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10/06/2024 | LUXEMBOURG | N°48197

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2024, 48197


Tribunal administratif N° 48197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48197 1re chambre Inscrit le 21 novembre 2022 Audience publique du 10 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48197 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2022 par Maître Ibtiha

l El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour...

Tribunal administratif N° 48197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48197 1re chambre Inscrit le 21 novembre 2022 Audience publique du 10 juin 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48197 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 novembre 2022 par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Colombie), de nationalité colombienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 octobre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en sa plaidoirie à l’audience publique du 24 janvier 2024.

Le 13 novembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date des 16 novembre 2021, 11 janvier, 24 février et 12 mai 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 17 octobre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant 1non fondée tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 13 novembre 2019, sur base de la loi entretemps modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 13 novembre 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 16 novembre 2021 et des 11 janvier, 24 février et 12 mai 2022, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Vous signalez être de nationalité colombienne, être célibataire et originaire de … mais avoir dernièrement vécu dans une maison d'un ami à …. Entre 2009 et 2019, vous auriez travaillé comme chauffeur de taxi. Vous avez introduit une demande de protection internationale parce que vous craindriez d'être recherché ou de vous faire tuer par des narcotrafiquants.

Vous déclarez ainsi que, vers juin-juillet 2019, deux personnes inconnues vous auraient agressé dans votre taxi. L'un de vos agresseurs vous aurait agressé avec un couteau, tandis que le deuxième aurait, lorsque vous auriez tenté de vous enfuir, commencé à tirer sur vous avec son arme. Vous auriez continué à courir et auriez réussi à trouver refuge dans une maison.

Vous auriez alors appelé la police et un ami qui serait allé inspecter le taxi et qui aurait constaté que rien n'aurait été volé. A son arrivée, la police aurait fait son rapport et aurait conclu qu'il se serait agi d'un « vol normal. C'est normal qu'on vole les chauffeurs de taxi (…) C'est normal, il y a cinq ou six vols par jour (…) » (p. 22 du rapport d'entretien). Ensuite, vous auriez attendu le patron, respectivement, propriétaire du taxi pour lui rendre ses clés et vous seriez rentré chez vous. Vous précisez ne plus être retourné au travail, être parti à Jamundi et avoir vécu de façon cachée jusqu'à votre départ du pays en octobre 2019. Pendant ce temps, vous auriez parlé à des voisins qui vous auraient expliqué que des personnes suspectes roderaient autour de la zone en étant à votre recherche. De plus, vous auriez commencé à recevoir des appels de personnes inconnues vous signalant qu'elles seraient à votre recherche. A cela s'ajoute que le chauffeur de taxi avec lequel vous vous seriez partagés la voiture, aurait été tué et que vous seriez d'avis que ses agresseurs l'auraient confondu et que l'agression vous aurait été destinée.

Vous précisez en outre qu'un ami vous aurait raconté avoir fait des recherches et qu'il aurait découvert que l'agression dont vous auriez été victime aurait été la « conséquence du premier attentat. Que c'étaient les narcos, car ils ne laissent jamais de traces » (p. 7 du rapport d'entretien), ce qui vous fait dire que le cartel Cartel X serait le responsable de cette agression.

Concernant ce « premier attentat », vous précisez qu'il aurait eu lieu en octobre 2002, lorsque vous auriez été en train de parler avec des amis dans la rue et qu'« un jeune homme » 2(p. 7 du rapport d'entretien), voire, « ces personnes » (p. 7 du rapport d'entretien), membres d'un cartel de narcotrafiquants militaires, initialement appelé le cartel de …, devenu le cartel de Norte de Valle et actuellement nommé Cartel X, seraient apparus et auraient commencé à tirer sur votre groupe d'amis. Un de vos amis, ainsi qu'une femme inconnue, auraient été tués tandis que vous auriez été blessé par deux balles. Vous précisez encore qu'un de vos amis aurait répliqué en sortant son arme et en tirant sur vos agresseurs qui auraient du coup pris la fuite sur une moto. Vous auriez été amené à l'hôpital et opéré et auriez nécessité une hospitalisation d'une ou de deux semaines.

Vous expliquez ce premier « attentat » par le fait que des cousins de vos amis auraient fait partie d'un groupe dont auraient aussi fait partie des policiers et qui auraient eu l'habitude d'utiliser des vêtements de police pour voler des drogues auprès des narcotrafiquants et la revendre par la suite. Etant donné que les narcotrafiquants auraient été d'avis que vous seriez lié à ces voleurs de drogues, vous seriez tombé dans leur collimateur. Vous parlez en outre du fait d'avoir été victime d'un « attentat de sicaire » (p. 13 du rapport d'entretien), c'est-à-dire, « ils arrivent et ils ne regardent pas. Ils ne veulent pas laisser de témoins » (p. 13 du rapport d'entretien).

