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24/06/2024 | LUXEMBOURG | N°49022

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juin 2024, 49022


Tribunal administratif N° 49022 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49022 2e chambre Inscrit le 8 juin 2023 Audience publique du 24 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49022 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023 par Maître Sanae Igri, avoca

t à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 49022 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49022 2e chambre Inscrit le 8 juin 2023 Audience publique du 24 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49022 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Turquie), de nationalité turque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en sa plaidoirie à l’audience publique du 19 février 2024, Maître Sanae Igri s’étant excusée.

Le 14 juillet 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche dans la base de données du Centre de coopération policière et douanière (CCPD), que Monsieur … s’était vu délivrer un visa par les autorités slovènes valable du 4 décembre 2019 au 2 janvier 2020.

En date des 2 et 24 février 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 mai 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le 8 mai 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 14 juillet 2020 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 14 juillet 2020 (ci-après dénommé « rapport de police ») et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 2 février et 24 février 2022 (ci-après dénommé « rapport d’entretien ») sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être de nationalité turque, d’ethnie Kurde, de confession musulmane et avoir vécu à … en Turquie.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays d’origine premièrement pour des raisons politiques suite au coup d’Etat en juillet 2016, deuxièmement pour des raisons liées à votre appartenance à l’ethnie Kurde et troisièmement afin de vous soustraire à l’obligation d’effectuer le service militaire.

Quant au premier motif, vous indiquez dans votre fiche de motifs du 14 juillet 2020 que vous auriez quitté votre pays d’origine à cause de « problèmes politiques ». Dans ce contexte, vous faites état d’un incident qui aurait eu lieu en 2016 lors duquel la police vous aurait retiré vos livres et vous aurait agressé physiquement au sein de votre lycée.

Quant au deuxième motif, vous indiquez qu’en tant que citoyen d’ethnie Kurde, vous feriez partie d’une « sous-catégorie de la population » (p.7/17 de votre rapport d’entretien) ce qui se traduirait par des actes de discriminations et dont vous reportez particulièrement trois incidents en lien avec votre appartenance Kurde qui auraient eu lieu en 2015, en 2016 et en 2017.

Vous faites état d’un premier fait qui aurait eu lieu en 2015. Vous auriez été accompagné de vos amis en train d’écouter de la musique en langue kurde lorsque la police vous aurait emmené au commissariat d’… où ils vous auraient agressé physiquement.

Vous faites par la suite état d’un deuxième incident qui aurait eu lieu en mars 2016 à …. Lors d’un couvre-feu, les forces de l’ordre vous auraient « braqué une arme dessus » (p.8/17 de votre rapport d’entretien).

Vous énumérez finalement un troisième incident qui aurait eu lieu en 2017 à … où vous auriez été menacé par des « gens armés » (p.8/17 de votre rapport d’entretien).

Finalement, le troisième et dernier motif que vous invoquez serait lié à votre refus d’effectuer le service militaire. Vous soulignez dans ce contexte être « contre l’idée du service militaire » (p.13 de votre rapport d’entretien) et que vous ne voudriez pas « mettre d’uniforme » (p.13/17 de votre rapport d’entretien).

A l’appui de votre demande, vous présentez une carte d’identité turque en cours de validité. Par le biais de votre avocat, vous avez également remis en date du 4 mars 2022 et du 29 mars 2022 les documents suivants :

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Une copie d’un certificat de fin d’études, munie d’une traduction ;

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une copie d’un certificat de la Direction Générale du Recrutement du Ministère de la Défense nationale, munie d’une traduction ;

-

vingt-trois photographies démontrant des dégâts matériels.

Il convient de noter qu’en application de l’article 10 (5) de la Loi de 2015, à l’exception des documents d’identité, tout document remis au ministre rédigé dans une autre langue que l’allemand, le français ou l’anglais doit être accompagné d’une traduction dans une de ces langues, afin d’être pris en considération dans l’examen de la demande de protection internationale. Par conséquent, seuls les documents présentés munis d’une traduction seront pris en considération dans le cadre de l’examen de votre demande de protection internationale.

Ainsi, le document en langue turque, parvenu à nos services en date du 30 juin 2022, ne sera pas pris en compte dans le cadre de l’analyse de votre demande de protection internationale.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il ressort de votre fiche de motifs du 14 juillet 2020 que vous auriez quitté votre pays d’origine à cause de « problèmes politiques ». Force est néanmoins de constater que vous échouez de rapporter la moindre preuve concernant vos déclarations sur ce point.

Par ailleurs, ni vos preuves documentaires, ni votre récit n’indiquent votre adhésion à un quelconque mouvement politique.

Questionné sur votre supposé lien avec le mouvement de Fetullah Gülen, vous affirmez n’avoir « aucun lien avec aucun mouvement tel qu’il soit » (p.11/17 de votre rapport d’entretien). Il ressort également de votre rapport d’entretien que vous ne démontriez guère d’intérêt pour les évènements politiques de l’époque. Convié à donner votre avis sur la tentative de coup d’Etat de 2016, vous dites « Je ne savais pas ce que c’était un coup d’Etat.

