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09/07/2024 | LUXEMBOURG | N°47777

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 juillet 2024, 47777


Tribunal administratif N° 47777 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47777 3e chambre Inscrit le 4 août 2022 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47777 du rôle et déposée le 4 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Frédéric KRIEG, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à...

Tribunal administratif N° 47777 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47777 3e chambre Inscrit le 4 août 2022 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47777 du rôle et déposée le 4 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Frédéric KRIEG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 1er juin 2022 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement en date du 14 décembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 janvier 2023 par Maître Frédéric KRIEG pour compte de son mandant, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 8 février 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ousmane TRAORE, en remplacement de Maître Frédéric KRIEG, et Madame le délégué du gouvernement Hélène MASSARD en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 avril 2024.

En date du 22 mars 2019, Monsieur … signa un contrat de travail à durée indéterminée avec la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par « la société … », en vertu duquel il fut engagé en qualité de « … » avec effet au 25 mars 2019.

La société … fut déclarée en état de faillite par un jugement du … 2019 rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale.

En date du 19 mai 2022, Monsieur … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg une déclaration de créance dans le cadre de la faillite de la société … à hauteur de … euros.

1Par une décision du 1er juin 2022, le directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désigné par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Monsieur … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« […] Par la présente, j'accuse bonne réception de votre déclaration de créance dans l'affaire émargée.

Toutefois, je suis au regret de vous informer que l'ADEM n'est pas en mesure d'y réserver une suite favorable, alors que la créance est prescrite conformément à l'article 2277 du Code civil qui dispose que « se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié ».

S'y ajoute qu'il est de jurisprudence constante que « Si, en principe, le temps écoulé entre l'échéance des salaires et la date de la mise en faillite n'entre pas en ligne de compte pour la garantie étatique des six derniers mois de salaire, il n'en reste pas moins qu'au moment du dépôt de la déclaration de créance dans le cadre d'une faillite, la créance salariale ne doit pas être prescrite. L'administration de l'Emploi est à comprendre parmi les personnes ayant intérêts à ce que la prescription triennale de l'article 2227 du code civil soit acquise et elle a qualité pour l'opposer valablement, encore que le débiteur y renonce » (TA 08-10-1997, N°9757 du rôle …), alors que l'ADEM est à considérer comme tiers non représenté dans la procédure vous opposant à votre dernier employeur et qu'elle n'a pas pu intervenir ni présenter son point de vue. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 août 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, précitée, du directeur du 1er juin 2022.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève « l’irrecevabilité » du recours en réformation introduit à titre principal par le demandeur, au motif qu’un tel recours ne serait pas prévu par l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 ».

Le demandeur n’a pas pris position quant à ce moyen.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision déférée, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace tout d’abord les faits et rétroactes exposés ci-avant.

En droit, il reproche d’abord au directeur d’avoir violé l’article 1er du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », du fait d’avoir 2pris la décision litigieuse en l’absence de toute vérification de la créance en question par le curateur de la société … et le juge commissaire. Il explique à cet égard que le directeur aurait, à travers la décision litigieuse, « accusé réception de la déclaration de créance […] et non pas d’une demande de remboursement » et en déduit que celui-ci aurait pris sa décision sur base d’une déclaration dont il ne devait, à ce stade de la procédure, pas avoir connaissance, et ce avant même que le curateur se serait prononcé sur l’admission de la créance au passif de la société faillie. Il estime, dès lors, que le directeur se serait auto-saisi, sinon incompétemment saisi, et qu’il aurait pris la décision litigieuse de façon « prématurée et inappropriée », violant ainsi son droit à voir sa demande toisée par les « organes compétents nommés dans le cadre du jugement de faillite de son employeur », de sorte que ladite décision devrait être annulée de ce chef.

En se prévalant ensuite de l’article 2, paragraphe (1) de la loi du 7 novembre 1996, le demandeur reproche au directeur d’avoir commis une erreur tant dans l’appréciation des faits matériels que dans l’application de la loi, tout en faisant valoir que la décision litigieuse encourrait, dès lors, l’annulation en ce qu’elle serait affectée de « vices d’incompétence, d’excès de pouvoir, de violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés ».

