d’être né en Colombie pour jouir de la nationalité de ce pays. Ils ajoutent que « peut-être pourrait-il solliciter une demande de nationalité colombienne », mais qu’il ne serait pas établi qu’il pourrait en disposer dans l’immédiat. Ils donnent encore à considérer que Madame A et ses enfants n’auraient pas de liens avec la Colombie. Ils soulignent ensuite, en substance, que la Colombie ne pourrait pas assurer des conditions décentes aux demandeurs d’asile du Venezuela.

15Les demandeurs précisent que « le fait que les enfants mineurs aient virtuellement le droit d’acquérir la nationalité américaine en raison de leur naissance sur le territoire américain », n’impliquerait pas « de droit immédiat » pour les parents de résider aux Etats-Unis. Ils soulignent que durant leur séjour aux Etats-Unis, ils auraient été « parqués dans un ghetto à Chicago, où règne[rait] au quotidien la violence, le racisme, la drogue et la ségrégation sociale ». Ils soutiennent que, contrairement à l’argumentation du ministre selon laquelle ils auraient pu quitter Chicago pour s’installer dans un autre endroit, ils n’auraient pas les moyens financiers de rejoindre un autre endroit. Ils donnent à considérer, en substance, que leur situation « de perpétuelle insécurité doublée de conditions financières extrêmement précaires, sans couverture de santé ou de garanties d’emploi » serait de nature à constituer un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH ». Ils se réfèrent encore à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la CIDE », et estiment, en substance, que la décision de quitter les Etats-Unis aurait été prise dans l’intérêt supérieur de leurs enfants, respectivement pour leur assurer un avenir et du bien-être, plus particulièrement de leur offrir un logement et une éducation décente.

Quant aux prétendues incohérences affectant leur récit, les demandeurs précisent que « malgré l’attention de l’agent et des conseils durant l’audition », il y aurait toujours des pertes et des dénaturations lors de la transcription du récit oral vers l’écrit, ainsi que lors de la traduction du récit. Ils soulignent ensuite, en substance, que des petites contradictions ne devraient pas remettre en cause la crédibilité du récit d’un demandeur. En se référant à une jurisprudence du tribunal de céans, ils soulignent que l’agression des « faux policiers en moto » serait prouvée par la plainte et le certificat médical attestant les violences subies. Ils considèrent que ladite agression serait crédible au regard des exactions commises par les milices armées.

Ils expliquent qu’une plainte aurait également été déposée par Monsieur A contre Monsieur D, ce qui prouverait qu’il aurait tenté de rechercher la protection de la police, « manifestement sans succès ».

Les demandeurs font valoir qu’ils éprouveraient des craintes légitimes en cas de retour forcé au Venezuela, notamment au regard de la crise et de la violence à l’égard des opposants du gouvernement au Venezuela, ainsi que du fait que la majeure partie de la population vivrait sous le seuil de pauvreté. Ils font plaider que contrairement à l’affirmation du ministre, la situation générale au Venezuela ne se serait pas améliorée, alors que les gens continueraient de fuir le pays, tout en se référant à un rapport publié sur le site internet de « R4V » selon lequel 7.100.000 d’émigrés proviendraient du Venezuela.

Ils soutiennent que l’argument du ministre selon lequel un simple but de lucre aurait pu se trouver à l’origine de l’agression subie en novembre 2014 « ne résiste[rait] pas à l’analyse alors que les [demandeurs auraient] reçu des messages de menaces à la suite de cet épisode », et qu’une seconde plainte aurait été déposée. Ils soutiennent encore que cette « seconde agression » serait motivée par des raisons politiques et serait « clairement mise en relation avec la première faisant ainsi présumé le lien entre les deux », de sorte qu’ils rempliraient les conditions requises pour l’octroi du statut de réfugié.

Quant à la protection subsidiaire, les demandeurs renvoient à leurs développements exposés au regard du statut de réfugié et contestent l’argumentation du ministre selon laquelle un séjour en Colombie ou aux Etats-Unis serait possible. Ils estiment qu’ils se verraient « immanquablement » soumis à une violence aveugle à leur encontre et contre leurs enfants.

16Dans ce contexte, ils considèrent que « le pire » serait à craindre en cas de retour au Venezuela « au vu du déferlement de violence aveugle par le biais, soit de factions armées au service de l’Etat, soit de milices, soit de gangs qui profitent du chaos général pour imposer leurs lois, soit des dissidents mêmes du régime », et se réfèrent à ce titre à plusieurs articles de presse publiés sur différents sites Internet. Ils en concluent que la violence aveugle serait à rapprocher avec les violences dont les époux A auraient fait l’objet, et qu’ils risqueraient d’être de nouveau victimes « de ce cauchemar de déferlement de violence parfaitement hors de tout contrôle ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Si les demandeurs se rapportent à prudence de justice quant aux causes d’illégalité externe pouvant, le cas échéant, affecter les décisions déférées, le tribunal relève que le fait de se rapporter à prudence de justice s’analyse en principe en une contestation. Il convient néanmoins de retenir qu’un moyen non autrement précisé n’est pas de nature à énerver la légalité des décisions litigieuses. En effet, les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas à ce dernier de suppléer à la carence des demandeurs et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions, de sorte qu’il y a lieu de rejeter ce moyen.

