Tribunal administratif N° 47253 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47253 4e chambre Inscrit le 30 mars 2022 Audience publique du 9 juillet 2024 Recours formé par Monsieur … et consorts, … (Syrie), … et …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47253 du rôle et déposée le 30 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant en leur noms propres et au nom et pour le compte de leur enfant mineur, …, né le … à … (Syrie), demeurant ensemble dans le village de …, dans la province de Tartous (Syrie), ainsi qu’au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), demeurant à L-…, de Monsieur …, né le … à …, et de Monsieur Monsieur …, né le …à …, demeurant tous les deux à L-…, tous de nationalité syrienne, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 février 2022 rejetant la demande de regroupement familial de Monsieur … avec ses parents, Madame … et Monsieur …, ainsi qu’avec son frère, Monsieur … ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2022 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2022 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH au nom et pour le compte des consorts … préqualifiés ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 septembre 2022 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Tom HANSEN en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 février 2024, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH s’étant excusé.
En date du 28 septembre 2020, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».
1Par décision du 8 octobre 2021, le ministre accorda à Monsieur … le statut de réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 7 octobre 2026.
Par courrier de son litismandataire du 6 janvier 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de regroupement familial dans l’intérêt de sa mère, Madame …, de son père, Monsieur …, et de son frère mineur, ….
Par décision du 4 février 2022, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :
« (…) J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 11 janvier 2022.
Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.
En effet, conformément à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».
Or, il n'est pas prouvé que Monsieur … et Madame … sont à charge de votre mandante, qu'ils sont privés du soutien familial dans leur pays d'origine et qu'ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens. Les virements que vous avez joints à la demande ne peuvent pas être pris en considération alors qu’ils n’ont pas été faits de la part de votre mandant. Par ailleurs, le virement du 11 juin 2018 n'a pas été fait en faveur du père de votre mandant.
Concernant le regroupement familial en faveur de l’enfant …, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.
Par ailleurs, Monsieur … et Madame … et l’enfant … ne remplissent aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.
L'autorisation de séjour leur est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mars 2022, inscrite sous le numéro 47253 du rôle, Monsieur …, ses parents, Monsieur … et Madame …, son frère mineur, …, et ses frères majeurs Messieurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 4 février 2022.
Etant donné que ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière de regroupement familial, seul un recours en 2annulation a pu être introduit en la présente matière. Le recours sous examen est, par ailleurs, à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs rappellent en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.
En droit, ils sollicitent l’annulation de la décision ministérielle déférée pour violation de la loi, respectivement pour erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre.
Après avoir passé en revue les articles 69, 70, paragraphes (1) et (5), les consorts … soutiennent qu’étant donné que Monsieur … et Madame … ne constitueraient pas une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publique, il conviendrait d’analyser, en l’espèce, les conditions légales cumulatives devant être remplies dans le chef des membres de famille à regrouper, à savoir d’être à charge du regroupant et d’être privés du soutien familial dans leur pays d’origine.
Quant à la condition d’être à charge du regroupant, les consorts … citent d’abord un jugement du tribunal administratif du 21 novembre 2017, inscrit sous le numéro 38908 du rôle, dont il ressortirait que le juge administratif, saisi d’un recours en annulation contre une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, serait appelé à vérifier si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration étaient matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils étaient de nature à justifier la décision querellée, de même qu’il pourrait vérifier le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis.
Ils expliquent ensuite que Monsieur … n’aurait été qu’un étudiant au moment de sa fuite de la Syrie et que de ce fait, il n’aurait pas eu les moyens de prendre en charge ses parents, mais que ses frères aînés, tous les deux bénéficiaires d’un statut de protection internationale au Luxembourg, auraient envoyé de l’argent à leurs parents et à leur petit frère, …, dès qu’ils en auraient eu la possibilité.