A cet égard, et à titre principal, le demandeur invoque l’article L. 126-1, paragraphes (2) et (6) du Code du travail pour soutenir que la vérification des créances effectuée par l’ADEM devrait se limiter à un simple examen factuel des créances lui soumises et ne devrait pas porter sur le fond, question qui relèverait de la seule compétence du curateur et du juge commissaire. En effet, de l’avis du demandeur, l’ADEM ne vérifierait que si la « nature » des créances lui soumises entre dans le champ d’application de l’article L. 126-1, paragraphe (2) du Code du travail, alors qu’un examen plus approfondi reviendrait à remettre en cause l’autorité de la chose jugée attachée au contrôle effectué par le juge.

A titre subsidiaire, le demandeur fait valoir que, contrairement à ce qu’aurait retenu le directeur, la créance litigieuse ne serait pas prescrite. En effet, conformément à l’article 2277 du Code civil, suivant lequel « [s]e prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié », et dans la mesure où il aurait déposé sa déclaration de créance le 17 mai 2022, seul le salaire du mois d’avril 2019, venu à échéance le 30 avril 2019, soit plus de trois ans avant le dépôt de sa déclaration de créance, pourrait être considéré comme étant prescrit, tandis que les autres créances, à savoir « … € au titre du salaire du mois de mai 2019 […] ; … € du titre du salaire du mois subséquent et de la moitié du préavis légal […] ; … € au titre de 37,34 heures de congés non pris à l’issue de la relation de travail » devraient être intégralement garanties par l’ADEM.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conteste toute violation par le directeur de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en donnant à considérer que le curateur aurait transmis la déclaration de créance salariale à l’ADEM suite à la vérification de cette dernière par le juge commissaire, tel que cela ressortirait du procès-verbal de créance du 20 mai 2022. Il précise encore à cet égard que, même à admettre que la créance litigieuse n’aurait pas été vérifiée par le curateur et le juge commissaire, l’article L. 126-1 du Code du travail disposerait que le « relevé [des créances] peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances », partant à un moment où aucune autorité de chose jugée ne pourrait être reconnue à l’inscription de la créance audit relevé.

3Jurisprudence des juridictions administratives à l’appui, il fait ensuite plaider que, conformément à l’article L. 126-1 du Code du travail, l’ADEM pourrait procéder à sa propre vérification des créances lui soumises, et notamment de leur éventuelle prescription, de sorte qu’il ne saurait être reproché au directeur d’avoir retenu que la créance litigieuse serait prescrite.

A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement fait valoir que la créance litigieuse serait, par application de l’article 2277 du Code civil, au moins partiellement prescrite, en soutenant que, dans la mesure où les salaires du demandeur lui auraient été payés le 30 de chaque mois, la créance à titre de salaire du mois d’avril 2019 serait prescrite.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, en se basant sur les articles 2277 du Code civil et L. 125-7, L. 233-23 et L. 221-2 du Code du travail, réitère ses développements par rapport à l’absence de prescription de ses créances salariales déclarées dans le cadre de la faillite de la société …, tout en mettant en exergue que la partie étatique ne se prévaudrait, dans son mémoire en réponse, plus que d’une prescription de sa créance salariale par rapport au mois d’avril 2019.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement réitère, en substance, ses développements contenus dans son mémoire en réponse.

A titre liminaire, le tribunal relève qu’il lui appartient de déterminer la suite du traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’inscrivent, sans être lié par l’ordre dans lequel les moyens ont été présentés par les parties, l’examen des moyens tenant à la légalité externe devant précéder celui des moyens tenant à la légalité interne.

En ce qui concerne d’abord le moyen relatif à une violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, cet article prévoit que « Toute autorité administrative saisie d´une demande de décision examine d’office si elle est compétente.

Lorsqu’elle s’estime incompétemment saisie, elle transmet sans délai la demande à l’autorité compétente, en en avisant le demandeur. […] ».

L’article précité pose le principe que dès qu’une autorité administrative, en l’espèce le directeur, est saisie d’une demande, elle doit examiner d’office si elle est compétente. Si cette autorité s’estime incompétente, elle doit, d’après le paragraphe (2) du prédit article, continuer cette demande à l’autorité compétente et ceci dans les meilleurs délais.