Pour ce qui est ensuite de la légalité interne de la décision déférée, il convient de relever qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] » tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, […], et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

17a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

18Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande tendant à l’octroi du statut de réfugié qu’à celle visant l’obtention de la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2 g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal est tout d’abord amené à rappeler qu’en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, il doit examiner, en plus de la situation générale du pays d’origine, la situation particulière du demandeur de protection internationale et vérifier, concrètement, si sa situation subjective a été telle qu’elle laissait supposer un danger pour sa personne.

A titre liminaire, le tribunal relève que si les demandeurs réfutent l’argumentation du ministre quant à la possibilité d’une fuite en Colombie, en contestant que Monsieur A aurait la nationalité colombienne et qu’ils pourraient trouver refuge sur le territoire colombien, ils ne motivent néanmoins pas leurs demandes de protection internationale par une crainte de leur 19part de subir des actes de persécution ou des atteintes graves en Colombie, de sorte que le tribunal limitera son analyse aux craintes de persécution ou d’atteintes graves qu’ils ont exprimées par rapport au Venezuela et aux Etats-Unis, pays dont ils reconnaissent qu’ils sont leurs pays d’origine respectifs.

Indépendamment de la question de savoir si les demandeurs peuvent prétendre à un titre de séjour aux Etats-Unis, le tribunal constate que les demandeurs déclarent avoir quitté les Etats-Unis aux motifs que :

(i) Monsieur A aurait été victime d’un vol de son téléphone portable lors d’une livraison, (ii) Madame A aurait été licenciée par son employeur et une personne « afro-

américaine » lui aurait craché au visage et (iii) la sœur d’une amie de leurs fils aurait été tuée par une balle perdue.

Indépendamment de la crédibilité du récit des demandeurs, le tribunal est amené à retenir que les actes subis personnellement par les époux A aux Etats-Unis ne revêtent pas un degré de gravité suffisant pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves.

Quant au décès de la sœur d’une connaissance, le tribunal est amené à retenir qu’il s’agit d’un fait non personnel. Or, des faits non personnels, mais subis par des personnes autres que le demandeur de protection internationale ne peuvent établir l’existence, dans le chef de ce dernier, d’une crainte fondée de subir des actes de persécution ou des atteintes graves, qu’à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas rapporté cette preuve, alors que les circonstances exactes de la mort de ladite sœur ne se dégagent pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, de sorte qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucun lien entre ledit incident et la situation personnelle des demandeurs, susceptible de les exposer à des faits similaires. Il s’ensuit que les craintes de subir des actes de persécution ou d’atteintes graves qu’ils déduisent de cet incident sont purement hypothétiques.

Le tribunal constate, par ailleurs, qu’il ne ressort ni des déclarations des demandeurs lors de leurs auditions respectives, ni de leur requête introductive d’instance, que leurs enfants auraient subi le moindre problème personnel aux Etats-Unis.

S’agissant de l’argumentation des demandeurs, selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant s’opposerait à un retour de leurs enfants aux Etats-Unis, respectivement qu’ils n’y pourraient bénéficier d’une prise en charge appropriée, alors que ni leur bien-être, ni une éducation décente leur seraient garantis, le tribunal relève que le juge administratif, dans le cadre de sa compétence lui attribuée par la loi du 18 décembre 2015, est appelé à se prononcer exclusivement sur l’existence, dans le chef d’un étranger, de raisons de craindre d’être persécuté dans son pays d’origine ou sur l’existence de motifs sérieux de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, cette personne encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Il ne lui appartient pas de se prononcer, dans ce contexte, sur la question d’une éventuelle méconnaissance de l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur de protection internationale, protégé, notamment, par 20l’article 3 de la CIDE, étant donné que cette question ne relève ni du champ d’application de la Convention de Genève, ni de celui de la loi du 18 décembre 2015.1 Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse ne sont de nature à établir l’existence, dans le chef des enfants, ni d’une crainte fondée de persécutions ni d’un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à ne pas justifier l’octroi, aux enfants, d’un statut de protection internationale.

