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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50674

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2024, 50674


Tribunal administratif N° 50674 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50674 3e chambre Inscrit le 2 juillet 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50674 du rôle et déposée le 2 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur â

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Tribunal administratif N° 50674 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50674 3e chambre Inscrit le 2 juillet 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50674 du rôle et déposée le 2 juillet 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 juin 2024 prorogeant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juillet 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 9 juillet 2024.

___________________________________________________________________________

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 25 mai 2023, émanant du Commissariat de police Région Capitale, Luxembourg Groupe Gare, que Monsieur … fit, dans le cadre d’un vol en date du même jour, l’objet d’un contrôle par les agents de police, lors duquel il n’était pas en possession de documents d’identité ou de voyage valides.

Il ressort ensuite d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (CPU) du 26 mai 2023 que Monsieur … y fut placé en détention préventive en date du même jour pour des faits de « vol simple ».

Il ressort encore d’un acte d’écrou du greffe du CPU que Monsieur … fit l’objet d’une condamnation par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, du … 2024, à 24 mois d’emprisonnement, dont 12 assortis d’un sursis, un relevé journalier du CPU du 17 mai 2024 renseignant de la libération de ce dernier en date du même jour.

1Par arrêté du 15 mai 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 17 mai 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le 17 mai 2024, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu les antécédents judiciaires de l'intéressé ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points e), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 13 juin 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le 17 juin 2024, le ministre prorogea pour une durée d’un mois le placement de Monsieur … au Centre de rétention à partir de la notification de l’arrêté en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 15 mai 2024, notifié le 17 mai 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 15 mai 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de 2l’arrêté, précité, du 15 mai 2024 ordonnant son placement au Centre de rétention, recours duquel il se désista toutefois à travers un courrier déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 juin 2024 par son litismandataire. Par un jugement du tribunal administratif du 25 juin 2024, inscrit sous le numéro 50607 du rôle, le tribunal administratif déclara le désistement d’instance régulier et valable et constata la déchéance du recours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 juillet 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté, précité, du 13 juin 2024 portant prorogation de son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être un ressortissant algérien, avoir tissé des liens affectifs avec les membres du « … » à Bruxelles et souffrir de problèmes psychologiques suite à une agression sexuelle qu’il aurait subie à Bruxelles en novembre 2022, ce dont attesterait un certificat médical versé en cause, ainsi que l’attestation testimoniale du directeur adjoint du « … ».

Il explique ensuite souffrir de divers problèmes de santé psychiques en relation avec le traumatisme subi suite à ladite agression sexuelle.

Dans ce contexte, le demandeur estime ne pas avoir fait, au sein du Centre de rétention, l’objet d’une prise en charge continue et adaptée à son état de santé, un suivi psychologique, faisant, selon le demandeur, défaut, l’intéressé précisant encore dans ce contexte que son maintien audit centre serait incompatible avec son état de santé et qu’il y aurait lieu de le placer en milieu hospitalier, sinon dans tout autre établissement spécialisé.

En droit, le demandeur fait plaider que la légalité d'une mesure de rétention administrative devrait s'inscrire dans un contexte permettant d'établir l'existence d'un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l'étranger, ainsi que le caractère proportionné d'un placement en rétention basé sur ce premier critère et l'inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient qu’un placement en rétention devrait être écarté, lorsqu'il n'existerait aucun risque de fuite dans le chef du concerné, du fait notamment de l'existence de garanties de représentation, soumise à l'appréciation souveraine du juge.

Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle et qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, alors que celui-ci serait incompatible avec son état de santé et constituerait un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, 3désignée ci-après par « la CEDH », ainsi qu’une entrave à sa liberté d’aller et de venir telle que garantie par l’article 5 de la CEDH et la Constitution.

Tout en se référant de nouveau aux certificat médical et attestation testimoniale versés en cause, desquels il ressortirait qu’il aurait subi une agression sexuelle et qu’il aurait, avant son placement au Centre de rétention, bénéficié d’un suivi psychologique, le demandeur sollicite une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008.

A cet égard, il fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées à son état de santé et « moins dommageables en termes de privation de liberté », et sollicite son placement en milieu hospitalier sinon dans tout autre établissement spécialisé dans lequel des soins appropriés à son état de santé pourraient lui être prodigués en continu.

Le demandeur cite, dans ce contexte, deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », des 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie et 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique.

Par ailleurs, le demandeur insiste sur son comportement qu’il juge d’irréprochable au sein du Centre de rétention, alors qu’il serait une personne responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse. Il fait encore valoir, dans ce contexte, que sa bonne intégration ressortirait de l’attestation testimoniale de la directrice du « … », ainsi que de l’attestation de l’association sans but lucratif « … » suivant laquelle il aurait toujours été disposé à aider les personnes du centre par des traductions. Toujours dans ce contexte, le demandeur précise avoir démontré sa volonté de coopérer avec les autorités luxembourgeoises.

Il donne à considérer que le placement en structure fermée d'un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon à exclure tout risque de fuite dans son chef serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d'un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d'un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

A cet égard, le demandeur fait valoir qu’un placement en milieu hospitalier serait plus adapté à sa situation personnelle.

