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08/07/2024 | LUXEMBOURG | N°46660

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2024, 46660


Tribunal administratif Numéro 46660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46660 1re chambre Inscrit le 11 novembre 2021 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46660 du rôle et déposée le 11 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif Numéro 46660 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46660 1re chambre Inscrit le 11 novembre 2021 Audience publique du 8 juillet 2024 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46660 du rôle et déposée le 11 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de sa fille, B, née le … à … (Erythrée), et de Madame C, mère de l’enfant B, tous de nationalité érythréenne, élisant domicile en l’étude de leur litismandataire, préqualifié, sise à L-1470 Luxembourg, 66, route d’Esch, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2021 portant refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame C ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2022 par Maître Yvette NGONO YAH, au nom de ses mandants, préqualifiés ;

Vu le courrier de Maître Yvette NGONO YAH du 9 mars 2023 informant le tribunal du dépôt de son mandat ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mars 2022 ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 9 mars 2023 adressé à Monsieur A, l’invitant à confier la défense de ses intérêts à un autre avocat à la Cour ;

Vu la constitution de nouvel avocat de la société à responsabilité limitée WH Avocats SARL, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente instance par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé le 20 mars 2023 au greffe du tribunal administratif pour le compte de Madame B ;

1 Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif du 22 mars 2023 par Maître Pascale PETOUD, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, préqualifié ;

Vu la constitution de nouvel avocat de la société à responsabilité limitée WH Avocats SARL, représentée aux fins de la présente instance par Maître Frank WIES, déposé le 2 mai 2023 au greffe du tribunal administratif pour le compte de Madame C, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Maître Shahnah SI ABDALLAH, en remplacement de Maître Frank WIES, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 janvier 2024.

En date du 26 octobre 2017, Monsieur A introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 28 juin 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Monsieur A le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après désigné par la « Convention de Genève », ainsi qu’une autorisation de séjour jusqu’au 27 juin 2023.

Par courrier de son litismandataire daté du 6 septembre 2018 et réceptionné par le ministère le lendemain, Monsieur A fit introduire une demande de regroupement familial dans le chef de ses trois enfants, B, née le …, D, né le … et E, né le …, sur base des articles 69 (3) et 70 (1) c) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 ».

Par courrier daté du 5 avril 2019 et réceptionné par le ministère en date du 9 avril 2019, le litismandataire de Monsieur A informa le ministre de la renonciation de son mandant à sa demande de regroupement familial concernant ses enfants D et E.

Par décision du 23 août 2019, le ministre accorda à l’enfant B une autorisation de séjour en qualité de membre de famille.

En date du 29 octobre 2019, Monsieur A introduisit auprès du ministère, au nom de sa fille, B, une demande de protection internationale.

Par décision du 27 novembre 2020, le ministre accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève à l’enfant B, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 27 juin 2023.

Par courrier du 1er mars 2021, réceptionné le même jour par le ministère, le litismandataire de Monsieur A et de sa fille B introduisit auprès du ministère une demande de 2 regroupement familial dans le chef de Madame C, mère de l’enfant B, sur base des articles 68 et suivants de la loi du 29 août 2008.

Par décision du 15 avril 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande dans les termes suivants :

« […] J'accuse bonne réception de votre courrier du 1er mars 2021.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

Tout d'abord l'enfant B ne peut pas être considérée comme mineure non-accompagnée étant donné qu'elle a rejoint son père au Luxembourg qui dispose même de la garde unique de l'enfant mineur. L'article 70, paragraphe (4) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration n'est donc pas applicable.

Conformément à l'article 70 de la loi du 29 août 2008 précitée « l'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leurs pays d'origine ».

Or, il ne ressort pas de votre demande que Madame C est à charge de son enfant, qu'elle est privée du soutien familial dans son pays d'origine et qu'elle ne peut pas subvenir à ses besoins par ses propres moyens étant donné que vous ne m'avez fait parvenir aucun document concernant ces conditions.

De même, Madame C et Monsieur A, le père de l'enfant, ne sont pas mariés selon les dires de ce dernier lors de son entretien qui a eu lieu dans le cadre de sa demande de protection internationale en date du 26 février 2018 et votre courrier ne contient pas de document prouvant qu'ils sont conjoints, respectivement partenaires enregistrés. Par conséquent, il n'est pas possible de requalifier la demande comme étant introduite par Monsieur A en faveur de sa conjointe et Madame C ne saurait être considérée comme membre de famille du père de l'enfant.

