La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/2024 | LUXEMBOURG | N°49020

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2024, 49020


Tribunal administratif N° 49020 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49020 2e chambre Inscrit le 8 juin 2023 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Madame …, connue sous différents alias, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49020 du rôle et déposée le 8 juin 2023 au greffe du tribunal administratif

par la société à responsabilité limitée WH Avocats SARL, établie à L-1630 Luxembourg, 46...

Tribunal administratif N° 49020 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49020 2e chambre Inscrit le 8 juin 2023 Audience publique du 17 juin 2024 Recours formé par Madame …, connue sous différents alias, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49020 du rôle et déposée le 8 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée WH Avocats SARL, établie à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Frank WIES, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, connue sous différents alias, déclarant être née le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Parina Maskeen, en remplacement de Maître Frank Wies, et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 février 2024.

Le 7 août 2019, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 8 août 2019, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion qu’elle avait précédemment déposé sous diverses identités des demandes de protection internationale en Slovénie en date du 8 décembre 2017, aux Pays-

Bas en date du 7 janvier 2018, en Allemagne en date des 23 mai 2018 et 3 décembre 2018 et en Croatie en date du 13 novembre 2018.

Le même jour, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Le 16 août 2019, le ministre contacta les autorités allemandes aux fins de la reprise en charge de Madame …, ce qu’elles acceptèrent le 20 août 2019.

Par décision du 19 septembre 2019, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’elle sera transférée vers l’Allemagne, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2019, inscrite sous le numéro 43623 du rôle, Madame … introduisit un recours à l’encontre la prédite décision ministérielle du 19 septembre 2019, dont elle fut déboutée par jugement du tribunal administratif du 25 novembre 2019.

Par requête séparée déposée en date du même jour, inscrite sous le numéro 43624 du rôle, elle introduisit encore une demande en institution d’une mesure provisoire tendant en substance à voir surseoir à l’exécution de son transfert vers l’Allemagne et à l’autoriser à résider au Grand-Duché de Luxembourg jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, qui fut rejetée par ordonnance du président du tribunal administratif du 10 octobre 2019.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, portant la référence …, du 28 novembre 2019 que Madame … fut transférée seule vers l’Allemagne en date du 22 novembre 2019. Il résulte d’un rapport du même service, du même jour, portant la référence …, que Madame … fut transférée en Allemagne sans sa fille mineure, alors que celle-ci faisait l’objet d’une mesure de placement provisoire dans un foyer la veille du transfert.

Le 18 octobre 2021, Madame … introduisit, à nouveau, auprès du service compétent du ministère une demande en obtention d’une protection internationale.

En date du même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-

Duché de Luxembourg.

Toujours le 18 octobre 2021, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

Le 29 octobre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues allemands en vue de la reprise en charge de Madame … en exécution dudit règlement.

La demande de reprise en charge de Madame … fut acceptée par les autorités allemandes en date du 2 novembre 2021.

Par décision du 25 janvier 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Madame … de sa décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Allemagne, sur base des dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 février 2022, inscrite sous le numéro 47012 du rôle, Madame … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 25 janvier 2022.

Par jugement du 9 mars 2022, le tribunal administratif considéra que la vie familiale entre Madame … et sa fille était digne de protection et qu’il ne résultait d’aucun élément que la vie privée et familiale de ces dernières puisse être réalisée ailleurs qu’au Luxembourg, la fille de Madame … étant autorisée à se maintenir sur le territoire luxembourgeois jusqu’à sa majorité, de sorte que la décision ministérielle litigieuse avait été prise en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-

après désignée par « la CEDH ». Par réformation, le tribunal désigna le ministre comme étant compétent en vertu de l’article 17 (1) du règlement Dublin III pour examiner la demande de protection internationale de Madame … et lui renvoya le dossier.

En date des 12 septembre et 28 octobre 2022, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 mai 2023, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 18 octobre 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Notons avant tout autre développement en cause que le 19 juillet 2018, votre fille mineure … a été déposée au Luxembourg et a par la suite introduit une demande de protection internationale en tant que mineure non accompagnée. Le 19 avril 2019, votre mandataire a informé les autorités luxembourgeoises que vous seriez demandeur de protection internationale en Allemagne et que vous souhaiteriez que votre fille vous y rejoigne. Suite à l’accord des autorités allemandes de prendre en charge de votre fille, son transfert avait été prévu pour le 14 août 2019. Or, le 6 août 2019, vous vous êtes présentée à la Direction de l’immigration et le transfert de votre fille a par conséquent dû être annulé. Le 7 août 2019, vous avez introduit une demande de protection internationale et vous justifiez ce changement de projet par le fait que votre demande de protection internationale introduite en Allemagne aurait été refusée « sodass mit (sic) nichts anders übrig blieb nach Luxemburg zu meiner Tochter zu kommen » (rapport du Service de Police Judiciaire du 8 août 2019).

3 Vous prétendez en outre auprès de la Police Judiciaire à l’occasion de cette première demande de protection internationale avoir quitté votre pays d’origine, la Tunisie, en 2007 en direction de la Libye, où vous auriez vécu jusqu’en 2017. En 2008, votre fille serait née et vous précisez dans ce contexte que le père de votre fille se trouverait toujours en Libye. En 2017, vous auriez été obligée de quitter la Libye parce que des inconnus seraient entrés chez vous et vous auraient violée. En 2017, vous auriez quitté la Libye avec votre fille à bord d’un avion à destination de la Turquie, avant de prendre un autre vol pour la Serbie. Par la suite, vous seriez entrée en Croatie, puis en Slovénie, où vous auriez à chaque fois dû donner vos empreintes, sans que vous n’ayez demandé une protection internationale dans un de ces pays.

Vous auriez continué votre trajet en séjournant pendant trois semaines en Italie, avant de passer par la France et la Belgique aux Pays-Bas où vous auriez introduit une demande de protection internationale. Les autorités néerlandaises vous auraient fait comprendre que vous devriez retourner en Croatie. Après cinq mois passés aux Pays-Bas, vous seriez partie introduire une demande de protection internationale en Allemagne, mais vous auriez par la suite regagné les Pays-Bas pour vous faire remettre votre passeport et vous auriez laissé votre fille auprès d’une connaissance en Allemagne. Les autorités néerlandaises vous auraient ensuite transférée en Croatie, où vous n’auriez cependant pas voulu rester sans votre fille.

Vous seriez du coup retournée en Allemagne à un moment où votre connaissance aurait déjà amené votre fille au Luxembourg parce qu’elle n’aurait plus voulu s’en occuper. Vous auriez par conséquent demandé aux autorités allemandes que votre fille puisse vous rejoindre, avant qu’elles n’auraient refusé votre demande de protection internationale.