Mes parents suivaient le tout avec attention. C’était comme un séisme. Je ne comprenais pas trop » (p.11/17 de votre rapport d’entretien). En ce qui concerne votre avis au sujet du mouvement de Fetullah Gülen, vous affirmez « je ne sais pas, je sais juste que beaucoup de gens ont été mis en prison » (p.11/17 de votre rapport d’entretien). Vous confirmez par ailleurs que vous n’aviez pas eu de problèmes en lien avec la tentative de coup d’Etat vu que vous n’aviez aucun lien avec le mouvement de Fetullah Gülen (p.12/17 de votre rapport d’entretien).

Dans ce contexte, vous faites plus particulièrement état d’un incident qui aurait eu lieu en 2016. Une perquisition aurait été menée au sein de votre lycée suite à la tentative de coup d’Etat en juillet 2016 durant laquelle la police vous aurait retiré vos livres et vous aurait agressé physiquement. Ainsi, vous affirmez que « la police est venue nous voir pour connaître nos liens avec le mouvement (p.11/17 de votre rapport d’entretien). Quant à la confiscation des livres, vous précisez « Ils nous ont dit que s’ils trouvaient des publications de Fetullah Gülen, ils s’en serviraient pour ouvrir des enquêtes à notre encontre » (p.8/17 de votre rapport d’entretien). Convié à donner plus de précisions à propos du lien entre votre ancien lycée et le mouvement de Fetullah Gülen, vous avancez que « je ne suis pas sûr. Ils faisaient de la publicité et ils avaient une bonne réputation comme école. Je pense que c’est l’Etat qui nous fournissait les livres, je ne sais pourquoi ils les ont récupérés. En Turquie, toutes les personnes contre Erdogan sont vues comme terroristes » (p.11/17 de votre rapport d’entretien). La police vous aurait « frappé avec des tournevis sur la tête » (p.8/17 de votre rapport d’entretien) afin de « savoir si nous avions un lien avec le mouvement » (p.11/17 de votre rapport d’entretien).

Monsieur, il convient tout d’abord de noter que l’acte invoqué que vous déclarez avoir subi de la part des autorités turques est trop éloigné dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2020, respectivement en 2023, alors que l’incident en question remonte à 2016.

Il s’agissait en effet d’un acte isolé qui est resté sans suites, étant donné que vous affirmez vous-même que la police ne vous aurait plus jamais contacté ou ne serait venue à votre encontre. Par ailleurs, vous auriez vous-même estimé que la situation dans votre pays d’origine n’aurait pas été d’une telle gravité à y rendre une vie intolérable, alors que vous n’auriez pas immédiatement pris la fuite mais que vous auriez encore résidé en Turquie jusqu’en 2020.

Partant, vous ne risquez pas d’être persécuté en cas de retour en Turquie en raison d’un prétendu lien avec le mouvement de Fetullah Gülen, et plus particulièrement en raison de l’incident de 2016.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous invoquez votre appartenance à l’ethnie Kurde comme deuxième motif vous ayant poussé à quitter votre pays d’origine. Dans ce contexte, vous relatez que vous auriez été victime de discriminations et vous faites état de trois incidents particuliers.

Monsieur, il convient de retenir avant tout autre développement que le simple fait d’appartenir à l’ethnie Kurde ne suffit pas pour prétendre au statut de réfugié, de sorte qu’il vous appartient d’établir concrètement pour quelles raisons vous seriez personnellement à risque d’être persécuté en raison de votre ethnie.

Vous faites référence à trois incidents qui vous seraient survenus en relation avec votre appartenance à l’ethnie Kurde.

Le premier incident se serait produit en 2015. Vous auriez été emmené par la police au commissariat d’… dans la province de … après que cette dernière vous aurait intercepté avec vos amis en train d’écouter de la musique en langue kurde. Questionné sur les raisons de cette arrestation, vous indiquez qu’« à l’époque, le parti YPG avait son projet chez nous dans le coin et ils voulaient savoir si nous étions pour ou contre. Je pense qu’ils nous prenaient nos téléphones par sadisme à moins qu’il y ait une loi. Je ne comprends pas pourquoi ce serait normal d’écouter de la musique en anglais et pas en kurde » (p.9/17 de votre rapport d’entretien). Cet incident se serait suivi d’une arrestation. Arrivé au commissariat d’… dans la province …, le policier aurait commencé à vous frapper avec des « coups de pieds dans le ventre et dans le dos » (p.9 de votre rapport d’entretien) durant dix minutes avant de vous relâcher. Suite à cet épisode, vous auriez constaté des ecchymoses sur votre corps lesquelles vous auriez soigné vous-même à la maison.

Monsieur, s’il est bien vrai que le fait d’avoir été arrêté et agressé pour avoir écouté de la musique en lange kurde pourrait a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Or, force est toutefois de constater que vous ne vous êtes pas soumis à un examen médical et que vous ne remettez aucune preuve documentaire soutenant vos dires, ce qui permet évidemment de remettre en doute la réalité de vos dires, sinon du moins le fait que vous auriez été agressé par un policier, voire la gravité de vos blessures.

En tout cas, tel qu’expliqué ci-dessus, cet incident isolé est également trop éloigné dans le temps pour justifier une protection internationale en 2020, sinon en 2023, alors que vous seriez resté vivre en Turquie jusqu’en 2020, de sorte que vous auriez vous-même estimé que la situation ne serait pas d’une telle gravité à y rendre une vie intolérable.