Enfin, Madame C ne remplit aucune condition afin de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour lui est en conséquence refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008. […] ».

Par courrier du 19 juillet 2021, le litismandataire de Monsieur A et de sa fille B introduisit un recours gracieux contre la décision ministérielle du 15 avril 2021.

Par décision du 10 août 2021, le ministre confirma son refus de la demande de regroupement familial de Madame C. Ladite décision est libellée comme suit :

3 « […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 19 juillet 2021.

Après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandants, je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne peux que confirmer ma décision du 15 avril 2021 dans son intégralité. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2021, Monsieur A et sa fille B, ainsi que Madame C ont fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle du 15 avril 2021 portant refus de la demande de regroupement familial dans le chef de Madame C.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est encore recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

Prétentions des parties A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs reprennent les faits et rétroactes exposés ci-avant.

En droit, les demandeurs font valoir que la décision déférée ne répondrait pas aux critères et conditions prévus par la loi, de sorte qu’elle devrait encourir l’annulation pour violation de la loi, excès de pouvoir et erreur manifeste d’appréciation.

Ils expliquent que l’enfant B aurait vécu, avant son départ d’Erythrée, avec sa mère, Madame C, et qu’elles ne se seraient jamais séparées, de sorte qu’elles formeraient une véritable cellule familiale stable, intense et préexistante.

Ils soulignent qu’il y aurait lieu de préserver l’unité familiale entre l’enfant B et sa mère, tout en se prévalant dans ce contexte des articles 56 (1) de la loi du la loi du 18 décembre 2015, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentale, ci-après désignée par « la CEDH », et 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Les demandeurs précisent ensuite qu’il serait « incontestablement » dans l’intérêt supérieur de l’enfant B que sa mère la rejoindrait au Luxembourg, étant donné qu’elle aurait vécu avec sa mère depuis sa naissance. Dans ce contexte, ils se prévalent des articles 3 (1) de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, désignée ci-

après par « la CIDE », et 24 (2) de la Charte.

Ils se prévalent ensuite des articles 10 (1) de la CIDE et 5 (5) de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ci-après désignée par « la directive 2003/86 », et se réfèrent encore à un rapport du Conseil de l’Europe daté d’avril 2020, intitulé « Regroupement familial pour les enfants réfugiés et migrants. Normes juridiques et pratiques prometteuses », pour soutenir qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que la mère rejoindrait sa fille au Luxembourg, ce qui permettrait ainsi de préserver l’unité familiale et la jouissance de leur droit à une vie privée et familiale.

4 Ils se réfèrent ensuite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 11 mars 2021, portant sur l’application de l’article 24 (2) de la Charte.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs estiment que, contrairement à l’argumentation du délégué du gouvernement, les conditions visées à l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 seraient remplies.

Dans ce contexte, ils soulignent de prime abord que Madame C serait à charge de sa fille, alors que la preuve de la véracité de sa situation catastrophique aurait été démontrée lors de sa demande de regroupement familial. Suite à son divorce, elle se serait retrouvée dans l’incapacité de subvenir à ses propres besoins, ainsi qu’aux besoins de ses enfants. Ils expliquent que la situation de Madame C n’aurait guère évolué à ce jour et qu’elle se serait directement retrouvée à charge de sa fille dans le sens d’un besoin de soutien matériel.

Ils soutiennent ensuite que Madame C serait dépourvue de tout soutien familial et invoquent l’existence d’une cellule familiale entre cette dernière et sa fille. Ils précisent que la situation n’aurait pas changé depuis la demande de regroupement familial, tout en soulignant que la dépendance de Madame C, ainsi que sa vulnérabilité auraient toujours été évoquées dans ladite demande.

Les demandeurs estiment que le délégué du gouvernement « affirme[rait] sans équivoque que [la mère] se trouve[rait] être sans soutien dans son pays d’origine eu égard à ses troubles mentaux ».

Ils contestent ensuite que Madame C se serait occupée de sa fille B en alternance avec la tante paternelle de cette dernière et soulignent que même à admettre que tel aurait été le cas, un tel fait ne constituerait pas « une éventuelle fracture, cassure familiale ».

Ils concluent que le regroupement familial de Madame C devrait être accordé en raison de son lien réel et suffisamment étroit avec sa famille.