Les consorts … se réfèrent encore à une déclaration établie par le maire de la commune … aux termes de laquelle le père de Monsieur …, Monsieur …, proviendrait d’un milieu démuni et vivrait de l’agriculture, moyennant une rémunération journalière.
Ils citent encore un arrêt C-518/18 de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-
après « la CJUE », du 12 décembre 2019, TB contre Bevandorlasi es Menekültügyi Hivatal, et plus particulièrement ses considérants 47 et 51, aux termes desquels la dépendance à l’égard du demandeur devrait être réelle et établie, ce qui serait le cas des parents et du frère mineur … à l’égard des fils … résidant au Luxembourg, compte tenu notamment du contexte politico-
économique de la Syrie, pays ravagé depuis une décennie par la guerre et la crise économique.
Ainsi, la majorité de ses citoyens vivrait actuellement dans une situation d’extrême précarité, les parents …, quant à eux, tirant leurs revenus de l’agriculture et de la pêche, ce qui ne leur permettrait plus de subvenir aux besoins de leur ménage, en Syrie, alors qu’en raison d’une grande sécheresse, il y aurait un appauvrissement conséquent de la population, un article publié dans le journal « Le Monde », en date du 21 décembre 2021, intitulé « En Syrie, la sécheresse, un fléau de plus dans un pays détruit », relatant cette nouvelle problématique.
Les demandeurs invoquent encore les considérants 48 à 53 de l’arrêt de la CJUE, précité, du 12 décembre 2019, dont il ressortirait que lors de l’appréciation de la condition « à charge » dans le contexte d’une demande de regroupement familial, il conviendrait de tenir 3compte des particularités de la situation d’un bénéficiaire de la protection internationale, à savoir un individu ayant été contraint de fuir son pays d’origine et qui ne serait éventuellement pas en mesure d’assurer un soutien financier des membres de sa famille en raison d’éléments indépendants de sa volonté, dont notamment l’impossibilité matérielle de leur faire parvenir les fonds nécessaires. Dans ce cadre, les demandeurs soutiennent que les trois fils majeurs de la famille, vivant au Luxembourg, subviendraient ensemble aux besoins de leurs parents, atteints, l’un, d’une cardiomyopathie hypertrophique héréditaire et, l’autre, de troubles visuels, ainsi que de leur frère mineur, écolier, subvention sans laquelle ces trois personnes ne sauraient faire face, en Syrie, aux dépenses liées aux produits de première nécessité dont les prix auraient atteint des proportions déroutantes.
Les consorts … en concluent que la décision déférée violerait l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 et qu’il conviendrait de leur accorder le regroupement familial sollicité dans l’intérêt des parents et du frère mineur ….
Ils estiment encore remplir les critères de l’article 75, paragraphe (1) de la même loi lequel prévoit des dispositions particulières en matière de regroupement familial en cas d’afflux massif de demandeurs de protection internationale, ainsi que les conditions de l’article 69, paragraphe (2) et 70 de la loi du 29 août 2008, tout en sollicitant l’annulation de la décision de refus déférée pour violation de la loi, respectivement de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, désignée ci-après par « la directive 2003/86/CE ».
Dans un second temps, les consorts … invoquent l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, désignée ci-après par « la CEDH », et soulignent que le ministre ne serait pas investi d’un pouvoir discrétionnaire en matière d’entrée, de séjour et d’éloignement des étrangers, mais devrait tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, en se prévalant, par ailleurs, dans ce contexte, de la doctrine en la matière.