Enfin, il convient encore de noter que suite à cet incident, vous n’auriez, ni porté plainte, ni cherché à trouver de l’aide auprès d’une quelconque instance. Convié à expliquer si vous aviez porté plainte, vous avancez ne pas avoir su où déposer votre plainte étant donné qu’« ils s’entraident entre eux » (p.9/17 de votre rapport d’entretien). Vous continuez votre argumentation en disant « ils ont pleins de pouvoirs. Les lois sont en leur faveur » (p.9/17 de votre entretien). Or, vos déclarations à ce sujet se résument à de simples allégations et ne justifient en tout état de cause pas votre inaction dans ce contexte.

En effet, il peut être porté à votre attention l’existence de l’Institution turque des droits de l’homme et de l’égalité (National Human Rights and Equality Institution, NHREI) qui est « compétente en matière de « protection des droits de l’Homme, de prévention des violations des droits de l’Homme, de lutte contre la torture et les mauvais traitements, de réception et de traitement des plaintes, d’éducation et de recherche sur les droits de l’Homme » ».

Vous auriez par ailleurs pu vous adresser au procureur d’Etat afin de déposer une plainte : « In principle, prosecutors can and must investigate all allegations of torture and ill-

treatment ex officio, regardless of an individual complaint, and the Public Prosecutor must follow up all complaints received. Complaints may be brought by victims themselves, by their family or lawyer, by civil society organisations, or by a monitoring mechanism such as the Ombudsman Institution ».

Monsieur, vous faites part d’un deuxième incident qui serait survenu en 2016. Lors d’un couvre-feu imposé par les autorités, les forces de l’ordre vous auraient « braqué une arme dessus » (p.8/17 de votre rapport d’entretien). Questionné sur la raison de cet acte, vous dites ne pas le savoir, mais vous continuez par expliquer qu’il se serait agi d’une « opération militaire » (p.10/17 de votre rapport d’entretien) pour « s’occuper du terrorisme » (p.9/17 de votre rapport d’entretien) et que « c’était toute la ville qui a été évacuée » (p.10/17 de votre rapport d’entretien). Il semble que vous et votre famille n’auraient pas suivi les instructions des responsables d’évacuation en demeurant dans votre résidence malgré l’ordre d’évacuation ce qui soutient le constat que vous en tant qu’individu n’étiez nullement dans le collimateur des forces de l’ordre. Vous confirmez qu’« ils ont dit qu’on serait seuls responsables si on ne partait pas et si on était tué » (p.10/17 de votre rapport d’entretien) et vous continuez par « ils sont entrés dans la ville avec des tanks et ils ont dit qu’il fallait qu’on parte pour qu’il (sic) puissent éradiquer le terrorisme. C’est proche de la frontière iraquienne te syrienne » (p.10/17 de votre rapport d’entretien).

A l’appui de vos dires, vous avez fait parvenir par le biais de votre avocat en date du 4 mars 2022, l’image du capot d’une voiture marquée par un trou. Convié à commenter cet acte vous dites « ils voulaient nous inciter à partir » (p.10/17 de votre rapport d’entretien) tandis qu’au début de votre entretien vous dites ne pas savoir s’il s’était agi d’une coïncidence. Lors de votre retour à … quelques mois plus tard, vous auriez retrouvé votre maison « détruite » (p.8/17 de votre entretien). A l’appui de vos dires, vous avez fait parvenir par le biais de votre avocat en date du 4 mars 2022, des images démontrant plusieurs dégâts matériels.

Monsieur, ces incidents sont certes regrettables, mais il ressort clairement de votre récit que ni l’ordre d’évacuation, ni les prétendus dégâts matériels ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève, alors qu’ils ne sont pas liés à votre race, à votre religion, à votre nationalité, à votre appartenance à un groupe social particulier ou à vos opinions politiques au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015. D’une part, les forces de l’ordre auraient simplement tenté de vous faire respecter l’ordre d’évacuation et d’autre part les dégâts matériels constituent des dommages collatéraux causés par une opération militaire menée dans des circonstances exceptionnelles.

A cela s’ajoute que vous avez quitté la Turquie que quatre ans plus tard ce qui confirme à nouveau le fait que vous ne craigniez aucune persécution dans votre pays d’origine suite à cet épisode et que vous ne risquez pas de devenir victime d’un acte similaire en cas de retour en Turquie.

Vous relatez un troisième incident qui se serait produit au courant de l’année 2017.

Vous auriez quitté … afin d’exercer un travail étudiant à …. Lors de votre séjour, vous auriez été menacé à deux reprises : « un soir, des gens armés sont venus et nous ont dit qu’on devait partir » (p.8/17 de votre rapport d’entretien). Questionné au sujet des auteurs, vous dites « c’était la population locale » (p.12/17 de votre rapport d’entretien). Il s’agirait selon vous d’une question de « racisme envers les Kurdes » (p.12/17 de votre rapport d’entretien). Après que vous et les autres travailleurs auraient été relocalisés par votre patron dans un autre village, des personnes vous étant inconnues, vous auraient intimidé en lançant la phrase « bienvenu en enfer » (p.12/17 de votre rapport d’entretien) au milieu de la nuit.

Monsieur, force est tout d’abord de constater que vous n’établissez nullement avoir été menacé en raison de votre appartenance à l’ethnie kurde. Il s’agit en effet d’une simple supposition de votre part, de sorte qu’il n’est pas établi que vous auriez été menacé en raison de votre ethnie.

