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24/06/2024 | LUXEMBOURG | N°48698

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juin 2024, 48698


Tribunal administratif N° 48698 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48698 2e chambre Inscrit le 15 mars 2023 Audience publique du 24 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, sans domicile connu, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48698 du rôle et déposée le 15 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf Meynioglu, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi

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Tribunal administratif N° 48698 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48698 2e chambre Inscrit le 15 mars 2023 Audience publique du 24 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, alias …, sans domicile connu, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48698 du rôle et déposée le 15 mars 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Yusuf Meynioglu, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), alias …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, sans domicile connu, mais élisant domicile en l’étude de son litismandataire, préqualifié, sise à L-2449 Luxembourg, 49, boulevard Royal, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 février 2023 prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 juin 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en sa plaidoirie à l’audience publique du 26 février 2024.

__________________________________________________________________________________

Le 18 avril 2017, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit une première demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 », demande qui fut refusée par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », du 8 août 2017 et par laquelle il lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à compter du jour où ladite décision sera devenue définitive.

Le 13 septembre 2017, les autorités françaises sollicitèrent de leurs homologues luxembourgeois la reprise en charge de Monsieur … en vertu de l’article 18 (1) d) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », demande qui fut acceptée le 18 septembre 2017 sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.

Le 10 avril 2018, les autorités néerlandaises sollicitèrent de leurs homologues luxembourgeois la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par courrier du 17 avril 2018. Il ressort d’un rapport du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale du 23 août 2018 que Monsieur … fut transféré au Luxembourg le 16 août 2018.

Par courrier du 16 août 2018, notifié en mains propres à l’intéressé le même jour, Monsieur … fut convoqué à un entretien pour le 22 août 2018, en vue de l’organisation d’un retour volontaire dans son pays d’origine, ce qu’il refusa lors dudit entretien.

Il ressort du relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après désigné par « le CPL », du 1er novembre 2018 que Monsieur … fut placé en détention préventive, le jour en question, pour des faits de vol qualifié, de même qu’il ressort d’un relevé journalier du CPL du 6 mars 2019, qu’il fut libéré à la même date.

Il résulte d’un autre relevé journalier du CPL du 28 octobre 2020 que Monsieur … fut à nouveau placé en détention préventive, le jour en question, pour des faits de vol qualifié.

Le 17 décembre 2020, Monsieur … déposa une deuxième demande de protection internationale au cours de sa détention préventive, demande qui fut déclarée irrecevable par décision ministérielle du 31 décembre 2020.

Le 25 janvier 2021, Monsieur … introduisit, par l’intermédiaire de son mandataire, une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité sur base de l’article 78 (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Suivant un relevé journalier du CPL du 3 août 2021, Monsieur … fut libéré le même jour.

Monsieur … fut ensuite appréhendé à plusieurs reprises par la police grand-ducale en date des 5 février, 22 et 29 novembre 2022.

Il fut à nouveau placé au CPL en date du 28 décembre 2022 pour des faits de vol.

Par arrêté du 3 février 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre prononça à l’encontre de Monsieur … une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, cet arrêté étant libellé comme suit :

« […] Vu l’article 124 (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu les détentions préventives de l’intéressé ;

Vu ma décision de retour du 8 août 2017, lui notifiée par courrier recommandé du 10 août 2017 ;

Considérant que l’intéressé s’est néanmoins maintenu sur le territoire ;

Considérant que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;

Arrête:

2 Art. 1er.- L’entrée sur le territoire est interdite à la personne déclarant se nommer …, être née le … à … et être de nationalité algérienne, pour une durée de cinq ans, à partir de la sortie du territoire luxembourgeois ou à partir de la sortie de l’espace Schengen. […] ».

Par arrêté séparé du même jour, également notifié à l’intéressé en mains propres le 3 février 2023, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Par un jugement du tribunal administratif du 20 février 2023, inscrit sous le numéro 48532 du rôle, le recours contentieux introduit contre l’arrêté de placement en rétention du 3 février 2023 fut rejeté.

