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13/06/2024 | LUXEMBOURG | N°50458

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2024, 50458


Tribunal administratif N° 50458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50458 2e chambre Inscrit le 15 mai 2024 Audience publique du 13 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50458 du rôle et déposée le 15 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marlène Aybek, avocat à l

a Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Tribunal administratif N° 50458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50458 2e chambre Inscrit le 15 mai 2024 Audience publique du 13 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50458 du rôle et déposée le 15 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Marlène Aybek, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement assigné à résidence à …, sise à L-…, tendant, suivant son dispositif, à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision du ministre des Affaires intérieures du 29 avril 2024 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale et 2) « de la décision implicite de refoulement, respectivement expulsion sous-jacente à la décision du 29 avril 2024 prise par [le même ministre], chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers la France sous peu de temps » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mai 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marlène Aybek et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juin 2024.

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Le 27 février 2024, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit trois demandes de protection internationale en France 1en date des 27 janvier 2020, 26 septembre 2022 et 12 janvier 2024.

Le 4 mars 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 8 mars 2024, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues français une demande de reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers par courrier du 22 mars 2024.

Par décision du 29 avril 2024, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 27 février 2024 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 27 février 2024 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 4 mars 2024.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 27 février 2024, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit trois demandes de protection internationale en France en date des 27 janvier 2020, 26 septembre 2022 et 12 janvier 2024.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 4 mars 2024.

2Sur cette base, la Direction générale de l'immigration a adressé en date du 8 mars 2024 une demande de reprise en charge aux autorités françaises en vertu de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 22 mars 2024.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, la comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en France en date des 27 janvier 2020, 26 septembre 2022 et 12 janvier 2024.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Nigéria le 4 janvier 2020 muni d'un visa français et seriez entré en France en transitant par le Qatar. Vous auriez séjourné à Evreux du 5 janvier 2020 au 26 février 2024, d'abord dans un foyer pour réfugiés, puis avec votre compagnon. Vous auriez quitté la France parce que votre demande de protection internationale a été rejetée et vous auriez eu des problèmes avec votre logement. Vous auriez quitté également parce que vous auriez eu des problèmes avec vos compatriotes nigérians en raison de votre orientation sexuelle.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 4 mars 2024, vous mentionnez le fait que 3vous auriez dû dormir dans la rue, que vous auriez quelques problèmes de santé et que vous seriez mentalement stressé. Il y a cependant lieu de soulever que vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé actuel ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l'Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la France. Vous ne faites valoir aucun indice que la France ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions françaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos 4conditions d'existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la France, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction générale de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) de la décision ministérielle, précitée, du 29 avril 2024 de le transférer vers la France et 2) « de la décision implicite de refoulement, respectivement expulsion sous-jacente à la décision du 29 avril 2024 prise par [le même ministre], chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers la France sous peu de temps ».

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision du 29 avril 2024, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal contre la décision du 29 avril 2024 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner, recours qui est, par ailleurs, recevable pour 5avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation afférent.

A l’audience des plaidoiries, le tribunal a soulevé d’office la question de la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre une « décision implicite de refoulement, respectivement d’expulsion » qui serait sous-jacente à celle du 29 avril 2024 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner.

Tant le litismandataire de Monsieur … que le délégué du gouvernement se sont rapportés à prudence de justice.

Le tribunal se doit, à cet égard, de constater qu’en l’espèce, il n’existe pas de décision « de refoulement, respectivement expulsion », même implicite sous-jacente à la décision ministérielle de transférer le demandeur vers la France sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III. Par ailleurs, outre le fait que l’intéressé lui-

même reste en défaut d’établir l’existence d’un acte du ministre « chargeant la police judiciaire pour l’organisation matérielle de son transfert vers la France sous peu de temps », il convient encore de relever que n’ont pas la qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire par elles-mêmes des effets juridiques, les simples mesures d’exécution d’une décision administrative puisqu’elles ne sont pas susceptibles de produire un effet de droit indépendamment de la décision dont elles constituent l’exécution, la modification apportée à l’ordonnancement juridique étant l’œuvre de la décision exécutée1.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours dirigé contre une « décision implicite de refoulement, respectivement expulsion » est à déclarer irrecevable pour défaut d’objet.