Le tribunal relève ensuite, indépendamment de la crédibilité du récit des demandeurs, qu’ils déclarent avoir quitté le Venezuela au motif que (i) en novembre 2014, les époux A auraient été arrêtés par des motards, lesquels les avaient menacés et agressés, (ii) en avril 2015, Monsieur A aurait été intimidé par un garde du corps de la chaîne de télévision pour laquelle il aurait travaillé après avoir sélectionné, dans le cadre d’un casting, des candidats ayant chanté des slogans contre le président Maduro ou le président de sa chaîne, et (iii) qu’en mai 2015, il aurait ainsi reçu des messages menaçants provenant d’un garde travaillant pour « le ministère de Karlin Granadillo »2.

Quant au premier incident lors duquel les époux A, installés dans leur voiture, auraient été interceptés par des motards et auraient subi des agressions et des menaces, le tribunal constate que les demandeurs soupçonnent que les auteurs seraient des policiers, gardes du corps ou des « colectivos ».

Or, force est au tribunal de retenir que le lien invoqué entre cet incident et des membres de l’Etat vénézuélien, respectivement des policiers, gardes du corps ou des « colectivos », n’est corroboré par aucun élément concret, de sorte à correspondre à une simple supposition.

Cet incident isolé, dont tant l’identité des auteurs que leurs motifs sont restés inconnus, n’est pas de nature à établir l’existence, dans le chef des demandeurs, d’une crainte fondée de persécution, respectivement d’un risque réel d’atteintes graves.

En ce qui concerne le deuxième incident dans le cadre duquel Monsieur A aurait été menacé avec une arme par un garde du corps de la chaîne de télévision pour laquelle il avait travaillé, le tribunal est amené à constater que cette menace, non suivie d’un quelconque acte de violence concret, n’est pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiée d’acte de persécution ou d’atteinte grave.

A cela s’ajoute que ledit garde du corps est entretemps décédé, de sorte que le demandeur ne risque plus d’être personnellement et individuellement visé par ce dernier.

A titre superfétatoire, pour autant que les demandeurs estiment que cette menace proviendrait des membres de ladite chaîne de télévision, respectivement de son président, le tribunal retient que la crainte des demandeurs d’être dans le collimateur des membres de la chaîne de télévision est essentiellement hypothétique, alors qu’ils ont continué de travailler pour la chaîne jusqu’au moment de leur fuite du Venezuela, sans avoir rencontré d’autres problèmes.

1 Voir en ce sens : trib. adm., 21 septembre 2020, n° 43964, Cour adm., 18 juin 2020, n° 44376C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

2 Rapport d’entretien de Monsieur A, page 10 : « […] Je ne sais pas si c’était un hasard, mais celui qui m’avait envoyé le message travaillait pour le ministère de Karlin Granadillo. Je ne sais pas comment, mais Karlin Granadillo le connaissait, il travaillait comme garde de sécurité. […] ».

21 Dans ces circonstances, le tribunal retient que les faits sous analyse ne sont de nature à établir l’existence, dans le chef des demandeurs, ni d’une crainte fondée de faire l’objet d’actes de persécutions ni d’un risque réel de subir des atteintes graves, en cas de retour dans leur pays d’origine, de sorte à ne pas justifier l’octroi d’un statut de protection internationale.

S’agissant du dernier incident lié au fait que Monsieur A aurait reçu des messages menaçants, dont il aurait identifié l’auteur grâce à une connaissance comme étant un gardien assurant la sécurité du ministère, le tribunal est amené à retenir que ces simples menaces écrites, reçues par le demandeur en mai 2015, non suivies d’un quelconque acte de violence concret, ne sont pas de nature à justifier actuellement, soit 9 ans plus tard, l’octroi d’un statut de protection internationale.

Pour autant que les demandeurs aient entendu soulever une violation de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, en se référant à des articles de presse selon lesquels « le pire » serait à craindre en cas de retour au Venezuela « au vu du déferlement de violence aveugle par le biais, soit de factions armées au service de l’Etat, soit de milices, soit de gangs qui profitent du chaos général pour imposer leurs lois, soit des dissidents mêmes du régime », il échet tout d’abord de rappeler que cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil européen du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH, et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH3.

Le tribunal constate qu’il ressort des articles versés par les demandeurs que le Venezuela connaît une situation sécuritaire problématique, notamment en raison de la violence criminelle de droit commun qui y est très répandue, de sorte qu’il doit être admis qu’il y existe un degré élevé de violence. Il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation sécuritaire au Venezuela serait telle qu’elle répondrait aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale des demandeurs, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Les demandeurs sollicitent la réformation de l’ordre de quitter le territoire en précisant qu’ils rempliraient les conditions pour bénéficier du « statut de réfugié politique ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

3 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

22 Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre.

Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour des demandeurs au Venezuela ou aux Etats-Unis ne les exposent ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 octobre 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 3 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber 23 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 24


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48080
Date de la décision : 10/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-10;48080 ?

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