Les demandeurs citent ensuite l’article 73 (3) de la loi du 29 août 2008 et considèrent que l’existence des liens familiaux entre Madame C et sa fille serait prouvée par (i) le certificat de baptême de l’enfant B, (ii) les déclarations de Monsieur A fournies dans le cadre de sa demande de protection internationale et (iii) la carte d’identité de réfugié de Madame C. Ils soulignent ensuite que dans le cadre de leur recours gracieux, des éléments supplémentaires de preuve auraient été rapportés et expliquent que l’enfant B aurait vécu avec sa mère et qu’elle ne se serait jamais séparée de cette dernière, de sorte que l’unité familial devrait être préservée. Ils précisent encore que l’enfant B aurait toujours habité ensemble avec sa mère et ses sœurs en Erythrée.

Ils contestent ensuite l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant de se voir regrouper avec une personne atteinte de troubles mentaux. Dans ce contexte, ils soutiennent que la prétendue maladie mentale ne saurait priver la mère de la possibilité de « voir » sa fille de manière définitive, alors que l’état de santé de Madame C ne devrait pas « interférer dans ses droits » de vivre avec sa famille. Ils 5 donnent à considérer que la mère se serait toujours occupée de sa fille, de sorte que la décision « de la Déléguée [ne serait] prise qu’au titre du prétendu état psychologique de la mère », ce qui serait inacceptable. Ils soutiennent que « l’intérêt de l’enfant d[evrait] constituer une considération primordiale dans toutes les activités qui le concernent ».

Ils font encore valoir que la teneur de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être déterminée au cas par cas, tout en prenant en considération la situation concrète et personnelle du mineur concerné, ainsi que le contexte et ses besoins. Ils reprochent au ministre de ne pas avoir examiné la situation concrète de l’enfant avec suffisamment d’intérêt et précisent, tout en se référant à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », que cette dernière aurait souligné qu’il importerait de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant.

Les demandeurs soutiennent que l’enfant B bénéficierait du statut de réfugié, de sorte qu’elle ne pourrait pas retourner dans son pays d’origine pour entretenir des relations avec sa mère.

Ils en concluent qu’il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant B que sa mère viendrait la rejoindre au Luxembourg.

Pour le surplus, ils rappellent, en substance, leur argumentation fournie dans le cadre de leur requête.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il précise que l’enfant B ne pourrait être considérée comme un mineur non accompagné, étant donné qu’elle aurait rejoint son père au Luxembourg dans le cadre d’un regroupement familial, qui par ailleurs disposerait de la garde unique de la fille, de sorte que l’article 70 (4) de la loi du 29 août 2008 ne serait pas applicable.

Il soutient ensuite que Madame C ne remplirait pas les conditions cumulatives énoncées à l’article 70 (5) a) de la loi du 29 août 2008, alors qu’il ne ressortirait d’aucun élément du dossier qu’elle serait à charge de sa fille.

Il cite encore l’article 8 de la CEDH et souligne que, contrairement à l’argumentation des demandeurs selon laquelle l’enfant B constituerait avec sa mère une prétendue cellule familiale, elle n’aurait pas seulement vécu avec sa mère, mais aurait vécu en alternance avec la sœur de son père.

Il précise encore que ce serait la fille qui serait à charge de sa mère.

Le délégué du gouvernement se réfère ensuite à la décision du tribunal érythréen du 5 février 2019, versé par Monsieur A dans le cadre de sa demande de regroupement familial avec sa fille, pour préciser que la mère serait atteinte d’une maladie mentale, de sorte qu’elle n’aurait pas pu s’occuper de sa fille dans son pays d’origine, et que la garde aurait été confiée au père.

6 Le délégué du gouvernement soutient qu’il ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant de se voir regrouper avec sa mère, alors que cette dernière aurait été dans l’incapacité de s’occuper de sa fille en raison de sa maladie mentale, tout en rappelant que la garde unique aurait été confiée au père. Il précise ensuite que le dossier administratif ne contiendrait ni une preuve relative à une quelconque vie familiale entre la fille et sa mère, ni une preuve qu’elles auraient une quelconque relation entre elles. Il soutient encore que Madame B aurait volontairement quitté son pays d’origine en 2019, à l’âge de … ans, pour rejoindre son père et qu’elle aurait été âgée de … ans au moment de sa demande de regroupement familial, de sorte qu’elle ne saurait invoquer un quelconque « jeune âge ».