Par arrêté du 1er mars 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le 3 mars 2023, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté de prorogation du placement en rétention de Monsieur … du 1er mars 2023 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 17 mars 2023, inscrit sous le numéro 48666 du rôle.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 mars 2023, inscrite sous le numéro 48698 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté ministériel du 3 février 2023, précité, lui interdisant l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff, ci-après désigné par « le CPU », du 27 mars 2023 que Monsieur … y fut placé en détention préventive le même jour pour des faits de vol qualifié.

Par ordonnance du 3 avril 2023, inscrite sous le numéro … du rôle, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg ordonna la mise en liberté provisoire de Monsieur …. Il ressort d’un relevé journalier du CPU du 4 avril 2023 que l’intéressé fut libéré et transféré au Centre de rétention à cette même date.

Par arrêté du 4 avril 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Le recours contentieux introduit contre l’arrêté de placement en rétention de Monsieur … du 4 avril 2023 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 17 avril 2023, inscrit sous le numéro 48829 du rôle.

Il ressort d’un rapport d’éloignement du service de police judiciaire, section …, du 13 mai 2023 que Monsieur … fut éloigné vers le Maroc le même jour. Le 15 mai 2023, il fut signalé dans le système d’information Schengen (SIS) avec la mention que l’entrée sur le territoire Schengen devait lui être interdite.

Concernant le recours introduit contre l’interdiction d’entrée sur le territoire, étant donné que l’article 124 (2) de la loi du 29 août 2008 sur base duquel l’arrêté litigieux du 3 février 2023 a été pris dispose que « […] Les recours prévus aux articles 113 et 114 sont applicables », et que l’article 113 de cette même loi prévoit un recours en annulation à exercerdevant le tribunal administratif dans les formes et délai ordinaires, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce, recours qui est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … indique qu’il serait un ressortissant marocain, qu’il a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg qui n’a pas abouti et qu’il se serait maintenu sur le territoire luxembourgeois par des « concours de circonstances ». Il aurait rencontré sa compagne, Madame …, avec laquelle il aurait eu l’enfant …, née le … à Luxembourg. Il aurait ainsi des attaches familiales fortes au Luxembourg. Il aurait entamé toutes les démarches pour épouser Madame …, avec laquelle il aurait une relation amoureuse durable, sérieuse et de longue date. Celle-ci disposerait d’un logement adéquat et accepterait de le prendre en charge à hauteur de 400 euros. Il reprend ensuite les rétroactes tels que mentionnés ci-avant.

En droit, le demandeur se prévaut en premier lieu de l’article 112 (1) de la loi du 29 août 2008 pour faire valoir que la décision lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans ne serait pas justifiée, dans la mesure où sa concubine et future épouse Madame … et leur fille commune mineure, toutes les deux de nationalité polonaise, résideraient au Luxembourg, de sorte que l’unité familiale en serait ébranlée pour les cinq années à venir. Il estime, par conséquent, que le ministre n’aurait pas pris en considération les circonstances particulières de son affaire et conclut à la violation de la loi, ainsi qu’à celle de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », en précisant que ladite interdiction porterait un grave préjudice à l’exercice du droit à leur vie privée et familiale.

En s’emparant d’un jugement du tribunal administratif du 8 janvier 2009, inscrit sous le numéro 24574 du rôle, et après avoir admis s’être maintenu sur le territoire luxembourgeois démuni de tout titre de séjour, il affirme que le fait de l’empêcher de revenir sur ledit territoire serait disproportionné en raison de sa situation familiale et administrative au Luxembourg. En renvoyant aux rétroactes tels que développés ci-avant, il explique qu’il ne se serait pas maintenu au Luxembourg par sa propre volonté, mais qu’il y serait resté en raison de la négligence de l’autorité ministérielle, qui n’aurait pas procédé à son éloignement en 2017 ni lors de sa reprise en charge à la demande des autorités françaises ni lors de celle à la demande des autorités néerlandaises. Resté au Luxembourg, il aurait rencontré sa fiancée, avec laquelle il aurait entamé une relation sérieuse, qui durerait depuis cinq ans, et de laquelle serait issue leur fille.

