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17/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50551

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2024, 50551


Tribunal administratif Numéro 50551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50551 1re chambre Inscrit le 6 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50551 du rôle et déposée le 6 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux

embourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de n...

Tribunal administratif Numéro 50551 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50551 1re chambre Inscrit le 6 juin 2024 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50551 du rôle et déposée le 6 juin 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 mai 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 juin 2024.

Il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’une demande de désignation d’un administrateur ad hoc du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », que Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », mineur à l’époque, arriva au Luxembourg le 25 janvier 2019 et qu’il résidait également depuis cette date au Foyer ….

Par ordonnance du 31 janvier 2019, le juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna Maître Arnaud Ranzenberger administrateur ad hoc de Monsieur ….

Le 12 février 2019, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par courriel du 21 février 2019, l’assistante sociale du « service mineurs-non accompagnés et Foyers … et … » informa le ministère que Monsieur … avait quitté le territoire luxembourgeois le 19 février 2019.

Il ressort de deux rapports de la police grand-ducale des 24 et 27 février 2019 que Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre dans le cadre d’un vol à l’étalage le 24 février 2019 et fut transporté au foyer « … » le même jour.

Par courriel du 25 février 2019, un employé de la Croix-Rouge informa le ministère que l’intéressé avait disparu dudit foyer.

Il se dégage d’une note de l’agent en charge du dossier de Monsieur … que ce dernier ne s’était pas présenté à une audition prévue pour le 21 mars 2019 et qu’il était disparu du « Foyer Mersch depuis le 20.02.2019 selon Info OLAI ».

Le 25 mars 2019, les autorités allemandes adressèrent aux autorités luxembourgeoises une demande de prise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III », demande qui fut acceptée par ces dernières en date du 29 mars 2019.

Par courrier du 29 mars 2019, les autorités allemandes informèrent leurs homologues luxembourgeois que le transfert de l’intéressé ne pouvait être exécuté en raison de la disparition de Monsieur ….

Par décision du 3 avril 2019, notifiée à l’intéressé par affichage public, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa demande de protection internationale était considérée comme implicitement retirée, conformément à l’article 23 (2) b) de la loi du 18 décembre 2015.

Des demandes de reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III furent adressées aux autorités luxembourgeoises par leurs homologues (i) danois en date du 16 décembre 2019 et (ii) suédois en date du 19 décembre 2019, demandes qui furent refusées par courriers séparés des 23 et 24 décembre 2019.

Le 11 novembre 2021, les autorités allemandes adressèrent aux autorités luxembourgeoises une demande de prise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui fut également refusée en date du 12 novembre 2021.

Il ressort du rapport de la police grand-ducale, Région Nord – C3R Ardennes, du 25 mai 2024, référencé sous le numéro 2024/21864/612/ZOPO, qu’à cette date Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre dans le cadre d’un vol par effraction et qu’à cette occasion, il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé, de manière non contestée, le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à son encontre.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. L’arrêté afférent est libellé comme suit :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no 2024/21864/612/ZOPO du 25 mai 2024 établi par la Police grand-

ducale, Région Nord, C3R Ardennes ;

Vu la décision de retour du 25 mai 2024, lui notifiée le même jour, assortie d'une interdiction d'entrée de 5 ans ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Suite à une recherche effectuée en date du 28 mai 2024 dans la base de données EURODAC, il s’avéra qu’après l’introduction de sa demande de protection internationale au Luxembourg le 12 février 2019, l’intéressé avait encore introduit des demandes de protection internationale (i) aux Pays-Bas en date du 4 juillet 2019, (ii) au Danemark en date des 10 décembre 2019 et 22 décembre 2020, (iii) en Suède en date du 12 décembre 2019 et (iv) en Allemagne en date du 9 octobre 2021.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juin 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 25 mai 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du « [m]inistre de l’Immigration et de l’Asile » pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier un placement en rétention.

Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre ayant pris la décision déférée – qui est le ministre des Affaires intérieures, et non pas le ministre de l’Immigration et de l’Asile, tel qu’indiqué erronément dans la requête introductive d’instance –, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 25 mai 2024, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite. Au contraire, le risque de fuite est corroboré par le comportement du demandeur, alors que (i) sa demande de protection internationale a été implicitement retirée au motif de sa disparition des foyers, respectivement du territoire luxembourgeois, (ii) son transfert par les autorités allemandes n’a pas eu lieu suite à sa disparition du territoire allemand, (iii) il a encore introduit cinq demandes de protection internationale aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède et en Allemagne entre juillet 2019 et octobre 2021 et (iv) il a fait usage d’un nombre impressionnant d’alias.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal rappelle qu’il se dégage du dossier administratif qu’en date du 28 mai 2023, les autorités luxembourgeoises ont effectué une recherche dans la base de données EURODAC, laquelle a révélé qu’après l’introduction de sa demande de protection internationale au Luxembourg le 12 février 2019, le demandeur avait encore introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas en date du 4 juillet 2019, au Danemark en date des 10 décembre 2019 et 22 décembre 2020, en Suède en date du 12 décembre 2019 et en Allemagne en date du 9 octobre 2021. Le 3 juin 2024, les autorités luxembourgeoises ont adressé à leurs homologues allemands une demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, demande qui a été refusée en date du 5 juin 2024 par ces derniers.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 17 juin 2024 par:

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 50551
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-17;50551 ?

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