Tribunal administratif Numéro 47396 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47396 1re chambre Inscrit le 4 mai 2022 Audience publique du 10 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministre des Finances en matière d’aides financières
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47396 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2022 par Maître Luc Majerus, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et du ministre des Finances du 4 avril 2022 portant refus de lui accorder une majoration de l’aide financière pour l’année académique 2021/2022 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 16 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Luc Majerus pour le compte de son mandant, préqualifié ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 mai 2024.
Par un courrier du 6 août 2021, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche fit droit à la demande de Monsieur … en obtention d’une aide financière pour études supérieures pour le semestre d’hiver de l’année académique 2021/2022 et lui accorda un montant total de 3.095 euros à titre de bourse, se composant de 1.050 euros de bourse de base, 50 euros de majoration pour frais d’inscription, et de 1.995 euros en tant que bourse sur critères sociaux, ainsi qu’un montant total de 3.300 euros à titre de prêt étudiant, se composant d’un montant de 3.250 euros en tant que prêt de base et de 50 euros de majoration pour frais d’inscription.
En date du 10 août 2021, Monsieur … s’adressa par un courrier électronique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministère » dans les termes suivants :
1 « […] My name is … and I am writing with a question regarding my financial aid file number: ….
Thank you for the attached letter. However, I do not see a response from my request to the Minister for exceptional circumstances. Should I expect the reply to this decision to come separately by post? If so, what timeline can I expect? For reference, my application included a request for the following, along with supporting evidence:
“An additional amount of EUR 1,000 (EUR 500 as a grant and EUR 500 as a loan) may be granted for students who are experiencing serious and exceptional circumstances and facing extraordinary expenses. This additional amount shall be granted by the Minister on the basis of a reasoned opinion.” As I am experiencing serious and exceptional circumstances due to my rare chronic medical condition which requires expensive treatment abroad in the USA due to no treatment possibilities in Europe, I am facing extraordinary expenses to pay for the operation and related travel, in addition to other extraordinary bills.
Please kindly confirm if you have received the request and supporting documentation which was originally sent with my application, and what I can next expect. ».
Le 13 décembre 2021, la commission consultative en matière d’aides financières, ci-après désignée par « la Commission », avisa négativement la demande de majoration de l’aide financière pour l’année académique 2021/2022 ainsi introduite par Monsieur ….
Par un arrêté du 21 décembre 2021, le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et le ministre des Finances, ci-après désignés par « les ministres », refusèrent de faire droit à cette demande. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :
« […] Vu la demande introduite par Monsieur … datée au 30 août 2021 ;
Vu l’avis défavorable de la commission consultative prévue à l’article 10 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures daté au 13 décembre 2021 et en application du point 2 bis de l’article susdit ;
Considérant que Monsieur … ne se trouve pas dans une situation grave et exceptionnelle au sens de l’article 6 (2) de la loi modifiée du 24 juillet 2014 étant donné que la situation décrite par Monsieur … n’est pas en relation directe avec ses études supérieures suivies ;
Arrêtent :
Art. 1er. Une majoration de l’aide financière pour études supérieures de 1000€ (500€ bourse et 500€ prêt) pour l’année académique 2021/2022 est refusée à Monsieur …, né le …, demeurant …. […] ».
Par courrier électronique du 16 janvier 2022, Monsieur … introduisit un recours 2gracieux à l’encontre de l’arrêté ministériel du 21 décembre 2021 précité, lequel fut rejeté par arrêté des ministres du 4 avril 2022, adopté à la suite d’un nouvel avis défavorable de la Commission et libellé comme suit :
« […] Considérant la demande introduite par Monsieur … datée au 30 août 2021 ;
Vu l'avis défavorable de la commission consultative prévue à l'article 10 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l'aide financière de l'Etat pour études supérieures daté au 13 décembre 2021 et en application du point 2 bis de l'article susdit ;
Vu le recours gracieux accompagné de nouvelles pièces justificatives introduit le 16 janvier 2022 ;
Vu l'avis défavorable de la commission consultative prévue à l'article 10 de la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l'aide financière de l'Etat pour études supérieures daté au 28 février 2022 et en application du point 2 bis de l'article susdit ;
Considérant que Monsieur … ne se trouve pas dans une situation grave et exceptionnelle au sens de l'article 6 (2) de la loi modifiée du 24 juillet 2014 étant donné que la situation décrite par Monsieur … n'est pas en relation directe avec les études supérieures suivies ;
Arrêtent :
Art. 1er. Une majoration de l'aide financière pour études supérieures de 1000 (500 bourse et 500 € prêt) pour l'année académique 2021/2022 est refusée à Monsieur …, né le …, demeurant …. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 4 avril 2022.