Après votre sortie d'hôpital, la police vous aurait dit de vous cacher et votre famille aurait reçu une lettre de …, un desdits cousins de vos amis, vous conseillant également de vous cacher parce que des personnes seraient à votre recherche. Vous expliquez qu'on vous aurait recherché parce que vous auriez survécu à leur attaque et que vous seriez par conséquent devenu un « témoin, un ennemi » (p. 13 du rapport d'entretien). Vous seriez alors resté pendant un mois, voire deux à trois mois, dans une maison avant de vous installer en janvier 2003 dans la maison du père de votre demi-frère à Bogota, où vous seriez resté jusqu'en 2004 (p. 2 du rapport d'entretien), voire, jusqu'en 2006 (p. 16 du rapport d'entretien). Un mois après votre départ pour Bogota, … aurait été tué dans un attentat. Pendant les trois ans passés à Bogota, vous seriez resté à la maison et vous vous seriez occupé des démarches pour recevoir un passeport. Vous précisez n'avoir rien fait pendant trois ans alors que votre mère et votre tante auraient subvenu à vos besoins et que vous auriez à l'époque uniquement détenu un bac.

Le 2 octobre 2006, vous seriez une première fois arrivé au Luxembourg et vous seriez resté pendant trois mois avant de rentrer vivre à …. Vous n'auriez à l'époque pas introduit de demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous n'auriez pas été au courant que cela existerait. Le 2 janvier 2007, vous seriez retourné à … avec votre grand-mère qui aurait également résidé au Luxembourg à ce moment, persuadé que la situation s'y serait calmée après quelques années. Suite à votre retour, vous auriez débuté vos études universitaires et vous auriez depuis vécu auprès de votre grand-mère dans la maison parentale. En 2009, vous auriez commencé à travailler comme chauffeur de taxi. Entre 2009 et 2019, vous auriez travaillé et eu une vie « normale » (p. 19 du rapport d'entretien). En 2010, vous auriez en outre fait une demande de protection policière, respectivement, vous auriez informé les autorités de votre « situation » (p. 20 du rapport d'entretien) dans le but « qu'il ait encore comme un antécédent » (p. 20 du rapport d'entretien) dans le cas où il vous arriverait quelque chose.

Pendant les trois prochaines semaines, la police aurait fait des tournées et vous aurait interrogé ainsi que votre grand-mère, mais par la suite, elle n'aurait plus rien fait. Vous ajoutez que le 5 octobre 2019, « Après que j'étais déjà ici au Luxembourg » (p. 7 du rapport d'entretien), des personnes seraient entrées dans votre maison maternelle à … à la recherche d'informations vous concernant. A ce moment, votre famille aurait subi encore « plus de terreur » (p. 7 du rapport d'entretien), de sorte que votre sœur et votre oncle auraient décidé de quitter cette maison. Votre grand-mère serait alors aussi venue au Luxembourg, mais serait entretemps 3retournée vivre en Colombie alors qu'il ferait trop froid ici et qu'elle souffrirait de problèmes de santé et de respiration.

Vous précisez aussi qu'en date du 5 octobre 2019, « on » aurait commencé à réfléchir ce qu'on devrait faire de vous et qu'à … « nous avons » (p. 7 du rapport d'entretien) parlé avec des policiers qui vous auraient expliqué que la seule chose à faire serait de quitter le pays alors que les personnes qui seraient à votre recherche détiendraient beaucoup de pouvoir et pourraient facilement vous localiser. Vous auriez du coup appelé votre tante au Luxembourg pour lui expliquer qu'est-ce qui vous serait arrivé et elle vous aurait fait comprendre que vous devriez quitter le pays parce que votre vie y serait en péril. Vous auriez fait votre demande d'un passeport et seriez pour cela sorti de la maison « un peu caché avec la casquette etc. » (p. 7 du rapport d'entretien). Un ami vous aurait par la suite acheté les tickets d'avion pour vous amener jusqu'en Europe et le 1er octobre 2019, vous auriez quitté le pays en avion en direction des Pays-Bas, avant de rejoindre votre cousin en Belgique, où vous seriez resté pendant une semaine pour vous reposer. Ensuite, votre famille au Luxembourg serait venue vous chercher à Arlon. Vous n'auriez pas immédiatement introduit votre demande de protection internationale parce que vous n'auriez pas été au courant de la possibilité de demander l'asile.

A l'appui de votre demande, vous présentez les documents suivants :

- Un passeport colombien émis le 12 juin 2019, une carte d'identité colombienne et la copie d'un acte de naissance colombien ;

-

une copie en langue espagnole d'un article découpé d'un journal, datant du 5 octobre 2002, qui informerait que vous auriez été blessé ;

-

des copies de documents médicaux en langue espagnole, datant de 2002 et une photo d'un extrait médical en langue espagnole, datant de 2014 ;

- une copie en langue espagnole de la demande de protection que vous auriez sollicitée auprès de la police, datant du 9 juillet 2010;

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des copies de documents concernant vos tickets de vol pour venir en Europe en 2019 ;

-

une copie de votre casier judiciaire colombien en langue espagnole et qui serait vierge ;

