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08/05/2024 | LUXEMBOURG | N°47267

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 mai 2024, 47267


Tribunal administratif N° 47267 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47267 5e chambre Inscrit le 4 avril 2022 Audience publique du 8 mai 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt.



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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47267 du rôle et déposée le 4 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par la société en comm

andite simple Allen & Overy SCS, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J...

Tribunal administratif N° 47267 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47267 5e chambre Inscrit le 4 avril 2022 Audience publique du 8 mai 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt.

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47267 du rôle et déposée le 4 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par la société en commandite simple Allen & Overy SCS, établie et ayant son siège social à L-1855 Luxembourg, 5, avenue J.F. Kennedy, inscrite à la liste V du barreau de Luxembourg, représentée pour les besoins de la présente instance par Maître Jean Schaffner, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil de gérance actuellement en fonctions, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 14 janvier 2022, référencée sous le numéro C 28891, ayant rejeté comme non fondée sa réclamation introduite contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, émis en date du 14 octobre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er août 2022 par la société en commandite simple Allen & Overy SCS, préqualifiée, pour compte de la société à responsabilité limitée A, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean Schaffner et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Kerschenmeyer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 janvier 2024.

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En date du 8 octobre 2014 fut constituée la société à responsabilité limitée A, ci-après désignée par la « société A », faisant partie du groupe B, ci-après désignée par le « … », actif dans l’industrie du pétrole et du gaz au niveau mondial.

En date du 13 octobre 2014, la société A acquit, à travers la conclusion de deux contrats séparés, des participations dans la société C, ci-après désignée par la « société C », et dans la société CC, ci-après désignée par la « société CC », l’acquisition ayant été effective le 30 avril 2015 suite à la réalisation de la condition suspensive incluse dans les deux contrats.

1 Par courrier du 7 août 2015, la société A introduisit, par l’intermédiaire de la société à responsabilité limitée D, une demande de décision anticipée concernant le traitement fiscal envisagé au sujet de « l’allocation des participations [détenues dans la société C et la société CC] à la succursale située en Malaisie en vue d’obtenir leur exonération au niveau de l’impôt sur la fortune ».

Par courrier du 10 août 2016, l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’« administration », refusa la demande de décision anticipée au motif « que le traitement fiscal relatif à/aux opération(s) décrite(s) et tel qu’analysé par vos soins n’est pas en conformité aux textes légaux et réglementaires actuellement en vigueur alors qu’il s’agit d’une structure dépourvue de toute raison économique et dès lors constitutive d’un abus de droit au sens du § 6 StAnpG ».

En date du 3 janvier 2017, le bureau d’imposition …, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », réceptionna la déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune pour l’année d’imposition 2015 de la société A.

Par un premier courrier du 20 août 2020, le préposé du bureau d’imposition informa la société A qu’il envisageait de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année d’imposition 2015, sur le fondement du § 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », dans les termes suivants : « […] je vous informe que la Succursale « E » n’est pas reconnue par le bureau d’imposition ….

Par ailleurs, l’avance actionnaires de … USD et la réserve IFRS 9 de … USD sont considérées fiscalement comme un apport caché (… EUR). Le bilan fiscal reprenant le bénéfice fiscal est joint à cet effet. […] », tout en l’invitant à formuler ses objections pour le 10 septembre 2020 au plus tard.

Par courrier séparé, également daté du 20 août 2020, le préposé du bureau d’imposition informa la société A, sur le même fondement, qu’il envisageait de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année d’imposition 2015, suite à la non-reconnaissance de la succursale « E » et à la qualification d’apport caché, en fixant la valeur unitaire au 1er janvier 2016 comme suit :

Immobilisé … USD … EUR Réalisable et disponible … USD … EUR Fortune brute totale … USD … EUR Dettes et provisions … USD …USD 2 Total des déductions …USD …EUR Fortune nette au 01.01.2016 …USD …EUR Par courrier du « 1er avril 2022 », la société A fit parvenir ses observations écrites par rapport aux deux courriers des 20 août 2020.

En date du 14 octobre 2020, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société A, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2015. A la même date, le bureau d’imposition émit encore à son égard le - bulletin de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 indiquant notamment que « La valeur unitaire de entreprise commerciale, industrielle, minière ou artisanale est établie au 1er janvier 2016 à …EUR » et « Fixation suivant la lettre du bureau d’imposition du 20 août 2020 ».

- bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 indiquant notamment « Imposition suivant la lettre du bureau d’imposition du 20 août 2020 ».

Par un courrier recommandé du 12 janvier 2021, la société A introduisit une réclamation contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par du « directeur ».

Par courrier du 28 avril 2021, le directeur procéda à une mise en état sur le fondement des §§ 243, 244 et 171 AO et invita la société A à lui fournir un certain nombre de documents et d’explications y listés.

Par courrier du 28 juin 2021, la société A fit parvenir des documents au directeur.

Par décision du 14 janvier 2022, référencée sous le numéro C 28891, le directeur déclara la prédite réclamation recevable mais non fondée, dans les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite en date du 12 janvier 2021 par Me Jean Schaffner, de la société en commandite simple Allen & Overy, au nom de la société à responsabilité limitée A, avec siège social à L-…, pour réclamer contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, tous les deux émis en date du 14 octobre 2020 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu la mise en état du directeur des contributions du 28 avril 2021, en vertu des §§ 243, 244 et 171 de la loi générale des impôts (AO), ainsi que la réponse y relative de la réclamante entrée le 28 juin 2021;

Vu les §§ 228 et 301 AO ;

3Considérant que les réclamations ont été introduites par qui de droit dans les forme et délai de la loi ; qu’elles sont partant recevables ;

Considérant que si l’introduction par une requête unique de plusieurs demandes distinctes, mais néanmoins semblables, empiète sur le pouvoir discrétionnaire du directeur des contributions de joindre des affaires si elles sont connexes, mais n’est pas incompatible en l’espèce avec les exigences d’une procédure ordonnée ni dommageable à une bonne administration de la loi ; qu’il n’y a pas lieu de la refuser ;

Considérant que la réclamante fait grief au bureau d’imposition de ne pas avoir reconnu dans son chef l’existence d’un établissement stable en Malaisie et d’avoir requalifié deux dettes contractées auprès de son associé unique en tant qu’apport caché ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d’office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens de la réclamante, la loi d’impôt étant d’ordre public ;

qu’à cet égard le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ; qu’en l’espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Du bulletin de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 Considérant que la valeur unitaire de la fortune d’exploitation a été établie séparément dans le chef de la réclamante en vertu du § 214, n° 1 AO et que le bulletin de l’impôt sur la fortune de la réclamante repose sur le bulletin de l’établissement séparé de la fixation de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier de l’année 2016 ;

Considérant qu’une imposition qui est assise en tout ou en partie sur des bases fixées par établissement séparé ne peut être attaquée pour le motif que ces bases d’imposition seraient inexactes ; qu’une telle réclamation ne peut être formée que contre le bulletin portant établissement séparé, en l’espèce contre le bulletin de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation (§ 232, alinéa 2 AO) ;

Considérant d’ailleurs que le bulletin d’établissement séparé a fait l’objet d’une réclamation et que sa réformation entraîne d’office un redressement du bulletin d’impôt établi sur base dudit bulletin d’établissement séparé (§ 218, alinéa 4 AO) ;

Du bulletin de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier de l’année 2016 Considérant que le bureau d’imposition n’a pas reconnu l’existence d’un établissement stable, qui, suivant les dires de la réclamante, se trouverait en Malaisie (ci-après dénommé la succursale) pour le motif qu’il s’agirait d’un abus de droit au sens du § 6 de la loi d’adaptation fiscale (StAnpG) ; qu’en conséquence il a procédé à l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation en y incluant les actifs de la succursale pour un montant de …euros ; qu’en sus il a requalifié une dette figurant dans le bilan de la succursale pour un montant de …euros en tant qu’apport caché, l’excluant ainsi de la déduction de la fortune d’exploitation de la réclamante ; que la réclamante conteste encore que le bureau d’imposition a également requalifié une réserve IFRS de …euros en tant qu’apport caché ;

4Considérant que le litige porte d’une part sur l’existence de la succursale et d’autre part sur la qualification de deux postes figurant dans le passif de cette succursale ; qu’il en découle qu’il y a dans une première phase lieu de trancher la question de savoir si la succursale constitue un établissement stable au sens des dispositions de la convention du 21 novembre 2002 avec la Malaisie (la convention) avant de déterminer, le cas échéant, dans une deuxième phase la nature fiscale de ces prétendus instruments de dette ;

En ce qui concerne l’existence d’une succursale en Malaisie Considérant qu’en guise de motivation, la réclamante avance plusieurs arguments pour justifier l’existence d’un établissement stable en Malaisie, à savoir :

1) l’établissement stable disposerait d’une installation d’affaires, étant donné qu’un bureau, pour lequel elle aurait un accès permanent, lui serait mis à disposition en vertu d’un contrat de location, 2) l’établissement stable disposerait d’une installation fixe, car le bureau précité serait situé en un lieu précis, « à savoir au …, Malaisie », 3) l’établissement stable aurait une activité spécifique en Malaisie, à savoir la détention de participations ;

Considérant que la réclamante est en vertu du § 1 de loi concernant l’impôt sur la fortune (VStG) imposable sur l’ensemble de sa fortune déterminée selon les §§ 73 à 77 de loi modifiée du 16 octobre 1934 sur l’évaluation des biens et valeurs (BewG) ;

Considérant que, d’une manière générale, les conventions tendent à éviter une double imposition internationale, dite juridique, qui a lieu lorsqu’un contribuable se trouve atteint, au titre d’une même base et d’une même période, par des impôts de nature comparable appliqués par deux ou plusieurs juridictions fiscales nationales ;

Considérant que dans leur application simultanée et bilatérale par les deux Etats qui s’y sont engagés, les conventions se justifient notamment de par leur traitement équitable et uniforme des contribuables, en respectant le principe de la non-discrimination d’une personne réalisant des revenus sur les territoires de plusieurs Etats vis-à-vis d’une personne ne réalisant des revenus que sur le territoire d’un seul Etat ;

Considérant encore que les conventions fiscales internationales constituent des traités bilatéraux qui, lors de leur élaboration, ont de prime abord été négociés, paraphés et signés, puis délibérés au niveau national pour finalement être ratifiés et entrer en vigueur ; qu’elles constituent dès lors des lois auxquelles doit se conformer chaque acteur visé par leur champ d’application ;

Considérant que le principe de la hiérarchie des normes n’est autre qu’un classement hiérarchisé de l’ensemble des normes qui composent le système juridique d’un Etat de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur ; qu’il est fondé sur le principe qu’une norme doit respecter celle du niveau supérieur et la mettre en œuvre en la détaillant ;

Considérant que lors d’un conflit de normes, elle permet de faire prévaloir la norme de niveau supérieur sur la norme qui lui est subordonnée ; qu’en l’occurrence les conventions internationales priment toujours sur le droit national ; que c’est justement le droit interne qui doit nécessairement se conformer aux conventions fiscales en vigueur ;