Ils estiment que la décision de refus déférée méconnaîtrait l’article 8 de la CEDH, en ce qu’elle conduirait à l’éclatement de la cellule familiale composée par les parents et les quatre frères …, ayant toujours vécu ensemble en Syrie, avant la guerre laquelle aurait forcé les frères aînés à quitter le pays, pour éviter de devoir combattre pour le régime syrien.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens pour ne pas être fondé. Il donne à considérer, en substance, qu’il ne ressortirait d’aucun des éléments du dossier que Madame … et Messieurs … et … seraient à charge des fils majeurs …, … et … depuis que ces derniers séjournent au Luxembourg. Il se prévaut, dans ce contexte, des déclarations de Monsieur … figurant dans son rapport d’entretien portant sur les motifs de sa demande de protection internationale, aux termes desquelles ce auraient été ses parents, agriculteurs, qui auraient subvenu, en Syrie, à ses besoins, y compris en ce qui concerne le financement de sa fuite en Europe, et qu’ils y auraient, par ailleurs, vécu, d’un point de vue matériel, normalement. Il remet par ailleurs en cause l’attestation établie par le maire de … concernant les origines et moyens de subsistance de Monsieur … …, ainsi que le caractère régulier des transferts d’argent effectués en faveur des parents ….
S’agissant de la violation de l’article 8 de la CEDH, le délégué du gouvernement indique que cette disposition ne conférerait pas aux membres non nationaux d’une famille un droit de choisir et d’installer leur domicile commun dans un pays autre que leur pays d’origine 4et qu’il faudrait des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour pourrait être fondé sur cet article. Or, en l’espèce, le demandeur, Monsieur …, n’aurait pas été en mesure d’indiquer avec précision depuis quand ses frères aînés, … et …, vivraient au Luxembourg, de sorte à faire légitimement douter la partie étatique de l’éclatement de la cellule familiale qu’engendrerait la décision de refus litigieuse, d’autant plus que le départ des trois fils majeurs de la Syrie n’aurait pas été organisé contre le gré de la famille ….
Dans leur mémoire en réplique, les consorts …, concernant la notion de « prise en charge » dans le contexte du regroupement familial, soutiennent que l’interprétation faite par l’autorité étatique y relative ne correspondrait ni aux exigences du droit de l’Union européenne, ni à celles du droit international en matière des droits de l’homme, tout en rappelant que la vulnérabilité des membres de famille d’un bénéficiaire de la protection internationale devrait nécessairement être prise en compte, en ce compris la circonstance qu’en raison de sa précarité financière, ledit bénéficiaire serait dans l’impossibilité de fournir une aide matérielle dont dépendrait sa famille, une telle impossibilité ne pouvant pas être reprochée au demandeur, en l’espèce, lequel peinerait à subvenir à ses propres besoins au Luxembourg.
Ils s’emparant ensuite d’un rapport du Haut Commissariat aux réfugiés de l’organisation des Nations Unies de mai 2013, intitulé « Au-delà de la preuve – Evaluation de la crédibilité dans le système d’asile européen », pour invoquer le bénéfice du doute en leur faveur, concernant la preuve du soutien financier des membres de famille à regrouper, tout en se référant, dans ce contexte, à un jugement du tribunal administratif du 7 décembre 2021, inscrit sous le numéro 45054 du rôle, pour conclure à la liberté de cette preuve.
En se prévalant encore de la directive 2003/86/CE, ainsi que d’un arrêt C-356/11 et C-357/11 de la CJUE du 6 décembre 2012, O., S. contre Maahanmuuttovirasto et Maahanmuuttovirasto contre L., les consorts … concluent à l’existence d’une protection accrue et de conditions plus favorables dont jouiraient les bénéficiaires de la protection internationale pour exercer leur droit au regroupement familial.
Ils soulignent enfin qu’au moment du dépôt de sa demande de protection internationale, en date du 28 septembre « 2021 », Monsieur … aurait encore été mineur, de sorte que ce auraient été ses parents qui auraient jusque-là subvenu à ses besoins, notamment en lui mettant à disposition l’argent lui ayant permis de demander la protection internationale. Ils insistent sur la situation des agriculteurs en Syrie, pays frappé par une extrême sècheresse, laquelle ne leur permet pas de faire face en tant qu’agriculteurs à leurs besoins élémentaires.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement réfute l’argumentation des consorts … tenant à l’existence d’une vulnérabilité dans le chef du regroupant, Monsieur …, et conteste la minorité de ce dernier au moment de sa demande de protection internationale.