Par ailleurs, force est de constater que les faits invoqués ne revêtent pas un degré de gravité tel qu’ils pourraient être assimilés à des actes de persécution au sens des textes précités. En effet, notons que des simples menaces verbales suivies d’aucun autre acte concret ne sont incontestablement pas d’une gravité suffisante pour les considérer comme actes de persécution.

Quand bien même qu’il s’agirait d’un acte de persécution lié à votre ethnie, il y a lieu de soulever que les auteurs dont vous déclarez avoir été victime sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. Une persécution commise par des personnes privées peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens des textes précités uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, cela n’est pas le cas en l’espèce.

Ainsi, suite à ces deux incidents vous n’avez pas porté plainte auprès de la police. Vous justifiez votre inaction dans ce contexte en déclarant : « Nous sommes souvent confrontés à ce genre de problèmes et ils n’ont jamais apporté une solution » (p.13/17 de votre rapport d’entretien). Monsieur, il convient de constater qu’il s’agit en l’occurrence de simples allégations de votre part et ne justifient en tout état de cause pas votre inaction dans ce contexte.

Notons par ailleurs, que les actes invoqués que vous déclarez avoir subis de la part de personnes privées sont trop éloignés dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2020, respectivement en 2023 alors que les incidents en question remontent à 2017. Force est de constater que vous n’avez quitté votre pays d’origine que trois ans après ce dernier incident. En effet, vous affirmez que vous auriez eu espoir d’une amélioration.

Monsieur, ceci-dit, il y a toutefois lieu de constater que vous ne mentionnez dans votre récit aucun incident concret ayant eu lieu après 2017 et qui serait susceptible de justifier dans votre chef une quelconque crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Partant, le statut de réfugié ne saurait vous être accordé en raison de votre appartenance à l’ethnie Kurde.

Enfin, vous expliquez que votre départ en 2020 aurait été motivé par votre prétendu refus de prester votre service militaire.

Quant à ce troisième et dernier motif, vous mentionnez avoir quitté la Turquie en 2020 alors que votre service militaire approcherait.

Il convient tout d’abord de retenir qu’un Etat a le droit d’organiser sa défense nationale et peut par conséquent légitimement exiger que ses nationaux accomplissent le service militaire. Le simple fait de ne pas vouloir effectuer son service militaire n’est en principe pas de nature à justifier l’octroi du statut de réfugié.

Il est en effet de principe « qu’une personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d’un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l’octroi du statut de réfugié que s’il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l’infraction militaire commise, une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques v. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, précité, §§ 167 et ss). En outre, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience pour justifier leur opposition au service militaire d’une force telle que la peine prévue pour l’insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience ».

Or, Monsieur, force est de constater que vous n’établissez pas que votre refus d’effectuer le service militaire serait motivé par un conflit personnel grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et votre conscience ou vos convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre.

En effet, vous échouez d’expliquer en quoi consisterait précisément vos convictions profondes qui motiveraient votre refus d’effectuer votre service militaire. Quant aux raisons motivant votre refus, vous déclarez : « Je ne veux pas faire le service militaire car je ne veux pas tuer d’autres personnes. Si je vais au service militaire, ils me feront faire des opérations où ils m’enverront dans les montagnes et je devrais tirer sur mes cousins. Toute ma vie, j’ai détesté les armes. Ils vont vouloir nous entraîner à manipuler des armes et à tuer des gens.

Soit vous devez tuer ou vous serez tué. C’est à cause de tout ceci que j’ai quitté la Turquie » (p.8 de votre rapport d’entretien).

Soulignons dans ce contexte que le simple fait de mentionner que vous vous opposez au port de l’arme ne saurait être considéré comme une conviction profonde.

Convié à expliquer s’il est d’usage à envoyer des soldats en formation en opération, vous répondez par l’affirmative.

Or, le service militaire n’implique pas nécessairement le devoir de participer à un conflit ou à « tuer des gens ». Dans ce sens, notons que : « During the previous reporting period, conscripts were in principle not deployed in combat operations. According to a source, this information is still current».

Questionné sur votre crainte en cas de retour dans votre pays d’origine, vous affirmez « C’est la répression que je crains. Le fait de porter l’uniforme me fait peur. Si on m’oblige à porter cet uniforme, j’aurais l’impression d’avoir perdu une guerre » (p.14/17 de votre rapport d’entretien). Or, vous échouez d’expliquer en quoi consister cette soi-disant « répression », Dans ce contexte, vous déclarez « Comme je vous ai dit précédemment, je parle de tout ce qu’on me fait subir normalement. Récemment, ils ont agressé trois étudiants Kurdes et le gouvernement n’a rien fait du tout » (p.14/17 de votre rapport d’entretien).

Monsieur, soulignons que votre explication quant à ladite « répression » est d’ordre général. Or, vos déclarations à ce sujet se résument dès lors à de simples allégations et ne démontrent en aucun cas que vous vous verrez infligé une peine d’une sévérité disproportionnée dans le cas d’un retour en Turquie.

En effet, notons que les sanctions en vigueur en cas d’insoumission se résument majoritairement à des amendes administratives.