Etant donné que ni la loi modifiée du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après « la loi du 24 juillet 2014 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en matière d’aides financières de l’Etat pour études supérieures, seul un recours en annulation a pu être introduit contre l’arrêté ministériel déféré, ledit recours étant encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Prétentions des parties A l’appui de son recours, le demandeur reprend les faits et rétroactes repris ci-avant.
Il précise qu’il poursuivrait un doctorat à l’Université de Luxembourg, mais que la poursuite de ses études serait entravée par les séquelles chroniques et douloureuses d’un traumatisme subi à l’épaule en 2007 lors d’une pratique de sport. Il aurait développé une complication rare dénommée « postarthroscopic glenohumeral chondrolysis », ci-après désignée par « PAGCL », qui le contraindrait de se rendre toutes les deux semaines à l’hôpital et qui ne saurait être guérie que moyennant une transplantation à effectuer aux Etats-Unis. Cette pathologie aurait en outre engendré l’émergence de cervicalgie, dorsalgie et lombalgie dans 3son chef.
Au vu de ces circonstances, le demandeur estime se trouver dans une situation grave et exceptionnelle, telle qu’exigée par l’article 6 (2) de la loi 24 juillet 2014 pour pouvoir bénéficier d’une majoration des aides financières. Il précise à cet égard que ses déplacements réguliers à l’hôpital, les douleurs chroniques ne lui permettant pas de se reposer et de se déplacer normalement, ainsi que le traitement lourd suivi, auraient pour conséquence d’entraver la poursuite de ses études, ce qui aurait également été noté par ses professeurs.
Le demandeur explique ensuite devoir supporter diverses dépenses extraordinaires de nature médicale, de sorte que la deuxième condition de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014, selon laquelle l’étudiant susceptible de bénéficier de la majoration des aides financières doit être confronté à des charges extraordinaires, se trouverait également remplie. Les dépenses extraordinaires se composeraient tant de la prise en charge des frais engendrés par les examens suivis à l’hôpital, que du financement de l’intervention chirurgicale projetée aux Etats-Unis, dont le coût serait important.
Au vu des considérations qui précèdent, le demandeur soutient que la décision déférée serait à annuler à la fois pour défaut de motivation, en ce qu’elle manquerait d’expliquer en quoi sa situation serait exclue du champ d’application de l’article 6 (2), et pour excès de pouvoir, qui résulterait d’une appréciation éronnée des faits. Monsieur … fait valoir à ce titre qu’en raison de sa maladie et de ses douleurs chroniques, il ne serait plus en mesure de poursuivre son doctorat, de sorte que sa situation serait en lien avec ses études. Le défaut de lui accorder une majoration en raison de son état de santé et des frais qui en résulteraient, entraverait la poursuite de ses études.
A l’appui de son moyen, il renvoie à un jugement rendu en date du 15 mars 2021 par le tribunal administratif et inscrit au rôle sous le numéro 43391, dont les faits seraient similaires à sa situation, de sorte que le raisonnement des ministres serait incompréhensible à ses yeux et contraire au principe général de l’égalité de traitement.
La décision déférée constituerait également une violation du principe de la sécurité juridique, en raison du manque de clarté de l’article 6 de la loi du 24 juillet 2014, en ce que le prédit article se contenterait d’exiger que l’étudiant se trouverait dans une situation grave et exceptionnelle et qu’il devrait subir des charges extraordinaires, sans y instituer des conditions supplémentaires, de sorte que le refus ministériel constituerait un excès de pouvoirs.