S’agissant de la violation de l’article 8 de la CEDH, le délégué du gouvernement conteste l’impossibilité, dans le chef de Monsieur … de subvenir aux besoins de ses parents et de son frère mineur, respectivement l’existence d’une telle nécessité dans le chef de ces derniers, en précisant, par ailleurs que l’article de presse versé aux débats concernant la sécheresse en Syrie daterait du mois de juin 2022, alors que la demande de regroupement familial aurait été déposée le 11 janvier 2022.
A titre liminaire, le tribunal entend rappeler que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature 5à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.
Le tribunal entend suite relever, en amont, que seul Monsieur …, a fait, dans sa qualité de bénéficiaire de la protection internationale au Luxembourg, la demande de regroupement familial dans l’intérêt de ses parents et de son frère mineur, en ayant recours à la procédure simplifiée lui ouverte par l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, de sorte que le respect des conditions s’appliquant au regroupement litigieux sera analysé par rapport à Monsieur …, le regroupant en l’espèce, à l’exclusion des autres membres de sa famille présents au Luxembourg, à savoir Messieurs … et …, lesquels ne sont ni les regroupants, ni les destinataires de la décision de refus du 4 février 2022 pour ne pas avoir introduit une demande afférente, ces personnes devant tout au plus être qualifiées de tiers intéressés dans le cadre du litige sous examen visant leurs parents et leur frère mineur.
Le tribunal rappelle encore qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demanderesses, mais qu’il détient la faculté de toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.
Aux termes de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) Le bénéficiaire de la protection temporaire peut solliciter le regroupement familial en faveur d’un ou de plusieurs membres de sa famille si la famille était déjà constituée dans l’Etat d’origine et qu’elle a été séparée en raison de circonstances entourant l’afflux massif. (2) Sont considérés comme membres de la famille au sens du présent article : a) le conjoint du regroupant ; b) les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés ; c) d’autres parents proches qui vivaient au sein de l’unité familiale au moment des événements qui ont entraîné l’afflux massif et qui étaient alors entièrement ou principalement à charge du regroupant. (…) ».
L’article 75 précité prévoit les différentes catégories de membres de la famille pour lesquels les bénéficiaires d’une protection temporaire peuvent solliciter le regroupement familial. Or, il échet de noter qu’en l’espèce, Monsieur …, le regroupant, s’est vu octroyer, en date du 8 octobre 2021, le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, en l’occurrence, le statut de réfugié, par opposition à la protection temporaire, de sorte que le prédit article ne saurait trouver à s’appliquer en l’espèce, le moyen afférent encourant, dès lors, le rejet pour défaut de pertinence.
Il convient par conséquent d’analyser les conditions des articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 régissant les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, et en l’espèce bénéficiant du statut de réfugié, peut rejoindre celui-ci.
Conformément à l’article 69 de la loi du 29 août 2008 « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :
1 Cour adm., 4 mars 1997, n°9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.
6 1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;
2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;
3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.
(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.
(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale ».
Il ressort du prédit article que le bénéficiaire d’une protection internationale, lequel souhaite recourir au regroupement familial en faveur d’un membre de sa famille, jouit de conditions moins restrictives s’il sollicite ledit regroupement dans les six mois de l’obtention de son statut. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69, précité.
Dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que la demande de regroupement familial émanant de Monsieur … a été introduite dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il est dispensé de l’obligation de remplir les conditions imposées par l’article 69, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille demeurant en Syrie.
En vertu de l’article 70 de la même loi, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :
a) le conjoint du regroupant ;
b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;
c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.
(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.
7(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.
(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.
(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :
a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;
b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;
c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. (…) ».
Le tribunal constate que les liens familiaux entre le demandeur et ses parents ne sont pas contestés par le ministre, de sorte qu’ils sont à considérer comme avérés.