Il y a dès lors lieu de conclure que vos craintes se résument à de pures spéculations et votre refus d’effectuer le service militaire ne saurait pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré pas la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément pertinent de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Turquie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 5 mai 2023 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 8 mai 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant rejet de la demande de protection internationale A l’appui de son recours et quant au refus de l’octroi du statut de réfugié à son égard, le demandeur prend position en premier lieu sur les persécutions qu’il aurait subies en raison de ses activités politiques. Il fait valoir, dans ce contexte, qu’il aurait des opinions proches du « parti HDP », qui serait un parti légal mais accusé par l’actuel parti au pouvoir depuis 2003 d’être la vitrine politique du PKK. Il ajoute que de nombreux élus dudit parti politique auraient été destitués de leurs fonctions sinon incarcérés et que l’actualité turque démontrerait « qu’elles ne cessent d’augmenter ». Il renvoie, à cet égard, sans préciser la source, à une citation du directeur de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch selon laquelle « destituer, arrêter et juger des élus locaux kurdes comme s’il s’agissait de combattants armés, sans preuve probante d’une activité criminelle, semble être le moyen préféré du gouvernement turc pour éliminer l’opposition politique » et que « ces affaires ne sont liées à aucun effort légitime de lutte contre le terrorisme… ».

Ensuite, il donne à considérer qu’il aurait subi de nombreuses injustices en raison de son appartenance à l’ethnie kurde. Il aurait ainsi relaté un incident avec la police turque en 2016, lors duquel celle-ci aurait pris ses livres et l’aurait physiquement agressé en le frappant « avec des tournevis sur la tête ». Il reproche, à cet égard, au ministre de ne pas avoir pris en considération son passé, tel que préconisé par « l’article 26 (3) c) de la loi du 5 mai 2006 ». Il s’appuie encore sur un arrêt de la Cour administrative du 7 octobre 2010, inscrit sous le numéro 26974C du rôle, dans lequel elle aurait retenu qu’il y aurait lieu de tenir compte des éléments mis en avant par le demandeur dans leur globalité, pour autant que ceux-ci relèveraient d’un dénominateur commun, et considère que les faits relatés auraient justement pour dénominateur commun son appartenance à la minorité kurde. En ne prenant pas en considération ces agissements, le ministre aurait ainsi empêché « la bonne application des articles 26 (4) et 31 (1) b de la loi du 5 mai 2006 » et il n’aurait pas non plus apprécié le volet subjectif de sa crainte de persécution. Il lui reproche également d’avoir estimé qu’il s’agissait d’un acte isolé, alors qu’il aurait subi d’autres incidents par la suite, et que les violences policières à l’égard des Kurdes de Turquie seraient réelles. Le demandeur renvoie, à cet effet, à un rapport publié par l’Immigration and Refugee Board of Canada le 14 juin 2012, intitulé « Turquie : information sur la situation des Kurdes dans les villes de l’Ouest comme Ankara, Istanbul, Izmir, Konya et Mersin; la réinstallation dans ces villes (2009-mai 2012) » et cite des mauvais traitements que des Kurdes auraient subis de la part de la police turque.

Enfin, il conteste la motivation ministérielle selon laquelle les faits relatés ne seraient pas d’une gravité telle que sa vie aurait été intolérable en Turquie, dans la mesure où il y est resté plusieurs années après les incidents mentionnés. Il explique qu’il se serait installé à …, une autre région que celle dont il serait originaire, car il aurait craint pour sa vie.

En deuxième lieu, concernant les persécutions liées à son appartenance à l’ethnie kurde, le demandeur invoque les conditions d’octroi du statut de réfugié, avant de prendre position sur le manque de preuve lui reproché par le ministre à propos de l’agression commise par des policiers en 2015. Il s’empare, à cet effet, de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 pour soutenir qu’il aurait un discours crédible et qu’il se serait efforcé d’étayer sa demande en livrant tous les éléments dont il aurait disposé. De plus, ses déclarations seraient cohérentes et ne seraient pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, de sorte que son récit devrait être considéré comme avéré.

Quant à l’absence de dépôt de plainte suite audit incident, il indique que l’agression aurait émané d’agents étatiques et qu’une protection à leur encontre serait difficile. Il estime, en s’emparant du considérant 27 de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, que lorsque les acteurs de persécution ou des atteintes graves sont l’Etat ou ses agents, il devrait exister une présomption selon laquelle une protection effective ne serait pas offerte aux demandeurs de protection internationale.

A propos de l’affirmation du ministre selon laquelle l’incident de 2015 serait un acte isolé, il réitère les développements qui précèdent en s’appuyant à nouveau sur l’arrêt de la Cour du 7 octobre 2010, prémentionné. Il précise également qu’en 2016 des policiers auraient braqué une arme dans sa direction, ce qui démontrerait que l’acte de 2015 ne serait pas isolé. Suite au deuxième incident, il aurait, par ailleurs, quitté la ville pendant plusieurs mois, craignant d’être pris pour cible par lesdits policiers. Quant au troisième évènement survenu en 2017, Monsieur … critique le fait qu’il lui soit reproché de ne pas avoir démontré un défaut de protection de la part des autorités turques et renvoie à nouveau au document publié par l’Immigration and Refugee Board of Canada du 14 juin 2012, prémentionné, avant d’arriver à la conclusion que les membres de l’ethnie kurde ne seraient pas protégés par les autorités turques, ce qui expliquerait l’absence de dépôt de plainte dans son chef.

