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08/05/2024 | LUXEMBOURG | N°50402

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2024, 50402


Tribunal administratif N° 50402 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50402 5e chambre Inscrit le 30 avril 2024 Audience publique du 8 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous de multiples alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50402 du rôle et déposée le 30 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte DAOÛT-FEUERBACH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre d

es avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous de multiples alias, déc...

Tribunal administratif N° 50402 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50402 5e chambre Inscrit le 30 avril 2024 Audience publique du 8 mai 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous de multiples alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50402 du rôle et déposée le 30 avril 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte DAOÛT-FEUERBACH, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous de multiples alias, déclarant être « probablement né le … au Sahara Occidental (probablement au Maroc) » et être de nationalité indéterminée, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 11 avril 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet au 14 avril 2024 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Bénédicte DAOÛT-

FEUERBACH et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2024.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, …, du 13 avril 2022, référencé sous le numéro …, Monsieur …, connu sous de multiples alias, ci-après désigné par « Monsieur … », fut interpellé par les forces de l’ordre à cette même date et ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité.

Suivant un rapport de la police grand-ducale, Région Centre-Est, …, du 7 mai 2022, référencé sous le numéro …, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité alors qu’il se trouvait dans une maison abandonnée. Il ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité.

Il ressort des éléments du dossier administratif que Monsieur … fit l’objet d’un signalement dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) en vue d’une « Arrestation/Remise/Extradition » jusqu’au 10 juin 2025, ainsi que dans la base de données SIRENE (« Supplément d’Information Requis à l’Entrée Nationale ») notamment pour tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique en France en 2020.

Une vérification faite le 27 juin 2022 dans les bases de données du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) révéla, d’une part, que l’intéressé n’était pas connu en France et en Allemagne, mais en Belgique pour « meurtre », « disparition-fugue », « vol qualifié », « étranger illégal », « harcèlement », « chemin de fer » et « considéré comme dangereux dans toutes nos bases de données et haut potentiel d’évasion », et, d’autre part, que l’intéressé était signalé dans la base de données de l’International Criminal Police Organisation (INTERPOL).

Par ailleurs, il ressort d’un relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg (« CPL ») du 14 juin 2022 qu’à cette date, Monsieur … y fut placé sous le statut de mineur après en avoir été préalablement libéré le même jour en tant que prévenu, un extrait établi par le service greffe du CPL du 27 juin 2022 précisant que l’intéressé y faisait l’objet d’une mesure de garde provisoire.

Par jugement du 1er décembre 2022, inscrit sous le numéro … du rôle, le juge aux affaires familiales du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg rejeta la requête du litismandataire de l’époque de Monsieur … en vue de sa désignation en tant qu’administrateur ad hoc de l’intéressé.

Il se dégage du relevé journalier du CPL du 14 février 2023 qu’à cette date, Monsieur … fut libéré.

Par un arrêté du 13 février 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Par un arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté, le recours contentieux introduit le 8 mars 2023 contre cette décision ayant fait l’objet d’un désistement acté par un jugement du tribunal administratif du 15 mars 2023, inscrit sous le numéro 48658 du rôle.

La susdite mesure de placement en rétention fut, par la suite, prorogée, chaque fois pour une durée supplémentaire d’un mois, par arrêtés ministériels des 13 mars, 13 avril, 11 mai et 13 juin 2023, notifiés respectivement les 14 mars, 14 avril, 12 mai et 14 juin 2023.

En date du 15 juin 2023, Monsieur … fut conduit par les forces de l’ordre devant le juge d’instruction près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg qui prit ce même jour une décision de maintien en détention à l’encontre de l'intéressé en vue de sa remise aux autorités françaises en exécution d'un mandat d’arrêt européen émis en date du 27 décembre 2021 du chef notamment de tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de l’autorité publique, tel que cela ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Unité de garde et d’appui opérationnel, du 20 juin 2023, référencé sous le numéro …. Il ressort également dudit rapport que Monsieur … fut, ensuite, escorté au Centre pénitentiaire Ueschterhaff (« CPU »), lequel refusa l’admission de l’intéressé du fait de l’absence d’attestation médicale prouvant que l’intéressé serait majeur, de sorte que Monsieur … fut finalement reconduit au Centre de rétention le même jour.

Par un arrêté du 15 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Par un arrêté daté du 16 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile rapporta la mesure de placement du 15 juin 2023, précitée, et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision.

Par un jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49138 du rôle, le recours contentieux introduit contre l’arrêté de placement en rétention, précité, du 16 juin 2023 fut rejeté.