Dans son mémoire en réplique, le demandeur maintient intégralement ses arguments et observations formulés dans sa requête introductive d’instance.
Il prend ensuite position par rapport aux explications du délégué du gouvernement selon lesquelles la notion de « charges extraordinaires » prévue à l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 devrait s’interpréter de manière à exiger un lien direct entre les prédites charges et les études poursuivies, en indiquant que le libellé de l’article 6 susmentionné ne contiendrait pas une telle exigence supplémentaire. Le manque de clarté de la loi dont question ne devrait pas être préjudiciable au demandeur.
Les charges à supporter seraient à qualifier d’extraordinaires, en ce que sa maladie serait rare et ne relèverait pas de son choix personnel.
4En ce qui concerne l’exceptionnalité de sa situation, le demandeur fait valoir que sa précarité financière résulterait de sa maladie, et non d’éventuels choix personnels et financiers antérieurs et qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir opté pour des études à l’étranger, alors que de telles études constitueraient un atout considérable pour l’étudiant au vu de la mondialisation généralisée.
Il conclut à l’annulation de la décision ministérielle du 4 avril 2022.
Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle que dans le cadre d’un recours en annulation, il statue par rapport à la décision administrative lui déférée et sur base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq chefs d’annulation énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, à savoir pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.
Dans ce cadre, il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.
S’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, notamment lorsqu’elle refuse de faire droit à la demande de l’intéressé, il convient cependant de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, seule une motivation « sommaire » étant expressément exigée.
Or, en l’espèce, force est de constater que les ministres, dans la décision déférée, citée in extenso ci-dessus, ont tant énoncé la base légale du refus, en l’occurrence, l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014, que les circonstances de fait justifiant, d’après eux en l’espèce, le refus, à savoir le fait que Monsieur … ne se trouverait pas dans une situation grave et exceptionnelle, telle que définie à cet article, étant donné que sa situation ne serait pas en relation directe avec les études supérieures suivies.
Il convient encore de rappeler que l’obligation de motivation formelle inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne constitue pas une fin en soi, mais consacre des garanties visant à ménager à l’administré concerné la possibilité d’apprécier la réalité et la pertinence de la motivation à la base d’une décision administrative, de sorte que dans l’hypothèse où il est établi que cette finalité est atteinte, la question du respect de cette 1 Trib. adm., 6 décembre 2006, n° 21591 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 35 et les autres références y citées.
5obligation par la décision devient sans objet2.
Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que non seulement le demandeur a pu exhaustivement prendre position par rapport au motif de refus lui opposé, mais encore que ledit motif, justifiant aux yeux de la partie étatique le refus de ladite demande, a été explicitement précisé et complété au cours de la procédure contentieuse.
Par ailleurs, en tout état de cause, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse3.
Ainsi, un acte n’est susceptible d’encourir l’annulation qu’au cas où la motivation le sous-tendant ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal au moment où l’affaire est prise en délibéré, étant donné qu’une telle circonstance rend tout contrôle de la légalité des motifs impossible.
Or, en l’espèce, il a été relevé ci-avant que la décision déférée énumère, suivant son libellé ci-avant cité in extenso, tant les éléments légaux que factuels sur lesquels le ministre s’est fondé en la prenant.
Le moyen fondé sur une violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 6 du règlement grand-ducal du 6 juin 1979 doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.
En ce qui concerne la légalité intrinsèque de la décision ministérielle attaquée, il y a lieu de relever que le juge administratif est appelé à vérifier, dans le cadre d’un recours en annulation, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité4 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but5.
Toujours dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été 2 Trib. adm., 11 janvier 2010, n° 25445 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 68, et les autres références y citées.
3 Cour adm., 8 juillet 1997, n° 9918C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 90, et les autres références y citées.
4 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 56 et les autres références y citées.
5 Cour adm., 22 décembre 2022, n° 47674C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n°57.
6prise, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise6.
C’est sur cette toile de fond que le litige sous examen sera analysé.