Il se réfère ensuite à une publication du Conseil de l’Europe, intitulée « Regroupement familial pour les enfants réfugiés et migrants. Normes juridiques et pratiques prometteuses » et souligne encore que la mère de l’enfant B se trouverait en Ethiopie. Il en conclut que « les attaches familiales ne sauraient être qualifiées d'importantes » et que « [l]a question d’un retour dans son pays d’origine de B dans le but de développer une vie familiale avec sa mère ne se pose[rait] pas, alors que la mère semble[rait] en tout état de cause avoir quitté l’Érythrée ».

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement réitère son argumentation selon laquelle les conditions de l’article 70 (5) a) de la loi du 29 août 2008 ne seraient pas remplies.

Il précise pour le surplus que Madame C ne saurait être considérée comme étant dépourvue de tout soutien familial dans son pays d’origine, alors qu’elle aurait encore d’autres filles dans son pays d’origine ou de provenance.

Il soutient ensuite que Monsieur A aurait informé le ministre que Madame C souffrirait d’une maladie mentale et qu’elle s’occuperait en alternance avec sa sœur de leur fille commune, de sorte que les demandeurs ne sauraient contester aujourd’hui leurs propres déclarations.

Le délégué du gouvernement précise que la séparation entre la mère et sa fille serait totalement indépendante de la décision ministérielle attaquée, alors que l’enfant B aurait volontairement quitté son pays d’origine avant la prise de la décision déférée.

Appréciation du tribunal A titre liminaire, le tribunal rappelle que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

1 Cour adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.

7 Ensuite, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demandeurs, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal relève, de prime abord, que les demandeurs n’ont formulé aucun moyen par rapport au volet de la décision dans lequel le ministre a retenu qu’aucune condition permettant à Madame C de bénéficier d’une autorisation de séjour dont les catégories sont énumérées à l’article 38 de la loi du 29 août 2008 n’est remplie en l’espèce, de sorte que ce volet de la décision n’est pas attaqué.

Il échet ensuite de relever que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68 c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.

Il convient de préciser qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

Il ressort du prédit article que le bénéficiaire d’une protection internationale dispose de conditions moins restrictives s’il demande le regroupement familial dans les six mois de l’obtention de son statut. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que la demande de regroupement familial dans le chef de la mère de l’enfant B a été introduite dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’elle ne doit pas remplir les conditions 8 prévues à l’article 69 (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.

L’article 70 de cette même loi, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, est libellé comme suit : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

9 Le tribunal constate de prime abord que l’application de l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 à la demande de regroupement familial en cause n’est pas contestée par les demandeurs, de même que le fait que l’enfant B n'est pas à qualifier d’enfant mineur non accompagné.

Le tribunal constate ensuite qu’il n’est pas contesté par le ministre que Madame C est l’ascendante en ligne directe de celle-ci, il n’en reste pas moins que l’octroi dans son chef d’une autorisation de séjour sur le fondement de l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir qu’elle est (i) à la charge du regroupant et (ii) privée du soutien familial nécessaire dans son pays d’origine.

L’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer l’exigence suivant laquelle les ascendants y visés soient « à charge » du regroupant, sans autrement préciser la portée exacte de cette notion, plus particulièrement quant au degré de dépendance requis. Cependant, l’article 12 de la loi du 29 août 2008, visant le regroupement familial des membres de la famille d’un ressortissant communautaire, reprend la même notion d’ascendant à charge telle qu’inscrite à l’article 70 (5) de la même loi, de sorte qu’il y a lieu de se référer à la volonté du législateur exprimée par rapport à cet article. Les travaux parlementaires relatifs à l’article 12 définissent la notion d’« être à charge » par « le fait pour le membre de la famille d’un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l’article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant […]. La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05). ».2 Il ressort de la volonté du législateur, précitée, concernant l’article 12 de la loi du 29 août 2008, que la notion d’être « à charge » est à entendre en ce sens que les membres de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial, ne disposant pas de ressources personnelles suffisantes, ont besoin du soutien matériel, donc financier, du regroupant à un point tel que son défaut aurait pour conséquence de les priver des moyens de subvenir à leurs besoins essentiels, la preuve de ce soutien pouvant être rapportée par toutes voies.

