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13/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50415

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 mai 2024, 50415


Tribunal administratif N° 50415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50415 2e chambre Inscrit le 3 mai 2024 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50415 du rôle et déposée le 3 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, décl

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Tribunal administratif N° 50415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50415 2e chambre Inscrit le 3 mai 2024 Audience publique du 13 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50415 du rôle et déposée le 3 mai 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 25 avril 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Eric Says s’étant excusé.

Il se dégage du dossier administratif qu’en date du 23 janvier 2017, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par le biais d’une décision du 3 mai 2017, notifiée à l’intéressé en mains propres le 15 mai 2017, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … de sa décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la République tchèque sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-

après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le recours contentieux dirigé par Monsieur … contre la décision ministérielle du 3 mai 2017 fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 19 juillet 2017, inscrit sous le numéro 39653 du rôle.

Il se dégage, à cet égard, du dossier administratif que l’intéressé fut transféré par les autorités luxembourgeoises vers la République tchèque en date du 27 septembre 2017 mais qu’il réapparut sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg au plus tard le 3 juin 2022, étant, en effet, relevé qu’à cette date, il fit l’objet d’un contrôle d’identité à Luxembourg-Ville.

Le 4 juillet 2022, l’intéressé fit l’objet d’une fouille corporelle à l’occasion de laquelle il s’avéra qu’il était en possession de stupéfiants, tandis qu’il se dégage encore du dossier administratif que Monsieur … fit l’objet de trois autres contrôles de police en date des 16 août, 20 août, 8 septembre et 1er octobre 2022.

Il ressort ensuite du dossier administratif qu’en date du 1er octobre 2022, l’intéressé fit l’objet d’un mandat de dépôt pour avoir commis un vol. Suivant l’acte d’écrou du 14 juin 2023, Monsieur … fut condamné par jugement du 4 mai 2023 du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, chambre correctionnelle, à une peine d’emprisonnement de 18 mois pour des infractions de vol simple et de blanchiment, l’intéressé ayant purgé sa peine, suivant l’acte de levée d’écrou figurant au dossier administratif, le 22 mars 2024.

Il se dégage d’un rapport de police du 26 mars 2024, référencé sous le numéro …, qu’à cette même date, il fit l’objet d’un contrôle d’identité dans une maison inhabitée à Leudelange, lors duquel il lui fut impossible de présenter des documents d’identité valables.

Suivant un rapport de police du 25 avril 2024, dit « Fremdennotiz », référencé sous le numéro …, Monsieur … fut dans l’impossibilité de présenter des documents d’identité valables lors d’un contrôle d’identité effectué par les forces de l’ordre après qu’elles aient été appelées à Oberanven par une femme ayant signalé « eine Mannsperson, welche neben ihrem Fahrzeug stand und versucht hat die Fahrzeugtür zu öffnen. ».

Par arrêté du 25 avril 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’égard de Monsieur … une décision de retour comportant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport numéro … du 25 avril 2024 établi par la Police grand-ducale, Région …, Commissariat … ;

Considérant que l’intéressé a déjà été transféré en date du 27 septembre 2017 vers la République tchèque en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Considérant que l’intéressé est revenu au pays malgré ma décision de transfert du 3 mai 2017 ;

Considérant que l’intéressé fait l’objet d’un signalement dans le Système d’information Schengen (SIS) ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 25 avril 2024.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du « ministre de l’Immigration et de l’Asile » pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 en contestant que les démarches nécessaires aient été entamées pour organiser son éloignement et qu’il existerait dans son chef un danger de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vols ne sauraient justifier un placement en rétention.

Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du « Ministre de l’Immigration et de l’Asile », étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit, conformément à l’annexe B du règlement interne du gouvernement1 tel qu’approuvé par arrêté grand-ducal du 27 novembre 2023 portant approbation et publication du règlement interne du Gouvernement, le ministre des Affaires intérieures, ministre qui a, en l’espèce, pris l’arrêté litigieux.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans 1 Publié au Mémorial A, n° 778 du 28 novembre 2023.

l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il se dégage du dossier administratif que le demandeur a fait l’objet en date du 25 avril 2024, d’une décision de retour - qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse - de sorte à se trouver en situation de séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois. Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question. Il aurait, par conséquent, appartenu au demandeur de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est resté en défaut de faire.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, il se dégage du dossier administratif que le lendemain de son placement en rétention, les autorités luxembourgeoises ont contacté leurs homologues tchèques en vue d’obtenir des informations sur la nationalité de l’intéressé, respectivement des copies des documents qui seraient éventuellement en leur possession. Le même jour, les autorités luxembourgeoises ont également sollicité par le biais du Centre de coopération policière et douanière des informations supplémentaires au sujet de la situation administrative de Monsieur … de la part des pays voisins, cette recherche ayant révélé que la demande de protection internationale introduite par l’intéressé en Allemagne le 11 mars 2022 avait été rejetée par les autorités dudit pays le 27 mai 2022. Il se dégage encore du dossier administratif que le 30 avril 2024, les autorités luxembourgeoises ont adressé aux autorités tchèques, de même qu’aux autorités allemandes une demande de reprise en charge de l’intéressé sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III et que cette demande a été acceptée par les autorités allemandes le 2 mai 2024 sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Au regard des diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, le dispositif d’éloignement est en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter, étant encore relever qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement ne pourra pas être mené à bien.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 13 mai 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 50415
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-13;50415 ?

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