Aux termes de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014, en sa version telle qu’applicable au moment de la prise de la décision déférée : « Une majoration de mille euros par année académique est allouée à l'étudiant qui se trouve dans une situation grave et exceptionnelle et qui est confronté à des charges extraordinaires; cette majoration est ajoutée à raison de cinquante pour cent à la bourse de base et à raison de cinquante pour cent au prêt. Elle est décidée par le ministre après avis de la commission consultative prévue à l'article 10. ».
L’article 10 de la loi du 24 juillet 2014 dispose, quant à lui, que :
« (1) Il est institué une commission consultative composée de membres nommés par le ministre et dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par règlement grand-
ducal.
(2) Sur avis de la commission consultative et par décision conjointe, le ministre ayant l'enseignement supérieur dans ses attributions et le ministre ayant le budget dans ses attributions peuvent prendre les mesures suivantes à l'égard d'étudiants qui se trouvent dans une situation grave et exceptionnelle et qui sont confrontés à des charges extraordinaires:
- augmenter le montant de l’aide financière annuelle conformément aux dispositions de l’article 6 paragraphe 2 de la présente loi ;
- accorder des délais pour le remboursement des prêts ;
- dispenses partiellement ou totalement du remboursement des prêts ; dans ce cas l’Etat se charge du remboursement du solde.
(2bis) Sur avis de la commission consultative, le ministre peut prendre les mesures suivantes telles que visées à l'article 7, paragraphe 11 de la présente loi:
- reconnaître la situation de handicap d’un étudiant ;
- accorder une majoration de la durée supplémentaire d’attribution de l’aide financière ;
- accorder le report du contrôle de la progression de l’étudiant dans ses études de premier cycle. […] ».
Il résulte des dispositions de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 que pour pouvoir bénéficier de la majoration des aides financières au sens de l’article 6 (2) précité, l’étudiant doit (i) se trouver dans une situation grave et exceptionnelle et (ii) être confronté à des charges extraordinaires, ces conditions, dont la charge de la preuve incombe au demandeur au moment de l’introduction de sa demande, étant cumulatives.
En ce que l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 se limite à imposer l’exigence suivant laquelle le demandeur de la majoration des aides financières se trouve dans « une situation grave et exceptionnelle », sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, il 6 Trib. adm. 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 23 et les autres références y citées.
7y a lieu de se référer à la volonté du législateur exprimée par rapport à cet article dans les travaux parlementaires afférents, où les auteurs de la loi ont relevé qu’on entend par situation grave et exceptionnelle dans ce contexte « une situation entraînant des besoins spécifiques suite à une maladie ou un handicap par exemple.7».
En l’espèce, le demandeur affirme se trouver dans une « situation grave et exceptionnelle » au motif qu’il aurait développé une complication rare et permanente dénommée PAGCL, suite à un traumatisme sévère subi à l’épaule en 2007. Son état de santé le forcerait de suivre régulièrement des traitements à l’hôpital et les douleurs chroniques en résultant perturberaient l’accomplissement de ses études.
Le tribunal constate à cet égard qu’il n’est pas contesté par la partie étatique que le demandeur se trouve dans une situation grave en raison de l’altération de son état de santé, mais elle conteste l’exceptionnalité de la situation.
Un des médecins traitants de Monsieur … décrit, dans un certificat médical du 26 janvier 2022, l’état de santé du demandeur dans les termes suivants : « […] Je constate une dégradation progressive de ses capacités fonctionnelles restantes avec apparition d’autres pathologies telles que les cervicalgies, dorsalgies et lombalgies sans parler des conséquences de l’absence d’activité physique chez quelqu’un de jeune.
Comme déjà relevé en 2021 dans un courrier que j’avais rédigé à propos de M. …, il présente une épaule quasi complètement bloquée dans les mouvements d’élévation, d’abduction et de rétropulsion combinés à des douleurs continues durant tout le nycthémère.
Cet état influence la qualité de vie de ce patient de sorte que le repos nocturne est perturbé, l’activité sportive n’est plus possible si ce n’est un peu de marche à pied, l’activité professionnelle est aussi perturbée de même que le quotidien, la vie privée et personnelle.
[…] ».
Cette attestation médicale se trouve confortée par de multiples certificats médicaux émanant de différents médecins versés par la partie demanderesse à l’appui de sa requête.