5Considérant qu’en vertu de l’article 24, alinéa 2 de la convention, la fortune constituée par des biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un Etat contractant a dans l’autre Etat contractant est imposable dans cet autre Etat ;

Considérant qu’en ce concerne la notion d’« établissement stable » il y a lieu de se référer à l’article 5 de la convention qui se lit comme suit :

« 1. Au sens de la présente Convention, l’expression "établissement stable" désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

2. L’expression "établissement stable" comprend notamment :

a) un siège de direction ;

b) une succursale ;

c) un bureau ;

d) une usine ;

e) un atelier ;

f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles ;

3. Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse neuf mois. » ;

Considérant que le directeur a procédé en date du 28 avril 2021 à une mise en état du dossier afin de se procurer de plus amples détails en ce qui concerne les faits de l’espèce et les griefs formulés par la requérante ; que ladite mise en état du dossier est libellée comme suit :

« la réclamante est invitée à fournir une copie du contrat de bail du potentiel siège, du certificat d’immatriculation et du contrat d’emploi du « … », de la succursale en Malaisie, à produire une copie de la décision de l’assemblée générale statuant sur l’ouverture d’une succursale en Malaisie, à présenter un relevé d’identité bancaire d’un compte en Malaisie, ainsi que tous les extraits bancaires de l’année 2015 de ce compte, à documenter son établissement stable en Malaisie par le biais d’une présentation illustrée ;

à fournir une explication détaillée et concluante de la raison pourquoi elle a besoin d’un établissement stable en Malaisie afin de détenir deux participations, alors qu’elle aurait aussi bien pu les détenir au Grand-Duché, à produire une copie des comptes annuels des années 2014, 2015, 2016 et 2017 de toutes ses participations, et à fournir une copie de toutes les pièces comptables relatives aux années 2014, 2015, 2016 et 2017 de ces participations. » ;

6Considérant que dans sa réponse entrée en date du 28 juin 2021 la réclamante s’exprime, par extraits, comme suit : « Le compte bancaire n’a été ouvert qu’en 2020, dans la mesure où il s’est avéré plus pratique pour la succursale de passer par le compte bancaire luxembourgeois dans un premier temps.

Les participations dans des sociétés actives ont été allouées à la succursale en raison de l’impossibilité de bénéficier du régime mère-filiale au Luxembourg (…) L’enregistrement de la succursale avec les autorités malaisiennes (qui est une formalité de droit des sociétés) ou le recrutement de personnel ne sont pas nécessaires pour créer un établissement stable. Néanmoins, désireux de renforcer leur structure locale, cet enregistrement et le recrutement d’une personne sont actuellement en cours. » ;

Considérant que la réclamante reste en défaut de « documenter son établissement stable en Malaisie par le biais d’une présentation illustrée » ; qu’elle a cependant joint en annexe de sa requête un croquis de l’étage numéro … « … », auquel se trouve le « bureau » de son « établissement stable » ;

Considérant encore que la réclamante « fait partie du groupe A » et que la gérance de la succursale ainsi que la fourniture d’un bureau pour celle-ci, sont entièrement assurées par la société de droit malaisien « AA », faisant partie du même groupe ; que suivant ses propres dires, ses participations ne sont pas éligibles au régime mère-filiale au sens du § 60 BewG et que pour cette raison elle a créé une succursale en Malaisie afin de pouvoir exonérer ces participations ; que cette affirmation fait ressortir que la réclamante a choisi dans le présent cas une voie inadéquate afin de pouvoir exonérer la valeur unitaire de ses participations sans la pouvoir justifier par des motifs extra-fiscaux valables ; qu’il convient donc d’analyser les opérations effectuées par la réclamante sur base des critères tels qu’énumérés et retenus à travers la jurisprudence constante, afin d’être en mesure de juger si la voie juridique choisie par elle est à qualifier d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG ;

Considérant que les trois critères à remplir sont les suivants :

1) l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, 2) la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt et 3) l’usage d’une voie inadéquate et l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie ;

Considérant qu’au vu des constatations susénoncées, le troisième critère se trouve vérifié en l’espèce ; que les premier et deuxième critères se trouvent également vérifiés, étant donné que la réclamante, dont l’objet social consiste en la détention de participations, est une société à responsabilité limitée, ayant créé une succursale en Malaisie ; que cette opération rentre sans équivoque dans la conception de l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé ; que cette opération lui permet une réduction considérable de la charge d’impôt par le biais de l’exonération de la valeur unitaire de sa succursale ;

Considérant encore qu’en date du 19 mai 2016, un courriel est entré au nom de la réclamante, qui fait entendre que la réclamante ne réalise aucun revenu à travers son « établissement stable » en Malaisie : « With regard to the E (we refer to the ruling …), please be informed that the E will not recognize any taxable income in Malaysia on the basis that it 7is not earning any income which is accruing in or derived from (i.e. sourced from) Malaysia.

» ;

Considérant qu’il découle de ce qui précède, que l’existence d’un établissement en stable en Malaisie ne se trouve pas vérifié en l’espèce, ce qui est d’ailleurs corroboré par le fait que la réclamante ne dispose même pas d’un compte bancaire en Malaisie pour l’année litigieuse ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’opération litigieuse se caractérise par un détournement abusif des dispositions légales de leur objectif premier en vue de bénéficier, par un montage purement artificiel, d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur ; que tous les critères permettant de qualifier l’abus de droit au sens du § 6 StAnpG s’avèrent remplis de sorte qu’il y a pleinement lieu de confirmer le bureau d’imposition dans sa manière d’agir ;

En ce qui concerne la qualification fiscale des prétendus instruments de dette Considérant que la réclamante avance que la qualification fiscale d’un instrument devrait être effectuée sur la base de la théorie de l’accrochement du bilan fiscal au bilan commercial en vertu de l’article 40 de loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) et que « les Prêts ont été enregistrés comme dettes dans le bilan IFRS de la Société » ; qu’elle est d’avis que si « les comptes avaient été établis en Luxembourg GAAP, les Prêts seraient clairement considérés comme dette, raison pour laquelle il convient également de considérer les Prêts comme tels au bilan fiscal, dans la mesure où aucune disposition fiscale ne fait obstacle à une telle qualification. » ; qu’elle énumère plusieurs critères, qui, suivant ses dires, sont susceptibles « de délimiter la notion d’instrument de dette ou de capital », à savoir : la durée du prêt, l’existence d’un taux participatif, le taux d’intérêt, la participation au boni de liquidation, la possibilité de remboursement du principal par émission d’actions de l’emprunteur, le droit de vote rattaché au prêt et la présence d’une clause de « stapling » ; que suivant ces critères, elle constate que les instruments en question seraient à qualifier de dettes, étant donné que tous les critères seraient remplis en sa faveur sauf celui de la présence d’un intérêt ;

Considérant qu’il ressort du dossier fiscal que la réclamante a souscrit auprès de son associé unique deux prêts pour lesquels elle n’est redevable d’aucun intérêt (« interest free loan » ou « IFL ») ;

Considérant qu’à l’occasion des fonds contribués à la réclamante par le biais de l’IFL, il y a lieu de se poser la question de savoir si ces derniers sont à considérer comme fonds propres et non comme dette au niveau de la réclamante ; qu’afin de qualifier un instrument financier comme des fonds propres ou de dette, il convient de se référer au principe de la réalité économique devant prévaloir sur la qualification purement juridique (« substance over form ») ;

Considérant que le § 11 StAnpG, ayant trait à l’approche économique, l’emporte de plein droit sur l’approche purement juridique ; qu’en appliquant la méthode de l’appréciation économique, il y a lieu de dégager derrière les formes choisies, le véritable contenu des opérations économiques, celui qui est pertinent pour l’application de la loi fiscale (Tribunal administratif du 18 juin 2014, n° 32653 du rôle) ;

8Considérant que l’analyse économique et financière de l’opération litigieuse peut entraîner la requalification de l’IFL en apport caché ou en capital caché ; que « La notion fiscale inclut notamment les apports cachés et le capital caché. Les apports cachés et le capital caché sont, à tous les points de vue, assimilés au capital formel : il convient donc de les additionner au capital social pour déterminer la participation. Par « apport caché » verdeckte Einlage »), il faut entendre les apports en numéraire ou en nature faits par un actionnaire à une société en dehors de toute modification du capital social souscrit et libéré. Par le biais d’un apport caché, un avantage est octroyé par l’actionnaire, avantage qu’il n’aurait pas octroyé à une société avec laquelle aucune relation n’existe. En d’autres mots, l’apport caché constitue l’octroi d’un avantage entre personnes apparentées motivé par les relations sociales.

(…) La notion de « capital caché » (« verdecktes Stammkapital ») vise une situation où un actionnaire a accordé directement ou indirectement un prêt à une société, alors qu’un créancier indépendant, agissant suivant les usages du marché, n’aurait pas accordé ce crédit. » (cf. Etudes fiscales - Sociétés mère et filiales par …, mai 2009, pages 43 et 44) ;

Considérant qu’au sujet des apports cachés et du capital caché les travaux parlementaires relatifs à la L.I.R. ont retenu ce qui suit : « Il se peut que les sociétaires qui participent au capital dans les formes prévues par la loi accordent en plus un prêt à la société.

En l’occurrence le prêt peut constituer une façon déguisée de doter la société du capital nécessaire à la poursuite de son but. Dans certaines conditions un prêt pareil est considéré, dans le chef de la société et à l’égard de l’impôt sur le revenu des collectivités, comme capital social occulte de la société. Les intérêts accordés en raison du prêt ne sont, en l’occurrence, pas déductibles comme charges de la société. En conséquence il faut considérer le prêt, dans le chef du sociétaire, comme participation supplémentaire et les intérêts comme dividendes de cette participation. Il est difficile de prévoir des règles générales et précises qui permettraient de déterminer, dans un cas particulier, si le prêt constitue une participation au sens de l’article 114. En général, le prêt est à considérer comme participation, lorsque la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses, eût été l’augmentation de capital et qu’il résulte clairement des circonstances que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que dans un but d’évasion fiscale. Le défaut des formes juridiques usuelles du prêt, à savoir la fixation du taux des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés fournissent autant de présomptions de l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt. Il importe aussi de tenir compte des circonstances dans lesquelles le prêt est accordé. Lorsque le prêt est p. ex. immédiatement consécutif à un remboursement de capital, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature économique du prêt. » (projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, commentaire des articles, ad art. 114, p. 180 ; article 114 du projet correspondant à l’article 97 L.I.R.) ;

Considérant que, contrairement aux dires de la réclamante, les conditions générales des prêts litigieux font ressortir l’existence d’une clause « stapling » sous le point 9 « MANDATORY PREPAYMENT If : » et plus particulièrement sous la lettre (b) de celui-ci :