En outre, ces faits ne seraient pas trop éloignés dans le temps, le demandeur soutenant à nouveau qu’il y aurait lieu de prendre en compte son passé en application des articles « 26 (3) c) et 31 (1) b de la loi du 5 mai 2006 ».

Après avoir réitéré « la définition d’un réfugié », le demandeur soutient qu’il n’aurait pas besoin de démontrer avoir subi des persécutions dans son pays d’origine. Il ajoute qu’aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, en cas de persécutions antérieures, une présomption simple existerait que de telles persécutions se poursuivraient en cas de retour dans le pays d’origine, ce qui serait le cas en l’espèce, étant donné qu’il aurait déjà fait l’objet d’actes de violence avant son départ de la Turquie.

En dernier lieu, quant à son refus d’effectuer le service militaire, le demandeur indique que ledit refus serait lié à ses convictions profondes, à savoir la crainte « de tuer d’autres personnes » et la crainte des souffrances psychologiques qui seraient causées par le service militaire. Il redouterait également de subir des discriminations en raison de son appartenance ethnique. Ses craintes seraient ainsi susceptibles d’atteindre le seuil de gravité prévu par « l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 ». Il estime ensuite que l’accomplissement du service militaire irait à l’encontre de ses convictions en tant que pacifiste et en tant que kurde.

Il souligne qu’en cas de retour en Turquie et de refus du service militaire, il serait considéré comme déserteur, traître à la nation, sinon comme objecteur de conscience, de sorte qu’il risquerait des traitements contraires aux articles 3, 5 et 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». Le statut d’objecteur de conscience ne serait, par ailleurs, pas reconnu par les autorités turques, ce qui aurait valu à la Turquie d’être condamnée à plusieurs reprises depuis 2006 par la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », notamment dans les arrêts « Ülke c. Turquie » du 24 janvier 2006, requête n° 39437/98, « Erçep c. Turquie » du 22 novembre 2011, requête n° 43965/04, et « Sayda c. Turquie » du 15 novembre 2016, requête n° 2458/12. Dans ce contexte, il précise que les objecteurs de conscience qui exprimeraient publiquement leur refus d’effectuer leurs services militaires feraient l’objet de poursuites pénales, encourraient jusqu’à trois ans d’emprisonnement, ainsi que des amendes administratives relativement élevées. Il fait encore valoir, en renvoyant à des jugements du tribunal administratif du 17 septembre 2014, inscrits sous les numéros 34226 et 34256 du rôle, que les poursuites et les peines d’emprisonnement que subiraient les objecteurs de conscience en Turquie seraient à qualifier de situations incompatibles avec l’article 3 de la CEDH interdisant les traitements et sanctions inhumains et dégradants, en retenant que lesdites personnes s’exposeraient ainsi à une sorte de « mort civile ». Tout en admettant qu’il ne ferait actuellement pas l’objet de poursuites pénales en Turquie pour son refus d’effectuer son service militaire, il estime qu’il pourrait quand même faire l’objet d’une ou de plusieurs condamnations pénales.

Sur base du constat que l’ensemble des actes qu’il aurait endurés dans son pays d’origine auraient été fondés sur ses opinions politiques et son appartenance à l’ethnie kurde, que ces actes seraient des persécutions selon l’article 42 (1) a) de la loi du 18 décembre 2015 et qu’ils revêtiraient un degré de gravité suffisant au sens de l’article 42 (2) de la même loi, le demandeur conclut à l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur, tout en se référant aux articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, explique se fonder sur les mêmes motifs que dans le cadre de sa demande du statut de réfugié, en ce que sa vie serait en danger en cas de retour en Turquie, où il risquerait d’être arrêté et emprisonné en raison de son appartenance à l’ethnie kurde, de ses convictions politiques et de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, pour conclure qu’il serait en droit de se prévaloir dudit statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, qui a abrogé la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est de constater, en premier lieu, que contrairement à ce que semble soutenir le demandeur, le ministre n’a pas remis en cause la crédibilité de son récit, de sorte que ses développements y relatifs ne sont pas à examiner par le tribunal pour être dénués de pertinence.

En second lieu, il échet de relever que la demande de protection internationale du demandeur repose sur sa crainte de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques en raison (i) de ses convictions politiques, (ii) de son ethnie kurde et (iii) de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire en sa qualité d’objecteur de conscience.

En ce qui concerne d’abord, la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions en raison de ses convictions politiques, crainte qui repose sur l’agression subie lorsqu’il était étudiant dans un lycée religieux suite à la tentative de coup d’Etat en Turquie en 2016, le tribunal constate de prime abord que la descente de police était motivée par la recherche de personnes en lien avec le mouvement güleniste. Or, Monsieur … ne démontre aucunement que cet incident serait lié à ses opinions politiques, ni même qu’il aurait été personnellement visé.

Il a, d’ailleurs, affirmé à plusieurs reprises qu’il n’avait aucun lien avec le mouvement güleniste. En outre, étant donné que le demandeur affirme qu’après la remise des livres scolaires aux policiers, ces derniers ne sont plus revenus dans son lycée et qu’il n’a par la suite eu aucun problème, pendant près de quatre années, avec les autorités de son pays d’origine en lien avec la tentative de coup d’Etat ou avec la descente de police dans son lycée qui s’en est suivie, le tribunal est amené à retenir que cet incident constitue un acte isolé.

