Tribunal administratif N° 47855 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47855 1re chambre Inscrit le 24 août 2022 Audience publique du 8 mai 2024 Recours formé par Monsieur A, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 47855 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2022 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Togo), de nationalité togolaise, actuellement sans domicile connu, mais élisant domicile en l’étude de son litismandataire préqualifié, sise à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 juin 2022 portant refus d’une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Jean Tonnar déposé au greffe du tribunal administratif le 12 janvier 2023 pour le compte de Monsieur A, préqualifié ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Assia Behat, en remplacement de Maître Jean Tonnar, et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 avril 2024.
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En date du 20 juillet 2016, Monsieur B, de nationalité allemande, introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en autorisation de séjour en tant que membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne pour le compte de son beau-fils, Monsieur A.
Par décision du 12 décembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta cette demande.
Par requête déposée le 10 mars 2017 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 39234 du rôle, Monsieur A, son beau-père, Monsieur B, et sa mère, Monsieur B, firent introduire un recours contentieux à l’encontre de la décision du 12 décembre 2016 précitée, recours dont ils furent définitivement déboutés par arrêt de la Cour administrative du 10 juillet 2018, portant le numéro 41077C du rôle.
1Le 29 décembre 2017, Monsieur A introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire auprès du service compétent du ministère, laquelle fut rejetée par décision du ministre du 29 juillet 2019.
Par jugement du tribunal administratif du 19 août 2020, inscrit sous le numéro 43489 du rôle, et confirmé par arrêt de la Cour administrative du 19 novembre 2020, inscrit sous le numéro 45006C du rôle, Monsieur A fut débouté de son recours contentieux introduit le 26 août 2019 à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 29 juillet 2019.
Par courrier de son litismandataire de l’époque du 22 février 2021, Monsieur A introduisit auprès du ministère une demande en obtention d’un report à l’éloignement au sens de l’article 125bis de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », demande dont il fut débouté par une décision du ministre du 4 mars 2021.
En date du 15 février 2022, le litismandataire de Monsieur A s’adressa au ministère pour solliciter le regroupement familial entre son mandant et Monsieur B.
Le ministre y répondit par courrier du 23 mars 2022, libellé comme suit :
« […] Me référant à votre courrier sous objet, j’ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de répondre à votre demande car elle ne comporte aucun élément requis pour son examen.
Je vous prie donc de bien me vouloir faire parvenir une demande de regroupement familial en bonne et due forme. […] » Par courriers de son litismandataire des 7 avril et 30 mai 2022, réceptionnés respectivement les 11 avril et 2 juin 2022, Monsieur B introduisit auprès du ministère une demande de regroupement familial dans le chef de Monsieur A.
Le ministre rejeta cette demande par décision du 9 juin 2022 libellée comme suit :
« […] J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 30 mai 2022.
Je suis toutefois au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à cette requête.
Conformément à l’article 12, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, sont considérés comme membres de famille du citoyen de l’Union, les descendants directs et les descendants directs du conjoint ou du partenaire visés au point b) de la même loi, qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à sa charge.
Or, force est de constater que Monsieur A est âgé de 21 ans et que votre demande ne comporte aucune preuve de la charge au sens de l’article précité.
Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de constater que Monsieur A se trouverait dans une situation d’indigence telle qu’il ne serait pas en mesure de subvenir à ses 2besoins essentiels par ses propres moyens, vu son jeune âge et l’absence de problèmes de santé allégués.
Ainsi, à défaut de preuves d’une situation de dépendance réelle et structurelle entre Monsieur A et son père, il ne peut pas bénéficier du droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union au sens de l’article 12, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée.
En ce qui concerne le droit de séjour de membre de famille prévu à l’article 12 (2) de la loi précitée, force est de constater que Monsieur A ne satisfait à aucune des conditions exigées.
Etant donnée que Monsieur A ne remplit pas non plus les conditions de séjour de plus de trois mois pour les ressortissants de pays tiers, l’autorisation de séjour est refusée à Monsieur A en application de l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi précitée. […] ».
Par un courrier électronique de son litismandataire du 5 août 2022, Monsieur A fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 9 juin 2022, lequel fut rejeté par courriel du 10 août 2022 rédigé comme suit:
« […] Après analyse du dossier, je suis au regret de vous informer que nous ne sommes pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande d’autoriser Monsieur A, à séjourner au Luxembourg alors qu’il ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une carte de séjour sur base de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. […] ».