« Change of Shareholding : The Lender ceases to own whether directly or indirectly, more than fifty- per cent (50 %) of the issued shore capital of the Borrower ; » ; qu’il en découle que le paiement anticipé des « prêts » est obligatoire dès que le taux de participation de la réclamante dans le capital social de la société emprunteuse A diminue à moins de cinquante pourcent ; que cet agrafage avec les parts représentatives de capital est un indice clair que les instruments concernés sont à qualifier de capitaux propres ;

9Considérant qu’il ressort encore des contrats de ces différents « prêts » qu’aucun intérêt n’a été fixé ; que les fonds prêtés sont majoritairement destinés à financer les deux participations de la réclamante, alors que le risque d’une dépréciation éventuelle et de la perte éventuelle des fonds investis pèse entièrement sur son associé ; que la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés est manifeste (Capital social suivant les bilans des années 2014 et 2015 et suivant les dires de la réclamante : … euros) ; que la réclamante est donc largement sous-capitalisée (ratio dettes/fonds propres de 99,998 pourcent par rapport à 0,002 pourcent) ;

Considérant encore qu’il échet d’apporter une précision relative au bilan commercial introduit par la réclamante en annexe de sa déclaration pour l’impôt sur le revenu des collectivités, pour l’impôt commercial de l’année 2015 et pour l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 ; qu’il ressort dudit bilan commercial que la réclamante a comptabilisé une « réserve IFRS » capitalisée pour un montant de … dollars américains, alors que cette réserve est entièrement constituée d’une partie des « prêts » susénoncés, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté, mais bien au contraire, confirmé par la réclamante : « la comptabilisation d’une partie des Prêts sous forme de Réserve d’après la norme IFRS ne saurait être retenue pour les besoins de la qualification des Prêts d’un point de vue fiscal luxembourgeois. » ;

Considérant qu’en matière fiscale, les sociétés membres d’un groupe doivent être considérées comme agissant entre elles sur un marché de pleine concurrence (normes OCDE) ;

Considérant qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d’une exploitation commerciale, ne renoncerait pas à la perception d’un intérêt lorsque celle-ci aurait accordé un prêt à sa filiale, n’avancerait pas des fonds tout en assumant in fine l’entièreté des conséquences s’il ne visait pas un rendement certain à moyen ou long terme et n’aurait pas favorisé une sous-capitalisation comme dans le cas d’espèce ; qu’il en ressort qu’un créancier indépendant, agissant suivant les usages du marché, n’aurait pas accordé un crédit à la réclamante dans la situation donnée ;

Considérant qu’en droit fiscal, la « distribution cachée et l’apport caché constituent des opérations voisines ayant les caractéristiques suivantes. Il s’agit en effet de l’octroi d’un avantage entre personnes apparentées motivé par les relations sociales. » (Etudes fiscales n° 113/114/115, Guy Heintz, Impôt sur le revenu des collectivités) ;

Considérant qu’il découle de ce qui précède que le bureau d’imposition a fait une juste appréciation des faits et que c’est à juste titre qu’il n’a pas reconnu l’existence d’un établissement stable en Malaisie, tout en requalifiant les prétendus instruments de dette en apport caché ;

Considérant que pour le surplus, les impositions sont conformes à la loi et aux faits de la cause et ne sont d’ailleurs pas autrement contestées ;

PAR CES MOTIFS reçoit les réclamations en la forme, les rejette comme non fondées. […]. ».

10 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 avril 2022, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 14 janvier 2022.

I) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition.

Le tribunal est, dès lors, compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision directoriale susmentionnée du 14 janvier 2022, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

II) Quant au fond Après avoir retracé les faits et rétroactes repris, en substance, ci-avant, la société demanderesse conteste l’existence d’un abus de droit dans le cadre de l’établissement de sa « succursale » en Malaisie et prend position par rapport aux quatre conditions cumulatives qui seraient posées au § 6 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après « StAnpG », dans sa version applicable au 1er janvier 2016. Elle prend ensuite position par rapport à la question de la qualification des « prêts » octroyés en sa faveur par la société de droit malaisien A International Corporation Limited, ci-après désignée par la « société A », qui fait partie du Groupe.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant A) Quant à la question de la qualification fiscale des « prêts » Arguments de parties Dans sa requête introductive d’instance, la société demanderesse fait valoir que ce serait à tort que le directeur aurait requalifié les « prêts » lui octroyés par son associé unique, la société A, en instruments de capital, voire en apports cachés pour les besoins de l’établissement du bulletin d’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016.

Tout en se référant aux travaux parlementaires de la LIR et à des jurisprudences des juridictions administratives dont un arrêt de la Cour administrative du 26 juillet 2017, inscrit sous le numéro 38357C du rôle, la société demanderesse fait valoir que la requalification d’un prêt en apport caché de capital serait subordonnée à la réunion de deux conditions : il faudrait que la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses soit l’augmentation de capital, et il devrait « clairement » résulter des circonstances que la forme du prêt ne pourrait avoir été choisie que dans un but d’évasion fiscale. Le législateur aurait fait état de présomptions d’apport caché en faisant référence à « des particularités inhabituelles » relatives aux conditions du prêt, par exemple à la fixation du taux 11des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, ainsi que la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés. Le législateur aurait, par ailleurs, pris en considération les circonstances dans lesquelles le prêt serait accordé, tel que notamment la date de conclusion du prêt immédiatement consécutive à une réduction de capital qui révélerait l’intention du contribuable de procéder à un apport caché. Une telle qualification serait à exclure lorsque d’autres considérations entreraient en ligne de compte, à côté de considérations fiscales, quant au choix du financement par prêt, à savoir notamment des raisons de « cash-flow », respectivement de « simplicité juridique ou administrative ». Il faudrait, par ailleurs, que le but d’évasion fiscale « jaillisse clairement des circonstances », ce qui écarterait tous les cas où le doute serait permis quant à l’existence d’un but d’évasion fiscale.

La société demanderesse conteste que le financement par le biais de « prêts » aurait été choisi pour des raisons fiscales. Dans la mesure où dans le cadre de la structure mise en place et telle que reflétée dans ses déclarations fiscales, les « prêts » litigieux auraient financé des actifs alloués à un « établissement stable » situé en Malaisie, lesdits actifs seraient à exempter de l’impôt sur la fortune au Luxembourg conformément à l’article 24, paragraphe (2) de la convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (« OCDE »).

La société demanderesse ajoute que les dettes qui financeraient ces actifs, à savoir les « prêts » litigieux, en revanche, « ne s[eraie]nt pas déductibles » de sa valeur unitaire en application du § 74 de la loi de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs, appelée « Bewertungsgesetz », en abrégé « BewG ». C’est ce que la société demanderesse affirme avoir déclaré dans sa déclaration fiscale. Elle en déduit que qu’elle n’aurait pas pu avoir pour objectif de bénéficier d’un quelconque avantage fiscal en utilisant la forme de « prêts » sans intérêts pour se financer puisque dans le cadre de ses déclarations fiscales, elle n’aurait pas demandé la déduction des « prêts » de sa valeur unitaire. Les circonstances révéleraient, dès lors, que le choix de financer des actifs par les « prêts » n’aurait pas été guidé par un but d’évasion fiscale. La société demanderesse reproche au directeur de ne pas avoir apporté de preuve des circonstances qui justifieraient de croire que la forme des « prêts » n’aurait pu être choisie que dans un but d’évasion fiscale.

Elle se prévaut, dans ce contexte, de l’article 40 LIR et de la théorie dite de l’accrochement du bilan fiscal au bilan commercial qui s’appliquerait, au-delà de l’évaluation des biens, à tout élément d’actif ou de passif, respectivement à un revenu ou à une dépense, sauf disposition contraire de la loi fiscale. Elle poursuit en expliquant que les « prêts » auraient été enregistrés comme dettes dans son « bilan IFRS » et que si les comptes avaient été établis conformément au procédé « Luxembourg GAAP », lesdits « prêts » auraient « clairement » été considérés comme étant de la dette, ce qui serait une raison supplémentaire de les considérer comme tels sur le plan fiscal, dans la mesure où aucune disposition fiscale ne ferait obstacle à une telle qualification.

La société demanderesse se prévaut, ensuite, du § 11 StAnpG et du principe dit de « substance over form » auxquels se serait référé le directeur et dont il ressortirait que l’approche économique l’emporterait de plein droit sur l’approche purement juridique conformément à une jurisprudence constante des juridictions administratives, tel que notamment un arrêt de la Cour administrative du 26 juin 2008, inscrit sous le numéro 24061C du rôle. La société demanderesse indique que cette approche ne serait pas contestée au motif qu’elle aurait déjà indiqué dans sa réclamation que la qualification d’un instrument financier devait être effectuée au moyen d’un « faisceau d’indices » à l’aide duquel la qualification fiscale des « prêts » aurait dû être retenue.

12 Elle estime que les critères que le directeur aurait retenus pour requalifier les « prêts » ne seraient que des « critères parmi d’autres » et ne sauraient pas à eux seuls dicter la qualification d’un instrument, d’autant plus que les travaux parlementaires ne feraient référence qu’au terme de « présomption ».

La conclusion inexacte à laquelle le directeur serait arrivée serait, dès lors, basée sur une appréciation erronée de certains critères de qualification et sur le fait de ne pas avoir analysé d’autres critères.

Parmi les critères dont aurait tenu compte le directeur, la société demanderesse prend, d’abord, position par rapport à la clause de « stapling » et se réfère à la clause 9, point b du « contrat de prêt ». Tout en admettant que les clauses de « stapling » seraient considérées comme étant un indice parmi d’autres laissant supposer l’existence d’une contribution cachée, la société demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, la clause ne serait pas une clause de « stapling », contrairement à ce que soutiendrait le directeur. Un « stapling » consisterait à lier un prêt à des titres représentatifs du capital du débiteur en cas de disposition, de sorte que si les titres en capital venaient à être vendus, le titre de créance devrait être transféré dans la même proportion et inversement. Pour les besoins de son analyse, le directeur n’aurait, par ailleurs, pas pris en considération les paragraphes suivants de ladite clause, alors que la lecture de la clause dans son intégralité aurait pu lui permettre de ne pas se méprendre sur la portée de cette dernière. La société demanderesse insiste sur la considération qu’en l’espèce, la demande de remboursement anticipé ne constituerait qu’une faculté qui serait réservée au prêteur, plutôt qu’une obligation de remboursement automatique mise à sa charge. Il serait, dès lors, incontestable que son associé, « prêteur », aurait tout à fait le droit de ne pas exiger le « remboursement des prêts », quand bien même ledit « prêteur » céderait, par exemple, l’intégralité de la participation qu’il détiendrait dans son capital social. Ce type de clause, qui serait généralement connu sous le nom de « Change of control clause » serait largement répandue dans les contrats de crédit et servirait à préserver les intérêts d’un prêteur dans le but d’obtenir le remboursement des montants prêtés dans un contexte où les faits l’ayant amené à conclure une opération de financement auraient fondamentalement changé. Il s’ensuivrait que la clause que le directeur qualifierait de « stapling » dans les « contrats de prêt » n’en serait pas une. Il s’agirait « plutôt » une simple clause de « Change of control », de sorte que la clause en question ne saurait constituer un indice laissant supposer l’existence d’un instrument de dette.