Dans cet ordre d’idées, il convient de prime abord de relever que la demande de regroupement familial, en ce qu’elle vise également le frère mineur du demandeur, n’est pas à examiner de manière autonome, le sort de celui-ci devant en effet suivre celui de ses parents et ce conformément à l’article 8 de la CEDH, étant rappelé, à cet égard, qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires.
En ce qui concerne les parents de Monsieur …, s’il n’est pas contesté qu’ils sont les ascendants directs du regroupant en l’espèce, il n’en reste pas moins que l’octroi dans leur chef d’une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir que lesdits ascendants soient (i) à la charge du regroupant et (ii) qu’ils soient privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.
A cet égard, il y a lieu de relever que le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, ce qui ne doit cependant pas l’empêcher de respecter le principe général de proportionnalité. Ainsi, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. En effet, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits 8établis. Au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait dès lors entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision2.
Quant à la question de savoir si les parents du demandeur sont à sa charge, l’article 70, paragraphe (5) de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer l’exigence suivant laquelle les ascendants y visés soient « à charge » du regroupant, sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, plus particulièrement quant au degré de dépendance requis. Cependant, l’article 12 de la loi du 29 août 2008, visant le regroupement familial des membres de la famille d’un ressortissant communautaire, reprend la même notion d’ascendant à charge telle qu’inscrite à l’article 70, paragraphe (5) de la même loi, de sorte qu’il y a lieu de se référer à la volonté du législateur exprimée par rapport à cet article dans les travaux parlementaires afférents, où les auteurs de la loi ont relevé qu’on entend par « être à charge », « le fait pour le membre de la famille d’un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l’article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant (…). La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05). »3.
Il ressort de la volonté du législateur, précitée, concernant l’article 12 de la loi du 29 août 2008, que la notion d’être « à charge » est à entendre en ce sens que les membres de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial, ne disposant pas de ressources personnelles suffisantes, ont besoin du soutien matériel, donc financier, du regroupant à un point tel que son défaut aurait pour conséquence de les priver des moyens de subvenir à leurs besoins essentiels.
Dans leur recours, les consorts … déduisent d’un arrêt C-519/18 de la CJUE du 12 décembre 2019, TB contre Bevandorlasi et Menekültügyi Hivatal, que l’impossibilité matérielle dans le chef du bénéficiaire du statut de réfugié de faire parvenir les fonds nécessaires aux membres de famille à regrouper ne devrait pas empêcher le regroupement, étant donné que les autorités nationales seraient obligées de tenir compte des spécificités liées à la qualité de réfugié du regroupant, qualité qui implique une protection particulière, et soutiennent que même si, en l’espèce, le regroupant, en raison de circonstances particulières, à savoir son jeune âge et sa qualité d’étudiant au moment de sa fuite de la Syrie, n’aurait personnellement pas été en mesure de prendre en charge ses parents financièrement, au sens de l’article 70, paragraphe (5) de la du 29 août 2008, cette prise en charge serait assurée par ses deux frères aînés, également bénéficiaires de la protection internationale, installés au Luxembourg depuis quelques années et s’adonnant à une activité professionnelle.
Ce raisonnement ne saurait cependant être suivi par le tribunal, alors qu’indépendamment d’une éventuelle impossibilité matérielle dans le chef du bénéficiaire de la protection internationale regroupant de soutenir financièrement les personnes avec lesquelles il souhaite être regroupé, il lui incombe, en tout état de cause, de démontrer que les membres de famille à regrouper sont, du moins en principe, à sa charge, tel que cela a, d’ailleurs, été précisé par la CJUE dans son arrêt, précité, du 12 décembre 2019 dont il ressort clairement que 2 Voir dans ce sens : Trib. adm., 8 mai 2017, n° 38205 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etranger, n° 592.