Il ressort encore du rapport du Service de Police Judiciaire que vous êtes entrée en Allemagne le 22 mai 2018 et que vous y avez été fichée la même année pour « Falschbeurkundung ». Le 29 mai 2018, vous y avez introduit une demande de protection internationale qui a été « zügig abgelehnt ». Le 5 décembre 2018, vous y avez introduit une deuxième demande de protection internationale qui a également été refusée pour être « unbegründet ». Vous étiez en outre en possession d’une « Duldung » en Allemagne, valable jusqu’au 19 janvier 2019. Il ressortait encore de la comparaison de vos empreintes avec le système « Eurodac » qu’hormis au Luxembourg, vous avez aussi introduit des demandes de protection internationale en Slovénie, le 8 décembre 2017, aux Pays-Bas le 7 janvier 2018, en Allemagne les 23 mai et 3 décembre 2018 et en Croatie le 13 novembre 2018, après que vos empreintes y ont été enregistrées le 18 octobre 2017. Enfin, il ressort dans ce contexte de votre dossier administratif que vous étiez enregistrée en Allemagne sous les cinq alias suivants : …, née le … à …/Tunisie, …, née le … à …/Algérie, …, née le … à …/Tunisie, …, née le … en Tunisie et …, née le … en Tunisie.

Votre demande de protection internationale introduite au Luxembourg en date du 7 août 2019 n’a pas été analysée dans la mesure où la compétence dans ce contexte revenait aux autorités allemandes en vertu du règlement Dublin III. Par conséquent, vous avez été informée par décision du 19 septembre 2019, que vous seriez transférée en Allemagne. Le 22 novembre 2019, vous auriez dû être transférée en Allemagne ensemble avec votre fille, mais la veille de votre transfert, le Tribunal de la Jeunesse a prononcé une mesure de garde provisoire dans le chef de votre fille …, après que son administrateur ad hoc s’était adressé à ladite juridiction estimant que vous ne pourriez pas garantir pour la sécurité de votre fille. Vous avez par conséquent été transférée seule en Allemagne.

Le 18 octobre 2021, vous avez introduit une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg. Par décision du 25 janvier 2022, en vertu dudit règlement Dublin III, les autorités luxembourgeoises vous ont à nouveau informée qu’elles n’examineront 4 pas cette demande et que vous seriez transférée en Allemagne, Etat compétent pour le traitement de cette demande. Le 9 mars 2022, le Tribunal administratif a réformé cette décision estimant que le Luxembourg serait compétent pour l’examen de votre nouvelle demande de protection internationale.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire et le rapport d’entretien « Dublin III » du 18 octobre 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 septembre et 28 octobre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale et les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale, ainsi que la retranscription de l’entretien de votre fille … du 5 mars 2020.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous seriez revenue au Luxembourg le 16 octobre 2021 depuis l’Allemagne parce que votre fille se trouverait en danger au Luxembourg. Conviée à expliquer pourquoi vous demandez une protection internationale, vous répondez que vous auriez quitté la Libye à cause de la guerre et que vous seriez revenue au Luxembourg parce que votre fille aurait été placée dans un foyer par l’Etat et aurait subi un viol. Etant donné que vous ne seriez « pas d’accord » avec cela, vous n’auriez plus voulu rester en Allemagne.

Il ressort du rapport d’entretien Dublin III que vous seriez divorcée depuis 2012 et que votre ex-époux habiterait aujourd’hui en Libye, où vous auriez travaillé comme … dans des hôpitaux à Tripoli et Zaouïa jusqu’à votre départ en 2017. Vous précisez encore que le droit de garde de votre fille vous aurait été retiré pour maltraitances physiques et psychiques et qu’en 2019, vous auriez été placée en psychiatrie. En 2022, votre fille aurait été placée en psychiatrie et elle n’aurait « pas mal de problèmes ». L’agent de son foyer vous aurait en outre informé que « 2 africains » l’auraient violée. Avant votre arrivée au Luxembourg, vous auriez vécu pendant deux ans dans l’appartement d’une copine en Allemagne. Vous auriez laissé votre carte d’identité auprès d’une copine en Allemagne.

Il ressort du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022, que vous prétendez vous nommer … et que vous seriez de nationalité tunisienne, née le … à … en Tunisie, où vous auriez vécu jusqu’à votre départ pour la Libye en 2007. Vous seriez tombée enceinte en Libye suite à un viol et comme vous n’auriez pas eu le droit d’y accoucher, vous auriez conclu un mariage le … en Tunisie avec le dénommé …, de nationalité algérienne et vous auriez accouché de votre fille le 30 avril 2008 en précisant que vous auriez donné de l’argent à votre époux pour qu’il donne son nom à votre fille. Interrogée sur l’identité du père, vous répondez que vous ne le sauriez pas alors que « Nous étions un groupe de personnes mixtes. Pendant une soirée bien arrosée, il s’est passé quelque chose. J’ignore qui a fait quoi avec qui » (p. 5 du rapport d’entretien) en précisant toutefois que vous définiriez cet acte de viol étant donné que vous n’auriez pas été consentante. Vous précisez par la suite que vous ignoreriez qui serait le père de votre fille mais que vous seriez persuadée qu’il s’agirait d’un des jeunes présents ce « fameux soir » (p. 11 du rapport d’entretien). Par peur de représailles, vous seriez en outre incapable de vous exprimer sur ce qui vous serait arrivé ce soir, « En Libye, c’est compliqué » (p. 11 du rapport d’entretien), vous vous souviendriez toutefois que « quelqu’un me faisait 5 quelque chose » (p. 11 du rapport d’entretien), mais le lendemain, les autres femmes présentes vous auraient dit qu’il ne se serait rien passé. Une semaine après la naissance de votre fille, vous seriez retournée en Libye. Vous auriez divorcé en 2012. En 2017, vous auriez quitté la Libye en avion, moyennant votre passeport.

Après votre transfert en Allemagne en 2019, vous seriez revenue au Luxembourg en octobre 2021 parce que votre fille aurait été violée le même mois. Vous précisez dans ce contexte avoir été en contact téléphonique avec votre fille lorsque vous auriez séjourné en Allemagne mais ne pas encore l’avoir vue. Depuis ledit viol, elle n’irait plus à son « école spéciale » de manière régulière et elle aurait été placée pendant un mois en psychiatrie fermée ; elle aurait toutefois arrêté de fuguer.

Vous prétendez ensuite avoir introduit une demande de protection internationale parce que votre famille aurait tenté de vous tuer à cause de votre orientation sexuelle et qu’il serait impossible de vivre en Tunisie en tant que personne homosexuelle.