En outre, si le demandeur affirme avoir des idées proches de celles du parti politique HDP, force est au tribunal de constater qu’il ne fournit aucune explication à ce propos qui démontrerait son engagement et qu’il ne fait à aucun moment mention d’un quelconque incident en lien avec ses opinions politiques alléguées.

Partant, il ne résulte d’aucun élément concret et tangible soumis en l’espèce que Monsieur … aurait subi des persécutions dans son pays d’origine en lien avec ses opinions politiques ni qu’il risquerait d’en subir de ce chef en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne ensuite les autres incidents qui seraient liés à son appartenance ethnique, à savoir l’agression subie, en premier lieu, en 2015 de la part de la police pour avoir écouté de la musique kurde, si celle-ci a effectivement un lien avec les critères de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, désignée ci-après par « la Convention de Genève », le tribunal constate qu’aussi condamnables que peuvent être les comportements adoptés par les policiers, il ne ressort toutefois d’aucun élément du dossier que ces mauvais traitements devraient se reproduire en cas de retour dans son pays d’origine, d’autant plus que le demandeur n’a pas fait état d’autres comportements blâmables de la part de la police turque envers lui, depuis ledit évènement de 2015 jusqu’à son départ en 2020, qui auraient un lien avec son ethnie kurde. Force est, de surcroît, de constater que le demandeur n’a pas porté plainte auprès d’un autre commissariat de police, respectivement auprès d’une quelconque autorité de son pays d’origine pour dénoncer les agissements répréhensibles qu’il invoque de la part desdits policiers. Or, la simple affirmation suivant laquelle il n’aurait pas vu l’intérêt de porter plainte n’est en tout état de cause pas suffisante pour conclure que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire du pays d’origine du demandeur n’auraient pas voulu ou pu l’aider ou lui offrir une protection adéquate, en l’absence de toute démarche effectuée à cet égard.

Quant à l’incident de 2016, lors duquel les forces de l’ordre turques ont braqué une arme sur lui en le découvrant dans la cour intérieure de son domicile, il échet de relever en premier lieu, que le demandeur manque de démontrer qu’un tel agissement aurait un lien avec son appartenance ethnique et en second lieu, si certes l’attitude des forces de l’ordre peut paraître excessive, le demandeur a néanmoins expliqué que sa famille était restée dans la ville malgré un ordre d’évacuation générale en vue d’une opération militaire1. Dans la mesure où un tel acte n’est pas susceptible de se reproduire et ne s’est d’ailleurs pas reproduit jusqu’en 2020, il échet de considérer qu’il s’agit également d’un acte isolé.

Quant aux menaces de la population locale en 2017 que le demandeur impute, sans donner d’autres explications à ce propos, à l’hostilité de celle-ci envers les Kurdes, force est de constater qu’il s’agit de simples allégations non autrement étayées par Monsieur …, de sorte qu’il n’est pas établi en l’espèce que les problèmes ainsi rencontrés rentrent dans le champ d’application de la Convention de Genève ou de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, si le demandeur se prévaut encore, de manière générale, de la situation des Kurdes vivant en Turquie qui y feraient tous les jours l’objet de discriminations de la part des autorités turques, il échet de relever que la Cour administrative2 a déjà, à plusieurs reprises, retenu que la situation générale des Kurdes en Turquie n’est pas telle que tout membre de la minorité kurde puisse valablement se prévaloir d’une crainte fondée d’être persécuté du seul 1 Page 10 de son rapport d’audition.

2 Cour adm., 10 mars 2022, n° 46709C du rôle ; Cour adm., 12 mai 2022, n° 47147C du rôle ; Cour adm., 8 juin 2023, n° 48799C du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

fait de sa présence sur le territoire turc, sans que le demandeur n’ait invoqué en l’espèce un quelconque élément permettant de retenir le contraire, étant relevé que le renvoi dans son recours à un seul rapport de l’Immigration and Refugee Board of Canada du 14 juin 2012, prémentionné, n’est pas suffisant, d’autant plus que ce rapport ne peut dépeindre l’actualité en Turquie pour avoir été publié douze années auparavant.

Partant, les faits relatés par Monsieur … ne peuvent permettre de retenir qu’il risquerait de subir des persécutions en lien avec son appartenance ethnique en cas de retour en Turquie.

A cela s’ajoute qu’il ressort des déclarations du demandeur qu’il a entrepris de quitter son pays d’origine en 2020, non pas en raison des prédits évènements s’étant produits entre 2015 et 2017, mais principalement pour ne pas avoir à effectuer son service militaire3.

A ce propos, concernant la crainte du demandeur de faire l’objet de persécutions de la part des autorités turques en raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, il y a tout d’abord lieu de relever qu’une personne ne saurait être considérée comme réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat4.

Il convient encore de rappeler que la crainte de poursuites et d’un châtiment pour désertion ou insoumission ne peut servir de base à l’octroi du statut de réfugié que s’il est démontré que le demandeur se verrait infliger, pour l’infraction militaire commise, une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques5.

En outre, pour justifier leur opposition au service militaire, des personnes peuvent invoquer des raisons de conscience d’une force telle que la peine prévue pour l’insoumission ou la désertion puisse être assimilée à une persécution du fait de ces raisons de conscience6.