3 Cf. travaux parlementaires n° 5802, commentaire des articles, p. 61.
9dans l’hypothèse où, à la date de la demande tendant au regroupement familial, le regroupant ne serait pas en mesure de procurer le soutien financier aux membres de famille à regrouper, il devrait démontrer, du moins, que « compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes, telles que le degré de parenté du membre de la famille concerné avec le réfugié, la nature et la solidité de ses autres liens familiaux ainsi que l’âge et la situation économique de ses autres parents, le réfugié apparaît comme étant le membre de la famille le plus à même à assurer le soutien matériel requis ». Or, une telle preuve, n’est pas rapportée en l’espèce, Monsieur … ayant déclaré, d’une part, lors de son audition portant sur les motifs de sa demande de protection internationale que ses parents, de par leurs propres moyens d’existence, n’étaient pas à sa charge au moment de sa fuite de la Syrie et, d’autre part, à travers le présent recours, que ses parents n’étaient pas non plus à sa charge lors de sa demande de regroupement familial, alors que la totalité des transferts d’argent dont il se prévaut et qu’il verse aux débats émanent de son frère, …, de sorte à exclure dans le chef de Monsieur … la qualité de « membre de famille le plus à même d’assurer le soutien matériel requis » au sens de l’arrêt précité de la CJUE du 12 décembre 2019. Il est, de surcroît, à relever que les termes du paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 sont clairs en exigeant que la dépendance financière du membre de famille à regrouper soit établie par rapport au regroupant lui-même, à savoir, en l’espèce, Monsieur …, le bénéficiaire de la protection internationale ayant fait usage de la procédure simplifiée prévue à l’article 69, paragraphe (3) de la même loi.
La première condition du paragraphe (5) de l’article 70 de la loi du 29 août 2008 n’étant pas remplie en l’espèce, il devient surabondant d’examiner le respect de la deuxième condition cumulative tenant à l’existence d’un soutien familial auquel les parents du demandeur pourraient prétendre dans leur pays d’origine. Le tribunal doit dès lors retenir que c’est, a priori, à bon droit que le ministre a pu refuser le regroupement familial sollicité en date du 6 janvier 2022 en faveur des parents et du frère mineur de Monsieur ….
Quant au moyen des demandeurs tiré d’une violation de l’article 8 de la CEDH, le tribunal doit rappeler, dans ce contexte, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative, telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH, est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne.
Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale.4 Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH.5 Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale 4 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.
5 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.
10en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois6.
Incidemment, le tribunal souligne que « l’importance fondamentale »7 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE, que transpose la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l'obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l'article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. ».
Dans ce contexte, le tribunal doit d’emblée rejeter l’argumentation des demandeurs fondée sur une violation de la directive 2003/86/CE, vu l’absence d’effet direct dans le chef de la prédite directive, par ailleurs transposée en droit national par la loi du 29 août 2008.
Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires.
Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre un membre de leur famille dans le pays d’accueil, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine8. Par ailleurs, la CourEDH a admis dans un certain nombre d’affaires concernant de jeunes adultes qui n’avaient pas encore fondé leur propre famille que leurs liens avec leurs parents et d’autres membres de leur famille proche s’analysaient en une « vie familiale »9.
Le tribunal rappelle, dans le même ordre d’idées, qu’il est de jurisprudence que l’argumentation consistant à soutenir que l’enfant majeur serait d’emblée exclu de la protection de l’article 8 de la CEDH est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par ladite convention, il n’en reste pas moins la CourEDH a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH entre parents et enfants adultes10. La CourEDH précise dans ces cas que « les rapports entre adultes (…) ne bénéficieront pas nécessairement 6 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.
7 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -
CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.
8 Cour adm., 13 octobre 2015, n° 36420C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 505 et les autres références y citées.
9 CEDH, 29 janvier 1997, Bouchelkia c. France, n° 23078/93, § 41, CEDH, 26 septembre 1997, El Boujaïdi c.
France, n° 25613/94, § 33, et CEDH, Ezzouhdi c. France,13 février 2001, n° 47160/99, § 26.