Premièrement, vous prétendez qu’avant votre départ de la Tunisie, votre famille aurait découvert que vous auriez eu une relation à l’université avec votre cousine paternelle, voire, copine, …. Vous vous seriez souvent vue dans le logement qu’elle aurait loué et vous précisez que les « gens autour » auraient été au courant de votre relation, d’autant plus que vous vous seriez embrassées en public, qu’« A l’amphithéâtre de l’université, on discutait de ça » (p. 15 du rapport d’entretien) et que … aurait expliqué à un homme qu’elle serait en relation avec vous. Vous prétendez aussi que tout le monde aurait appris votre relation homosexuelle parce que ledit jeune homme, après avoir été repoussé par …, l’aurait dit à tout le monde. Après que votre famille aurait été mise au courant de votre relation homosexuelle, vous auriez été frappée par vos parents et enfermée dans votre chambre. Trois ou quatre jours plus tard, en janvier 2007, votre frère … et votre mère vous auraient attaquée avec un hachoir pendant que vous auriez dormi. Vous précisez qu’il se serait agi d’une tentative de meurtre et que vous auriez reçu un seul coup qui aurait été destiné à votre tête. Or, dans la mesure où vous auriez dormi avec votre bras posé sur votre tête, vous auriez uniquement été blessée au bras. Après cette attaque, vos agresseurs seraient repartis, persuadés de vous avoir tuée. Vous rajoutez encore qu’il serait sûr et certain qu’ils auraient recommencé si vous étiez restée vivre chez eux.

Le lendemain, votre père et votre frère … seraient venus vous voir avant de vous conduire à l’hôpital, où … vous aurait mise en garde de ne pas parler de ce qui serait arrivé.

Après l’opération de votre bras fracturé, vous seriez restée à la maison pendant trois ou quatre mois, vous auriez été enfermée dans votre chambre pendant un mois et vous seriez régulièrement sortie de la maison pour vous rendre à votre physiothérapie.

En mai 2007, votre grand-père serait décédé et comme tout le monde aurait alors été « occupé » (p. 11 du rapport d’entretien), vous en auriez profité pour vous « enfuir » vers la Libye, dans le but de vous éloigner de votre famille et d’y gagner de l’argent pour pouvoir par la suite quitter ce pays. Vous dites que votre famille ne pourrait jamais oublier la relation homosexuelle que vous auriez eue et qu’il s’agirait pour elle d’une « question d’honneur, question de sang » (p. 12 du rapport d’entretien). En plus, si jamais vos parents ne feraient pas le « nécessaire » (p. 12 du rapport d’entretien), cela serait perçu comme un scandale par la grande famille et le danger proviendrait alors de vos oncles ou cousins, d’autant plus que votre famille serait très religieuse. A cela s’ajoute que votre famille n’accepterait jamais « Tout ce qu’il s’est passé dans ma vie » (p. 19 du rapport d’entretien) en faisant allusion à votre fille, vos relations avec les femmes et le fait que vous auriez fugué.

6 Deuxièmement, vous prétendez craindre l’Etat tunisien alors qu’il ne pourrait pas protéger les homosexuels et que la législation tunisienne serait « contre » (p.11 du rapport d’entretien) l’homosexualité. Une personne homosexuelle risquerait trois ans de prison en Tunisie. En outre, la société tunisienne n’accepterait pas l’homosexualité et vous seriez du coup obligée d’y vivre de façon cachée. Vous n’auriez pas connu de problèmes à l’université avec votre homosexualité parce qu’il se serait agi d’une petite institution et qu’uniquement vos amis de classe auraient été au courant. Vous prétendez aussi qu’après que les gens auraient appris votre relation avec …, tout le monde vous aurait ignorée.

Interrogée si vous ne pouviez pas vous installer dans une autre région de votre pays, notamment la capitale, vous répondez par la négative alors que vous n’auriez pas seulement des problèmes avec votre famille mais aussi avec « d’autres gens, c’est-à-dire la police » (p.

20 du rapport d’entretien). A cela s’ajouterait que vous seriez issue d’une grande famille qui serait présente partout. Vous seriez en plus fatiguée du fait de vous être cachée tout ce temps et la loi sur l’homosexualité concernerait toute la Tunisie.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Votre acte de mariage conclu à Tunis le … ;

- un extrait de votre acte de naissance émis le … ;

- la copie d’un diplôme du « Tunesisches Center Samah für fortgeschrittene Bildung » et sa traduction allemande, indiquant que vous avez entre 2011 et 2013 accompli avec succès les tests donnant droit à l’exercice du métier d’infirmier ; ainsi qu’un certificat de cette même institution informant que vous avez suivi avec succès vos années de formation de 2011 à 2014 ;

- la copie d’une lettre, et sa traduction allemande, qui aurait été émise … de … informant que vous y avez travaillé en tant qu’… de juin 2012 à avril 2013 ;

- une copie d’une attestation néerlandaise et sa traduction allemande informant que vous avez suivi un « Mind-Spring » en avril 2018.

A noter que vous précisez avoir reçu ces documents après les avoir demandés en 2019 à votre notaire. Vous ne seriez pas en possession de votre acte de divorce parce que vous devriez alors vous rendre en Tunisie pour le signer. Votre carte d’identité se trouverait chez une copine en Allemagne tandis que les autorités allemandes seraient en possession de votre passeport après qu’il vous aurait été confisqué lors d’un contrôle dans un bus, suivant votre retour dans ce pays depuis la Croatie.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit, alors que celui-ci est truffé de contradictions et de d’incohérences.

Il y a lieu de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par 7 lui alléguées, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’évaluation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Force est toutefois de constater que vos motifs de fuite doivent être réfutés alors que vos réponses incohérentes, combinées à votre comportement adopté depuis votre prétendue fuite de la Tunisie en 2007, sont incompatibles avec ceux d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et qui serait en besoin réel d’une protection.

En effet, conviée à expliquer les raisons vous ayant amenée à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, vous présentez différentes versions, en prétendant d’abord que vous n’auriez pas eu d’autre choix que d’introduire cette demande après que votre demande de protection internationale aurait été refusée en Allemagne, « sodass mit (sic) nichts anders übrig blieb nach Luxemburg zu meiner Tochter zu kommen ». A part le fait qu’il est faux que vous n’ayez pas eu d’autre choix alors que vous auriez notamment tout simplement pu accepter la décision des autorités allemandes, vous prétendez toutefois aussi que vous vous seriez sentie obligée de revenir au Luxembourg et d’y introduire par la suite une demande de protection internationale après que vous auriez appris que votre fille aurait été violée dans son foyer d’accueil et que vous n’auriez pas été d’accord avec cela. Vous n’auriez par conséquent plus voulu rester en Allemagne. Vous prétendez en outre avoir senti le besoin d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg en octobre 2021, parce qu’il y aurait la guerre en Libye, pays dans lequel vous auriez vécu et travaillé de 2007 à 2017. Enfin, vous développez au cours de votre entretien concernant vos motifs de fuite la théorie selon laquelle vous auriez introduit votre demande de protection internationale parce que vous seriez homosexuelle et que l’homosexualité serait interdite en Tunisie.