Par requête déposée le 24 août 2022 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 47855 du rôle, Monsieur A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 9 juin 2022 portant refus de sa demande de regroupement familial.
Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en matière d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit par le demandeur. En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose que l’intégralité de sa famille, à savoir son beau-père qui serait de nationalité allemande, sa mère ainsi que ses frères et sœurs habiteraient au Luxembourg depuis plus de 7 ans.
Il aimerait rejoindre sa famille et finaliser ses études par un master en finances.
En droit, le demandeur estime en premier lieu que les conditions pour pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à la loi du 29 août 2008 seraient remplies, en ce qu’il serait à la fois à charge de sa famille et privé du soutien familial dans son pays d’origine.
A cet égard, il affirme qu’il se trouverait dans l’incapacité de subvenir à ses besoins sans le soutien matériel mis en place par ses parents, étant donné qu’il n’aurait plus pu 3retrouver un emploi au Togo, malgré l’obtention d’un diplôme universitaire. Il serait dépendant de l’aide apportée par sa famille depuis 2010 et ce soutien se caractériserait par des transferts d’argent réguliers, ainsi que par l’envoi de colis composés de vêtements, de nourriture et de médicaments.
Monsieur A précise qu’il aurait pu rejoindre sa famille au Luxembourg en 2018 et que pendant ce séjour, soit entre 2018 et 2020, il y aurait suivi avec succès de multiples formations en finance.
Le demandeur fait ensuite valoir qu’il serait privé de tout soutien familial dans son pays d’origine, dans la mesure où ces grands-parents seraient décédés et que la seule famille qui lui resterait depuis lors résiderait au Luxembourg.
Le demandeur soutient encore, en substance et de l’entendement du tribunal, que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de lui accorder l’autorisation de séjour sur base de l’article 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008, alors qu’il remplirait les conditions d’octroi d’une autorisation de séjour pour une durée supérieure à trois mois.
Subsidiairement, il se prévaut d’une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par la « CEDH », au motif que la décision déférée, en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial alors que les conditions seraient remplies, constituerait une ingérence par le ministre dans sa vie familiale.
A cet égard, le demandeur rappelle qu’il serait privé de tout soutien familial au Togo et qu’il ne saurait subvenir à ses besoins essentiels sans le support de ses parents.
La partie étatique conclut, quant à elle, au rejet du recours pour ne pas être fondé.
Aux termes de l’article 12, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Sont considérés comme membres de la famille : […] c) les descendants directs et les descendants directs du conjoint ou du partenaire visé au point b) qui sont âgés de moins de 21 ans ou qui sont à charge […] ».
Les conditions du droit de séjour des membres de la famille d’un ressortissant de l’Union européenne sont énumérées à l’article 13 de la loi du 29 août 2008 en vertu duquel :
« (1) Sans préjudice des dispositions concernant les documents de voyage applicables aux contrôles aux frontières, telles qu’elles résultent de conventions internationales et de la réglementation communautaire, les membres de la famille définis à l’article 12, qui sont ressortissants d’un pays tiers et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union, ont le droit d’entrer sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et d’y séjourner pour une période allant jusqu’à trois mois s’ils sont munis d’un passeport en cours de validité et le cas échéant du visa requis pour l’entrée sur le territoire. » et à l’article 15 de la même loi aux termes duquel « (1) Pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, les membres de la famille du citoyen de l’Union doivent soit se faire enregistrer, s’ils sont eux-mêmes citoyens de l’Union, soit, s’ils sont ressortissants d’un pays tiers, faire une demande de carte de séjour, dans les trois mois suivant leur arrivée, auprès de l’administration communale du lieu de leur résidence, d’après les modalités à déterminer par règlement grand-ducal, et ce sans préjudice des réglementations existantes en matière de registre de la population. ».
4Il se dégage des dispositions qui précèdent que l’octroi d’une autorisation de séjour aux fins d’un regroupement familial d’un membre de famille d’un ressortissant de l’Union européenne est conditionné, dans le chef du membre de la famille faisant l’objet du regroupement tel que visé à l’article 12 précité, par la circonstance d’être soit âgé de moins de 21 ans, soit d’être à la charge du regroupant.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur, de nationalité togolaise, désire rejoindre sa mère et son beau-père, de nationalité allemande, au Luxembourg, où ces derniers demeurent depuis plus de 7 ans. Dans la mesure où la mère du demandeur est l’épouse d’un citoyen européen, Monsieur A est à considérer comme descendant direct d’un citoyen de l’Union européenne au sens de l’article 12, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.