-

des photos qui montreraient l'intérieur de la maison parentale, après que des personnes inconnues y seraient entrées en 2019, à la recherche d'informations sur vous.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Monsieur, avant tout autre développement, je me dois de constater des incohérences dans votre récit qui ne permettent nullement de retenir comme établie la véracité de vos dires ou la gravité de votre situation en Colombie et qui permettent de se poser des questions quant aux véritables motifs vous ayant poussé à quitter votre pays d'origine et à venir introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Ce constat doit en premier lieu être dressé alors que votre récit ne fait aucun sens chronologiquement parlant. En effet, vous développez au cours de votre entretien concernant 4vos motifs de fuite le récit selon lequel en juin ou juillet 2019, vous auriez été victime d'un « attentat » et que vous auriez par la suite ressenti le besoin de vivre caché en Colombie jusqu'à votre départ du pays. Vous prétendez de plus qu'en date du 5 octobre 2019, des personnes seraient entrées dans votre maison maternelle à …, que votre famille aurait subi « plus de terreur » (p. 7 du rapport d'entretien) et qu'« on » aurait du coup commencé à réfléchir ce qu'on devrait faire de vous et qu'à … « nous avons » (p. 7 du rapport d'entretien) parlé avec des policiers qui vous auraient expliqué que la seule chose à faire serait de quitter le pays alors que les personnes qui seraient à votre recherche détiendraient beaucoup de pouvoir et pourraient facilement vous localiser. Vous précisez dans ce contexte que vous auriez alors fait votre demande d'un passeport pour quitter le pays en ressentant toujours le besoin de sortir « un peu caché avec la casquette etc. » de chez vous pour faire ces démarches. Selon votre version des faits, votre demande de passeport aurait donc été clairement postérieure, d'au moins trois ou quatre mois, à la prétendue agression que vous auriez subie en juin ou juillet 2019.Force est toutefois de constater que votre passeport a été émis le 12 juin 2019, de sorte à invalider l'ensemble de vos déclarations, étant donné que votre demande de passeport et du coup, votre envie de quitter la Colombie, auraient manifestement été antérieures à cette prétendue agression. Il faut en déduire que d'autres motifs que ceux indiqués aux autorités luxembourgeoises vous ont fait prendre la décision, bien avant ce 12 juin 2019, de quitter votre pays d'origine et de venir vous installer auprès de membres de votre famille au Luxembourg.

Dans ce même contexte il faudrait encore ajouter qu'il n'est de toute façon pas logique non plus qu'une personne qui serait réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et qui sentirait un besoin réel de protection subordonne son désir de fuite et ses prétendues craintes à l'envie de se voir remettre un nouveau passeport.

Surtout, il ressort aussi de votre passeport que vous avez officiellement quitté la Colombie en date du 1er octobre 2019, de sorte qu'il n'est donc tout simplement pas possible non plus que suite au prétendu incident du 5 octobre 2019, « on » ait commencé à réfléchir ce qu'on devrait faire de vous, que « nous avons » (p. 7 du rapport d'entretien) parlé avec des policiers à … qui vous auraient conseillé de quitter le pays et que vous auriez du coup téléphoné à votre tante qui vous aurait expliqué que votre vie serait en danger, vous poussant à faire les démarches pour vous faire remettre un passeport. Vous semblez d'ailleurs vous-même vous être rendu compte de ces incohérences grossières, puisque vous précisez tout aussi clairement dans le cadre de votre entretien que l'incident du 5 octobre 2019 aurait eu lieu « Après que j'étais déjà ici au Luxembourg » (p. 7 du rapport d'entretien), affirmation qui manifestement ne sert pas à invalider vos déclarations confuses alors que si vous étiez déjà au Luxembourg, évidemment, il ne fait aucun sens que vous ayez parlé avec la police laquelle aurait de surcroît conseillé à une personne ne se trouvant d'ores et déjà plus sur le territoire colombien de quitter le pays. Ce même constat vaut pour l'entretien avec votre tante qui vous aurait donc poussé à vous procurer un passeport à un moment où vous aviez déjà quitté le pays.

A cela s'ajoute qu'il n'est manifestement pas plausible non plus que vous tentez de relier la prétendue agression dont vous auriez été victime en 2019 à la prétendue agression dont vous auriez été victime en 2002. En effet, à part le fait que ces allégations reposent sur vos seuls dires non convaincants, respectivement, des « recherches » non autrement précisées ou définies de la part d'un ami, il s'agit de soulever qu'il n'est pas plausible que ces narcotrafiquants vous aient laissé tranquille pendant toutes ces années, mais que soudainement, en 2019, vous retomberiez dans leur collimateur pour une histoire vielle de dix-sept ans.