A ces incohérences flagrantes s’ajoute que, tel que relevé ci-avant, votre prétendu vécu n’est pas non plus compatible avec celui d’une personne persécutée ou à risque d’être persécutée dans son pays d’origine et ressentant un besoin réel de protection. Ce constat doit en premier lieu être dressé au vu de votre retour volontaire en Tunisie une année seulement après votre prétendue « fuite » du pays, dans le but de vous y marier de manière officielle et d’y être hospitalisée pour donner naissance à votre fille. Le fait que vous auriez par la suite, en tant que personne prétendument homosexuelle, décidé de vous installer sans raison apparente dans un autre pays musulman où l’homosexualité serait interdite et de surcroît en proie à une guerre civile, pour y travailler pendant dix ans en tant qu’… tout et en y étant mariée à un homme qui vivrait toujours en Libye, ne permet manifestement pas non plus de retenir une quelconque urgence dans votre chef de rechercher une forme de protection quelconque. Ce constat vaut d’autant plus qu’en se tenant aux dires de votre fille, vous n’auriez donc pas jugé utile ou nécessaire de fuir ce pays en guerre où l’homosexualité serait interdite, même après avoir envoyé votre fille avec une connaissance en direction de l’Europe, mais que vous-même auriez pour une raison qui vous est propre encore continué d’y vivre.

8 Ensuite, votre parcours subséquent en Europe ne permet pas non plus de contrecarrer cette image. Bien au contraire, l’introduction de six demandes de protection internationale dans cinq pays différents de l’Union européenne entre décembre 2017 et octobre 2021 (après que vos empreintes avaient déjà été enregistrées en Croatie le 18 octobre 2017), fait preuve d’un abus évident des procédures prévues en matière de protection internationale, alors qu’une personne réellement persécutée aurait évidemment été soulagée de pouvoir introduire sa demande de protection dans le premier pays sûr et dans les plus brefs délais, tandis que vous avez d’abord refusé de rechercher une protection en Europe avant d’entamer un voyage à travers l’Europe et en ne jugeant même pas nécessaire d’attendre la réponse des autorités à votre demande d’une protection internationale, comme notamment en Croatie.

Le constat que vous n’êtes nullement en besoin d’une protection internationale se trouve par ailleurs confirmé par le fait que vous avez selon toute logique et à supposer vos dires comme étant crédibles, quod non, déjà fait part de vos motifs de fuite dans le cadre de vos demandes de protection internationale introduites ailleurs en Union européenne. Vos motifs de fuite ont donc de toute façon déjà été traités et analysés par les autorités d’un ou de plusieurs pays membres de l’Union européenne et n’ont pas amené ces dernières à vous octroyer une protection internationale.

Que vous êtes pour le surplus fichée en Allemagne pour « Falschbeurkundung » avant de vous décider à y introduire deux demandes de protection internationale, de même que vous y êtes fichée sous pas moins de cinq identités différentes prouve davantage le peu sérieux de votre comportement et de vos démarches en Europe, respectivement, démontre que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire octroyer une protection internationale. En plus, étant donné qu’il ressort de votre dossier administratif qu’en date du 19 juillet 2019, la « Hansestadt Hamburg » vous a demandé votre passeport on peut pareillement supposer que contrairement à vos dires, les autorités allemandes ne sont donc pas en possession de votre passeport, mais que vous avez tout simplement décidé d’inventer cette histoire de passeport pour éviter de devoir le montrer aux autorités luxembourgeoises et ainsi empêcher ces dernières de se faire une idée sur votre véritable vécu avant votre arrivée au Luxembourg. Le 28 avril 2023, les autorités allemandes ont d’ailleurs confirmé qu’elles sont uniquement en possession d’une copie de votre passeport.

Le constat que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités en Europe se trouve davantage confirmé suite à la lecture de l’entretien de votre fille. En effet, selon cette dernière et contrairement à vos dires sur votre vécu, depuis la Libye, vous auriez envoyé votre fille avec une copine en direction de l’Europe tandis que vous-même auriez décidé de continuer à rester vivre en Libye pour une raison inconnue. Elle prétend en outre être née en 2005 mais que vous lui auriez expliqué qu’elle devrait indiquer la date de naissance de 2008 pour retarder son éloignement vers la Tunisie.

De plus, il s’agit de soulever que l’histoire de la prétendue découverte de votre prétendue homosexualité par votre famille n’emporte pas conviction non plus alors qu’il n’est premièrement pas plausible du tout que deux femmes homosexuelles tunisiennes décident, en 2007, de vivre librement leur relation amoureuse en Tunisie, où comme vous le précisez l’homosexualité serait interdite, en s’affichant publiquement ensemble et en s’embrassant en public « devant tout le monde » (p. 15 du rapport d’entretien) à l’université, respectivement au hammam, sans connaître de quelconques conséquences. Le fait que vous prétendez pour le surplus avoir agi de cette façon afin de vous « venger de ma famille » (p. 15 du rapport d’entretien) ne permet manifestement pas de donner plus de sens à vos dires. Surtout, conviée 9 par l’agent chargé de votre entretien à expliquer comment vous auriez bien pu vous venger de votre famille en embrassant votre copine, votre réponse selon laquelle « Je n’ai pas eu peur d’eux à ce moment-là. A ce moment, j’étais capable de faire n’importe quoi » (p. 16 du rapport d’entretien), ne permet pas non plus d’en tirer un sens quelconque, ni de rendre vos dires plus plausibles.

Un tel comportement paraît d’autant moins plausible que votre prétendue petite-amie … aurait, comme vous, eu peur que sa famille soit mise au courant de son homosexualité, mais aurait donc tout de même jugé bon de notamment vous embrasser en public et d’informer d’autres étudiants sur votre relation. Force est par ailleurs de constater que vos tentatives de justification d’un tel comportement ne tiennent pas non plus la route et se contredisent. En effet, vous prétendez d’abord de manière non plausible qu’à aucun moment vous n’auriez pensé que votre famille aurait pu découvrir votre homosexualité ou votre relation homosexuelle, respectivement, qu’elle serait mise au courant de cette relation, en vous comportant de telle façon en public. Or, dans le cadre de la relecture de votre entretien, vous avancez soudainement la théorie selon laquelle vous n’auriez en fait pas eu peur de votre famille et que « Je n’attendais que la bourse pour partir » (p. 16 du rapport d’entretien).