Les parties sont toutefois en désaccord sur la question de savoir si le demandeur est à considérer comme étant « à charge » de ses parents au sens de l’article 12 précité, alors qu’il est âgé de plus de 21 ans.
En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur est à charge de sa mère et de son beau-père, il convient de relever que l’article 12 de la loi du 29 août 2008 se limite à imposer que le descendant, âgé de plus de 21 ans, y visé soit « à charge », sans autrement préciser la portée exacte de cette notion que ce soit quant au degré de dépendance financière requis ou encore quant au moment auquel il convient d’avoir égard pour déterminer si l’intéressé est réputé être à charge.
Afin d’interpréter la notion de descendant « à charge », il convient de se référer notamment aux travaux parlementaires de la loi du 29 août 2008 selon lesquels on entend par « être à charge » « le fait pour le membre de la famille d’un ressortissant communautaire établi dans un autre Etat membre au sens de l’article 43 CE, de nécessiter le soutien matériel de ce ressortissant ou de son conjoint afin de subvenir à ses besoins essentiels dans l’Etat d’origine ou de provenance de ce membre de la famille au moment où il demande à rejoindre ledit ressortissant […]. La preuve de la nécessité d’un soutien matériel peut être faite par tout moyen approprié, alors que le seul engagement de prendre en charge ce même membre de la famille, émanant du ressortissant communautaire ou de son conjoint, peut ne pas être regardé comme établissant l’existence d’une situation de dépendance réelle de celui-ci (CJCE du 9 janvier 2007, affaire C-1-05). 1».
Il en résulte que la notion de « à charge » est à entendre en ce sens que le membre de la famille désireux de bénéficier d’un regroupement familial dans le cadre de l’article 12 de la loi du 29 août 2008 doit avoir besoin du soutien matériel du regroupant à un tel point que le soutien matériel fourni est nécessaire pour subvenir aux besoins essentiels dans le pays d’origine de l’intéressé.
En ce qui concerne le moment auquel il convient d’avoir égard pour apprécier si le regroupé se trouve dans une situation de dépendance pour être considéré « à charge » au sens de l’article 3, paragraphe (2), de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ci-après désignée par « la directive 2004/38/CE », la Cour de justice de l’Union européenne2, ci-après 1 Doc. parl. N°5802, commentaire des articles, p.61.
2 CJUE, arrêt de la Grande Chambre du 5 septembre 2012, numéro C-83/11 du rôle.
5désignée par « la CJUE », a relevé que l’objectif de cette disposition consiste, ainsi qu’il découle du considérant 6 de cette directive, à « maintenir l’unité de la famille au sens large du terme », en favorisant même l’entrée et le séjour des personnes qui ne sont pas incluses dans la définition de membre de la famille d’un citoyen de l’Union contenue à l’article 2, point 2, de la directive 2004/38/CE, mais qui entretiennent néanmoins avec un citoyen de l’Union des liens familiaux étroits et stables en raison de circonstances factuelles spécifiques, telles qu’une dépendance économique, une appartenance au ménage ou des raisons de santé graves. Tout en admettant que de tels liens peuvent exister sans que le membre de la famille du citoyen de l’Union ait séjourné dans le même Etat que ce citoyen ou ait été à la charge de ce dernier peu de temps avant ou au moment où celui-ci s’est installé dans l’Etat d’accueil, la CJUE a souligné que la situation de dépendance doit, en revanche, exister au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union dont il est à la charge.
Force est de constater qu’en l’espèce et afin d’établir que le demandeur a besoin du soutien financier de son beau-père et de sa mère pour subvenir à ses besoins essentiels au Togo, les demandeurs s’appuient, en substance, sur des preuves de versements d’argent plus ou moins réguliers opérés par Monsieur B et Monsieur B au bénéfice de Monsieur A au cours de la période allant de 2008 à 2017, ainsi que sur un courrier de la société … du 5 mai 2017, censé établir l’envoi régulier de colis de nourriture, de médicaments et d’habits à destination de Monsieur A au Togo.