Ce constat vaut d'autant plus que vous précisez être retourné vivre à … en 2007 et que vous y auriez travaillé entre 2009 et 2019 en ne vous cachant à aucun moment de qui que ce 5soit et en ne faisant pas état du moindre incident dans lequel vous auriez été impliqué, tout en prétendant toutefois que les narcotrafiquants de l'époque feraient toujours partie de cartels, bien qu'ils auraient entretemps changé de nom et qu'ils seraient toujours présents à …. Vous n'avancez en tout cas aucune explication plausible et cohérente qui permettrait de comprendre pourquoi vous seriez retombé dans le collimateurs d'un cartel de narcotrafiquant dix-sept ans après avoir été prétendument touché dans un premier « attentat ». Dans ce contexte, précisons aussi que vous présentez deux versions différentes qui expliqueraient justement pourquoi vous vous trouveriez dans le collimateur de narcotrafiquants. D'un côté, vous prétendez que vous auriez été victime dudit « attentat » de 2002, parce que des narcotrafiquants auraient été d'avis que vous feriez partie du groupe de voleurs de drogues. Or, vous prétendez par la suite que vous vous trouveriez dans leur collimateur parce que vous constitueriez un « témoin, un ennemi » de ce premier attentat de « sicaire » et que les narcotrafiquants « arrivent et ils ne regardent pas. Ils ne veulent pas laisser de témoins » (p. 13 du rapport d'entretien).

Pour être complet sur ce sujet, notons encore que vous n'êtes pas non plus en mesure de corroborer vos dires par des quelconque preuves, respectivement, par des pièces authentiques et originales. En effet, soulevons d'abord que vous êtes jusqu'à ce jour resté en défaut de verser dans une des trois langues prévues par la loi, des traductions conformes des pièces en langue espagnole transmises. Il s'ensuit que ces pièces ne sauraient donc a priori pas être prises en compte dans la cadre de la présente décision. En outre, l'authenticité de ces pièces ne saurait évidemment pas être établie sur base de simples copies. De toute façon, force est aussi de constater que vous avez uniquement remis des documents en rapport avec le prétendu « attentat » de 2002, respectivement, en rapport avec votre état médical ou les blessures que vous auriez subies à l'époque, ainsi qu'avec votre demande de protection en rapport avec cet incident, en restant en défaut d'appuyer par une quelconque pièce les incidents de 2019 qui vous auraient poussé à quitter le pays. Or, non seulement cet incident datant d'une vingtaine d'années est définitivement trop éloigné dans le temps pour être pris en compte, respectivement, pour pouvoir justifier l'octroi d'une protection internationale en 2022, mais l'ensemble des pièces versées doit être perçu comme n'étant manifestement pas pertinent et ne permettant nullement de donner plus de poids à vos dires. Ce constat ne saurait manifestement pas être ébranlé par le versement de quelques photos anonymes, prises à des date et lieu inconnus, qui ne permettent nullement de corroborer vos dires, alors qu'elles montrent des images totalement insignifiantes de l'intérieur d'une maison, tout en étant versées sans le moindre commentaire ou remarque qui permettrait d'y voir plus clair, ces photos ne sauraient par ailleurs manifestement servir de preuve que vous ayez été la victime d'une agression armée dans votre taxi.

Force est partant de déduire que pendant les trois ans vécus au Luxembourg, vous n'auriez à aucun moment jugé utile ou opportun de vous procurer ou de vous faire parvenir des documents pertinents et actuels qui seraient en mesure de corroborer ne serait-ce qu'une petite partie de vos dires en rapport avec les problèmes que vous auriez rencontrés en 2019 et qui vous auraient poussé à quitter le pays. Votre comportement totalement inactif et passif dans ce contexte fait en tout cas preuve d'un désintérêt évident par rapport à votre demande de protection internationale et ne fait que confirmer les doutes retenus concernant votre crédibilité, alors qu'on doit pouvoir attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et vraiment à la recherche d'une protection internationale qu'elle entreprenne au moins tout ce qui est dans son pouvoir pour se procurer des pièces concluantes par rapport à ses dires et mette à disposition des autorités desquelles elle souhaite obtenir cette protection des preuves susceptibles de corroborer ses allégations.

6Quand bien même vos dires seraient à retenir comme étant crédibles, ce qui n'est pas le cas, et que vous auriez quitté la Colombie parce que vous craindriez de vous faire tuer par des narcotrafiquants du cartel des Cartel X, aucune suite positive à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée pour les raisons étayées ci-dessous.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

A supposer vos motifs de fuite comme étant établis, je soulève en premier lieu que les problèmes évoqués ne rentrent nullement dans le champ d'application de la Convention de Genève ou de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social.

En effet, vous prétendez vous être trouvé par hasard au mauvais moment lorsqu'en 2002, vous auriez été touché dans le cadre de ce premier « attentat » perpétré par des narcotrafiquants et vous prétendez avoir été visé dans le cadre du deuxième « attentat » de 2019, parce que lesdits narcotrafiquants vous considéreraient comme un « témoin, un ennemi » depuis que vous auriez survécu au premier attentat et qu'ils auraient l'habitude de se débarrasser de témoins. Vous n'auriez donc manifestement pas été visé sur base d'un des cinq critères susmentionnés, un constat qui vaut d'autant plus que vous ignoreriez qui exactement vous aurait agressé ou qui vous aurait dans son collimateur alors que vous supposeriez uniquement qu'il s'agirait des Cartel X sur base de « recherches » non autrement définies effectuées par un ami. Il en est de même des personnes inconnues qui auraient rodé pour une raison inconnue dans la zone d'habitation où se trouverait votre maison parentale ou d'appels anonymes que vous auriez reçus par des personnes ne se présentant à aucun moment mais se limitant à expliquer qu'elles seraient à votre recherche, ainsi que pour les personnes inconnues qui seraient entrées dans la maison parentale. En effet, vous ne sauriez pas qui seraient ces personnes ni pourquoi elles seraient à votre recherche, mais vous seriez uniquement d'avis que vos problèmes de 2019 seraient liés à vos problèmes de 2002.