Finalement, vous prétendez que ni vous, ni … n’auriez eu peur que vos familles ne découvrent votre relation et vous vous expliquez votre comportement en public par de la simple immaturité.

Ajoutons encore dans ce contexte qu’étant donné que vous présentez vous-même votre famille comme étant très religieuse, il ne fait pas de sens non plus que vous prétendez que vous n’auriez tout simplement pas pris au sérieux les menaces d’une de vos cousines d’informer vos parents sur votre relation homosexuelle alléguée si vous n’y mettiez pas fin.

Vos déclarations quant à votre prétendue homosexualité, votre prétendue relation homosexuelle ou encore la prétendue découverte de celle-ci par vos parents sont en tout cas truffées d’incohérences et n’emportent par conséquent pas conviction. Ce constat vaut d’autant plus que, comme déjà susmentionné, il n’est dans un tel contexte pas crédible non plus qu’une personne homosexuelle qui voudrait éviter les lois répressives de son pays d’origine concernant l’homosexualité décide de s’installer pendant la prochaine dizaine d’années, et sans raison apparente, dans le pays musulman voisin où l’homosexualité serait pareillement interdite ; où elle aurait alors pour le surplus des relations sexuelles avec des hommes dans le cadre de soirées arrosées et déciderait même de rester dans ce pays après pourtant avoir envoyé sa fille en Europe [en se tenant aux déclarations de votre fille].

Concernant votre prétendu vécu en Libye et le prétendu viol dont vous y auriez été victime, force est en outre de constater que vos déclarations ne sont pas concordantes. Ainsi, vous prétendez initialement que vous auriez été obligée de quitter la Libye en 2017 parce que des inconnus seraient entrés chez vous et vous auraient violée. Or, vous prétendez par la suite qu’en fait, « Nous étions un groupe de personnes mixtes. Pendant une soirée bien arrosée, il s’est passé quelque chose. J’ignore qui a fait quoi avec qui », de sorte que vous ne vous rappelleriez en fait plus du tout de ce qui se serait passé, à part le fait que vous seriez « convaincue que l’un d’entre eux est l’auteur de ce viol. Encore une fois, je suis incapable d’exprimer ce qu’il m’est arrivé par peur des représailles. En Libye, c’est compliqué » tout en vous souvenant étonnement que « quelqu’un me faisait quelque chose ». Hormis l’absurdité de cette dernière excuse, alors que vous ne vous trouvez plus en Libye et que vous ne devriez évidemment pas subir des quelconques représailles au Luxembourg pour parler de ce qui vous serait arrivé en Libye, force est en tout cas de constater qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à votre récit totalement décousu et vague concernant le prétendu viol subi.

10 Ce constat vaut d’autant plus que vous présentez initialement votre grossesse et votre fille comme le résultat de ce viol. Or, votre fille est née en 2008, de sorte qu’il fait évidemment encore moins de sens de prétendre, comme vous l’avez fait initialement, que vous auriez dû fuir la Libye en 2017 parce que vous y auriez été violée par des inconnus qui seraient entrés chez vous. Ensuite, vous changez toutefois de version, en prétendant qu’en fait, vous ne sauriez pas si ledit « viol » pendant la soirée arrosée aurait conduit à votre grossesse. Vous expliquez du coup entre les lignes avoir eu d’autres relations sexuelles avec un - ou plusieurs autres hommes tout en ne vous rappelant pas de l’identité du père biologique de votre fille.

Au vu de tout ce qui précède, il est en tout cas établi qu’aucune sincérité ne saurait être accordée à votre récit totalement vague et à vos dires qui soit se contredisent, soit sont incohérents, soit ne sont tout simplement pas plausibles.

Le non-sérieux de votre demande de protection internationale est pareillement souligné par l’histoire manifestement peu convaincante aux termes de laquelle vous auriez survécu à une tentative de meurtre de votre famille en Tunisie en 2007. En effet, il n’est clairement pas crédible que des membres de votre famille aient voulu vous tuer lorsque vous auriez dormi en vous frappant avec un hachoir sur la tête, mais que vous auriez survécu à cet acte parce que votre bras se serait trouvé sur votre tête et aurait absorbé le seul coup reçu. Hormis votre description frôlant l’absurde de ce qui serait arrivé cette nuit, soulevons encore qu’il ne fait pas de sens non plus que vos agresseurs auraient estimé que vous seriez morte après avoir reçu ce coup unique sur le bras, théorie que vous avancez pour expliquer pourquoi vos agresseurs ne vous auraient frappée qu’une seule fois et vous auraient tout simplement laissée dans le lit et seraient repartis. Surtout, il ne fait aucun sens de prétendre que votre famille aurait voulu vous tuer, mais qu’elle vous aurait par la suite conduite à l’hôpital pour y être soignée et qu’elle vous aurait même emmenée pendant des mois chez un physiothérapeute pour rééduquer votre bras fracturé.

Enfin, il échet de constater que vous êtes par ailleurs restée en défaut de verser une quelconque pièce qui serait en mesure de prouver ne serait-ce qu’une partie de vos dires. En effet, depuis votre séjour en Europe en 2017 et du moins depuis votre séjour au Luxembourg en 2021, vous n’avez pas jugé utile de verser une pièce quelconque susceptible de prouver vos dires en lien avec vos prétendues craintes concernant un retour en Tunisie, votre prétendue homosexualité et vos relations homosexuelles passées, votre situation familiale ou vos problèmes familiaux, votre situation personnelle et professionnelle, respectivement, concernant votre vécu en Tunisie ou en Libye, mis à part la copie d’une lettre informant que vous auriez travaillé comme … en Libye de juin 2012 à avril 2013. Vous n’avez d’ailleurs même pas jugé utile de verser une pièce quelconque permettant de vous identifier, tout en précisant que votre carte d’identité se trouverait chez une copine en Allemagne. Notons encore à toutes fins utiles qu’au vu des copies de diplômes versées, il ne saurait d’ailleurs même pas être retenu que vous auriez effectivement vécu en Libye depuis 2007, respectivement, que vous n’auriez par la suite plus vécu en Tunisie alors que vous auriez donc suivi une formation d’… de 2011 à 2014 au sein d’une institution tunisienne et que vous auriez obtenu votre diplôme à Tunis en 2013 après avoir réussi avec succès votre « Abschlussprüfung ». Il n’est pas établi où vous auriez travaillé depuis 2014, respectivement, il ne saurait nullement être exclu que vous tenteriez depuis de trouver un travail en lien avec vos diplômes.