La société demanderesse conteste, ensuite, que les « prêts » ne porteraient pas intérêt en soutenant qu’ils prévoiraient tous les deux des intérêts de retard fixé à 1% en cas de non-

remboursement du principal à échéance (« Default Rate »). Tout en admettant que le « Prêt 2 » ne prévoirait pas d’intérêts, la société demanderesse explique qu’il y serait néanmoins stipulé qu’un intérêt pourrait, sans son accord, « tout à fait […] être appliqué sur simple volonté du prêteur », son associé, sous réserve d’en recevoir une notification. Elle en conclut que les « prêts » ne sauraient être considérés comme étant dépourvus d’« intérêt au sens classique » et que leur qualification en apports cachés ne serait, sur base de ce critère, pas possible, la société demanderesse ajoutant que les financements sans intérêts seraient « extrêmement fréquents en pratique, car offrant plus de flexibilité qu’un financement par fonds propres ».

En ce qui concerne le reproche du directeur suivant lequel elle serait « largement sous-

capitalisée » compte tenu de la disproportion entre son capital social et de ses fonds « prêtés », la société demanderesse admet que les « prêts » que lui auraient octroyés son associé 13constitueraient la « grande majorité » de sa source de financement, mais estime que ce constat ne saurait influer sur la qualification des « prêts » au motif que le fait qu’une société soit sous-

capitalisée et qui s’inscrirait, en conséquence, en non-conformité avec le principe de pleine concurrence consacré à l’article 56 LIR, ne serait pas décisif dans la qualification fiscale d’un instrument. La société demanderesse ajoute que même à supposer qu’elle serait sous-

capitalisée en raison des « prêts », il aurait dû être tenu compte de sa capacité d’endettement maximale. Elle explique que la « pratique du marché » qui aurait été longtemps tolérée par l’administration et consisté à admettre un taux d’endettement de 85% en présence d’un financement en fonds propre à hauteur de 15%, aurait été considérée comme étant acceptable pour des « sociétés holding pures », comme elle-même en serait une. La société demanderesse en déduit qu’une requalification des « prêts » à hauteur de 15% aurait, dès lors, dû être retenue par l’administration, et non pas à hauteur de 100% desdits « prêts ». Par ailleurs, un prêt sans intérêts n’impacterait pas négativement ce ratio d’endettement au motif qu’aucun intérêt déductible ne serait mis en compte, de sorte qu’un tel prêt n’aurait pas un impact négatif en termes de recettes publiques.

La société demanderesse s’adonne, ensuite, à analyse d’autres critères dont il serait fréquemment tenu compte en pratique et par les juridictions administratives aux fins de procéder à la qualification fiscale d’un instrument financier. Après avoir affirmé que le directeur aurait fait preuve d’une approche restrictive en se limitant à analyser trois critères, la société demanderesse insiste sur la considération que la qualification en instrument de dettes à laquelle se serait livrée le directeur serait « tirée uniquement sur base de critères permettant d’exclure une qualification en instrument de capital », approche qui serait critiquable et erronée au motif que seule une approche « globale » qui aurait tenu compte de tous les critères d’appréciation pour les besoins d’une telle qualification aurait permis de conclure à l’existence d’instruments de dettes plutôt que d’apports cachés, la société demanderesse se référant à un arrêt de la Cour administrative du 18 août 2018, inscrit sous le numéro 38357C du rôle.

La société demanderesse dresse, à cet égard, un tableau concernant les deux « prêts » qui lui auraient été octroyés tenant compte de l’ensemble des critères dont elle affirme que le directeur aurait dû tenir compte. Une telle analyse révélerait que tant le « Prêt 1 » que le « Prêt 2 » (i) auraient une durée d’« un peu moins de 10 ans » et (ii) ne prévoiraient ni de participation au boni de liquidation, ni de possibilité de conversion du montant principal en capital, ni de possibilité de remboursement du montant principal par l’émission d’actions, ni de droit de vote ou d’information, ni même d’intérêt participatif, la société demanderesse réitérant qu’ils seraient dépourvus de clause de « stapling » et son argumentation relative aux taux d’intérêts.

Elle déduit de ce tableau synthétique que la « balance » tendrait en faveur d’une qualification des « prêts » en instruments de dettes au motif que les éléments afférents seraient bien plus nombreux que ceux en faveur d’une qualification en instrument de capital, voire d’apport caché. Cette conclusion serait conforme aux principes dégagés par les juridictions administratives dans diverses affaires. La société demanderesse en conclut que la qualification d’apport caché pour un montant de … euros devrait être écartée.

Dans sa réplique, la société demanderesse prend position par rapport au seul nouvel argument qui aurait été produit par le délégué du gouvernement, à savoir le reproche suivant lequel elle aurait ajouté une condition supplémentaire pour l’analyse économique des « prêts » litigieux consistant à apprécier si la « forme du prêt » a été choisie dans un seul but d’évasion fiscale et si l’analyse économique de l’instrument en question permet d’aboutir à cette conclusion. Tout en réitérant son argumentation à cet égard et en affirmant que ces deux conditions seraient cumulatives et non alternatives, la société demanderesse fait valoir qu’elles 14ne seraient pas remplies en l’espèce. Elle ajoute qu’il ne s’agirait pas des conditions supplémentaires au motif qu’elles seraient expressément visées par les travaux parlementaires.

Dans ce contexte, la société demanderesse ajoute que dans la mesure où les « prêts » seraient à considérer comme étant des instruments de dette en « Lux GAAP », la comptabilisation d’une partie desdits « prêts » sous forme de réserve d’après la « norme IFRS » ne saurait être retenue pour les besoins de leur qualification d’un point de vue fiscal luxembourgeois.

La société demanderesse poursuit en réitérant (i) qu’elle n’aurait pas bénéficié d’un quelconque avantage fiscal en utilisant la forme de « prêts » au motif que ces derniers auraient financé des actifs alloués à un établissement stable situé en Malaisie, de sorte qu’ils auraient été exemptés d’impôt sur la fortune au Luxembourg en vertu de l’article 24, paragraphe (2) de la Convention Luxembourg-Malaisie, tandis que les « prêts » qui auraient financé ces actifs ne seraient pas déductibles de sa valeur unitaire, et (ii) qu’elle n’aurait demandé la déduction d’aucun intérêt, y compris notionnel.

Le délégué du gouvernement conclut à la confirmation de la décision directoriale et au rejet de ce volet du recours.

Analyse du tribunal Force est au tribunal de constater qu’il est utile de se référer aux travaux parlementaires à la base de la LIR, en l’occurrence au commentaire de l’article 114 du projet de loi, devenu l’article 97 LIR, à propos de la requalification d’un prêt en apport déguisé :

« Il se peut que les sociétaires qui participent au capital dans les formes prévues par la loi accordent en plus un prêt à la société. En l’occurrence le prêt peut constituer une façon déguisée de doter la société du capital nécessaire à la poursuite de son but. Dans certaines conditions un prêt pareil est considéré, dans le chef de la société et à l’égard de l’impôt sur le revenu des collectivités, comme capital social occulte de la société. Les intérêts accordés en raison du prêt ne sont, en l’occurrence, pas déductibles comme charges de la société. En conséquence il faut considérer le prêt, dans le chef du sociétaire, comme participation supplémentaire et les intérêts comme dividendes de cette participation. Il est difficile de prévoir des règles générales et précises qui permettraient de déterminer, dans un cas particulier, si le prêt constitue une participation au sens de l’article 114. En général, le prêt est à considérer comme participation, lorsque la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses, eût été l’augmentation de capital et qu’il résulte clairement des circonstances que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que dans un but d’évasion fiscale. Le défaut des formes juridiques usuelles du prêt, à savoir la fixation du taux des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés fournissent autant de présomptions de l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt. Il importe aussi de tenir compte des circonstances dans lesquelles le prêt est accordé. Lorsque le prêt est p. ex. immédiatement consécutif à un remboursement de capital, il ne peut y avoir aucun doute sur la nature économique du prêt »1.

Il se dégage de cet extrait des travaux parlementaires que dans certains cas, la requalification des prêts par l’analyse de leurs caractéristiques financières s’impose dès que le prêt peut être assimilé sur le plan financier à des fonds propres. Cet extrait exprime l’intention 1 Projet de loi concernant l’impôt sur le revenu, doc. parl. 5714, commentaire des articles, ad art. 114, p. 180.

15du législateur luxembourgeois de ne pas suivre l’évolution de la jurisprudence opérée à l’époque par le Bundesfinanzhof allemand (BFH) - qui a insisté à ce moment sur la liberté de l’actionnaire de doter sa filiale avec des fonds propres ou de lui accorder des prêts et sur la nécessité de fonder l’analyse sur la forme juridique de l’opération choisie par les parties (« bürgerlich-rechtliche Gestaltung ») sans recourir systématiquement à une appréciation d’après des critères économiques2 - et de maintenir au Luxembourg les principes dégagés par l’ancienne jurisprudence allemande et fondés sur l’analyse économique et financière de l’opération qui pouvait entraîner la requalification d’un prêt en capital déguisé, pareille requalification pouvant jouer en faveur ou en défaveur du contribuable.

Suivant les travaux parlementaires précités, un prêt accordé par des associés ou actionnaires à une société de capitaux est à requalifier en apport caché de capital lorsque la voie normale de financement, dictée par des considérations économiques ou juridiques sérieuses, aurait été l’augmentation de capital et qu’il résulte clairement des circonstances que la forme du prêt ne peut avoir été choisie que pour des raisons fiscales, des particularités inhabituelles relatives aux conditions du prêt, concernant notamment la fixation du taux des intérêts et des modalités de remboursement, l’affectation des fonds prêtés aux immobilisations à longue durée, le défaut de garanties, la disproportion entre le capital social et les fonds prêtés, ainsi que les circonstances dans lesquelles le prêt est accordé, constituant des éléments permettant de présumer l’existence d’une participation déguisée sous la forme du prêt3.

D’autres indices retenus par la jurisprudence des juridictions administratives à cet égard sont, notamment, la fixation de droits de vote au profit du prêteur, sa participation aux profits et aux risques de la société, son droit à un éventuel boni de liquidation, un degré élevé de subordination de l’instrument par rapport à d’autres titres, une échéance à long terme, l’option de convertir l’instrument en capital par décision unilatérale de la société, le remboursement en actions de la société et la présence d’une clause de « stapling », correspondant à une disposition empêchant le transfert de l’instrument indépendamment de celui des actions de la société emprunteuse4.

En l’espèce, il est constant qu’en date du 31 décembre 2015, la société demanderesse s’est vu mettre à disposition des fonds par la société A, société ultime du Groupe auquel elle appartient, à travers la conclusion de deux instruments séparés. Le premier instrument, intitulé « … […] », porte sur un montant total de … USD, ci-après désigné par le « Premier Instrument ». La date du 31 décembre 2015 correspondant à la date de prise d’effet dudit instrument. Le second instrument, également intitulé « … […] », porte, quant à lui, sur un montant total de … USD, ci-après désigné par le « Second Instrument ».