Par ailleurs, le demandeur soutient qu’un placement « au foyer précité », respectivement à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désigné ci-après par « la SHUK » constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une 4certaine habitude de formules permettant à un justiciable d'indiquer qu'il sera présent à une audience sans qu'il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n'a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

Tout en se référant à l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 et à la jurisprudence de la CourEDH relativement à l’article 5 de la CEDH en matière de rétention administrative, le demandeur estime encore qu’il n’existerait aucune perspective d’éloignement dans son chef, ce d’autant plus que le ministre n’emploierait pas les diligences nécessaires et utiles pour ce faire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

Le tribunal précise tout d’abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention 5dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, force est d’abord de relever que Monsieur … se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où il a fait l’objet d’une décision déclarant son séjour sur le territoire luxembourgeois irrégulier et lui ordonnant de quitter le territoire sans délai en date du 15 mai 2024, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, de sorte que le risque de fuite dans son chef est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, à savoir des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire, étant précisé que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement. Au contraire, les affirmations du demandeur quant à son intégration au « … » à Bruxelles en Belgique, sans indication d’une quelconque attache ou adresse officielle au Luxembourg, sont plutôt de nature à conforter le constat d’un risque de fuite dans son chef.

6Ce constat n’est pas énervé par l’affirmation du demandeur tendant à son comportement irréprochable au sein du Centre de rétention, un tel élément, même établi, n’étant pas de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite dans son chef.

Le moyen tendant à une absence de risque de fuite dans le chef du demandeur est partant à rejeter.

Quant au moyen du demandeur tendant à une violation de l’article 3 de la CEDH, dans la mesure où son maintien au Centre de rétention serait constitutif d’un traitement inhumain et dégradant au vu de son état de santé tant physique que psychique, il échet de rappeler que l’article 3 de la CEDH prévoit ce qui suit : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

En ce qui concerne d’abord l’état de santé du demandeur, le tribunal constate qu’il ne ressort, contrairement aux affirmations de celui-ci, pas du certificat médical du 20 mai 2023, établi par le docteur … du … à Bruxelles, qu’il souffrirait d’un quelconque problème psychologique pour lequel il nécessiterait un suivi ou traitement médical, ledit certificat se bornant à renseigner d’un examen du demandeur au sein du … en date du 20 mai 2023. S’il ressort encore certes d’un rapport d’audition de la police belge du 23 novembre 2022 que le demandeur a déposé plainte auprès des autorités belges en relation avec des faits d’une agression sexuelle, il n’en ressort toutefois pas pour autant qu’il nécessiterait ou suivrait un tel traitement ou suivi médical, ce même constat valant pour les attestations testimoniales versées en cause. Le tribunal constate par ailleurs qu’il ne ressort pas du dossier administratif que le demandeur lui-même ou par le biais de son litismandataire aurait informé le ministre de son état de santé déficient ou de son besoin d’un traitement médical.

Il s’ensuit que le moyen tendant à une violation de l’article 3 de la CEDH résultant d’une incompatibilité entre l’état de santé du demandeur et son maintien au Centre de rétention est à rejeter.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait dû bénéficier de mesures moins coercitives, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant 7de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur tendant à une assignation à résidence dans une structure hospitalière sinon dans un « foyer » ou dans la SHUK, alors qu’au-delà du constat que le demandeur reste, tel que relevé ci-avant, en défaut d’établir un tel besoin médical dans son chef, lesdites structures ne sauraient, en tout état de 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

8cause, être considérées comme domicile stable ni comme fournissant à elles seules une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas concevable.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de prorogation du placement litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre, respectivement quant aux perspectives raisonnables de son éloignement, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que par courrier du 21 mai 2024, les autorités ministérielles ont fait parvenir une demande d’identification du demandeur au Consulat de la République algérienne à Bruxelles en y joignant ses photos d’identité ainsi qu’un jeu de ses empreintes digitales et qu’un rappel de ladite demande a été envoyé par le ministre par courriel du 11 juin 2024. Il en ressort encore que, par courrier du 12 juin 2024, les autorités algériennes ont informé le ministre de leur disposition de délivrer un laissez-passer au demandeur et que l’Unité de Garde et d’Appui Opérationnel (UGAO), Service de Garde et de Protection (SGP), de la police grand-ducale, fut chargée par un courrier du ministre du 17 juin 2024, d’organiser le départ de Monsieur … vers l’Algérie. Le tribunal constate finalement qu’il ressort du dossier administratif que l’éloignement du demandeur par vol vers l’Algérie est prévu pour le 14 août 2024.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, étant relevé qu’il ne se dégage d'aucun élément du dossier que l'éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par« la loi du 18 décembre 2015 ».

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois serait effectivement resté en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, la simple affirmation non autrement circonstanciée du demandeur à cet égard étant insuffisante, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais 2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97, deuxième point, et les autres références y citées.

9qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008. Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Dans un arrêt du 15 décembre 20164, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir.

Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce et tel que relevé ci-avant, le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans en date du 15 mai 2024, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire. Par ailleurs, le tribunal a relevé ci-avant qu’une procédure d’éloignement est en cours et est poursuivie avec la diligence requise.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à rejeter le moyen relatif à une violation de l’article 5 de la CEDH.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000,- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, premier point, et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

10 Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 50674
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-09;50674 ?

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