Au vu de tout ce qui précède, aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos dires et il doit être conclu que vous avez décidé de faire part d’un récit inventé de toutes pièces dans 11 le but évident de ne pas devoir mentionner les motifs familiaux, de convenance personnelle ou économiques qui fondent en réalité votre demande de protection internationale. De tels motifs ne sauraient toutefois pas justifier l’octroi d’une protection internationale.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Tunisie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2023, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 8 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 8 mai 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse indique être originaire de Tunisie, être athée et faire partie de la communauté LGBT+. Lorsque les membres de sa famille auraient découvert son homosexualité par le biais d’une de ses cousines qui aurait fréquenté la même université qu’elle, ils l’auraient frappée et l’auraient enfermée dans sa chambre. Une nuit, alors qu’elle aurait été en train de dormir, un de ses frères et sa mère l’auraient frappée sur le bras avec un objet tranchant, ce qui lui aurait occasionné de larges cicatrices. De ce fait, elle aurait dû effectuer plusieurs séances de physiothérapie, qui se seraient déroulées chez elle, étant donné qu’elle n’aurait plus eu le droit de sortir. En 2007, elle aurait profité du fait que les membres de sa famille aient été occupés par le décès de son grand-père pour s’enfuir de son pays d’origine et rejoindre la Libye. A son arrivée dans ledit pays, elle aurait été victime d’un viol lors d’une soirée pendant laquelle elle aurait été fortement alcoolisée. Trois mois après, elle aurait découvert qu’elle était enceinte. N’ayant pas accès à des soins lui permettant d’accoucher dans des conditions saines, elle aurait décidé de retourner en Tunisie pour accoucher. En date du 29 avril 2008, elle aurait contracté un mariage avec Monsieur … en Tunisie et le lendemain, elle aurait donné naissance à sa fille … en Tunisie. Elle aurait ensuite divorcé en Libye en 2012 et aurait élevé seule sa fille jusqu’en septembre 2017, date à laquelle elle aurait décidé de quitter la Libye avec sa fille en avion vers la Turquie. Depuis ce jour, elle aurait vécu un périple avec sa fille. Elle aurait ainsi eu à s’en séparer quelques semaines du fait d’une détention en Croatie. Elle aurait ensuite confié sa fille à une amie en Allemagne, qui l’aurait amenée au Luxembourg sans son consentement. En l’absence de toute personne adulte responsable pour elle, sa fille aurait été enregistrée auprès des autorités luxembourgeoises en qualité de mineure non accompagnée dans le cadre de sa demande de protection internationale. Lorsqu’elle serait retournée en Allemagne et qu’elle aurait été informée du lieu de séjour de sa fille, elle aurait demandé aux autorités allemandes de voirtransférer son enfant vers l’Allemagne. Après le rejet de cette demande, elle aurait décidé de se rendre au Luxembourg et y aurait déposé une demande de protection internationale le 7 août 2019, la demanderesse reprenant ensuite les rétroactes tels que présentés ci-avant.

Quant à la crédibilité de son récit, Madame … soutient que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation de ses déclarations, en lui reprochant d’oublier « le côté humain et émotionnel de l’histoire ». Dans ce contexte, elle rappelle la position du « Conseil de l’Europe du 4 mars 1996 au sujet de la preuve des faits, qui est totalement favorable au bénéfice du doute », selon laquelle il ne serait pas nécessaire de chercher la confirmation détaillée des faits invoqués, lorsque la crédibilité des déclarations du demandeur est suffisamment établie, et il faudrait lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s’y opposent.

A cet égard, la demanderesse rappelle en premier lieu qu’au vu du fait que les rapports établis par le service de police judiciaire ne seraient pas relus au demandeur ni même signés par celui-ci, ils n’auraient pas de force probante. Elle en conclut que les réponses fournies lors de son entretien devant un agent du ministère seraient cohérentes et ne pourraient être contredites par des informations générales, de sorte que la crédibilité globale de son récit ne pourrait être ébranlée.

Elle poursuit en affirmant, en ce qui concerne la sincérité de son récit, qu’elle n’aurait jamais eu de relation avec sa cousine paternelle, mais que celle-ci aurait fréquenté la même université qu’elle et la soupçonnerait de ce fait d’avoir révélé son orientation sexuelle à sa famille. Elle précise encore que la dénommée … n’aurait pas été membre de sa famille, mais aurait été locataire à côté de l’université et aurait été originaire d’un autre gouvernorat.

A propos des blessures qui lui auraient été infligées par sa famille suite à la découverte de son homosexualité, elle précise qu’elle aurait été enfermée depuis lors. Elle explique, à cet égard, avoir été frappée par sa famille avec, ce qu’elle suppose être, un hachoir et aurait montré ses cicatrices sur ses bras lors de son entretien. Elle aurait, en raison desdites blessures, suivi des séances de physiothérapie au domicile familial. Elle n’aurait pas pu sortir seule sans la présence de son frère.

Elle s’empare, par la suite, des articles 2 f), 39 et 42 (2) de la loi du 18 décembre 2015, pour faire valoir qu’en tant qu’athée et lesbienne, elle risquerait de faire l’objet d’une condamnation dans son pays d’origine, en soulignant que l’article 230 du Code pénal tunisien prévoirait jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour les personnes ayant des relations homosexuelles. L’article 226 du même code prévoirait également le délit d’« outrage public à la pudeur » et donnerait, en conséquence, plus de légitimité à la répression policière et/ou judiciaire contre les personnes LGBT+ envers toute expression d’affection amoureuse. Elle affirme qu’elle ne pourrait ainsi pas retourner en Tunisie car elle ne pourrait pas vivre librement ou encore afficher son orientation sexuelle au grand jour. A cet effet, elle renvoie à une publication de Human Rights Watch du 21 février 2023, intitulée « “Toute cette terreur à cause d’une photo” - Le ciblage en ligne et ses conséquences hors ligne pour les personnes LGBT au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », dans laquelle il serait fait état d’actes qui seraient commis par des acteurs étatiques et des particuliers pour piéger et harceler les personnes homosexuelles. Madame … estime que, dans de telles circonstances, sa crainte d’être persécutée serait fondée.

Concernant son retour qualifié de volontaire par le ministre en Tunisie pour s’y marier et y donner naissance à sa fille, la demanderesse explique qu’elle aurait été obligée d’y retourner au motif qu’elle n’aurait pas pu accoucher en toute sécurité en Libye. Monsieur … l’aurait accompagnée pour effectuer des démarches administratives et donner son nom de famille à l’enfant en échange d’une somme d’argent.