7Il échet en outre de préciser qu'à part cette agression unique en 2019, au cours de laquelle il ne vous serait rien arrivé de grave, vous ne faites pas état du moindre incident dans lequel vous auriez été impliqué en Colombie depuis ce prétendu « attentat » de 2002, qui, comme susmentionné, est définitivement trop éloigné dans le temps pour être pris en compte.

Or, une seule agression par deux personnes inconnues ne revêt pas un degré de gravité tel à pouvoir être défini comme acte de persécution au sens des textes précités. Il en est de même du fait que vous auriez reçu des appels anonymes vous expliquant que vous seriez recherché ou que des personnes inconnues seraient entrées dans votre maison parentale après votre départ du pays. Ce dernier constat vaut d'autant plus que vous confirmez que votre grand-mère, après avoir quitté Colombie et être venue au Luxembourg pour avoir subi la « terreur » des narcotrafiquants dans sa maison, aurait décidé de volontairement retourner chez elle parce qu'elle n'apprécierait pas les conditions climatiques au Luxembourg et qu'elle aurait souffert de problèmes de respiration.

Ensuite, et hormis la question de la qualification des faits et du degré de gravité, toujours est-il que s'agissant d'actes émanant de personnes privées, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, il ne ressort pas de votre dossier administratif que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de personnes qui seraient liées au cartel des Cartel X. Le seul fait que vous n'auriez pas voulu déposer plainte après le prétendu deuxième « attentat » de 2019, au motif que « Non, il ne se passe rien, si on porte plainte » (p.

22 du rapport d'entretien) ne saurait évidemment pas suffire pour démontrer que les autorités colombiennes n'auraient pas pu ou pas voulu vous offrir leur aide. Ce constat vaut d'autant plus que vous confirmez que la police se serait déplacée sur les lieux pour faire son enquête et qu'elle aurait conclu à un « vol normal », de sorte qu'elle n'est donc pas restée inactive et que vous auriez pu l'aider dans leur enquête si vous aviez décidé de porter à leur connaissance vos estimations quant à une implication de narcotrafiquants.

Je note en tout cas que si les infractions, dont les agressions et vols, existent bien à … comme dans pratiquement chaque grande ville du monde, il n'en reste pas moins que la police, et les autorités en général y sont présentes et œuvrent pour la sécurité de la population. A cela s'ajoute que dans le contexte précis de citoyens qui seraient effectivement menacés de mort en Colombie, « La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) de l'Organisation des États américains (OEA) affirme que les gens qui reçoivent des menaces de mort disposent de mesures de protection par l'entremise de l'UNP ». En effet, l'UNP (« Unidad Nacional de Proteccion ») constitue une organisation publique colombienne qui cherche des solutions et qui offre une protection individuelle ou collective pour des personnes visées par des menaces de mort. Surtout, notons qu'il est établi que les autorités colombiennes ne sont par le passé pas restées inactives face aux agissements des Cartel X. Bien au contraire, de nombreux membres de ce groupement ont été arrêtés et ont dû faire face à la justice au cours de la dernière décennie.

Notons par ailleurs que : « Following the arrests of its top leaders, with other surrendering, the group's reach was significantly reduced and with it its involvement in criminal economies. In Norte de Santander, where they maintain their main criminal enclave, 8the group collects income from their participation in the drug trafficking chain, smuggling, extortion, and smuggling and trafficking in persons through the so-called trochas, located on the border with Venezuela. (…) After the intense blows suffered by the Cartel X in recent years, the group has lost almost all its armed and territorial capacity. Meanwhile, the Urabeflos, their allies, and the ELN, their main enemy, have grown stronger. It is a matter of time before the Cartel X cease to exist as a criminal group. The remnants of the group could be absorbed by the Urabeflos or remain as small franchises that acts under the group's name without maintaining clear unity and a line of command ».

Concernant plus spécifiquement la police colombienne, il échet de préciser encore à toutes fins utiles que le gouvernement n'est pas non plus inactif, sinon indifférent quant à la corruption dans ses rangs, alors qu'en 2016 déjà, « Colombia's national police force has fired more than 1,400 officers over the post 80 days in a crackdown on corruption, (…). The dismissals are part of a "zero tolerance for corruption”, (…). Colombia's police are key players in the fight against the country's leftist rebel groups and violent crime gangs, founded by remnants of right-wing paramilitary groups. ».