10 Voir CEDH, 9 octobre 2003, Slivenko c. Lettonie, (req. n°48321/99), §§ 94 et 97.
11de la protection de l'article 8 sans que soit démontrée l'existence d'éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux »11.
Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national12. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays13, à savoir, le pays d’origine du demandeur, en l’occurrence la Syrie, qu’il a dû quitter pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.
En l’espèce, il n’est pas contesté que Monsieur … a quitté son pays d’origine en septembre 202014, à l’âge de dix-huit ans, et qu’avant son départ, il y a toujours vécu avec ses parents, Madame … et Monsieur …, et son petit frère, …. Il ressort des motifs de sa demande de protection internationale, motifs qui ont été accueillis favorablement, qu’il a été contraint de quitter son pays d’origine et, ainsi, le noyau familial composé par ailleurs de ses parents et de son petit frère, peu de temps après avoir atteint sa majorité, pour éviter son enrôlement éminent dans l’armée syrienne. Au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale, le 28 septembre 2020, Monsieur …, né le …, était tout juste âgé de dix-huit ans et n’avait pas encore fondé une famille. Il échet dès lors de le considérer, par rapport à ses parents et en application de la jurisprudence de la CourEDH, précitée, comme un jeune adulte ayant des liens avec ses parents qui s’analysent comme une « vie familiale » et que la condition ayant trait à l’existence d’une vie familiale effective et stable est donc remplie, en l’espèce.
Ensuite, pour qu’il y ait ingérence intolérable au sens de l’article 8 de la CEDH, il faut l’existence d’une vie familiale effective et, cumulativement, l’impossibilité pour les intéressés de s’installer et mener une vie familiale normale dans un autre pays15.
A cet égard, il y a lieu de relever qu’en date du 8 octobre 2021, Monsieur … a obtenu le statut de réfugié au Luxembourg, ce qui implique qu’il existe, par conséquent, dans son chef des obstacles rendant difficile de quitter le pays d’accueil ou de s’installer dans son pays d’origine, la Syrie.
Le tribunal constate, dès lors, dans les circonstances particulières de l’espèce, que le refus du regroupement familial au bénéfice des parents et du frère mineur de Monsieur … constitue une ingérence intolérable au sens de l’article 8 de la CEDH dans la vie familiale des concernés, de sorte que c’est à tort que le ministre a refusé le regroupement familial litigieux.
11 Commission EDH, 10 décembre 1984, S. et S. c. Royaume-Uni (req. n° 10375/83), D.R. 40, p. 201. En ce sens, voir également par exemple CEDH, 17 septembre 2013, F.N. c. Royaume-Uni (req. n° 3202/09), § 36 ; CEDH, 30 juin 2015, A.S. c. Suisse (req. n° 39350/13), § 49.
12 Cour adm. 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (2e volet) et les autres références y citées.
13 5 trib. adm. 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (3e volet) et les autres références y citées.
14 Rapport d’entretien de Monsieur Tarek MELHEM portant sur les motifs de sa demande de protection internationale, p.5.
15 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm., 2023, V° Etrangers, n° 479 (2e volet) et les autres références y citées.
12La décision encourt dès lors l’annulation en ce qu’elle a refusé le regroupement familial en faveur des parents de Monsieur …, en l’occurrence Madame … et Monsieur …, et de son frère mineur, ….
S’agissant encore de la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par les demandeurs au dispositif de son recours, le tribunal constate que la partie étatique a déposé, ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut par les demandeurs de remettre en question le caractère complet du dossier mis à sa disposition à travers ledit mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant sans objet.
Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare justifié, partant annule la décision ministérielle du 4 février 2022 refusant le regroupement familial dans le chef de Madame …, de Monsieur … et de Monsieur … et renvoie le dossier en prosécution de cause au ministre des Affaires intérieures, entretemps compétent ;
rejette la demande en communication du dossier administratif, telle que formulée par les demandeurs ;
condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 9 juillet 2024 par :
Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 13