Le tribunal relève, à cet égard, qu’il est encore constant en cause, pour se dégager du dossier administratif, que le demandeur s’est vu octroyer par décision du 25 mai 2021 de la Commission médicale du service handicap et reclassement professionnel le statut de salarié handicapé jusqu’au 18 mai 2023.
S’agissant ainsi des conditions cumulatives posées à l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014, le tribunal relève que le syndrome de PAGCL dont Monsieur … souffre, ainsi que les multiples effets secondaires qui en résultent, sont à qualifier, à tout le moins, de maladie, voire de handicap.
En ce qui concerne ensuite la condition ayant trait aux dépenses extraordinaires à charge de l’étudiant, de l’entendement du tribunal, les parties à l’instance s’accordent pour retenir que Monsieur … se trouve dans une situation de précarité financière, leur désaccord portant essentiellement sur la question de la nature des charges extraordinaires que le demandeur doit supporter.
7 Doc. Parl. 6670, Commentaire des articles, p. 10 8En l’espèce, le demandeur affirme que ses visites régulières à l’hôpital engendreraient des frais extraordinaires à sa charge et que, selon l’avis médical d’un de ses médecins traitants, son seul espoir de guérison reposerait sur une intervention chirurgicale à subir aux Etats-Unis, dont la charge financière serait encore plus conséquente.
Il ressort en effet d’un certificat non daté émanant du Docteur …l que : « […] To the best of my knowledge, the unique operation: humeral head allograft transplant from a deceased donor, which has been approved by the medical control office of the CNS, is not available in Europe. Due to the lack of humeral head allografts and lack of experience with this specific procedure, it is recommended to for Mr. … to get the surgery done in the US by Prof Dr … at Rush University Medical Center in Chicago where the operation has been developed and is commonly performed to treat young patients with Post-Arthroscopic Glenohumeral Chondrylosis (PAGCL) – a diagnosis largely unique to US patients due to the previous use of intra-articular pain pumps used within the US causing this problem in US patients. ».
Le délégué du gouvernement soutient, quant à lui, que les charges extraordinaires visées par l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 devraient être mises en relation avec les études pour ne pas dénaturer l’esprit de cette loi, qui consiste à « faciliter l’accès aux études supérieures » au sens de son article 1er, et que les frais dont se prévaut le demandeur ne trouveraient ni leur raison, ni leur source dans la poursuite de ses études.
A titre d’exemple, le délégué du gouvernement estime que la majoration des aides financières serait destinée à l’étudiant tétraplégique qui devrait payer des frais de stationnement pour pouvoir garer sa voiture adaptée près de l’université, ou l’étudiant malvoyant qui devrait payer des aides visuelles spéciales pour pouvoir suivre ses études.
Sur base de cette prémisse, il poursuit son raisonnement en soulevant que toute interprétation contraire, c’est-à-dire le fait de ne pas exiger un lien de causalité entre les dépenses extraordinaires et les études, ouvrirait la porte à une revendication abusive de la majoration des aides financières qui consisterait, en substance, à permettre à un étudiant d’invoquer une maladie ou un handicap pour se voir financer toute sorte de dépense extraordinaire, telle que par exemple, de manière tout à fait caricaturale, l’acquisition d’une villa, d’une voiture de sport ou d’une montre de luxe, ce qui serait contraire à l’esprit de la loi du 24 juillet 2014.
Le tribunal est tout d’abord amené à retenir que l’exigence de charges extraordinaires en lien avec les études ne se dégage, certes, pas expressément du libellé de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014. Toujours est-il que conformément à l’article 1er (1) de cette même loi « la présente loi a pour objet de faciliter l'accès aux études supérieures par l'allocation d'une aide financière sous la forme de bourses, de prêts avec charge d'intérêts et de subventions d'intérêts. » La volonté du législateur, quant à la manière dont la loi du 24 juillet 2014 serait à interpréter, ressort davantage de l’exposé des motifs du projet de loi n° 6670, ayant mené à la loi susvisée, et qui est libellé dans les termes suivants :
« […] Le présent projet de loi vise la mise en place d’un système d’aide financière pour études supérieures qui promeut l’accès aux études supérieures et qui permet à l’étudiant d’exercer son droit à l’éducation. Le système se veut équitable, il garantit l’indépendance de 9l’étudiant, il prend en compte les frais réels pour subvenir aux besoins de l’étudiant et il respecte la situation socio-économique de l’environnement dans lequel vit l’étudiant. D’une manière générale, l’aide financière pour études supérieures vise l’accroissement du niveau de formation de la population et ce en vue d’une meilleure adéquation entre les qualifications des personnes et le marché de l’emploi. […] 8».