Il aurait, à l’époque, commencé les démarches nécessaires afin d’obtenir sa carte d’identité nationale et son passeport auprès de son consulat, dans le but de régulariser sa situation administrative au Luxembourg et de se marier avec sa fiancée. Il fait valoir que si cette interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois restait maintenue, il n’aurait plus aucune chance de voir régulariser sa situation administrative et il serait dans l’obligation de rester définitivement au Maroc, où il ne serait plus retourné depuis plus de 21 ans. Il réitère le fait qu’il n’aurait pas eu l’intention de se maintenir sur le territoire luxembourgeois, mais qu’il aurait été dans l’impossibilité de retourner au Maroc, étant donné qu’il aurait été « en vadrouille » depuis 2003. En ce qui concerne les infractions lui imputées, il explique qu’il n’aurait pas pensé aux conséquences de ses actes et qu’il en aurait subi les conséquences pénales adéquates, ce qui l’aurait également maintenu par la force des choses sur le territoire luxembourgeois. Actuellement âgé de … ans, il souhaiterait régulariser sa situation administrative pour pouvoir s’occuper de sa fille. Il ajoute encore qu’il aurait complètement coopéré avec les autorités luxembourgeoises et ne se serait jamais soustrait auxdites autorités.

Il retire de ces explications la conclusion que l’interdiction d’entrée sur le territoire pendant unedurée de cinq ans contreviendrait au principe de proportionnalité et porterait gravement préjudice non seulement à son égard, mais aussi à celui de sa compagne et de sa fille mineure.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande de communication de l’intégralité du dossier administratif formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, force est de constater que concomitamment à son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif comprenant a priori l’ensemble des documents soutenant la décision déférée et que le demandeur n’a pas fait état d’éléments qui feraient défaut ni d’éléments qui lui permettraient d’affirmer qu’il n’aurait pas eu communication de l’intégralité du dossier administratif à la base du présent litige, de sorte que cette demande est à rejeter pour ne pas être fondée.

Le tribunal relève ensuite que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

A cet égard, le tribunal relève qu’il est saisi en l’espèce d’un recours en annulation dirigé à l’encontre de la décision du ministre du 3 février 2023 interdisant à Monsieur … l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans sur le fondement de l’article 124 (2) de la loi du 29 août 2008 et non pas sur celui de l’article 112 (1) de la même loi, tel qu’erronément indiqué dans le recours sous analyse.

Ensuite, il y a lieu de constater que l’article 124 de la loi du 29 août 2008 dispose, dans sa version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse, comme suit : « (1) Les décisions de retour qui comportent pour l’étranger un délai tel que prévu à l’article 111, paragraphe (2) pour satisfaire volontairement à une obligation de quitter le territoire ne peuvent être exécutées qu’après expiration du délai imparti […]. Si l’étranger ne satisfait pas à l’obligation de quitter le territoire dans le délai lui imparti, l’ordre de quitter le territoire peut être exécuté d’office et l’étranger peut être éloigné du territoire par la contrainte.

(2) Passé le délai visé au paragraphe (1) qui précède, une interdiction d’entrée sur le territoire conforme aux conditions prévues à l’article 112, paragraphe (1) est prononcée par le ministre à l’encontre de l’étranger qui se maintient sur le territoire et notifiée dans les formes prévues à l’article 110. […] ».

Il est constant en cause que Monsieur … n’a pas attaqué la décision ministérielle du 8 août 2017 lui refusant une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours à compter du jour où ladite décision sera devenue définitive, de sorte que celle-ci est coulée en force de chose décidée, et qu’il s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai lui imparti pour le quitter, soit pendant près de six années au moment de la prise de la décision litigieuse, ce que l’intéressé ne conteste d’ailleurs pas.

1 Cour. adm., 4 mars 1997, n° 9517C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 39 et les autres références y citées.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a pris à l’encontre du demandeur une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois, étant, à cet égard, relevé que, conformément à l’article 124 (2) de la loi du 29 août 2008, le maintien, par un étranger, sur le territoire luxembourgeois au-delà du délai lui accordé par une décision de retour pour quitter volontairement le territoire a pour conséquence automatique la prise d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire à son encontre, le ministre, investi d’une compétence liée, ne disposant d’aucun pouvoir d’appréciation quant au principe de la prise d’une telle décision, contrairement à la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée prononcée, pour laquelle il dispose d’un pouvoir discrétionnaire, sous réserve du respect du maximum légal de cinq ans2.