De même, « OHCHR welcomes the decision of the new Government to make the fight against corruption strategic priority, and calls for coordinated and definitive action to pursue that objective, including by strengthening State control bodies and ensuring the independence of the judiciary. OHCHR also encourages civil society to continue to exercise its right to participate in public decision-making by monitoring and overseeing the State's efforts to formulate a comprehensive anti-corruption policy. In July 2018, the Office of the Attorney General revealed that its Bolsillos de Cristal plan to combat corruption had led to the investigation and prosecution of 2,100 people accused of acts of corruption worth over 4.1 trillion pesos ».

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

9Monsieur, outre les conclusions quant aux doutes relatives à la crédibilité de vos déclarations, il y a encore lieu de retenir qu'il n'existe manifestement pas davantage d'éléments susceptibles d'établir, sur la base des mêmes faits que ceux exposés en vue de vous voir reconnaître le statut de réfugié, qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que courriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi de 2015.

En effet, vous omettez d'établir qu'en cas de retour en Colombie, vous risqueriez la peine de mort ou l'exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre votre vie ou vous personne en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. Vos seules craintes totalement hypothétiques de vous trouver dans le collimateur des Cartel X ne sauraient en tout cas pas permettre de retenir que vous risqueriez d'être victime d'une telle atteinte grave en cas d'un retour en Colombie. Ce constat vaut d'autant plus au vu de la possibilité d'une protection offerte par les autorités colombiennes.

A toutes fins utiles, je soulève encore que ce constat est de façon générale partagé partout en Europe, alors que le taux de refus des demandes de protection internationale introduites par des ressortissants colombiens frôle les 99 %, essentiellement sur base du fait qu'il est estimé que les autorités colombiennes sont en mesure d'offrir une protection contre des agents de persécution non publics.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Colombie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 novembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus de lui accorder une protection internationale et de l'ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision de refus d’accorder une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 17 octobre 2022, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … rappelle les faits tels qu’ils découlent en substance de son audition par l’agent du ministère.

10En droit, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de ses déclarations en reprochant au ministre d’avoir violé le principe du bénéfice du doute en ne mettant pas suffisamment ses déclarations en rapport avec la situation en Colombie.

Il renvoie à cet égard au « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés » et à un ouvrage intitulé « Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims » du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après « la CourEDH », pour en retenir qu'une cohérence complète des déclarations des demandeurs de protection internationale ne serait pas nécessaire pour conclure à leur crédibilité.

Il fait valoir que le ministre aurait fondé sa décision sur l'absence de crédibilité de l'intégralité de son récit en se livrant à une interprétation subjective.

Monsieur … fait valoir que les éléments de son récit auraient été suffisamment détaillés et précis, de sorte à devoir être considérés dans leur intégralité comme plausibles. Il se serait, par ailleurs, réellement efforcé d'étayer son récit et aurait fourni au ministre toutes les informations pertinentes à sa disposition.

Concernant le refus de lui octroyer le statut de réfugié, après avoir cité les articles, 2, point f), 42 et 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur soutient qu’il aurait déjà été persécuté dans le passé par des membres du cartel « narco-paramilitaire Los Cartel X » en raison du fait qu’il aurait été témoin d’une fusillade dans le cadre d’un règlement de comptes entre narco-trafiquants. Ainsi, ayant été personnellement victime de violences physiques et mentales de la part des membres du cartel « Los Cartel X », il pourrait se prévaloir d'une crainte de persécution du fait de son appartenance à un certain groupe social, à savoir le groupe des « témoin et victime d’une fusillade dans le cadre d’un règlement de comptes entre narco-trafiquants », en cas de retour dans son pays d'origine. Le ministre n’aurait pas établi qu’il existerait de bonnes raisons de penser que de nouvelles persécutions à son encontre ne se reproduiront pas.

S’agissant du refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur se base sur l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015. Il se rapporte à plusieurs rapports internationaux décrivant la situation générale en Colombie et plus particulièrement l’impact des cartels de narco-trafiquants.

Les informations y figurant concorderaient avec ses déclarations selon lesquelles il serait menacé de mort par des narcotrafiquants et il ne pourrait bénéficier d’aucune protection effective de la part de la police locale. Même s’il avait déposé une plainte auprès de la police locale, il n’aurait pu bénéficier d’une protection adéquate, alors que rien n’indiquerait que le cartel Los Cartel X soit effectivement combattu par les autorités colombiennes dans sa région d’origine. Il en conclut qu’il courrait en cas de retour en Colombie un risque réel d’être victime d’atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 ou des interdictions de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

11 Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au 12paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes 13puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance, étant à cet égard relevé que l’examen de la crédibilité de son récit constitue une étape nécessaire dans l’examen d’une telle demande.

Au regard des contestations afférentes de la partie étatique, il convient dès lors de prime abord d’examiner la crédibilité du récit du demandeur.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 Il échet de constater que le ministre a remis en cause la crédibilité du récit du demandeur sans que ce dernier prenne position de façon circonstanciée par rapport aux différents éléments soulevés par le ministre, Monsieur … se bornant, en effet, à citer diverses publications concernant la charge de la preuve dans le cadre de demandes de protection internationale.