La conformité à l’intention du législateur de la lecture de l’article 6 (2) susvisé, telle qu’elle est préconisée par la partie étatique, est, par ailleurs, corroborée par les travaux parlementaires à la base de la loi du 26 juillet 2010 modifiant : 1. la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures ; 2. la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu ; 3. la loi du 21 décembre 2007 concernant le boni enfant ; 4. la loi du 31 octobre 2007 sur le service volontaire des jeunes ; 5. le Code de la sécurité sociale, ayant modifiée la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures et ayant introduit la majoration des aides financières, telle qu’elle figure à l’article 6 (2) actuel de la loi du 24 juillet 2014, à l’article 3 (3) de la loi du 22 juin 2000 dans les termes suivants : « une majoration supplémentaire jusqu’à concurrence de 1.000 euros peut être accordée à l’étudiant se trouvant dans une situation grave et exceptionnelle et qui est confronté à des charges extraordinaires ». Il est précisé au commentaire de cet article qu’ « à compter de l’année académique 2010/2011, il est prévu de fixer le montant maximal dont un étudiant peut bénéficier comme suit : 12.000 € (montant de base) + 3.700 € (montant maximal des frais d’inscription pris en compte) + 1.000 € (montant maximal qui peut être accordé à un étudiant gravement handicapé et qui nécessite un matériel didactique approprié).9».
Au vu de ce qui précède, le tribunal rejoint le délégué du gouvernement en ce sens qu’il se dégage des travaux parlementaires ayant mené à la loi du 24 juillet 2014 qu’en subordonnant l’octroi d’une majoration des aides financières à la preuve de charges extraordinaires dans le chef de l’étudiant concerné, le législateur a implicitement mais nécessairement entendu viser des charges en lien avec le programme d’études suivi.
Le tribunal est amené à retenir que l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 est partant à lire en ce sens que les dépenses extraordinaires doivent trouver leur origine dans la poursuite des études, telles que, par exemple, l’acquisition d’un matériel didactique approprié aux besoins de l’étudiant gravement handicapé ou malade, et qu’admettre le contraire aurait comme conséquence de dénaturer l’esprit de cette loi et risquerait d’ouvrir la porte à d’éventuelles situations abusives.
Cela étant dit, force est de constater qu’en l’espèce, le demandeur est resté en défaut de démontrer que les frais supplémentaires dont il se prévaut sont en lien causal avec ses études.
Au contraire, il se dégage des écrits produits et des pièces versées en cause, d’une part, que Monsieur … entend se servir de la majoration des aides financières pour combler d’éventuelles lacunes en matière de prestations de sécurité sociale, voire pour contribuer au financement de l’intervention chirurgicale projetée aux Etats-Unis, et, d’autre part, que la précarité de sa situation financière résulte, pour le moins en partie, non de l’altération de son état de santé, mais de choix personnels financiers antérieurs, en ce qu’il est tenu de rembourser deux prêts personnels, dont un prêt étudiant contracté aux Etats-Unis.
8 Doc. parl. 6670, Exposé des motifs, p. 2.
9 Doc. parl. 6148, Commentaires des articles, Ad. Article 3, point 8, p.11.
10A l’appui de sa requête, le demandeur verse le détail du remboursement de multiples factures médicales par la Caisse nationale de santé, ainsi qu’un devis pour une intervention chirurgicale émanant de Midwest Orthopaedics auprès du Rush Medical Center, tandis qu’il joint à sa demande auprès du CEDIES un décompte de ses dépenses mensuelles dont un loyer, des frais à titre de « téléphone », d’assurance voiture, de carte de membre professionnelle, des frais médicaux pour consultation médicale et achats à la pharmacie, des frais de « nourriture et frais de maintenance », d’essence, de même que des frais de remboursement d’un prêt étudiant pour des études suivies antérieurement aux Etats-Unis et d’un prêt non autrement identifié auprès de la Banque ….