Par arrêté du 14 juillet 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prorogea le placement au Centre de rétention de l’intéressé une première fois pour une durée d’un mois avec effet au 16 juillet 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 16 août 2023, inscrit sous le numéro 49282 du rôle.

Par arrêté du 10 août 2023, notifié à l’intéressé le 16 août 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une seconde fois pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 13 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49391 du rôle.

Par arrêté du 14 septembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une troisième fois pour une durée d’un mois avec effet au 16 septembre 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 2 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49469 du rôle.

Par arrêté du 13 novembre 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une quatrième fois pour une durée d’un mois à partir de la notification. La requête introduite par le ministre des Affaires intérieures, désigné ci-après par « le ministre », tendant à la vérification de la régularité de l’arrêté précité du 13 novembre 2022 fut rejetée pour ne pas être fondée par un du président du tribunal administratif du 1er décembre 2023, inscrit sous le numéro 49736 du rôle.

En date du 15 décembre 2023, le ministre ordonna au Centre de rétention de libérer Monsieur … avec effet immédiat.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région Capitale, …, du 15 décembre 2023, référencé sous le numéro …, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité à la gare de Luxembourg alors qu’il a pris la fuite en apercevant des agents de police. Il ne put, à cette occasion, présenter de document d’identité et il s’avéra qu’il était recherché par les services d’INTERPOL.

Par un arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté, le recours contentieux introduit le 8 mars 2023 contre cette décision ayant fait l’objet d’un désistement acté par un jugement du tribunal administratif du 15 mars 2023, inscrit sous le numéro 48658 du rôle.

Par courrier du 20 décembre 2023, Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité marocaine, informa le ministre qu’il voulait introduire une demande de protection internationale.

Par arrêté du 21 décembre 2023, notifié le même jour à l’intéressé, le ministre rapporta l’arrêté précité du 15 décembre 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention sur base des articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 » et ordonna son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification sur base des articles 22 (2) a), b), c) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Par décision du 8 février 2024, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur ….

Par arrêté du 14 mars 2024, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre rapporta l’arrêté précité du 21 décembre 2023 et ordonna le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté sur base des articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi du 29 août 2008.

Le 12 avril 2024, Monsieur … introduisit un recours contentieux contre l’arrêté ministériel précité du 14 mars 2024, dont il se désista toutefois à travers un courrier déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 avril 2024 par son litismandataire. Par un jugement du tribunal administratif du 22 avril 2024, inscrit sous le numéro 50318 du rôle, le tribunal administratif déclara le désistement d’instance régulier et valable et constata la déchéance du recours.

Par arrêté du 11 avril 2024, notifié le lendemain à l’intéressé, le ministre prorogea le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification avec effet au 14 avril 2024. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 14 mars 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 14 mars 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre sort éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».

Par requête déposée le 30 avril 2024 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 11 avril 2024.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, et après avoir exposé succinctement les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur soulève que les motifs à la base de la mesure de placement déférée seraient des stéréotypes utilisés par l’administration mais ne constitueraient pas une motivation.

Ensuite, le demandeur fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme ultime moyen, alors que celui-ci porterait atteinte à sa liberté de mouvement, et qu’il ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre, qui ne serait pas discrétionnaire, mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, équivalant à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Après avoir cité l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur explique qu’il aurait été placé une première fois en rétention pour une durée supérieure à un an et presque deux mois et qu’il n’aurait été libéré qu’en date du 15 décembre 2023 pour être placé de nouveau en rétention en date du même jour. Il donne à considérer qu’il n’aurait pas quitté le Centre de rétention et qu’il ne pourrait pas faire l’objet d’une nouvelle mesure de placement.

Il fait encore valoir que ni son identité ni sa nationalité n’auraient pu être établies depuis le 13 février 2023.

Il reproche ensuite au ministre de l’avoir immédiatement placé en rétention « sans même envisager d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté », c’est-à-dire sans étudier la possibilité d’ordonner des mesures moins coercitives.

Le demandeur donne encore à considérer qu’un placement en rétention ne serait permis que si une mesure d’éloignement ou de transfert serait en cours et menée avec diligence.

En l’espèce, au bout d’un an et presque deux mois le ministre n’aurait toujours pas établi son identité, de sorte que son éloignement paraîtrait illusoire. De surplus, les autorités consulaires étrangères n’auraient toujours pas fourni de réponse aux questions des autorités luxembourgeoises et aucun laissez-passer n’aurait été délivré à ce jour, de sorte que le ministre ne pourrait pas être considéré comme ayant agi avec toute la diligence requise.