La société demanderesse fait valoir que ces deux instruments seraient des « prêts » et qualifieraient d’instruments de dette, tandis que le directeur les a qualifiés d’instruments de capital et plus particulièrement d’« apports cachés » en fondant sa décision sur une 2 Voir notamment BFH 17 novembre 1950, I 20/50 U, BStBl. III 1951, p. 12 ; BFH 20.8.1954, I 130/53 U, BStBl.

III 1954, p. 336.

3 Cour adm., 26 juillet 2017, n° 38357C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n°734 (1er volet) et l’autre référence y citée ; Cour adm., 31 mars 2022, n° 46131C du rôle et Cour adm., 23 novembre 2023, n° 48125C du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

4 Trib. adm., 13 décembre 2018, n° 40704 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 734 (2e volet) et l’autre référence y citée ; Cour adm., 31 mars 2022, n° 46131C du rôle et Cour adm., 23 novembre 2023, n° 48125C du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

16appréciation économique dans le cadre du § 11 StAnpG, de même qu’en se référant aux travaux parlementaires précités.

En application des principes dégagés ci-avant par le tribunal, il convient, dès lors, d’examiner, d’une part, les caractéristiques des instruments litigieux, et, d’autre part, les circonstances ayant entouré leur conclusion au regard de ces critères.

Le tribunal constate, d’abord, qu’il ressort des comptes annuels de la société demanderesse concernant l’exercice 2015 qu’au 31 décembre 2015, cette dernière a obtenu la mise à disposition d’un montant total de … USD au titre du Premier Instrument et de … USD au titre du Second Instrument, de sorte que la société demanderesse a sollicité la mise à disposition d’un montant total de … USD à cette date. Le tribunal relève que ce montant correspond à 77% du total des fonds théoriquement mis à sa disposition au titre des deux instruments litigieux, à savoir … USD.

Les deux contrats portant sur les deux instruments sous analyse révèlent qu’aucun des deux n’est porteur d’intérêts débiteurs, alors que le Premier Instrument indique ne pas comporter un intérêt par la mention « … », tandis que le Second Instrument prévoit que « The Parties thereby agree that the Facility shall not bear any interest ». Si cette omission ne correspond, d’après les travaux parlementaires précités, pas à l’une des « formes juridiques usuelles du prêt », elle ne saurait toutefois, à elle seule, aboutir à la requalification des deux instruments en instruments de capital5, ce qui n’empêche pas sa prise en compte comme un indice pouvant retenir une telle qualification en l’espèce, contrairement à ce que soutient la société demanderesse.

La circonstance que le Second Instrument octroie à la société A la faculté d’imposer (« shall be entitled to impose ») en tout état de cause (« at all times »), l’application d’intérêts sous réserve d’en notifier préalablement la société demanderesse, n’est pas de nature à remettre en cause le constat que la société demanderesse s’est vu mettre à disposition … USD, sans contrepartie financière rémunératrice en faveur de la société A , ce qui ne correspond a priori pas au comportement d’un bailleur de fonds tiers exerçant dans des conditions de marché, la société demanderesse n’ayant, par ailleurs, pas allégué que la société A aurait manifesté son intention d’exiger l’application d’intérêts à un quelconque moment.

L’application d’un taux d’intérêt de 1% par an en cas de non-remboursement (« Default rate »), prévue par les deux instruments, ne saurait remédier à ce constat, voire être considérée comme constituant un substitut équivalent à l’application d’intérêts débiteur au sens propre du terme, tel que le fait plaider en substance la société demanderesse. D’abord, ces intérêts s’entendent comme des intérêts compensatoires, sinon moratoires, mais ne sauraient être considérés comme matérialisant un revenu fixe et régulier que la société A tirerait de la mise à disposition des montants litigieux à la société demanderesse et plus généralement une contrepartie qu’un bailleur de fond tiers exerçant dans des conditions de marché entendrait obtenir dans ce cadre. Ensuite, ces intérêts sont dus en cas de défaut de paiement de la société demanderesse, de sorte que leur exigibilité est manifestement conditionnée par la survenance d’un aléa, ce qui est à l’opposé de l’exigence de fixité à laquelle un revenu généré par un instrument de dettes est censée répondre. Enfin, les modalités d’application de ces intérêts demeurent vagues, alors qu’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal ne permet de conclure que ce taux de 1% serait conforme à un prix de marché, ni de déterminer sur quelle 5 Cour adm, 23 novembre 2023, n° 48125C du rôle, disponible sur le site www.justice.publiclu.

17base il serait appliqué, la seule définition fournie dans les deux contrats litigieux, « One percent (1%) per annum », n’étant pas suffisante.

Dans ces conditions, l’absence d’application d’intérêts débiteurs en contrepartie de la mise à disposition du montant de … USD au profit de la société demanderesse doit être qualifiée d’indice tendant à l’admission d’une contribution occulte aux fonds propres de la société demanderesse, tel que relevé à juste titre par le directeur.

Ensuite, par rapport à la question de la disproportion entre le capital social de la société demanderesse et les fonds mis à sa disposition par la société A épinglée par le directeur, force est de constater qu’il ressort des propres explications de la société demanderesse que la « grande majorité » de sa source de financement est issue des deux instruments litigieux. Cette affirmation se trouve vérifiée par les comptes annuels de la société demanderesse concernant l’exercice 2015 qui confirment que son capital social représentatif de ses parts sociales s’élevait à … USD au 31 décembre 2015, de même qu’au 31 décembre 2014 et ce également à sa date de constitution en date du 8 octobre 2014. La circonstance que les notes aux comptes révèlent que le poste « Equity » de la société demanderesse inclut également des « Other capital reserves » d’un montant de … USD ne saurait être considérée comme faisant partie, en l’espèce, de son capital social strico sensu, dans la mesure où il est constant en cause que ce montant correspond intégralement à une partie des instruments litigieux ayant été comptabilisés en tant qu’instrument de capital sous les normes comptables IFRS dont la qualification fiscale est justement litigieuse en l’espèce.

Le montant de … USD mis à disposition de la société demanderesse au 31 décembre 2015, tel que relevé ci-avant, correspond ainsi à 99,99% de sa source de financement, tel que relevé à juste titre par le directeur.

La société demanderesse étant pour ainsi dire financée en totalité par les montants mis à sa disposition par la société A à travers les deux instruments litigieux, le tribunal retient que c’est à juste titre que le directeur en a conclu que la société demanderesse était largement sous-

capitalisée par rapport aux fonds mis à sa disposition et que cette disproportion constituait un indice de nature à établir l’existence d’une contribution occulte aux fonds propres de la société demanderesse.

C’est également à juste titre que le directeur en a tiré la conséquence que le risque de la perte des fonds mis à disposition de la société demanderesse était, dès lors, exclusivement supporté par la société A, dans la mesure où la société demanderesse ne disposait proportionnellement d’aucun fonds propre, circonstance établissant un indice supplémentaire tendant à exclure la qualification d’instrument de dettes.

Encore que ces éléments n’aient pas été soulevés par le directeur, le tribunal se doit de relever, pour être complet, deux indices supplémentaires tendant vers une qualification des instruments litigieux en instruments de capitaux, qui se dégagent non seulement des comptes annuels de la société demanderesse concernant l’exercice 2015, inclus dans le dossier fiscal, mais également des deux contrats relatifs auxdits instruments litigieux.

D’une part, il ressort des notes aux comptes annuels de la société demanderesse concernant l’exercice 2015 que les deux instruments litigieux ne sont assortis d’aucune garantie (« unsecured »), de sorte que la société A a mis à disposition de la société demanderesse près d’un demi milliard de dollars sans se ménager une quelconque garantie de retrouver sa mise.

18 D’autre part, et quant à l’affectation des fonds mis à disposition de la société demanderesse, il y a lieu de relever que le Premier Instrument est composé d’une première tranche d’un montant maximal de … USD destinée (« Purpose ») au « Payment by the pipeline purchaser of its share of the purchase consideration for the acquisition of Statoil’s working interests in the Shah Deniz projet, offshore Azerbaijan », tandis que la seconde tranche d’un montant maximal de … USD était destinée au « Payment of customary adjustments of capital expenditures (“CAPEX”), operating expenditures (“OPEX”) and revenue ». Le Second Instrument était destiné à financer, à travers deux tranches distinctes de … USD et … USD, les « […] Capital expenditures (“CAPEX”), Operating expenditures (“OPEX”) and General & Administrative Expenses (“G&A”) » de la société demanderesse pour respectivement les « Q2 » et « Q4 » de l’année 2015. Dès lors, l’affectation des sommes mises à disposition à la société demanderesse doit être considérée comme portant essentiellement sur des immobilisations à longue durée visant à financer un projet de gazoduc, tel que cela ressort également de la note 5 aux comptes annuels de la société demanderesse concernant l’exercice 2015. Il en ressort également que les fonds mis à disposition de la société demanderesse ont servi en grande partie à l’acquisition de la société C et de la société CC, de sorte à également démontrer une affectation de sommes à des immobilisations à longue durée.

En revanche, le tribunal constate que les indices qui sont, en l’espèce, de nature à tendre vers une qualification des deux instruments litigieux en instruments de dettes sont de deux ordre.

Premièrement, les deux contrats fixent une « Maturity Date » à près de 10 ans, en l’occurrence au 30 novembre 2025 et 30 novembre 2016.

Deuxièmement, aucun des deux contrats litigieux ne contient une clause dite « stapling », contrairement à ce que soutient le directeur.

En effet, les deux contrats contiennent chacun une clause, intitulée « Assignment by Lender », – à laquelle ni le directeur, ni la société demanderesse ne se sont référées – aux termes de laquelle la société A a la faculté de transférer (« may assign ») ses droits et obligations tirée des deux instruments, sans autre formalité, ni condition. La société demanderesse ne dispose, au contraire, pas de la faculté de céder ses obligations librement. Les clauses respectives des deux instruments, intitulées « Restriction on Assignment by the Borrower », subordonnent le transfert de ses obligations par la société demanderesse à l’accord préalable de la société A. De ce point de vue, aucune corrélation ne ressort a priori des deux contrats entre le transfert éventuel par la société A de ses droits et obligations tirés des deux instruments, d’une part, et, celui de la cession de ses participations dans la société demanderesse, d’autre part.

Cela étant, le directeur s’est fondé sur la clause, intitulée « Mandatory Prepayment » comprenant un point, intitulé « Change of Shareholding », pour conclure à l’existence d’un tel agrafage. Cette stipulation présente dans les deux contrats prévoit que dans le cas où la société A cesserait de détenir directement ou indirectement au moins 50% du capital social de la société demanderesse, la société A aurait la faculté (« may […] declare ») de déclarer l’intégralité des montants mis à disposition de la société demanderesse comme étant immédiatement exigibles, entraînant un remboursement obligatoire des sommes mises à disposition endéans un délai de 10 jours.