Pour ce qui est tout d’abord des versements d’argent qui ont été opérés au profit de Monsieur A entre 2008 et 2017, il y a lieu de relever que les montants versés ont été très variables, puisqu’à l’exception de deux versements de 1.000 euros, respectivement de 1.066 euros, il s’agissait surtout de montants s’élevant entre 30 et 450 euros, et qu’ils ont été opérés à des intervalles irréguliers. Aucune pièce n’est versée quant à d’éventuels versements d’argent postérieurs à 2017.
Il en va de même en ce qui concerne l’envoi de colis. S’agissant, dans ce contexte, du courrier de la société …du 5 mai 2017 par le biais duquel celle-ci se contente d’affirmer, sans autre précision, que la famille B aurait régulièrement envoyé des colis de nourriture, médicaments et habits à Monsieur A au Togo, force est de constater, outre le fait qu’il ne résulte pas de ce courrier à partir de quand ces envois ont été opérés, ni à quelle fréquence, que ledit courrier ne permet surtout pas de conclure que lesdits envois ont été opérés au seul profit de Monsieur A, cette question se posant d’autant plus alors qu’il ressort des relevés de versements d’argent produits en cause que Monsieur B et Monsieur B ont non seulement transféré de l’argent à leur fils, mais également à d’autres personnes au Togo.
Le tribunal relève ensuite qu’il est constant en cause que Monsieur A travaillait jusqu’en 2016 depuis plusieurs années pour une banque à ….
Le demandeur affirme dans son recours qu’il n’aurait plus pu retrouver d’emploi au Togo depuis au moins l’année 2017, alors qu’il ressort des pièces versées en cause qu’il a suivi avec succès de multiples formations professionnelles continues proposées par la Chambre des salariés au Luxembourg entre printemps 2018 et printemps 2021.
A cet égard, le tribunal constate qu’il ressort du dossier administratif que le demandeur se trouvait au Luxembourg depuis le 29 décembre 2017, date de l’introduction de sa demande en obtention d’une protection internationale et que le ministère a organisé le départ volontaire au Togo de Monsieur A en septembre 2021. Si, certes, la date exacte du 6retour du demandeur ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, il n’en reste pas moins que le litismandataire de l’intéressé affirme dans son courrier du 15 février 2022 à l’attention du ministère que le demandeur aurait entretemps quitté le territoire luxembourgeois, de sorte qu’il peut être admis que Monsieur A a rejoint son pays d’origine au plus tard en février 2022.
Au vu des précisions qui précèdent, il échet de noter que le demandeur ne saurait se prévaloir d’une impossibilité absolue et objective de trouver un emploi au Togo depuis 2017, alors qu’il séjournait au Luxembourg, au moins pour ce qui concerne la période du 29 décembre 2017 jusqu’à la fin de l’année 2021, voire au début de l’année 2022.
Force est encore de constater que si les pièces justificatives de versements de sommes d’argent et le courrier de la société … établissent certes l’existence d’un certain soutien financier dans le chef de Monsieur A jusqu’en 2017, le demandeur est en revanche resté en défaut de verser une quelconque pièce à l’égard de la dépendance financière alléguée depuis lors.
Ces pièces sont également insuffisantes pour établir que sans le soutien financier de son beau-père et de sa mère, Monsieur A ne pourrait pas subvenir à ses besoins essentiels au Togo, d’autant plus au vu de son jeune âge, de ses diplômes et en l’absence de problèmes de santé allégués, étant rappelé, dans ce contexte, que le tribunal a ci-avant retenu que le demandeur ne saurait se prévaloir d’une impossibilité absolue et objective de trouver un emploi dans son pays d’origine. Dans ce contexte, le tribunal relève encore que le demandeur reste en défaut de fournir des pièces, voire des précisions circonstanciées quant à sa situation personnelle effective, respectivement de ses besoins personnels primaires qu’il doit supporter au Togo.
Il résulte des considérations qui précèdent que le demandeur est resté en défaut d’établir l’existence dans son chef d’un lien de dépendance pour faire face à ses besoins personnels primaires à l’égard de sa mère et de son beau-père au sens de l’article 12, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.