Or, force est au tribunal de constater que les demandeurs ne versent aucune pièce probante, ni dans le cadre de la demande de regroupement familial, ni dans le cadre du présent recours, qui démontrerait qu’en tant que regroupant, l’enfant B apporterait à sa mère un quelconque soutien financier, restant ainsi en défaut de prouver qu’elle serait à sa charge et que sans son soutien matériel, elle ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels.

Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, il échet de conclure que le ministre a, à bon droit, pu estimer que la première condition posée par l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008, à savoir que la mère de l’enfant B soit à sa charge, n’était pas remplie, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner la deuxième condition cumulative posée par la même disposition légale, à savoir celle ayant trait au soutien familial nécessaire dans le pays d’origine.

2 Cf. documents parlementaires n° 5802, commentaire des articles, p.61.

10 Le ministre a, a priori, pu à bon droit refuser le regroupement familial dans le chef de la mère de l’enfant B.

Force est toutefois de relever que l’analyse du ministre ne saurait s’arrêter au constat que lesdites conditions ne sont pas remplies pour refuser purement et simplement sur base de ce seul constat le regroupement familial sollicité dans le chef de la mère de B, qui était mineure au moment de son arrivée sur le territoire luxembourgeois et au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial de même qu’au jour de la prise de la décision litigieuse, cette décision risquant de se heurter aux droits consacrés à travers les articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH, dont les termes respectifs sont les suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », et « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale3.

Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH4.

Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois5.

3 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 80 et les autres références y citées.

4 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, req. n° 1948/04, § 135, et trib. adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 476 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 477 et les autres références y citées.

11 Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »6 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ».

Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.

Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national7. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays8 à savoir, en l’occurrence, son pays d’origine que le demandeur a dû quitter pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.

Il échet encore de préciser que suivant un arrêt de la CJUE du 12 avril 20189, l’article 2 f) de la directive 2003/86/CE, sur lequel l’article 68 d) de la loi du 29 août 2008 repose, prévoit deux conditions, à savoir celle que l’intéressé soit « mineur » et celle qu’il soit « non accompagné ». Concernant la première condition, la CJUE a décidé, dans un souci de ne pas faire dépendre le droit au regroupement familial des aléas de la durée de traitement de la demande de protection internationale sur laquelle les demandeurs de regroupement familial n’ont aucune influence, qu’il convient de se référer à la date d’introduction de la demande de protection internationale pour apprécier l’âge d’un demandeur de regroupement familial, seule date permettant de garantir un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation10.

En l’espèce, il est constant qu’au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale, soit le 29 octobre 2019, l’enfant B était âgée de … ans, tandis qu’elle était âgée de … ans au jour de la prise de la décision déférée.

6 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -

CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.

7 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 et autres références y citées.

9 CJUE, 12 avril 2018, A. et S. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, affaire C-550/16.

10 Revue Europe, n° 6, juin 2018, Commentaire 221, Fabienne Gazin.

12 Or, il échet de préciser que lorsqu’une décision concerne un enfant, les autorités nationales doivent, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de l’application de la CEDH, faire primer son intérêt supérieur11.

En effet, aux termes de l’article 3 de la CIDE : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. ».

L’article 9 (1) et (3) de la CIDE dispose encore que : « (1) Les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. […] (3) Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. ». Suivant l’article 10 (1) de la même convention : « Conformément à l’obligation incombant aux Etats parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les Etats parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les Etats parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille. ».

Il résulte des dispositions précitées que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Par ailleurs, l’enfant a le droit de ne pas être séparé de ses parents contre son gré, à moins que les autorités compétentes déterminent, conformément à la loi, que cette séparation est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 9 dispose, par ailleurs, que chaque enfant séparé de sa famille a le droit de maintenir des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents sur une base régulière, sauf si cela est contraire à son intérêt supérieur. L’article 10 impose, quant à lui, aux Etats membres d’examiner une demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un Etat partie ou de le quitter aux fins d’une réunification familiale « dans un esprit positif, avec humanité et diligence ».