A cet égard, le tribunal relève, à l’instar du délégué du gouvernement, qu’admettre que la majoration des aides financières, destinée à faciliter l’accès aux études supérieures, soit accordée pour combler des lacunes en matière de prestations de sécurité sociale, serait contraire à l’esprit de la loi du 24 juillet 2014.
Dans le même ordre d’idées, la majoration ne saurait être accordée pour contribuer au remboursement de prêts bancaires personnels contractés antérieurement aux études visées, charges qui ne sont pas à considérer comme « extraordinaires » au sens de l’article 6 (2), en ce que le demandeur s’est manœuvré en connaissance de cause dans cette prétendue impasse financière10 et que ces charges ne sont ni à mettre en lien avec le handicap de Monsieur …, ni avec ses études poursuivies pendant l’année académique 2021/2022, seules études pouvant être prises en compte en l’espèce.
Il résulte de ces considérations qu’en l’état actuel du dossier, le demandeur est resté en défaut de démontrer que les dépenses à sa charge présentent un lien de causalité suffisant avec la poursuite de ses études, en ce qu’aucune des dépenses listées n’a trait au support de ses besoins spécifiques à la fois en relation avec son handicap, voire sa maladie, et son doctorat poursuivi au Luxembourg.
Cette conclusion n’est pas énervée par la jurisprudence citée par Monsieur … dans sa requête introductive d’instance, à savoir un jugement rendu en date du 15 mars 2021 par le tribunal administratif et inscrit au rôle sous le numéro 4339111, en ce que l’affaire y visée a trait à une demande de dispense de remboursement d’un prêt-étudiant par une personne inscrite en tant que demandeur d’emploi, de sorte que la situation de fait et de droit gisant à la base de cette jurisprudence n’est pas comparable à celle de l’espèce. De surcroît, dans cette affaire, le demandeur a été débouté de sa requête au motif qu’il ne se trouvait pas dans une situation grave et exceptionnelle, de sorte que le moyen consistant à reprocher à la partie étatique d’avoir violé le principe général de l’égalité de traitement est à rejeter pour être non fondé et pour manquer de pertinence.
Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut d’autre éléments, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne saurait reprocher au ministre d’avoir conclu qu’il n’avait pas apporté la preuve de devoir supporter des « charges extraordinaires » au sens de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 en raison de l’altération de son état de santé, de sorte qu’une des conditions cumulatives de cet article n’est pas remplie en l’espèce.
C’est dès lors à bon droit, sans commettre un excès ou un détournement de pouvoir, et 10 Voir, sur ce point : Cour adm., 30 novembre 2017, n° 39893C du rôle, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.
11 Trib. adm., 15 mars 2021, n° 43391 du rôle, disponible sur le site www.jurad.etat.lu.
11sans violer la loi ou les règles destinées à protéger les intérêts privés, ainsi que sur base d’une appréciation correcte des faits de l’espèce que le ministre a refusé, sous ce volet, d’octroyer au demandeur une majoration des aides financières sur le fondement de l’article 6 (2) susmentionné.
Cette conclusion n’est pas énervée par la référence faite par le demandeur au principe de sécurité juridique. En effet, le tribunal ne perçoit pas en quoi ce principe aurait été violé en l’espèce. Le seul fait que le libellé de l’article 6 (2) de la loi du 24 juillet 2014 peut susciter un besoin d’interprétation quant à la portée des conditions y inscrites, interprétation à laquelle le tribunal vient de procéder, à la lumière des travaux parlementaires afférents, n’est pas suffisant à cet égard.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours sous analyse doit être rejeté pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le demandeur sollicite encore l’octroi d’une indemnité de procédure s’élevant, selon le dernier état de ses conclusions, à 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, demande qui est à rejeter au regard de l’issue du litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;
rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros telle que formulée par le demandeur ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Caroline Weyland, juge, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 12