En l’espèce, il ressort du rapport d’entretien sur les motifs à la base de la demande de protection internationale du demandeur, ainsi que de sa requête introductive d’instance, que celui-ci tend à établir (i) que les peines prévues par la législation turque pour son refus d’effectuer le service militaire seraient à assimiler à une persécution du fait de ses raisons de conscience, caractérisées par ses convictions personnelles de pacifiste, (ii) qu’il risquerait de faire l’objet d’une sanction discriminatoire et disproportionnée en raison de son refus d’effectuer le service militaire du fait de son ethnie et (iii) qu’il risquerait d’être obligé, en cas de retour en Turquie, d’effectuer son service militaire sous des conditions discriminatoires en raison non seulement de son refus d’effectuer son service militaire, mais encore en raison de son ethnie kurde et de sa qualité d’objecteur de conscience à la base de son refus initial d’effectuer ledit service.

Or, le demandeur n’a pas démontré à suffisance que son aversion au service militaire serait motivée par un conflit personnel grave et insurmontable entre l’obligation de servir dans l’armée et sa conscience ou ses convictions sincères et profondes, de nature religieuse ou autre, ni expliqué en quoi ce conflit serait insurmontable et en quoi ses convictions profondes 3 Page 13 de son rapport d’audition.

4 UNHCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, décembre 2011, §§ 167 et ss.

5 Ibid..

6 Voir, p. ex. : Cour adm., 11 mai 2021, n° 45758C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

consisteraient exactement.

En effet, le demandeur a quitté la Turquie avant même de recevoir une convocation pour le service militaire et affirme qu’il refuserait de combattre les Kurdes respectivement de servir l’armée turque au motif que les Kurdes y seraient maltraités, sans décrire concrètement que son opposition au service militaire résulterait d’une conviction s’opposant radicalement à toute sorte de violence et atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance tel à tomber sous le champ d’application de la CEDH.

Il reste pareillement en défaut d’établir qu’il risquerait de se voir infliger des sanctions disproportionnées, dans l’hypothèse où il refusait effectivement de faire le service militaire, une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, en raison notamment de son appartenance à la minorité ethnique kurde, ni qu’il serait forcé d’effectuer son service militaire dans des conditions discriminatoires en raison de son ethnie, étant rappelé dans ce contexte, d’une part, qu’un Etat peut organiser sa défense et, par conséquent, exiger que ses nationaux accomplissent le service militaire et, d’autre part, que les procédures visant à obtenir une protection internationale n’ont pas pour finalité de permettre aux demandeurs de se soustraire à la justice de leur pays d’origine.

Il s’ensuit dès lors que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi du statut de réfugié au demandeur sur base du motif d’un refus d’effectuer son service militaire en Turquie.

Le recours est partant à rejeter en ce qui concerne ce premier volet.

En ce qui concerne le volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi, énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles atteintes graves se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Les conditions d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier de la protection subsidiaire.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où il ne prétend pas risquer la peine de mort ou de se retrouver dans une situation d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé, tels que prévu aux points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’il invoque risquer de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des atteintes graves sous forme de traitements inhumains et dégradants, le tribunal se limitera à examiner si les difficultés dont il fait état peuvent être qualifiées de risque de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens du point b) dudit article.

Or, au vu des considérations dégagées ci-avant au sujet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que le demandeur n’a pas établi être dans le collimateur des autorités turques en raison de son ethnie ou de ses opinions politiques, ni même pour refuser d’effectuer son service militaire, le tribunal ne saurait, en ce qui concerne lesdits motifs à la base de sa demande de protection internationale, se départir de ses conclusions alors qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que le demandeur encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité.

Par ailleurs, en ce qui concerne le comportement de la population locale en 2017, force est de constater que les menaces proférées à son encontre ne sont pas suffisamment graves pour être de simples menaces verbales non suivies d’un quelconque acte concret, de sorte qu’elles ne peuvent pas être non plus considérées comme permettant de retenir que le demandeur risquerait de ce chef de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres éléments, que le recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur … est à rejeter pour être non fondé.

2) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Principalement, le demandeur fait valoir que l’ordre de quitter le territoire encourrait la réformation comme conséquence de la réformation de la décision ministérielle portant refus de lui octroyer une protection internationale.

Subsidiairement, il fait valoir que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », dans la mesure où un retour en dans son pays d’origine entrainerait dans son chef un risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2) précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions pour prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, le ministre pouvait a priori valablement assortir le refus d’une protection internationale d’un ordre de quitter le territoire.

En ce qui concerne la demande subsidiaire de voir réformer l’ordre de quitter le territoire pour être contraire à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, qui renvoie à l’article 3 de la CEDH, aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. », le risque de subir des souffrances mentales ou physiques doit présenter une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour en Turquie, le tribunal a conclu ci-avant qu’il n’avait pas fourni d’éléments de nature à justifier dans son chef l’existence d’une crainte actuelle et fondée de subir des persécution ni de risques de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 b) de la même loi, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH7, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Turquie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 5 mai 2023 portant refus d’un statut de protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation contre l’ordre de quitter le territoire du 5 mai 2023 ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, 7 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 24 juin 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49022
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-24;49022 ?

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