11 CourEDH, 19 janvier 2012, Popov c. France, n° 39472/07 et 39474/07, § 139.

13 Une lecture combinée des articles 8 de la CEDH et 3, 9 et 10 de la CIDE permet partant de retenir que pour un parent et son enfant mineur, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale au sens des dispositions précitées et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit y protégé. Par ailleurs, l’intérêt supérieur de l’enfant dans les affaires de regroupement familial doit être prioritaire. Dès lors, les autorités nationales doivent attribuer à l’intérêt supérieur de l’enfant une importance prépondérante lors de l’évaluation de la proportionnalité de l’immixtion dans la vie familiale.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort des éléments du dossier administratif et plus particulièrement du rapport d’audition de Monsieur A que l’enfant B vivait en alternance avec sa mère, ainsi qu’avec la tante paternelle.12,13 Par ailleurs, il se dégage du recours gracieux du 19 juillet 2021, que Madame B vivait avec sa mère jusqu’à son départ vers l’Erythrée14 et que ces dernières se sont rendues en Ethiopie en 2019, étant donné que les autorités éthiopiennes ont délivré (i) en date du 5 juin 2019, une carte de réfugié à Madame C et (ii) en date du 17 juillet 2019, un « Emergency travel document » à l’enfant B.

Ces faits, n’étant d’ailleurs pas contestés par le délégué du gouvernement, permettent ainsi d’établir que Madame B a eu avec sa mère une vie familiale effective et préexistante avant son arrivée au Luxembourg.

Le tribunal constate encore que le ministre justifie son refus d’accorder le regroupement familial sur base de la considération que les conditions de l’article 70 (5) de la loi du 29 août 2008 ne seraient pas remplies. Il ne se prononce toutefois pas sur l’intérêt supérieur de l’enfant B à vivre ensemble avec sa mère, de même qu’il ne ressort pas de la décision qu’il aurait opéré une évaluation ou une pondération entre les intérêts en jeu, à savoir entre l’intérêt de l’enfant B de retrouver sa mère et l’intérêt de l’Etat de contrôler l’immigration, voire qu’il ait pris en considération des éléments précis et circonstanciés de nature à justifier une ingérence par les autorités publiques luxembourgeoises dans l’exercice par l’enfant B de son droit fondamental à vivre avec sa mère tel que consacré à travers les articles 8 de la CEDH et 3, 9 et 10 de la CIDE.

Les explications du délégué du gouvernement à cet effet selon lesquelles aucune ingérence injustifiée dans la vie privée et familiale de la mineure ne saurait utilement être reprochée au ministre, de même qu’il n’existerait aucune lésion de l’intérêt supérieur de la mineure, alors que (i) la mère serait atteinte d’une maladie mentale, (ii) elle n’aurait pu s’occuper de sa fille dans son pays d’origine, (iii) elle se serait occupée de sa fille en alternance avec la tante paternelle, et (iv) la garde aurait été confiée au père, ne sont pas suffisantes à cet 12 Rapport d’audition du 26 février 2018 de Monsieur A, page 5 : « […] Who is the legal guardian of your children? […] The other child lives with her mother and with my sister alternately. Her mother has a mental condition. […] ».

13 Rapport d’audition du 26 février 2018 de Monsieur A, page 10 : « […] Possible observations, complementary information, supplementary statements ; Do you wish to add something on any subject? My daughter is living with her mother and my sister. Her mother is having mental problems. The other children have someone to take care of them. But this daughter is in a very bad situation. […] ».

14 Recours gracieux du 19 juillet 2021, page 2 : « […] En outre, je me permets de vous rappeler qu’avant son départ d’Erythrée, l’enfant B vivai[t] avec sa mère […] ».

14 égard, étant donné qu’il n’apporte aucun élément permettant de constater que le refus du regroupement familial dans le chef de la mère de Madame B constituerait une mesure qui, en tenant compte des termes de l’article 8 de la CEDH, serait nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Ainsi, en ne prenant pas en compte l’existence d’une vie familiale effective entre l’enfant B et sa mère, le ministre a porté une atteinte disproportionnée au droit dudit enfant au respect de sa vie privée et familiale en violation des articles 8 de la CEDH et a méconnu l’intérêt supérieur de l’enfant protégé par la CIDE, de sorte que la décision déférée encourt l’annulation de ce chef.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation recevable ;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 avril 2021 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de Madame C et renvoie le dossier audit ministre en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2024 par :

Daniel WEBER, vice-président, Michèle STOFFEL, vice-président, Michel THAI, juge, en présence du greffier Luana POIANI.

s. Luana POIANI s. Daniel WEBER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 juillet 2024 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46660
Date de la décision : 08/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-07-08;46660 ?

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