La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°50605

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2024, 50605


Tribunal administratif N° 50605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50605 3e chambre Inscrit le 17 juin 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50605 du rôle et déposée le 17 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathieu GIBELLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie

ur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant à L-…, tendant pr...

Tribunal administratif N° 50605 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50605 3e chambre Inscrit le 17 juin 2024 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures, en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50605 du rôle et déposée le 17 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Mathieu GIBELLO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 4 juin 2024 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mathieu GIBELLO et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

___________________________________________________________________________

Le 17 janvier 2024, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du Service de Police Judiciaire, Section Criminalité Organisée Police des Etrangers sur son identité et sur l'itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Une recherche effectuée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait auparavant déposé une demande de protection internationale aux Pays-

Bas le 19 décembre 2023.

En date du 23 janvier 2024, Monsieur … fut entendu par un agent de la Direction générale de l'immigration en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection 1internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 9 février 2024, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l'article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les ces dernières sur base de l'article 18, paragraphe (1), point d) dudit règlement par courrier du 16 février 2024.

Par décision du 4 juin 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé du 6 juin 2024, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers les Pays-Bas, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, cette décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 janvier 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 17 janvier 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 23 janvier 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 janvier 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 19 décembre 2023.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 23 janvier 2024.

Sur cette base, une demande de reprise en charge sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII a été adressée aux autorités néerlandaises en date du 9 février 2024, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 16 février 2024, sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII.

2 2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 — le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte, des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous avez introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 19 décembre 2023.

Selon vos affirmations, vous auriez quitté le Maroc en direction de la Turquie en mars 2021, où vous auriez résidé pendant environ trois mois, avant de voyager clandestinement en Grèce. Par la suite, vous auriez traversé les Balkans, l'Autriche, et enfin l'Italie, où vous auriez séjourné environ six mois. Vous auriez ensuite quitté l'Italie pour vous rendre en Suisse, et après en France, où une fois de plus vous auriez passé six mois, avant de partir pour l'Espagne. Vous auriez passé environ un mois en Espagne avant de revenir en France.

Enfin, vous auriez quitté la France pour vous rendre en Belgique, puis les Pays-Bas, où vous auriez introduit une demande de protection internationale. Finalement, vous auriez quitté les Pays-Bas pour arriver ici, au Luxembourg, en train, le 15 janvier 2024 Lors de votre entretien Dublin III en date du 23 janvier 2024, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes 3généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n°:2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à 4l'article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2024, inscrite sous le numéro 50605 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 4 juin 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

5A l’appui de son recours et en fait, le demandeur souligne avoir quitté le Maroc en mars 2021 en raison de certaines dettes qu’il aurait eues « envers des gens » et dans le but d’échapper au service militaire. Il précise ensuite avoir pris l’avion jusqu’en Turquie, pays dans lequel il aurait perdu son passeport. Il explique qu’après s’être rendu en Grèce à l’aide de passeurs, il aurait traversé la Macédoine, la Serbie, la Hongrie et la République Tchèque pour se rendre en Autriche, où il aurait fini par être arrêté. Le demandeur continue en affirmant qu’il aurait poursuivi son voyage vers l’Italie où il serait resté pendant six mois, et vers la France où il aurait vécu un an auprès d’un ami. Il se serait ensuite rendu en Espagne où il serait resté un mois et aurait finalement rejoint les Pays-Bas, via la France, le Luxembourg et la Belgique. Monsieur … souligne avoir déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas, tout en précisant avoir quitté ce même pays au bout d’un mois pour se rendre au Luxembourg afin d’« y trouver du travail et y refaire sa vie », raison pour laquelle il y aurait également introduit une demande de protection internationale.

En droit, le demandeur « conteste formellement et énergiquement » la décision litigieuse. Il donne plus particulièrement à considérer qu’il aurait été de bonne foi dans ses déclarations, tout en admettant s’être rendu au Luxembourg afin d’y travailler et de refaire sa vie. Il y aurait d’ailleurs rencontré sa compagne avec laquelle il souhaiterait se marier, le demandeur précisant à cet égard que le couple aurait déjà entamé des démarches en ce sens. Il ajoute qu’il aurait « toute confiance dans les autorités et juridictions luxembourgeoises pour traiter ses demandes » dont sa demande de protection internationale.

Finalement, le demandeur relève que dans l’attestation d’introduction de sa demande de protection internationale, de même que dans la décision litigieuse, le ministre aurait commis une faute d’orthographe au niveau de son nom et ce en dépit du fait qu’il aurait été en possession de son acte de naissance dès le 30 mai 2024. Il ne s’appellerait en effet pas …, tel que cela aurait été retenu par le ministre, mais …, le demandeur estimant que cette erreur justifierait à elle seule la réformation de la décision litigieuse.

Le délégué du gouvernement, de son côté, conclut au rejet du recours sous analyse.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire - indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-

même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés1.

1 Trib. adm., 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

6Il convient ensuite de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge.

Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour reprendre en charge Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait les Pays-Bas où le demandeur avait, tel que soutenu par lui-même, déposé une demande de protection internationale et que les autorités néerlandaises avaient accepté sa reprise en charge le 16 février 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il convient ensuite de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

7Force est de constater qu’en l’espèce, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des Pays-Bas par application du règlement Dublin III, ni ne formule-t-il un quelconque moyen en relation avec les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement DIII, le demandeur se limitant d’affirmer d’une part qu’il aurait déposé une demande de protection internationale au Luxembourg afin d’y travailler et de refaire sa vie, et, d’autre part, que le ministre aurait commis une faute d’orthographe au niveau de son nom, laquelle suffirait à elle seule de conclure à la réformation de la décision litigieuse.

En ce qui concerne les développements du demandeur relatifs à sa volonté de s’établir au Luxembourg pour y travailler et refaire sa vie, ceux-ci sont à rejeter alors qu’ils manquent de pertinence en l’espèce pour ne concerner ni la compétence de principe des Pays-Bas en vertu des dispositions du règlement Dublin III ni les possibilités légales prémentionnées dont dispose le ministre pour ne pas procéder au transfert du concerné, ces développements n’étant en effet pas de nature à invalider le constat que le concerné a déposé une demande de protection internationale aux Pays-Bas et que la demande de reprise en charge le concernant a été expressément acceptée par les autorités néerlandaises, ni ne permettent-ils de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans ce même pays, voire de déceler des raisons pour lesquelles le ministre aurait dû faire application de l’article 17 paragraphe (1) du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur ….

Quant aux développements du demandeur relatifs à la prétendue erreur d’orthographe que le ministre aurait commise au niveau de son nom, outre de manquer également de pertinence pour ne concerner ni la compétence de principe des Pays-Bas en vertu des dispositions du règlement Dublin III ni les possibilités légales prémentionnées dont dispose le ministre pour ne pas procéder au transfert du concerné, ceux-ci sont de tout façon à rejeter, alors que c’est le demandeur-même qui a déclaré dans sa fiche des « données personnelles déclarées » remplie lors du dépôt de sa demande de protection internationale, ainsi que lors de son entretien Dublin III du 23 janvier 2024, qu’il s’appellerait ….

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen, il échet de retenir que c’est à bon droit que le ministre a pris la décision de transfert litigieuse, de sorte que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de rejeter la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros, telle que formulée par le demandeur sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

8rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 50605
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-09;50605 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award