Selon le litismandataire du demandeur, l’éloignement de ce dernier resterait hypothétique et risquerait de lui faire endurer une privation de liberté trop longue. Il paraîtrait dès lors « injuste de faire endurer une rétention inutile » au demandeur. L’autorité administrative ne justifierait pas, quatorze mois plus tard, la mesure de placement. Cette situation serait à qualifier d’abus de pouvoir.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision.

Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal précise qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement.

C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas desdocuments requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée.

C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Il est constant en cause que Monsieur … se trouve en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, étant relevé qu’une décision de retour, comportant une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans a été prise à son encontre le 13 février 2023.

Il est encore constant en cause que Monsieur … est démuni de tout document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe (2), point 1 de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité.

Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, si le ressortissant de pays tiers ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, sans que l’intéressé n’ait soumis des éléments de nature à renverser cette présomption de risque de fuite en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

Il s’ensuit que les conditions initiales ayant justifié que le ministre ait placé et maintenu l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement perdurent actuellement.

Si le demandeur estime que le ministre aurait dû lui permettre de bénéficier de mesures moins coercitives, il convient de rappeler que les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’unmontant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe 1er, de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.

En l’espèce, force est toutefois de constater, que le demandeur n’a soumis au tribunal aucun élément concluant permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, à savoir l’assignation à résidence, dont il se prévaut, en substance, à l’appui de son recours, s’impose, étant encore précisé qu’une structure d’hebergement d’urgence, telle que la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (« SHUK »), respectivement « tout autre foyer pour étrangers » ou « pour demandeurs de protection internationale », tel que suggéré par le litismandataire du demandeur à l’audience des plaidoiries, ne sauraient être considérés comme domiciles stables, ni comme fournissant à eux seuls une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’y est pas concevable. Il y a encore lieu de constater que le demandeur ne dispose pas de passeport ou de tout document justificatif de son identité et qu’il n’a pas proposé le dépôt d’une garantie financière, de sorte à ne pas pouvoir bénéficier des mesures visées à l’article 125, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 29 août 2008.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence à la SHUK ou « tout autre foyer pour étrangers » ou « pour demandeurs de protection internationale », ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, il convient de prime abord de préciser qu’à travers le recours sous examen, le tribunal n’est saisi que de la décision du ministre ayant prorogé la mesure de placement au Centre de rétention de Monsieur …, de sorte qu’il ne lui appartient que d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire.

Les dernières démarches effectuées s’inscrivent toutefois dans la suite de celles réalisées préalablement, de sorte qu’il convient à cet égard de rappeler que lors de placements en rétention antérieures du demandeur les autorités luxembourgeoises avaient contacté les autorités tunisiennes, algériennes et marocaines en vue de l’identification du demandeur et, le cas échéant de la délivrance d’un laissez-passer.

Force est ensuite de constater que par décision ministérielle du 15 décembre 2023 le demandeur a, suite à sa libération avec effet immédiat intervenue le même jour, de nouveau été placé au Centre de rétention et que dès ce placement à savoir en date du 18 décembre 2023, les autorités ministérielles luxembourgeoises ont recontacté le Consulat général de Tunisie à Bruxelles pour se renseigner sur l’état d’avancement de la procédure d’identification du demandeur. Il ressort ensuite d’une note au dossier du 5 février 2024 de l’agent ministériel chargé du dossier du demandeur que ce dernier a refusé de répondre en date du même jour aux questions des autorités marocaines lesquelles s’étaient spécialement déplacées au Centre de rétention pour auditionner le demandeur en vue de son éventuelle identification.

Il ressort ensuite du dossier administratif que par courrier électronique du 19 mars 2024 un agent ministériel s’est adressé à l’officier de liaison belge de la police fédérale belge au Maroc afin de solliciter son aide dans le cadre de la procédure d’identification du demandeur. Par courrier électronique du 22 mars 2024, l’agent ministériel a ensuite contacté l’officier de liaison européen chargé de la migration, Section politique, Cellule de Presse et communication, de la Délégation de l’Union européenne au Maroc, lequel lui a proposé par retour de courriers du 27 mars 2024 de contacter les ambassades néerlandaise et française au Maroc en vue de l’identification du demandeur. Par courrier électronique du 3 avril 2024, l’agent ministériel s’adressa à un agent de l’ambassade néerlandaise au Maroc pour solliciter une assistance dans le cadre de la procédure d’identification du demandeur. L’agent néerlandais a répondu en date du 5 avril 2024 que les services néerlandais allaient analyser s’ils étaient en mesure d’offrir une assistance aux autorités luxembourgeoises.