En ce qui concerne l’affirmation du demandeur qu’il serait privé de soutien familial nécessaire dans son pays d’origine, le tribunal est amené à retenir que la privation de soutien familial dans le pays d’origine n’implique pas nécessairement que le demandeur est à charge de sa mère et de son beau-père, condition pourtant requise par l’article 12 paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, de sorte que cette argumentation est à écarter pour ne pas être pertinente en l’espèce.
Il suit de ces considérations que c’est a priori à juste titre que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial du demandeur. Dès lors, et dans la mesure où le demandeur n’établit pas qu’il remplirait les conditions de l’article 38 de la loi du 29 août 2008 c’est encore a priori à juste titre que le ministre a refusé de lui accorder une autorisation de séjour, en application de l’article 101 paragraphe (1), point 1. de la même loi.
Ces conclusions ne se voient pas énervées par le moyen subsidiaire du demandeur tiré de la prétendue violation, par la décision déférée, de l’article 8 de la CEDH, aux termes duquel « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
72. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
En effet, s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de ladite convention.
L’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit de l’Etat à contrôler l’immigration.
En matière d’immigration, le droit au regroupement familial est reconnu s’il existe des attaches suffisamment fortes avec l’Etat dans lequel le noyau familial entend s’installer, consistant en des obstacles rendant difficile de quitter ledit Etat ou s’il existe des obstacles rendant difficile de s’installer dans leur Etat d’origine. Cependant, l’article 8 de la CEDH ne saurait s’interpréter comme comportant pour un Etat contractant l’obligation générale de respecter le choix par les membres d’une famille de leur domicile commun et d’accepter l’installation d’un membre non national d’une famille dans le pays. En effet, l’article 8 de la CEDH ne garantit pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie familiale et il faut des raisons convaincantes pour qu’un droit de séjour puisse être fondé sur cette disposition3.
Il convient, dans ce contexte, encore de préciser que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie familiale effective et stable que le refus du titre de séjour du ministre perturberait de façon disproportionnée.
Il est, par ailleurs, de jurisprudence que la protection découlant de l’article 8 de la CEDH ne saurait être admise qu’à condition que la vie familiale invoquée soit effective, notion allant au-delà de l’existence d’un simple lien de parenté ou de la simple contribution pécuniaire en vue de la satisfaction de besoins matériels, et qu’elle ait été a priori préexistante à l’entrée sur le territoire national4.
Concernant plus particulièrement l’hypothèse de personnes adultes désireuses de venir rejoindre leur famille dans le pays d’accueil, tel que c’est le cas du demandeur, elles ne sauraient être admises au bénéfice de la protection de l’article 8 de la CEDH que lorsqu’il existe des éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux qui caractérisent les relations d’une personne adulte avec sa famille d’origine5.
3 Trib. adm., 16 janvier 2002, n°13859 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 502 et les autres références y citées.
4 Cour adm., 28 février 2013, n° 31852C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 479 (4e tiret) et les autres références y citées.
5 Trib. adm., 27 mars 2006, n° 20921 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 505 et les autres références y citées.
8Il est de jurisprudence que le champ de protection de l’article 8 de la CEDH serait étendu de façon excessive si les descendants majeurs capables de gagner leur vie pouvaient déduire de cette disposition conventionnelle le droit de vivre en ménage commun avec leurs parents, sauf circonstances particulières telles qu’un handicap ou une maladie grave6.
Or, il échet de constater qu’en l’espèce, il n’est pas allégué, ni a fortiori établi que Monsieur A souffrait d’un handicap ou d’une maladie grave nécessitant sa prise en charge par ses parents.
Bien au contraire, il ressort des pièces versées qu’il était à même de suivre avec succès de multiples formations professionnelles continues proposées par la Chambre des salariés au Luxembourg et il est constant en cause qu’il a déjà travaillé pendant plusieurs années au Togo.
Dès lors, et dans la mesure où le tribunal a ci-avant conclu que Monsieur A n’est pas à charge de son beau-père et de sa mère, la preuve d’éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux n’est pas établie en l’espèce.
Il s’ensuit que les demandeurs ne sauraient utilement se prévaloir de la protection de l’article 8 de la CEDH, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais et dépens.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 mai 2024 par :
Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.
s. Luana Poiani s. Daniel Weber 6 Trib. adm., 13 juillet 2018, n° 41355 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.
9 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 10