Si le demandeur entend, en affirmant qu’il aurait commis des infractions pénales mineures, contester la légalité de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre pour ne pas constituer une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, il échet de relever que l’existence ou non dans le chef du demandeur d’une telle menace n’a pas d’incidence sur la prise d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée inférieure à cinq ans sur le fondement de l’article 124 de la loi du 29 août 2008, au vu de son automaticité, tel que relevé ci-avant, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à l’argumentation fondée sur l’article 8 de la CEDH, celui-ci dispose que « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Dans ce contexte, il convient de relever que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats à contrôler l’immigration.

Ainsi, l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis. Pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que l’interdiction d’entrée sur le territoire perturberait de façon disproportionnée.

La notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existante, voire préexistante à l’entrée sur le territoire national3.

2 Trib. adm., 3 décembre 2015, n° 35823 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 732 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etranger, n° 479 et les autres références y citées.Or, le tribunal constate que ni dans les précédentes procédures ni dans la présente, le demandeur ne verse de preuves concrètes d’une relation stable avec Madame …, de sa paternité à l’égard de l’enfant …, des démarches qu’il aurait effectuées pour régulariser sa situation administrative ou de celles qu’il aurait entamées pour épouser Madame …, de sorte qu’il reste en défaut de fournir le moindre élément de preuve permettant d’apprécier l’existence d’une quelconque vie privée et familiale sur le territoire luxembourgeois. Partant, le moyen afférent est à rejeter pour manquer de fondement.

En ce qui concerne les contestations du demandeur concernant le caractère proportionné de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre en invoquant le fait qu’il aurait une relation amoureuse depuis cinq ans, qu’il aurait entamé les démarches pour épouser sa concubine, qu’un enfant serait issu de cette relation et qu’il voudrait pouvoir s’en occuper, il échet de rappeler que le ministre dispose, tel que mentionné dans les développements qui précèdent, d’un pouvoir discrétionnaire pour la fixation de la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire.

Le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe toutefois pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision4.

Or, force est de constater que, contrairement à ce que le demandeur affirme, il n’a pas coopéré avec les autorités luxembourgeoises, étant donné qu’il les a induites en erreur en fournissant, au moment du dépôt de sa première demande de protection internationale, une fausse identité et une fausse nationalité, identité qu’il a prétendu posséder pendant près de quatre années, soit de 2017 à 2022, jusqu’à ce que sa véritable identité soit mise à jour tel que cela ressort du rapport de police n° … du 5 février 2022. Le demandeur ne peut dès lors pas raisonnablement reprocher aux autorités luxembourgeoises d’avoir contribué à son maintien en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois en ne procédant pas à son éloignement vers son pays d’origine. Par ailleurs, pendant sa présence sur le prédit territoire, Monsieur … a commis plusieurs infractions pénales, ce qui a conduit le ministre à considérer qu’il constituait une menace pour l’ordre public. A cela s’ajoute que le tribunal a retenu dans les développements qui précèdent que le demandeur était resté en défaut de démontrer l’existence d’une quelconque vie privée et familiale au Luxembourg, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce stade de son analyse de ses précédentes conclusions.

Au regard des circonstances de l’espèce, le tribunal est amené à retenir que le ministre n’a pas dépassé sa marge d’appréciation en assortissant sa décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans, interdiction qui n’est pas disproportionnée et dont la durée ne dépasse pas celle prévue à l’article 124 (2) de la loi du 29 août 2008, précité, de sorte que le moyen du demandeur y afférent encourt le rejet pour être non fondé.

4 Trib. adm., 27 février 2013, n° 30584 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 729 et les autres références y citées.Au vu de ce qui précède et à défaut d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

rejette la demande en communication de l’intégralité du dossier administratif ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 24 juin 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48698
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-24;48698 ?

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