A l’appui de son recours dirigé contre la décision ministérielle du 29 avril 2024, prévisée, et après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de celle-ci, le demandeur expose que suite au rejet de sa demande de protection internationale par les autorités françaises, ces dernières lui auraient enjoint de quitter le territoire tout en l’informant qu’il serait renvoyé dans son pays d’origine de manière forcée. Ce serait pour échapper à ce retour forcé vers le Nigeria et eu égard à son homosexualité qu’il aurait décidé d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

En droit, le demandeur conclut à une violation par l’autorité ministérielle des droits lui reconnus par les articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« Charte »), tout en insistant sur le fait que la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») aurait eu l’occasion de retenir que les Etats membres et corollairement les juridictions nationales ne pourraient initier un transfert dans le cadre du règlement Dublin III s’ils avaient des motifs sérieux de penser que celui-ci se heurte aux dispositions prévisées de la Charte. Il semblerait donc qu’une obligation positive était mise à charge des Etats membres de l’Union européenne en ce sens que chacun d’eux pris individuellement devrait veiller « à son respect ». Il s’ensuivrait qu’à partir du moment où les autorités luxembourgeoises avaient connaissance du fait que la France envisagerait de rapatrier le demandeur vers son pays d’origine, il leur incomberait de s’assurer que la mise en œuvre de cette mesure de rapatriement ne se heurte pas aux dispositions des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

1 Trib. adm. 29 février 2016, n° 35543 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes administratifs, n° 74, et les autres références y citées.

6 Or, le demandeur estime qu’il serait exposé, en cas de renvoi en France, à un risque d’expulsion forcée vers le Nigéria et ce, en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte puisqu’il risquerait de subir dans son pays d’origine un traitement inhumain et dégradant au sens desdits articles. Il s’appuie, à cet égard, sur un article du journal Le Monde, intitulé « Au Nigeria, 76 personnes ont été arrêtées pour avoir organisé un « mariage gay » », publié le 23 octobre 2023.

Au vu de ces considérations, il devrait être admis que la présomption de respect, par la France, des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale serait renversée, ce d’autant plus qu’il aurait été enjoint de quitter ledit pays volontairement sous peine de se voir expulsé par la force.

Le demandeur conclut en deuxième lieu que comme il risquerait d’être expulsé de force vers le Nigeria où il existerait actuellement une situation de violence aveugle, le ministre aurait dû faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre […] ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la France et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la France, en ce qu’il y avait introduit des demandes de protection 7internationale les 27 janvier 2020, 26 septembre 2022 et 12 janvier 2024 et que les autorités françaises avaient accepté sa reprise en charge le 22 mars 2024, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Il y a ensuite lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre de ce faire.

Le tribunal se doit de constater que le demandeur, qui ne conteste pas le fait que les autorités françaises ont accepté sa reprise en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, ni la compétence de principe de la France pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y réserver, ne se prévaut pas de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, du règlement Dublin III pour faire valoir l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en France, mais soutient que la décision de transfert serait contraire aux dispositions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en ce qu’il craint d’être refoulé par les autorités françaises vers son pays d’origine où il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants, tout en reprochant, par ailleurs, au ministre de ne pas avoir fait application de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen tenant à une violation par la décision ministérielle déférée de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, le tribunal est amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3,4.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – 2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 Ibidem, point. 79.

4 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

8réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20197, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019 que pour relever de l’article 4 de la Charte, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine8.

Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Toujours, suivant la jurisprudence de la CJUE et plus particulièrement de l’arrêt du 16 5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point. 95.

7 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.