Quant à son installation en tant que lesbienne dans un pays musulman où l’homosexualité serait interdite, Madame … précise qu’elle n’aurait pas eu pour but principal de s’installer et de vivre en Libye. Elle aurait surtout voulu échapper à sa famille et se serait retrouvée coincée dans un pays en guerre, sans avoir les moyens financiers suffisants pour quitter ledit pays.

En ce qui concerne son inscription en Allemagne pour « Falschbeurkundung », elle soutient ne pas avoir fait usage de faux papiers dans ledit pays. Elle ajoute que les autorités allemandes seraient en possession de l’original de son passeport et ne le lui auraient pas rendu.

A propos des déclarations de sa fille, la demanderesse affirme encore que leurs versions correspondraient en tous points et qu’elle n’aurait pas demandé à sa fille de prétendre qu’elle serait née en 2008 étant donné que l’original de l’acte de naissance de cette dernière aurait été versé et démontrerait que l’année de naissance de sa fille serait bien 2008.

Ensuite, elle prend position sur les reproches du ministre concernant la publicité de sa relation avec la dénommée …. Elle indique, à cet égard, qu’elle n’aurait pas affiché son homosexualité en public mais seulement dans des salles à l’université. Celle-ci aurait été petite et aurait fermé ses portes à 20 heures. Lorsqu’elle aurait été en compagnie de …, elle n’aurait pas imaginé sa famille découvrir sa relation avec cette dernière et affirme, à ce propos, qu’elle serait persuadée que sa cousine l’aurait divulguée car elle aurait eu des doutes relatifs à cette relation.

Elle précise encore la chronologie des évènements ayant conduit à son départ de Libye, en expliquant qu’en 2007, elle y aurait été victime d’un viol après une soirée alcoolisée et qu’elle serait tombée enceinte, raison pour laquelle elle aurait demandé à Monsieur … de donner son nom de famille à sa fille, moyennant contribution financière. Elle précise qu’en 2017, elle y aurait de nouveau été victime d’un viol par des inconnus qui se seraient introduits chez elle. Comme son ex-époux vivrait toujours en Libye, elle aurait peur des représailles.

Concernant ses blessures au bras, elle précise encore qu’elles seraient le résultat de violences de la part de sa famille en raison de son homosexualité et qu’elle aurait montré les séquelles de l’agression subie. Elle n’aurait, par ailleurs, pas indiqué que ses agresseurs l’auraient prise pour morte, mais qu’ils l’auraient frappée et seraient repartis par la suite. Elle en conclut que sa description des faits ne pourrait pas être considérée comme « frôlant l’absurde ».

Enfin, concernant le reproche ministériel relatif à ses diplômes et le fait qu’il ne serait pas prouvé qu’elle aurait réellement vécu en Libye depuis 2007, Madame … fait valoir que ses diplômes contiendraient des tampons libyens, ce qui prouverait sa présence sur le territoire dudit pays.

En conclusion, elle fait valoir que son récit serait crédible et qu’en raison des persécutions qu’elle aurait subies du fait de son orientation sexuelle, sa crainte de subir despersécutions en cas de retour dans son pays d’origine serait fondée, et en conséquence, le statut de réfugié devrait lui être accordé.

Quant au refus de la protection subsidiaire, la demanderesse, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, donne à considérer, en reprochant au ministre de ne pas avoir pris position sur la protection subsidiaire, qu’elle aurait été victime d’atteintes graves en raison de son orientation sexuelle. Elle fait valoir que la situation actuelle en Tunisie concernant les personnes LGBT+ serait telle que celles-ci seraient détenues arbitrairement, harcelées en pleine rue, soumises à des mesures de répression et qu’elles subiraient des dénonciations sur la place publique par les forces de police mais aussi par les particuliers. Ces techniques seraient ainsi à qualifier de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’elle devrait bénéficier d’une protection subsidiaire.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il insiste sur le fait que le principe du bénéfice du doute ne pourrait pas être applicable à la demanderesse, dans la mesure où ses déclarations ne seraient pas cohérentes, que sa crédibilité générale n’aurait pas pu être établie et que le ministre aurait réfuté les différents éléments de son récit. Il précise encore que les affirmations de la demanderesse faites dans le cadre de son recours resteraient à être démontrées, étant donné qu’elle n’aurait versé aucune pièce permettant de prouver ses propos.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

15 a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Le tribunal relève qu’il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Madame … ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

En l’espèce, le tribunal ne partage pas les conclusions étatiques selon lesquelles l’intégralité de la crédibilité du récit de la demanderesse serait remise en cause.

En ce qui concerne l’absence de dépôt d’une demande de protection internationale dans les autres pays européens traversés, force est de relever de prime abord qu’un tel comportement 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.ne saurait automatiquement entraîner le refus d’une protection internationale, ni ne saurait-il entraîner le manque de crédibilité du récit d’un demandeur dans son intégralité. En effet, dans l’hypothèse contraire, et même s’il est raisonnable d’attendre d’une personne qui se sent réellement persécutée dans son pays d’origine, respectivement y ressent une crainte fondée de subir des atteintes graves, qu’elle dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr dans lequel elle arrive, tous les demandeurs de protection internationale ayant accédé par voie terrestre au territoire luxembourgeois et déposé une telle demande au Luxembourg pourraient se voir adresser un tel reproche, le pays étant enclavé parmi d’autres pays européens qui doivent nécessairement être traversés et qui peuvent être considérés comme pays sûrs. Par ailleurs, la demanderesse a expliqué de manière plausible son périple et il ne peut lui être reproché d’avoir eu pour but de se rendre aux Pays-Bas, et qu’en raison des circonstances liées à son enregistrement en Croatie, de son renvoi dans ledit pays par les autorités néerlandaises, du dépôt de deux demandes de protection internationale en Allemagne, et de la présence fortuite de sa fille au Luxembourg, elle ait décidé de s’y rendre pour déposer une demande de protection internationale.

Force est ensuite au tribunal de constater que les reproches du ministre à l’encontre de la demanderesse ne mettent pas en évidence de véritables contradictions ou incohérences sur les points fondamentaux de son récit, qui seraient susceptibles de mettre valablement en doute la réalité des faits invoqués par Madame ….