Le tribunal constate tout d’abord, à l’instar du délégué du gouvernement, qu’il y a des incohérences au niveau de la chronologie des faits relatés par le demandeur et que même si des personnes inconnues avaient à un moment donné tiré sur lui, respectivement qu’il avait été victime de blessures à l’arme blanche, il n’en reste pas moins que les incohérences dans le récit 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

14du demandeur sont de nature à remettre en doute le contexte dans lequel ces blessures ont eu lieu et remettent en cause la crédibilité globale de son récit.

En effet, le demandeur a précisé lors de son entretien auprès du ministère que « [p]lus ou moins en juin / juillet 2019 »2, il aurait été victime d’un « attentat (…) à … »3 à l’occasion duquel il aurait été blessé par un couteau au niveau de sa clavicule. A la suite de cet incident, après avoir « parlé avec des amis qui habitent près de chez [lui] et qui [lui auraient dit] qu’il y a[urait] des personnes suspectes qui tournent autour de la zone en voiture, en moto, pour voir s’ils [l]e voient »4 et après avoir vécu de manière cachée pendant plusieurs mois, le demandeur aurait pris la décision de se faire établir un passeport en vue de quitter le pays. Or, le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, que le passeport du demandeur a été émis non pas en octobre 2019 à la suite de sa prétendue attaque à l’arme blanche, mais en date du 12 juin 2019. Il s’ensuit que le passeport a déjà été établi avant l’incident de « juin / juillet 2019 », de sorte à invalider les déclarations du demandeur selon lesquelles il aurait sollicité l’émission d’un nouveau passeport afin de se mettre en sécurité à la suite de l’incident de « juin / juillet 2019 » et à imposer la conclusion que ledit incident n’était pas l’élément déclencheur ayant amené le demandeur à vouloir quitter son pays d’origine.

Le tribunal constate encore que le demandeur se réfère à un incident qui aurait eu lieu en date du 5 octobre 2019 - date à laquelle il se trouvait déjà au Luxembourg -, lors duquel des personnes inconnues se seraient introduites dans sa maison maternelle5. Ses déclarations à cet égard ne sont nullement crédibles, étant donné que, d’un côté, le demandeur précise avoir quitté la Colombie en date du 1er octobre 20196, date correspondant à celle figurant dans son passeport, et, d’un autre côté, il soutient avoir pris contact avec les autorités colombiennes et avec sa tante résidant au Luxembourg afin d’engager les démarches pour venir au Luxembourg7, de sorte à se contredire de manière flagrante.

Force est encore au tribunal de constater que le demandeur présente deux versions différentes qui expliqueraient la raison pour laquelle il aurait été victime de l’incident de 2002.

Ainsi, d’un côté, il affirme que cet incident aurait eu lieu en raison du fait que des 2 Rapport d’audition, p. 23.

3 Rapport d’audition, p. 6.

4 Rapport d’audition, p. 7.

5 Rapport d’audition, p. 7.

6 Rapport d’audition, p. 5.

7 « Après que j'étais déjà ici au Luxembourg, le 05.10.2019, des personnes sont entrées dans la maison maternelle à Cali pour chercher des informations. Ils ont cherché partout. A ce moment il n'y avait que ma grand-mère maternelle et la dame qui prenait soin d'elle à la maison. J'ai envoyé les photos de quand ils sont entrés dans la maison à l'avocat. Parce qu'ils sont entrés dans la maison, on a encore eu plus de terreur. C'est là que ma sœur quitte la maison ainsi qu'un oncle à moi. Il n'y reste que ma grand-mère et la dame qui prend soin d'elle et qui est payé par la famille ici au Luxembourg. Ma grand-

mère était aussi venue au Luxembourg, mais pour des raisons de santé, car elle a des problèmes respiratoires et ici il fait très froid, elle est rentrée vivre ses derniers jours en Colombie. Quand ceci est arrivé tout le monde a abandonné la maison, sauf ma grand-mère et le 05.10.2019 on a commencé à réfléchir qu'est-ce qu'on pouvait faire de moi. A Cali nous avons parlé avec des personnes qui appartiennent à la police et ils ont dit que la seule chose qu'on pouvait faire était de quitter le pays, car ces personnes peuvent facilement me localiser, car ils ont beaucoup de pouvoir. Après avoir parlé avec cette personne de la police, j'ai pris contact avec ma tante ici au Luxembourg. Ma tante a eu peur et a elle a commencé à faire les démarches pour que je puisse venir, jusqu'à ce qu'elle ait obtenu la lettre pour que je puisse venir. Je suis parti en fuyant le pays sans raconter rien à personne, juste à la famille qui m'a aidé, chez laquelle je suis resté. A personne d'autre, car je pensais que quelqu'un était en train de me vendre, donc je ne pouvais pas faire confiance et j'ai quitté le pays pour sauver ma vie. J'ai tout laissé. J'ai pris juste quelques affaires avec moi. », Rapport d’audition, p. 7.