En ce qui concerne, ensuite, les démarches entreprises par les autorités ministérielles depuis la prise de l’arrêté ministériel déféré du 11 avril 2024, portant prorogation de la mesure de placement au Centre de rétention, il convient de constater que l’agent néerlandais a recontacté l’agent luxembourgeois en date des 11 et 17 avril 2024 en vue d’avoir des informations supplémentaires, lesquelles lui ont été fournies par téléphone en date du 12 avril 2024, ainsi que par courrier électronique du 18 avril 2024.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des différentes autorités étrangères – étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes – que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder le plus rapidement possible à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

En tout état de cause, le demandeur est particulièrement mal venu de reprocher au ministre de lui faire « endurer une rétention inutile » ainsi qu’un manque de diligences en affirmant plus particulièrement que son identité n’aurait « même pas encore pu être établie », alors qu’il ressort manifestement des éléments du dossier administratif explicités ci-avant que le demandeur est, à tout le moins partiellement, sinon essentiellement à l’origine des difficultés rencontrées par le ministre pour déterminer son identité, étant donné que le demandeur s’est présenté sous différents alias, en refusant de manière assidue non seulement de révéler sa véritable identité mais encore toute collaboration avec les autorités. Il refuse ainsi, notamment à chaque reprise de répondre aux autorités marocaines spécialement venues au Centre de rétention pour l’auditionner en vue de son identification. L’attitude de l’intéressé, témoignantd’un défaut de collaboration flagrant, ne correspond pas à celle d’une personne désireuse de faciliter son processus d’identification afin d’écourter la durée de son placement en rétention et pour que la mesure d’éloignement le concernant puisse être menée à bien.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, c’est à tort que le demandeur, d’une part, reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises, qui sont, tel que relevé ci-avant, actuellement tributaires de la collaboration des différentes autorités étrangères contactées en vue de son identification, étant également relevé que l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement encourt le rejet étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays1.

Etant donné (i) que le demandeur a fait l’objet d’un arrêté constatant son séjour irrégulier sur le territoire assorti d’un ordre de quitter le territoire et d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans le 13 février 2023, et (ii) qu’une procédure d’éloignement engagée à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen y relatif est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, si le demandeur reproche au ministre d’avoir commis un abus de pouvoir, en d’autres termes, d’avoir utilisé ses compétences dans un autre but que celui pour lequel elles lui ont été confiées, force est de constater que ledit moyen du demandeur n’est autrement précisé ni développé, de sorte qu’il n’est pas de nature à énerver la régularité de la décision litigieuse. Il s’ensuit que ce moyen simplement suggéré est à rejeter, étant donné qu’il n’incombe pas au tribunal de rechercher les éventuels argumentaires susceptibles de sous-

tendre un moyen non explicité.

En ce qui concerne, en dernier lieu, la référence faite par le litismandataire du demandeur à l’audience des plaidoiries à un dépassement du délai raisonnable, l’argumentation afférente est à rejeter à plusieurs titres. En effet, de prime abord, il convient de préciser que la procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite et que le demandeur n’a pas fait référence à un dépassement d’un délai raisonnable dans le cadre de sa requête 1 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812 et les autres références y citées.introductive, mais que le litismandataire a soulevé ladite thématique pour la première fois oralement à l’audience publique des plaidoiries, de sorte qu’elle est à rejeter à ce titre. Par ailleurs, force est de constater que le litismandataire du demandeur n’a pas non plus développé à suffisance ledit argumentaire en le soutenant en droit, d’autant plus que le délégué du gouvernement l’a contesté formellement à l’audience publique des plaidoiries, de sorte que l’argumentation afférente est à rejeter pour n’être que simplement suggérée. Enfin, il échet de constater qu’à compter du 13 février 2023 le demandeur a été placé à plusieurs reprises au Centre de rétention sur base de différents fondements légaux et sur base de différentes décisions de placement et qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier que le délai légal d’un des placements en rétention aurait été dépassé. Les développements afférents du demandeur sont donc à rejeter pour ne pas être fondés.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 mai 2024 par :

Françoise EBERHARD, premier vice-président, Benoît HUPPERICH, juge, Nicolas GRIEHSER SCHWERZSTEIN, attaché de justice délégué;

en présence du greffier Lejila ADROVIC.

s.Lejila ADROVIC s.Françoise EBERHARD Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 50402
Date de la décision : 08/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-08;50402 ?

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