19Le tribunal ne partage, dès lors, pas la conclusion tirée par le directeur et délégué du gouvernement suivant laquelle le paiement anticipé des instruments litigieux serait obligatoire en cas de cession par la société A de plus de 50% de ses participations détenues dans la société demanderesse, puisque le paiement nécessiterait une décision de la société A en ce sens. Il est donc a priori envisageable pour la société A de céder ses participations dans la société demanderesse, indépendamment de tout transfert des instruments litigieux. A défaut d’autres éléments mis en avant par la partie étatique, le tribunal retient que les clauses sous analyse ne s’analysent pas en des clauses de « stapling », de sorte à ne pas constituer d’indices tendant vers une qualification de contributions occultes de fonds propres en faveur de la société demanderesse.

Toutefois, le tribunal est amené à retenir, sur base d’une mise en balance de l’ensemble des indices analysés ci-avant, que ces deux seuls indices qui tendent vers une qualification des deux instruments en instruments de dettes – l’existence d’une « Maturity Date » et l’absence de clause de « stapling » – sont insuffisants pour retenir cette qualification en définitive, contrairement à ce que soutient la société demanderesse.

Il est certes vrai qu’aucun des deux instruments ne prévoit, par ailleurs, d’intérêt participatif, de participation au boni de liquidation, de possibilité de conversion du montant principal en capital, de possibilité de remboursement du principal par émission d’actions, et de droits de vote ou d’information. Or, tel que relevé par la société demanderesse elle-même, il ne convient pas seulement de se référer aux indices dégagés par le législateur lors de l’adoption de la LIR, mais il y a également lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances dans lesquelles les instruments litigieux ont été mis en place afin d’aboutir à une analyse économique de l’ensemble des circonstances. Il ne s’agit, dès lors, pas de procéder à une addition arithmétique du nombre d’indices tendant vers l’une ou l’autre qualification, étant précisé qu’il ne se dégage pas des travaux parlementaires précités que le législateur aurait entendu accorder une prééminence à certains critères plutôt qu’à d’autres.

Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que les indices portant sur (i) l’absence d’intérêts débiteurs, (ii) la disproportion manifeste entre les fonds mis à disposition par la société A et les capitaux propres de la société demanderesse, (iii) l’absence de garanties en faveur de la société A, et (iv) l’affectation des fonds litigieux à des immobilisations à longue durée, sont, dans leur ensemble, de nature à établir que le Premier Instrument et le Second Instrument s’analysent intégralement au niveau fiscal, autrement dit sur base de la réalité économique, en des apports de capitaux déguisés de la société A en faveur de la société demanderesse. La société demanderesse ne peut pas raisonnablement soutenir qu’un créancier tiers opérant dans des conditions normales de marché aurait mis à disposition un demi-milliard de dollars à un emprunteur ne disposant pour ainsi dire d’aucun capitaux propres, qui plus est sans se ménager des garanties afin de récupérer sa mise intégrale, à tout le moins une partie substantielle de ses sommes, et sans obtenir une quelconque rémunération en contrepartie de la mise à disposition de ces montants et in fine en contrepartie du risque de défaut de paiement dudit emprunteur. Le tribunal retient, au contraire, en l’état actuel du dossier et en dépit des stipulations des contrats portant sur les deux instruments litigieux, mais en adoptant une approche économique de la réalité de l’ensemble des circonstances, que le fait que la société demanderesse ait pu bénéficier de telles conditions ne peut s’expliquer que par le lien d’actionnariat indirect existant avec la société A, tel que relevé pertinemment par le directeur et le délégué du gouvernement, respectivement par son appartenance au même Groupe.

20Les contestations afférentes de la société demanderesse encourent, dès lors, le rejet.

La tentative de la société demanderesse de se prévaloir d’une tolérance, voire d’une pratique administrative portant sur l’acceptation d’un ratio d’endettement de 85% en présence d’un financement en fonds propres à hauteur de 15%, pour cantonner la requalification des instruments litigieux en instruments de capital, non pas intégralement, mais à hauteur de 15%, est inopérante en l’espèce.

D’abord, aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal ne vient corroborer l’existence d’une telle tolérance ou pratique administrative et il n’appartient pas au tribunal de palier à la carence de la société demanderesse, respectivement de son litismandataire, dans l’administration de cette preuve. Il s’ensuit que la société demanderesse n’est pas non plus fondée à exciper, de l’entendement du tribunal, une quelconque confiance légitime qu’elle aurait eu dans l’application par l’administration d’une telle tolérance ou pratique.

En tout état de cause, même à admettre l’existence d’une telle tolérance ou pratique administrative, la société demanderesse n’est pas fondée à soutenir qu’il y aurait lieu d’assimiler – pour les seuls besoins de l’analyse du respect du ratio 15/85 – l’équivalent de 15% des instruments litigieux en des fonds propres, compte tenu de l’absence d’intérêts débiteurs attachés auxdits instruments, afin que le ratio d’endettement en question soit respecté.

En effet, si une certaine doctrine6 considère que des prêts sans intérêts seraient à assimiler à du capital pour les besoins du calcul du ratio d’endettement, cette thèse repose néanmoins nécessairement sur la condition que le solde de 85% du financement soit, quant à lui, effectivement porteur d’intérêts et qualifie effectivement d’instrument de dette, ce qui n’est justement pas le cas des instruments litigieux en l’espèce.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce volet du litige est à rejeter pour être non fondé.

B) Quant à la question de l’existence d’un abus de droit dans le contexte de l’établissement de la « succursale » en Malaisie Arguments des parties Dans sa requête introductive d’instance, la société demanderesse affirme ne pas contester que la création de sa « succursale » et que le transfert en faveur de cette dernière de ses deux participations dans la société C et la société CC constitueraient des opérations effectuées en ayant eu recours à l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé. Elle estime, en revanche, que la question de la détermination de l’existence de la « succursale » en Malaisie an sens de la Convention tendant à éviter les doubles imposition et à prévenir la fraude fiscale en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune, ci-après désignée par la « Convention Luxembourg-Malaisie», ne résulterait pas de formes ou d’institutions de droit privé, mais serait « la résultante » d’une qualification fiscale donnée à un état de fait, à savoir l’existence ou non d’une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

6 En ce sens : A. Steichen, Précis fiscal de l’entreprise, Edition 2020, Legitech, p. 560, n° 601.

21Par rapport à la condition tendant à la recherche d’une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, la société demanderesse fait valoir que la jurisprudence des juridictions administratives aurait adopté une interprétation large des termes de « recherche d’une économie d’impôts ». Il serait certes suffisant que la charge d’impôt ait été évitée, réduite ou différée dans le temps, mais il serait, dans tous les cas, nécessaire de vérifier si le contribuable a effectivement bénéficié d’un avantage fiscal. Tout en se prévalant d’un arrêt du 23 décembre 2021, inscrit sous le numéro 45696C du rôle, par lequel la Cour administrative aurait jugé que ledit critère tenant à une économie d’impôt ne serait pas rempli si, par comparaison à une situation où le contribuable n’était pas établi au Luxembourg, aucune économie n’avait été réalisée, la société demanderesse fait valoir que si le Groupe avait choisi de ne pas localiser les participations dans la société C et la société CC à une société de droit luxembourgeois, aucun impôt n’y aurait été acquitté, de sorte qu’en l’espèce, la détention desdites participations par sa « succursale » n’aurait produit aucune économie d’impôt. La société demanderesse estime que l’affirmation du directeur selon laquelle l’opération litigieuse lui aurait permis de bénéficier d’une réduction considérable de sa charge d’impôt par le biais de l’exonération de la valeur unitaire de sa « succursale » serait insuffisante afin de caractériser l’existence d’une recherche d’économie d’impôt dans son chef, et lui reproche d’avoir omis de tenir compte que la mise en place de sa structure qu’elle aurait effectivement retenue n’aurait produit aucun avantage fiscal par rapport à une structuration non luxembourgeoise.

Par rapport à la condition tenant à l’usage d’une voie inadéquate, la société demanderesse se prévaut d’un arrêt de la Cour administrative du 18 mars 2014, inscrit sous le numéro 33125C du rôle, ainsi que d’un arrêt du 27 juillet 2016, inscrit sous le numéro 36855C du rôle, pour soutenir qu’elle ne serait pas remplie, en substance, au motif que le directeur serait resté en défaut de préciser de manière circonstanciée en quoi tel serait le cas. La société demanderesse se prévaut, par ailleurs, d’un arrêt de la Cour administrative du 1er décembre 2016, inscrit sous le numéro 37844C du rôle, pour ajouter que l’administration n’aurait pas à s’ingérer dans les décisions opérationnelles de contribuables ou d’en discuter le bien-fondé au motif qu’elles s’inscriraient dans son intérêt économique.

Par rapport au quatrième critère de l’abus de droit tenant à l’absence de motifs extra-

légaux valables pour justifier la voie inadéquate choisie, la société demanderesse donne à considérer que l’existence de motivations autres que fiscales serait suffisante pour qu’une opération ne soit pas considérée comme étant abusive, alors que la condition en question ne serait remplie qu’à partir du moment où la seule finalité de l’opération serait d’ordre fiscal.

Elle estime que la preuve de l’existence du motif exclusivement fiscal appartiendrait à l’administration, mais qu’elle serait restée en défaut de satisfaire à cette obligation en l’espèce, en l’occurrence de démontrer que l’établissement de la « succursale » serait exclusivement motivé par des considérations fiscales.

La société demanderesse fait valoir que le choix du Luxembourg serait justifié par l’existence d’une « convention bilatérale de protection des investissements entre Luxembourg et l’Azerbaïdjan » au motif qu’il se serait agi pour elle de protéger les investissements du Groupe dans les pays respectifs grâce au « mécanisme alternatif de résolution des conflits » qui serait prévu dans ladite convention. Elle ajoute que dans la mesure où la gestion de ses participations dans la société C et société CC aurait nécessité certaines compétences et des moyens humains qui n’auraient pas existé dans son chef au Luxembourg, il aurait été décidé d’allouer lesdites participations à sa « succursale » qui serait localisée dans les locaux du siège du Groupe et qui disposerait de tels moyens techniques et humains. La société demanderesse se réfère, dans ce contexte, à un « Service Level Agreement » qu’elle aurait conclu avec la 22société de droit malaysien AA, ci-après désignée par la « société AA », qui ferait partie du Groupe.

A titre subsidiaire, la société demanderesse prend position par rapport à la question de la reconnaissance de sa « succursale » en Malaisie et fait valoir qu’en soulevant la question de l’abus de droit, le directeur aurait implicitement mais nécessairement reconnu l’existence de ladite « succursale ».