Par ailleurs, aux termes de l’article L. 126-1, paragraphe (6) du Code du travail, « A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi. Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances. […] ».

En l’espèce, force est de constater qu’il ressort du procès-verbal de vérification des créances du 20 mai 2022, tel que versé au dossier administratif, que lors de l’audience de vérification des créances en date du même jour, le curateur de la société …, ainsi que le juge 4commissaire, ont admis la créance de Monsieur … pour un montant de … euros au passif privilégié de la société faillie. Il ressort encore des éléments du dossier administratif que ledit procès-verbal, de même que la déclaration de créance de Monsieur … et le jugement de faillite de la société …, ont été transmis à l’ADEM par le curateur de la faillite par un courrier du 23 mai 2022, réceptionné le 25 mai 2022.

Il y a partant lieu de retenir que, contrairement aux affirmations du demandeur, sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société … a bien été admise tant par le curateur que par le juge commissaire au passif privilégié de ladite société, et une demande de garantie a été transmise à l’ADEM par le curateur avant la prise de la décision déférée en date du 1er juin 2022, conformément aux dispositions de l’article L. 126-1 du Code du travail.

Le moyen tenant à une violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 encourt, dès lors, le rejet pour manquer en fait.

Il convient ensuite de rappeler qu’aux termes de l’article L.126-1 du Code du travail :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail et celles résultant de la liquidation du compte épargne-temps sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

Il en est de même lorsque le tribunal compétent a soit décidé l’ouverture de la procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence d’un plafond égal au double du salaire social minimum de référence, les créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe 3, du Code civil les créances des salaires et indemnités de toute nature dues aux salariés à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe 2, aux créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes 1er à 3, sont considérées les créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de 5l’emploi. Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). […] ».

Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101 du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’est pas fondé à reprocher à l’ADEM d’avoir procédé à sa propre vérification de la créance litigieuse, alors que, contrairement à ce qu’allègue ce dernier, l’examen de l’ADEM ne se limite pas à un simple « examen factuel du relevé des créances lui présenté ».

A cet égard, il est de jurisprudence qu’il résulte de l’article L.126-1 du Code du travail que le législateur a entendu conférer à l’ADEM un pouvoir de vérification étendu, sans distinguer s’il s’agit pour cette administration de vérifier l’existence de la créance ou simplement son contenu, de sorte que l’argument du demandeur tenant à une « autorité de chose jugée » dont bénéficierait la déclaration de créance admise par le curateur et le juge-

commissaire, ne saurait être suivi, le législateur ayant explicitement octroyé à l’ADEM la compétence de vérifier la déclaration de créance dûment acceptée par le curateur et le juge-

commissaire1.

L’ADEM est notamment en droit de vérifier la qualité de salarié du bénéficiaire de la garantie salariale et de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises, de façon indistincte, étant donné que les garanties salariales assurées par le fonds pour l’Emploi émanent de deniers prélevés au titre d’impôts au profit de l’Etat, et par conséquent, elle est « nécessairement appelée à analyser plus particulièrement les conditions donnant ouverture aux relations contractuelles de travail entre les parties concernées sur base de la législation applicable étant entendu que la légalité d’une décision administrative vérifiée par le juge saisi 1 Trib. adm., 2 mai 2007, n° 22148 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 4 et les autres références y citées.

6dans le cadre du recours en annulation lui soumis, s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise »2.

S’agissant plus particulièrement de la question de la prescription, il a été jugé qu’au moment du dépôt de la déclaration de créance dans le cadre d’une faillite, la créance salariale ne doit pas être prescrite. En effet, l’administration de l’Emploi est à comprendre parmi les personnes ayant intérêt à ce que la prescription triennale de l’article 2277 du Code civil soit acquise et elle a qualité pour l’opposer valablement, encore que le débiteur y renonce3.

Le moyen du demandeur tendant à dénier à l’ADEM toute compétence pour vérifier la prescription des créances lui soumises est partant à rejeter comme non fondé.

En ce qui concerne ensuite concrètement le moyen tenant à l’absence de prescription des créances litigieuses, il convient de relever qu’aux termes de l’article 2277, alinéa 1er du Code civil, « Se prescrivent par trois ans les actions en paiement des rémunérations de toute nature dues au salarié. ».