En effet, il convient de noter que la demanderesse, contrairement à ce que la partie étatique soutient, a été constante sur les raisons de sa fuite de son pays d’origine, à savoir la Tunisie. Il ressort ainsi de la fiche remplie lors du dépôt de sa première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 7 août 2019 qu’« En 2007, je quitté mon Pays après avoir tenté de me tuer de côtés de ma famille. […] », propos qu’elle a confirmé pendant l’entretien avec la police le 8 août 2019, lors duquel elle a précisé que « Im Jahr 2007 habe ich Tunesien nach Libyen verlassen. […] Ich musste Tunesien verlassen, da meine Familie mich umbringen will, da ich nach Libyen geflüchtet bin. […] ». Dans le jugement, précité, du 25 novembre 2019, il est encore indiqué que Madame … a exposé avoir dû quitter la Tunisie car son frère avait essayé de la violer et qu’elle avait eu une relation avec une femme en Tunisie. Elle a, ensuite, confirmé les motifs de sa fuite de la Tunisie lors du dépôt de sa demande de protection internationale le 18 octobre 2021, en inscrivant notamment sur la fiche relative aux motifs à la base de ladite demande, la tentative de meurtre perpétrée par sa famille et son homosexualité. Pendant ses entretiens devant un agent du ministère en date des 12 septembre et 28 octobre 2022, elle a ensuite expliqué plus amplement la tentative de viol commise par son frère et subie à l’âge de 15 ans2, ainsi que la tentative de meurtre3 commise par sa mère et un autre de ses frères en 2007 en raison de son homosexualité.

Par ailleurs, il ressort du contenu de la décision déférée que le ministre a fondé sa motivation sur des éléments tirés du récit de la demanderesse qu’il a interprétés de manière erronée pour remettre en cause la crédibilité globale dudit récit, notamment (i) la relation amoureuse qu’elle a eue avec la dénommée …, qu’elle a rencontrée à l’université, et que le ministre a considéré comme étant la cousine de Madame …4, (ii) le viol qu’elle a subi en Libye en 2007, ayant abouti à la naissance de sa fille en 20085, que le ministre a situé en 2017 et (iii) les circonstances de son accouchement en Tunisie que le ministre a qualifié de retour 2 Page 10 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

3 Pages 9-10 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

4 Page 14 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

5 Page 11 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.volontaire dans ce pays, alors que Madame … a expliqué qu’elle y était retournée pendant une semaine seulement pour enregistrer son mariage et accoucher de sa fille, étant donné qu’elle risquait la prison si elle accouchait d’un enfant illégitime en Libye6.

En outre, la décision ministérielle dénote une analyse tendancieuse des faits, dans la mesure où le ministre estime (i) qu’il ne serait pas plausible que deux femmes homosexuelles tunisiennes décident de vivre librement leur relation et que les explications de la demanderesse, selon lesquelles elle pensait que sa famille n’en aurait pas connaissance, qu’elle était immature et dans la défiance et qu’elle comptait sur son proche départ du domicile familial, ne « tien[draient] pas non plus la route et se contredi[raient] », (ii) qu’il ne serait pas crédible qu’une personne homosexuelle qui voudrait éviter les lois répressives de son pays d’origine concernant l’homosexualité « décide de s’installer pendant la prochaine dizaine d’années, et sans raison apparente, dans le pays musulman voisin où l’homosexualité serait pareillement interdite », alors même que la demanderesse a fourni des raisons plausibles à cet égard, à savoir s’éloigner de sa famille pour sauver sa vie et gagner de l’argent pour quitter la Libye7, (iii) que la description de la tentative de meurtre en 2007 « frôl[erait] l’absurde », qu’il ne ferait « pas de sens non plus » que ses agresseurs l’aient estimée morte après un coup unique sur le bras et que des membres de sa famille l’aient emmenée à l’hôpital et chez un physiothérapeute par la suite, bien que Madame … ait expliqué les circonstances de cet incident, notamment le fait que ses agresseurs, à savoir sa mère et son frère … avaient visé sa tête8 et qu’ils l’ont laissée enfermée dans sa chambre toute la nuit pensant qu’elle était morte ou mourante9, et que son père, qu’elle estimait être « quelqu’un de gentil, une personne correcte »10, et son frère … avaient décidé de l’aider, mais qu’elle ne connaissait pas leurs motivations à agir en ce sens11.

A cela s’ajoute (i) que Madame … a fourni un récit détaillé sur plus de vingt pages quant à son vécu tout en répondant à toutes les questions lui posées lors de son entretien, et ce de manière cohérente, sans se contredire quant au déroulement des différents faits et sans que ni le ministre ni le délégué du gouvernement apportent des éléments probants qu’elle aurait menti sur son vécu, (ii) qu’elle a pris amplement position dans son recours sur les points remis en cause par le ministre et (iii) qu’elle a présenté les pièces en sa possession, notamment son acte de mariage, son acte de naissance, ainsi que des documents concernant sa formation professionnelle, de sorte que le tribunal est amené à retenir que les doutes soulevés par le ministre ne sont pas de nature à établir de manière non équivoque un manque de crédibilité du récit de la demanderesse dans son intégralité.

Force est dès lors au tribunal de conclure que, dans la mesure où le récit de Madame … paraît globalement cohérent et plausible et qu’il n’est pas contredit par un quelconque élément objectif du dossier, il est à considérer comme crédible dans son ensemble, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre position sur les autres points soulevés par le ministre.

Ainsi, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision ministérielle sous analyse, dans la mesure où le ministre a, à tort, retenu un défaut de crédibilité du récit de Madame … et a, en conséquence, rejeté la demande en obtention d’une 6 Pages 2 et 4-5 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

7 Pages 9-10 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

8 Page 10 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

9 Pages 13-14 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

10 Page 14 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.

11 Page 14 du rapport d’entretien des 12 septembre et 28 octobre 2022.protection internationale dans son chef. Etant donné que, dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale de cette dernière, le ministre s’est arrêté à l’étape préalable de l’évaluation de la crédibilité de son récit, sans se prononcer sur le caractère fondé de la crainte de la demanderesse de subir des persécutions ou des atteintes graves, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le ministre actuellement compétent en vue d’un examen au fond de la demande de protection internationale de Madame …, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens de la demanderesse.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Principalement, la demanderesse expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale. A titre subsidiaire, elle estime que cet ordre encourrait la réformation au motif qu’il violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours introduit contre l’ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient d’annuler la décision ministérielle du 8 mai 2023 au motif que le ministre avait, à tort, retenu un défaut de crédibilité dans le chef de Madame … et, en conséquence, rejeté sa demande de protection internationale, et de renvoyer le dossier en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 8 mai 2023 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Madame … ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, déclare le récit de Madame … crédible et, en conséquence, annule la décision ministérielle du 8 mai 2023 et renvoie le dossier devant le ministre actuellement compétent en vue de se prononcer sur le caractère fondé de la crainte de subir des persécutions ou des atteintes graves invoquée par la demanderesse ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié, partant, annule, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 17 juin 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49020
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-17;49020 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award