Elle affirme rejoindre le directeur dans son affirmation suivant laquelle l’appréciation de l’existence d’un établissement stable en Malaisie devrait être effectuée sur base des critères prévus dans la Convention Luxembourg-Malaisie, laquelle primerait le droit national, ainsi que sur base du § 16, alinéa (5) StAnpG. Tout en ajoutant, dans ce contexte, ne pas contester l’applicabilité de l’article 25, alinéa 2 de la Convention Luxembourg-Malaisie, la société demanderesse explique qu’il ressortirait de cette disposition que les biens rattachés à un établissement seraient imposables dans l’Etat dans lequel se trouve cet établissement stable, de sorte que dans l’hypothèse où il en existerait un en Malaisie, le Luxembourg devrait exonérer la fortune ainsi imposée en Malaisie en vertu de l’article 25, alinéa 2, point (a) de la Convention.

La société demanderesse prend position par rapport à la question de l’existence d’une installation d’affaires en se référant au commentaire du Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE, ci-après le « Commentaire OCDE », pour soutenir que son « établissement stable » en Malaisie disposerait bien d’un bureau conformément au « Service Level Agreement » qui ferait notamment référence à la location d’un tel bureau. Elle réfute la position du directeur suivant laquelle l’absence de « présentation illustrée » de son « établissement stable » serait suffisante pour conclure à l’absence d’une telle installation fixe d’affaires. Outre le fait qu’un plan détaillé aurait justement été fourni dans le cadre de son recours et qu’une telle « présentation illustrée » ne refléterait que les éléments prévus au point 2 de l’annexe 3 du « Service Level Agreement », la société demanderesse met en doute la pertinence de cette exigence de preuve du directeur, alors qu’il ne pourrait pas s’agir d’un élément décisif pour les besoins de la détermination de l’existence de l’« établissement stable » en Malaisie. Elle ajoute que la circonstance qu’une société dispose d’un compte bancaire dans une certaine juridiction ne saurait constituer un critère d’appréciation pour déterminer l’existence d’une installation d’affaires et, par extension, d’un établissement stable dans ce pays, dans la mesure où elle exercerait son activité par l’intermédiaire d’une installation fixe d’affaires en Malaisie et qu’elle pourrait utiliser un compte bancaire auprès d’une banque non-résidente en Malaisie.

La société demanderesse fait valoir que son installation en Malaisie serait fixe en ce sens qu’elle se trouverait à un point géographique donné et que la fixité de son installation rendrait possible le caractère permanent de son « établissement stable », alors que les bureaux qui auraient été mis à disposition de sa « succursale » en vertu du « Service Level Agreement » seraient situés en Malaisie au « … » et qu’une telle situation serait comparable à celle de la mise à disposition d’un bureau par un domiciliataire ou une fiduciaire luxembourgeois à une succursale ou filiale d’une société. Elle ajoute encore dans ce contexte que dans la mesure où le directeur ne se serait pas prononcé sur ce point de fixité, cette condition ne serait pas contestée et serait, dès lors, remplie.

La société demanderesse poursuit ses explications en prenant position par rapport aux activités de son « établissement stable ». A cet égard, elle explique que l’existence d’un établissement stable supposerait que l’entreprise qui dispose d’une installation fixe d’affaires 23en Malaisie l’utilise pour exercer toute ou partie de son activité, sans que cette activité ne constitue pour autant une activité préparatoire ou auxiliaire. Le Commentaire OCDE préciserait à cet égard que l’activité ainsi exercée ne devrait pas nécessairement être une activité de production, de même que les opérations effectuées à travers cet établissement stable devraient être effectuées de façon régulière, mais pas nécessairement de façon permanente. En l’occurrence, l’activité de la « succursale » consisterait en la détention de participations qui ne saurait constituer une activité préparatoire ou auxiliaire, notamment au vu de son objet social et compte tenu du fait que ses participations dans la société C et société CC représenteraient la quasi-totalité des actifs de son bilan. Le respect de ces critères découlerait d’une situation de fait qui tirerait son origine dans la décision de son conseil de gérance d’allouer lesdites participations à sa « succursale » et dans la conclusion du « Service Level Agreement » avec la société AA qui serait établie en Malaisie au « … ».

Tout en affirmant que le « Service Level Agreement » aurait certes été conclu le 7 mars 2016 avec une prise d’effet au 1er janvier 2015, la société demanderesse affirme qu’il ne pourrait pas être contesté qu’elle aurait effectivement mis en place ses activités au courant du mois de décembre 2015 compte tenu de ses résolutions datées du 17 décembre 2015 ayant décidé de l’allocation de ses participations à la « succursale » et de conclure le « Service Level Agreement ».

Elle se prévaut des dispositions du « Service Level Agreement », en particulier de son annexe 1, pour soutenir qu’il prévoirait la fourniture par la société AA d’un certain nombre de services en Malaisie en sa faveur, tel que notamment la location d’un bureau équipé, des services de gestion, en ce y compris la gestion journalière, un support légal, un suivi des revenus provenant des investissements de l’« établissement stable », des services de trésorerie, un support en matière de préparation des comptes annuels, des relations avec les autorités fiscales malaisiennes et un support en matière administrative. Les services ainsi prestés par la société AA auraient pour but d’assurer que la « succursale » soit bien opérationnelle et puisse mener à bien ses activités, encore que le « Service Level Agreement » ne prévoirait pas la mise à disposition de salariés, mais seulement la mise à disposition d’un gérant, à savoir un « … ».

La société demanderesse ajoute que les autorités fiscales malaisiennes auraient formellement confirmé l’existence d’un établissement stable dans un courrier du 13 avril 2017 et qu’il résulterait, par ailleurs, d’un courrier du 31 décembre 2020 que l’existence d’un établissement stable en Malaisie au sens de la Convention Luxembourg-Malaisie aurait été confirmée au titre des années d’imposition 2018, 2019 et 2020.

Elle reproche au directeur d’avoir ajouté une condition qui ne serait pas prévue par ladite convention, à savoir celle que l’existence d’un établissement stable serait conditionnée par l’existence d’une imposition de la « succursale ». La société demanderesse se prévaut de l’article 7, paragraphe (1) du Commentaire OCDE pour soutenir qu’il reviendrait à l’Etat auquel le pouvoir d’imposer l’établissement stable appartient de déterminer s’il impose et à quelle condition il impose les actifs et profits allouables à l’établissement stable. Toute interprétation de la Convention Luxembourg-Malaisie qui irait au-delà de la lettre du texte ne saurait être prise en compte, dans le cas présent, pour la détermination de l’existence d’un établissement stable en Malaisie, d’autant plus que les autorités fiscales malaisiennes ne se seraient pas non plus référées à l’existence d’un tel critère.

La société demanderesse se prévaut, par ailleurs, d’une décision du Bundesfinanzhof allemand du 30 janvier 1981 (1ILR. 116/79, (1981) BstBl., II, 560) dont il ressortirait qu’un 24établissement stable commencerait à exister non pas à partir du moment où une succursale commencerait à être opérationnelle, mais à partir du moment où seraient effectués des actes tendant à exercer une activité commerciale à un moment ultérieur, tel que par exemple la location de bureaux ou la mise à disposition de moyens financiers, sans que de tels actes ne puissent être considérés comme actes préparatoires ou auxiliaires au sens de la convention du modèle OCDE. Elle cite également des extraits de doctrine en ce sens et ajoute que les principes retenus dans cette décision seraient conformes au commentaire du modèle OCDE et plus particulièrement ceux de l’article 5, paragraphe (1). Il en ressortirait qu’un établissement stable commencerait à exister dès qu’une entreprise préparerait son installation, autrement dit les activités auxquelles l’installation servirait en permanence. Il en résulterait que les actes de préparation, à savoir les actes pris dans le cadre de la mise en place de l’établissement stable seraient à considérer comme un commencement d’existence d’une telle installation fixe d’affaires pour les besoins de l’application de la convention. La société demanderesse en déduit que même à supposer que la « succursale » n’aurait pas encore effectué d’activité économique au 1er janvier 2016, les résolutions de son conseil de gérance datées du 17 décembre 2015 constitueraient dans tous les cas des « activités préparatoires représentant le début de l’existence de son établissement stable en Malaisie ».

Dans sa réplique, la société demanderesse affirme ne pas contester qu’une demande de décision anticipée ait été déposée le 7 août 2015, ni même le contenu de cette demande, le fait qu’elle se soit vu opposer un refus de la part de l’administration et qu’elle ait, malgré ce refus, tout de même appliqué dans sa déclaration fiscale portant sur l’année d’imposition 2015 le traitement fiscal ainsi demandé et refusé. Elle explique que suite à la décision de refus de l’administration, une entrevue aurait eu lieu dans les locaux de l’administration en date du 10 novembre 2016 en présence de son ancien litismandataire, lors de laquelle les représentants de l’administration n’auraient ni formulé d’objections, ni émis de doute quant à la restructuration envisagée. L’administration se serait engagée, lors de cette entrevue, à émettre rapidement les bulletins d’imposition des années d’imposition en cause. Elle donne à considérer que l’administration n’aurait pas non plus rejeté son analyse, mais aurait décidé de ne pas émettre de décision favorable pour des raisons d’opportunité, la société demanderesse faisant valoir que la structure litigieuse ne serait pas pour autant contraire à la loi.

Tout en affirmant qu’elle aurait préparé sa déclaration fiscale pour l’année d’imposition 2015 en se fondant, de « bonne foi », à ce que l’administration lui aurait communiqué lors de l’entrevue, et qu’il serait « évident » qu’elle n’aurait pas mis en place d’établissement stable en Malaisie, ni préparé sa déclaration fiscale sur cette base, si l’administration avait émis une position de principe de refus. La société demanderesse concède que l’application du principe de confiance légitime serait limitée en l’espèce en raison de la décision de refus, il serait indéniable qu’elle se serait fiée aux dires de l’administration en tenant compte de l’existence d’un établissement stable en Malaisie, ce qui l’aurait induite en erreur, alors qu’elle serait désormais obligée de défendre une position qu’elle croyait acceptée « ou du moins tolérée » par l’administration. La société demanderesse estime qu’en émettant les bulletins d’imposition litigieux sans tenir compte du traitement fiscal « accepté » lors de la réunion du 10 novembre 2016, l’administration aurait agi à l’encontre des expectatives qu’elle aurait fait naître dans son chef à ce moment.

La société demanderesse reproche, ensuite, au délégué du gouvernement de se limiter à déduire de l’effet rétroactif du « Service Level Agreement », (i) qu’aucun service n’aurait été rendu au cours de l’année d’imposition 2015, (ii) qu’aucun « … » n’aurait assuré les services convenus, et (iii) le fait que la « succursale » n’aurait disposé ni de locaux, ni d’équipements 25pour ladite année, sans toutefois procéder à une analyse factuelle des circonstances, ce qui serait pourtant nécessaire. Ce serait à tort que le délégué du gouvernement aurait conclu à une absence de preuve que ledit contrat aurait été matériellement exécuté à partir du 1er janvier 2015 en faisant abstraction de l’ensemble des pièces qu’elle aurait versées à l’appui de son recours. La société demanderesse insiste sur la considération que le « Service Level Agreement » n’aurait certes été signé qu’au cours de l’année 2016, mais que le but aurait été de formaliser un état de fait, à savoir la prestation de services par la société AA en sa faveur pour les besoins de l’administration de la « succursale ».