Les rémunérations de toute nature y visées se recoupent avec les « salaires et indemnités de toute nature » à la base des créances salariales garanties au vœu du paragraphe (2) de l’article L.126-1 précité du Code du travail, de sorte que leur prescription est à analyser par rapport à l’article 2277, alinéa 1er du Code civil.

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif que, concernant les créances salariales pour lesquelles la garantie étatique est demandée, Monsieur … a déposé sa déclaration de créance, signée le 17 mai 2022, au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg en date du 19 mai 2022.

Il n’est, par ailleurs, pas allégué, ni a fortiori établi, qu’il aurait antérieurement intenté une action en paiement au sujet des créances salariales en question, ni qu’un autre acte interruptif de prescription antérieur serait intervenu.

Il ressort encore tant des explications du demandeur, non autrement remises en cause par la partie étatique, que du contrat de travail conclu le 22 mars 2019 entre Monsieur … et la société … que la rémunération de ce dernier était payée à la fin de chaque mois4.

Le salaire pour le mois d’avril 2019 est, dès lors, devenu exigible le 30 avril 2019, tandis que les autres créances pour lesquelles la garantie étatique est demandée, à savoir « … € au titre du salaire du mois de mai 2019 […] ; … € du titre du salaire du mois subséquent et de la moitié du préavis légal […] ; … € au titre de 37,34 heures de congés non pris à l’issue de la relation de travail » sont devenues exigibles au moment de la déclaration en faillite de la société …, laquelle a mis fin à la relation de travail entre celle-ci et Monsieur …, soit en date du … 2019.

Il s’ensuit qu’au moment du dépôt de la déclaration de créance par Monsieur … en date du 19 mai 2022, seule la rémunération due pour le mois d’avril 2019 était, à défaut de preuve d’une action en paiement antérieure, prescrite, sur base de l’article 2277, alinéa 1er du Code civil, depuis le 30 avril 2022 à minuit, par application des articles 2260 et suivants du Code 2 Cour adm., 25 octobre 2005, n° 19592C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

3 Trib. adm. 8 octobre 1997, n° 9757 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 37.

4 Article 7 du contrat de travail.

7civil, en vertu desquels la prescription exprimée par années se calcule de quantième à quantième.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir que c’est à tort que le directeur a déclaré prescrites et refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation des créances déclarées par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société … au titre du salaire du mois de mai 2019, du salaire du mois subséquent et de la moitié du préavis légal, ainsi qu’à titre d’indemnité pour congés non pris.

Il s’ensuit que la décision directoriale déférée encourt partiellement l’annulation.

Le demandeur sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500,-

euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. », en faisant état du caractère « fâcheux » de la décision directoriale du 1er juin 2022 et des honoraires d’avocat qu’il aurait été contraint d’exposer afin de faire valoir ses droits.

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné que la partie étatique conteste tant le principe que le montant de cette demande, et que le demandeur omet de prouver en quoi il serait inéquitable de laisser à sa charge exclusive les frais exposés par lui dans le cadre de la présente instance, étant encore précisé que les juridictions administratives, d’une manière générale, n’accordent d’indemnité de procédure à un administré qu’en présence d’une attitude fautive ou négligente de l’administration, laquelle, au-delà du simple fait d’avoir émis une décision ne satisfaisant pas l’administré, a contraint l’administré à engager une procédure contentieuse5, attitude qui n’est toutefois pas démontrée en l’espèce.

Etant donné que le recours sous analyse est partiellement fondé, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et d’en condamner chacune des parties au paiement de la moitié.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant annule la décision du directeur de l’ADEM du 1er juin 2022 dans la seule mesure où celui-ci a refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation des créances déclarées par Monsieur … dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL au titre du salaire du mois de mai 2019, du salaire du mois subséquent et de la moitié du préavis légal, ainsi qu’à titre d’indemnité pour congés non pris ;

5 Trib. adm., 2 décembre 2013, n° 28182 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 1275 et les autres références y citées.

8 pour le surplus, déclare le recours en annulation non fondé, partant en déboute ;

renvoie le dossier devant le directeur de l’ADEM en prosécution de cause ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à chacune des parties.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47777
Date de la décision : 09/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-09;47777 ?

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