15narcotrafiquants l’auraient considéré comme un voleur de drogues et, d’un autre côté, il soutient s’être trouvé dans leur collimateur par vengeance8.

Le demandeur reste, par ailleurs, en défaut de soumettre au tribunal des éléments permettant de lier l’incident de 2019 à celui de 2002 et ses allégations selon lesquelles les deux incidents seraient liés reposent sur les seuls dires non précisés d’un ami, étant encore relevé que le demandeur n’explique aucunement pourquoi il n’aurait pas été inquiété par les narcotrafiquants entre 2002 et 2019 pour retomber dans leur collimateur 17 ans plus tard.

Au vu des éléments qui précèdent, le tribunal retient, au vu de l’absence de prise de position circonstanciée de la part du demandeur dans le cadre de la requête introductive d’instance sur les points de crédibilité soulevés par le ministre, que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre.

Le manque de crédibilité général du récit du demandeur se trouve encore conforté par le comportement adopté par lui avant son arrivée en Europe en 2019. En effet, le demandeur déclare avoir séjourné au Luxembourg en 20069 pendant trois mois, sans avoir éprouvé le besoin de solliciter une protection, circonstance qu’il explique par le simple fait de ne pas avoir eu connaissance d’un tel droit10. Or, une personne qui s’estime être dans le collimateur de criminels et qui éprouve une crainte de risquer sa vie en cas de retour dans son pays d’origine ne retourne pas tout simplement sur le lieu où se trouvent ses prétendus persécuteurs sans même s’enquérir sur ses options de rester, le cas échéant, au Luxembourg.

Pour ce qui est ensuite de la situation sécuritaire générale en Colombie, il y a lieu de relever qu’à défaut de prise de position circonstanciée du demandeur, ce dernier n’a pas permis au tribunal de procéder à l’examen de la situation sécuritaire en Colombie afin d’apprécier si elle répond le cas échéant aux critères d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, paragraphe c) de la loi du 18 décembre 2015, disposition non invoquée par le demandeur.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état d’un élément de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande de protection internationale.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

8 « Ce qui arrive en Colombie, c'est que c'était une sorte de vengeance, c'est ce qu'on appelle un attentat de sicaire. Ils arrivent et ils ne regardent pas. Ils ne veulent pas laisser de témoins. Etant donné que j'ai reçu des tirs, ils en ont déduit que j'avais quelque chose à faire avec eux. » Rapport d’audition, p. 13.

9 Rapport d’audition, p. 16.

10 Rapport d’audition, p. 6.

16Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur soutient que la décision du ministre lui enjoignant de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation des articles 3 de la CEDH, ainsi que 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce qu’elle serait entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

Il se réfère, à cet égard, plus particulièrement à un arrêt de la CourEDH du 11 janvier 2007 dans une affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas dans le cadre duquel il aurait été retenu que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de ladite convention, lorsqu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, s’il était expulsé vers le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH. En pareil cas, cette disposition impliquerait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée vers ce pays. Dans ce même arrêt, la CourEDH aurait encore retenu qu’il faudrait apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 de la CEDH, ce qui impliquerait que, pour apprécier la réalité dans le chef d’étrangers menacés d’expulsion ou d’extradition d’un risque allégué de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il serait nécessaire de se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation régnant dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps.

Il fait valoir que la protection offerte par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte serait rendue illusoire s’il était éloigné à destination de la Colombie.

A cela s’ajouterait que son renvoi vers son pays d’origine emporterait également une violation de l’article 19 de la Charte qui interdirait le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés vers leur pays d’origine, le demandeur faisant valoir que même s’il ne devait pas se voir accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, il devrait néanmoins pouvoir bénéficier de la protection contre l’éloignement vers la Colombie où il risquerait de subir des atteintes contre sa vie et son intégrité physique et morale, le demandeur s’appuyant, à cet égard, sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 18 décembre 2014, dans une affaire Abdida, C-562/13 ainsi que sur un arrêt de la CourEDH du 15 novembre 2011, dans une affaire Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, n° 48205/09.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre telle que visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

17Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation d’une violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, de même que des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En effet, il y a lieu de rappeler, en ce qui concerne précisément les risques encourus par le demandeur en cas de retour en Colombie, que le tribunal a conclu ci-avant que l’intéressé n’a pas fait état d’une crainte fondée de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, respectivement que ses déclarations faites auprès du ministère ne sont pas crédibles, de sorte qu’il ne saurait prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale. Le tribunal ne saurait dès lors actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH11, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur en Colombie soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, voire avec le principe de non-refoulement.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 octobre 2022 portant rejet d’une protection internationale ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire an annulation dirigé contre cette décision ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre cette décision ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

11 CourEDH, arrêt du 4 février 2004, Lorsé et autres c/ Pays-Bas.

18Ainsi jugé par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, et prononcé à l’audience publique du 10 juin 2024 en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juin 2024 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48197
Date de la décision : 10/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-06-10;48197 ?

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