8 Idem, pt. 92.

9février 20179, l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 201910 qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

Tel que relevé ci-avant, le demandeur n’invoque pas un risque d’encourir en France des traitements inhumains ou dégradants au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, nécessitant, tel que retenu ci-avant, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses, mais il se prévaut d’un risque de refoulement indirect par les autorités françaises vers son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Or, en ce qui concerne plus particulièrement et de manière générale le risque allégué d’un refoulement indirect, le tribunal constate tout d’abord que la décision critiquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine de Monsieur …, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y réserver, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence la France, a explicitement reconnu être compétent pour reprendre en charge le demandeur.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans son chef, d’un risque d’être renvoyé dans son pays d’origine alors même qu’il y encourrait un risque sérieux de subir des traitements inhumains et dégradants.

En effet, le demandeur ne fournit pas d’éléments de nature à démontrer que la France, en tant que Etat membre de l’Union européenne et signataire, entre autres, de la CEDH, du Pacte international des droits civils et politiques, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention de Genève, ne respecterait pas à son égard les droits et libertés prévus dans ces conventions et plus particulièrement le principe de non-refoulement, tel que consacré à l’article 33 de la Convention de Genève, et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation non autrement sous-tendue, et faite par le demandeur pour la première fois dans le cadre du recours sous analyse, suivant laquelle les autorités françaises lui auraient enjoint de quitter le territoire tout en l’informant qu’à défaut de partir volontairement, il serait renvoyé dans son pays d’origine de manière forcée, ce d’autant plus que dans le cadre de son entretien Dublin il a répondu à la question de l’agent compétent visant à savoir pour quelle raison il ne voulait pas retourner en France pour le 9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75. CJUE.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner et quelles conséquences un transfert vers ce pays aurait pour lui que « If I must go back in France, I would be like excluded from the community because I am in the LGBT community and the Nigerians in France know that, and I would be completely excluded, because all my friends and country people disregard me and don’t greet me anymore, they just ignore me » 11.

Par ailleurs, il n’appert de toute façon pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant, tel que relevé ci-dessus, précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only », le règlement Dublin III cherchant, en effet, à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

A cela s’ajoute qu’il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités françaises devaient néanmoins décider de le rapatrier vers son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, respectivement de l’article 33 de la Convention de Genève alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie et son intégrité physique, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droit adéquates12. Par ailleurs, même si toutes les voies de recours devaient être épuisées, il serait possible au demandeur de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme pour lui demander, sur base de l’article 39 de son règlement intérieur, de demander aux autorités françaises de surseoir à l’exécution du rapatriement jusqu’à l’issue de la procédure devant cet organe.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur qui, tel que relevé ci-avant, n’allègue pas que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale transférés en France sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III ne seraient systématiquement pas respectés en France, n’apporte pas non plus la preuve que son transfert vers la France l’exposerait à un retour forcé au Nigeria qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou qui interviendrait en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte sans qu’il puisse faire valoir ses droits à cet égard.

L’ensemble des considérations qui précédent amènent, dès lors, le tribunal à rejeter le moyen tiré d’une violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève pour être dénué de fondement.

En ce qui concerne, enfin, le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] », le tribunal précise que la 11 Page 4 du rapport d’entretien Dublin.

12 Voir article 26 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).

11possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201713.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge14, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration15.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport aux articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève que les prétentions du demandeur en relation avec sa crainte d’un retour forcé vers son pays d’origine qui serait contraire au principe de non-refoulement ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté, il y a lieu de conclure que le demandeur n’a pas mis en avant des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le recours en ce qu’il est dirigé contre une « décision implicite de refoulement, respectivement expulsion, sous-jacente à la décision du 29 avril 2024 […] » ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision ministérielle déférée du 29 avril 2024 de transférer le demandeur vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre la décision ministérielle déférée du 29 avril 2024 ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

13 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

14 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 60 et les autres références y citées.

15 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées 12 Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 13 juin 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50458
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-13;50458 ?

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