Par rapport au reproche de l’administration portant sur la fixité de son adresse en Malaisie, la société demanderesse conteste l’existence d’incohérences dans son argumentation et donne à considérer que son « … » qui aurait été salarié de la société AA, aurait habituellement exercé ses fonctions au « … », mais que cet endroit n’aurait pas nécessairement correspondu à la localisation précise de la « succursale », alors qu’il serait possible que le « … » se trouve ailleurs que dans les locaux de la « succursale », laquelle pourrait se situer dans une des deux autres tours, ou dans la même tour mais à un étage différent, la société demanderesse se référant à l’article 5, paragraphe (1) du Commentaire OCDE. A cet égard, la société demanderesse ajoute que la « succursale » aurait été amenée à changer d’endroit, respectivement de tour, à la suite de « réallocations » internes des postes de travail et afin de répondre aux besoins croissants de la « succursale », notamment au niveau des services prestés en sa faveur dans le cadre du « Service Level Agreement ». Ces changements de localisation démontreraient que la « succursale » aurait une présence physique réelle et permanente puisqu’elle aurait été relocalisée en fonction de ses besoins et de ceux du Groupe, la société demanderesse précisant que si elle n’avait eu qu’une localisation physique, une telle relocalisation n’aurait pas été nécessaire.

Par rapport au reproche du délégué du gouvernement tenant à une absence de définition du terme « facility » dans le « Service Level Agreement », la société demanderesse se réfère au point B de son préambule et estime qu’en tout état de cause, cet élément, de même que le reproche tenant à une absence de preuve de paiement en guise de rémunération pour la prestation des services fournis au titre du prédit contrat, ne seraient pas suffisants pour conclure à l’inexistence d’un établissement stable en Malaisie.

La société demanderesse conteste, ensuite, les développements du délégué du gouvernement visant à remettre en cause la nature réelle de ses activités en Malaisie. Elle explique que l’absence de compte bancaire serait justifiée par la considération qu’au cours de l’année 2015, elle se serait trouvée dans une phase de mise en place de ses activités, de sorte que des comptes bancaires luxembourgeois auraient été utilisés dans un premier temps. La société demanderesse estime que l’absence de personnel ne saurait constituer un indice permettant de conclure à l’absence d’activité réelle en Malaisie, alors qu’il conviendrait de tenir compte du type d’activité exercée par une succursale, ainsi que de la manière dont cette activité serait organisée au motif que ces éléments pourraient influer sur la nécessité et le besoin de personnel. L’activité de sa « succursale » aurait été limitée à une activité de détention qui pourrait en principe être exercée avec assez peu de moyens, de sorte que la gestion de ses participations n’aurait nécessité jusqu’à présent que le concours d’un « … » en charge de la gestion journalière de la « succursale », la société demanderesse précisant que certaines tâches de nature administrative ou comptable auraient été externalisées à la société AA en vertu du « Service Level Agreement ». Dans ce contexte, la société demanderesse se réfère au Commentaire OCDE de l’article 5, paragraphe (1) dont il ressortirait que l’activité d’un établissement stable serait généralement exercée par un « entrepreneur » ou par des salariés, 26de sorte que la présence de salariés ne serait pas indispensable et que l’absence de salariés au niveau de la « succursale » ne saurait constituer une raison suffisante afin de conclure à l’inexistence d’un établissement stable au sens de la Convention Luxembourg-Malaisie.

Quant à l’enregistrement de la « succursale » auprès des autorités malaisiennes, la société demanderesse fait valoir qu’il ne serait pas obligatoire d’après le droit malaisien et que la Convention Luxembourg-Malaisie ne subordonnerait l’existence d’un établissement stable à aucune enregistrement préalable auprès d’une quelconque autorité. En l’exigeant, le délégué du gouvernement rajouterait une condition non prévue par ladite convention.

Par rapport à la question de l’abus de droit au sens du § 6 StAnpG, la société demanderesse maintient que cette qualification retenue par le directeur impliquerait nécessairement la reconnaissance par ce dernier de la « succursale » en Malaisie.

Elle ajoute par rapport au critère de recherche d’une économie d’impôt que même à supposer que sa « succursale » n’aurait pas détenu les participations dans la société C et la société CC, mais qu’elle les aurait détenues elle-même directement, sa base d’imposition aurait été « vraisemblablement » proche de zéro pour les besoins de l’impôt sur la fortune au motif que la valeur desdites participations aurait été réduite à hauteur du montant des « prêts » octroyés par son associé. Dans ce contexte, la société demanderesse conteste l’existence d’un « aveu » tiré par le délégué du gouvernement du courrier du 19 mai 2016, alors qu’il se serait agi d’une simple description d’une situation de fait.

Quant à l’usage d’une voie inadéquate et à l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie inadéquate choisie, la société demanderesse reproche au délégué du gouvernement de se référer à l’« aveu » pour en déduire que ces deux conditions seraient remplies. Elle explique que si le transfert des participations dans la société C et la société CC avait pour effet de réduire l’impact fiscal en cas de distribution de dividendes, il ne se serait agi que d’un « effet secondaire » et non pas du motif principal ou de l’un des motifs principaux de ce transfert. Au contraire, le transfert desdites participations aurait été principalement justifié par le fait que le Groupe, qui serait établi en Malaisie, disposerait de moyens humains et techniques suffisants afin de les gérer. Bien que la « succursale » n’aurait pas disposer de salarié au cours de l’année 2015, il serait indéniable que la présence d’un « … », salarié qualifié d’une entité du Groupe et qui disposerait de qualifications adéquates, de même que l’accès immédiat aux fonctions de support du Groupe dans le cadre du « Service Level Agreement » seraient autant d’éléments permettant de mener à bien son objet social. La société demanderesse ajoute que la nécessité de maintenir son siège social au Luxembourg, bien que ne détenant pas d’actifs, serait justifié par l’accès du Luxembourg au « traité bilatéral d’investissement avec l’Azerbaijan », qui constituerait une des juridictions à laquelle seraient exposés certains des investissements effectués par le Groupe par le biais de ses filiales.

La société demanderesse donne encore à considérer qu’elle serait en droit, comme tout contribuable, de choisir la voie la moins imposée dont le principe découlerait de la liberté contractuelle qui serait bien ancré dans la jurisprudence, notamment européenne, qui aurait retenu, en substance, qu’un objectif économiquement réel et valablement sous-tendant une transaction, telle qu’en l’espèce, ne qualifierait pas d’abus de droit.

Finalement, la société demanderesse estime que même à admettre que la condition tenant à l’usage d’une voie inadéquate serait remplie en l’espèce, il y aurait lieu d’y substituer une voie adéquate, ce que l’administration serait restée en défaut de faire. Elle serait plus 27particulièrement restée en défaut de proposer une voie alternative adéquate qui correspondrait « à la réalité de la structure litigieuse dans un but de sécurité juridique envers le contribuable, que quand bien même il y aurait un abus, ce dernier ne serait pas punissable ». La société demanderesse ajoute que la voie alternative proposée par l’administration et qui permettrait de contredire une structure donnée ne pourrait pas être arbitraire ou simplement théorique.

L’absence de proposition de voie alternative par le délégué du gouvernement exclurait à lui seul la qualification de « voie adéquate ».

Le délégué du gouvernement conclut à la confirmation de la décision directoriale et au rejet de ce volet du recours.

Analyse du tribunal Force est de constater que dans le cadre de ce volet du litige, le directeur reproche à la société demanderesse d’avoir simulé l’ouverture d’une « succursale » en Malaisie exclusivement pour lui attribuer, suivant une résolution de son conseil de gérance du 17 décembre 2015, ses participations détenues dans la société C et la société CC acquises le 30 avril 2015 suivant un contrat du 13 octobre 2014, et ainsi faire en sorte que lesdites participations ne soient pas prises en considération au Luxembourg dans le cadre de l’établissement de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016.

La décision directoriale porte ainsi, d’une part, sur le refus d’accepter l’existence d’une « succursale » en Malaisie au sens de la Convention Luxembourg-Malaisie, et, d’autre part, sur l’existence d’un abus de droit au sens du § 6 StAnpG dans l’attribution par la société demanderesse de ses participations détenues dans la société C et la société CC à ladite « succursale ».

L’argumentation de la société demanderesse suivant laquelle la qualification d’abus de droit retenue par le directeur dans la mise en place de la « succursale » impliquerait ipso facto sa reconnaissance préalable par le directeur est à rejeter, alors que c’est, au contraire, l’absence de reconnaissance de la « succursale » litigieuse qui a amené le directeur à conclure que l’ensemble de la transaction constituerait un abus de droit.

1) Quant à l’existence d’une « succursale » en Malaisie Il est constant en cause que la question de l’existence de la « succursale » en Malaisie est à analyser d’après les dispositions de la Convention Luxembourg-Malaisie dont l’article 5, intitulé « Etablissement stable », dispose comme suit :

« 1. Au sens de la présente Convention, l’expression „établissement stable“ désigne une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité.

2. L’expression „établissement stable“ comprend notamment :

a) un siège de direction, b) une succursale, c) un bureau, d) une usine, e) un atelier et 28f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles.

3. Un chantier de construction ou de montage ne constitue un établissement stable que si sa durée dépasse neuf mois.

4. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, on considère qu’il n’y a pas „établissement stable“ si :

a) il est fait usage d’installations aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison de marchandises appartenant à l’entreprise :

b) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de stockage, d’exposition ou de livraison;

c) des marchandises appartenant à l’entreprise sont entreposées aux seules fins de transformation par une autre entreprise;

d) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’acheter des marchandises ou de réunir des informations, pour l’entreprise;

e) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins d’exercer, pour l’entreprise, toute autre activité de caractère préparatoire ou auxiliaire;

f) une installation fixe d’affaires est utilisée aux seules fins de l’exercice cumulé d’activités mentionnées aux alinéas a) à e), à condition que l’activité d’ensemble de l’installation fixe d’affaires résultant de ce cumul garde un caractère préparatoire ou auxiliaire.

5. Une entreprise d’un Etat contractant est considérée comme ayant un établissement stable dans l’autre Etat contractant, si elle exerce des activités de surveillance dans cet autre Etat pendant plus de cinq mois en relation avec un chantier de construction ou de montage qui est entrepris dans cet autre Etat.

6. Une personne (autre qu’un courtier, qu’un commissionnaire général ou que tout autre agent jouissant d’un statut indépendant auquel s’applique le paragraphe 7) agissant dans un Etat contractant pour le compte d’une entreprise de l’autre Etat contractant, est considérée comme un établissement stable dans le premier Etat, si :

a) elle dispose dans le premier Etat de pouvoirs qu’elle y exerce habituellement, lui permettant de conclure des contrats au nom de l’entreprise, à moins que ses activités ne soient limitées à l’achat de marchandises pour l’entreprise; ou b) elle conserve dans le premier Etat un stock de marchandises appartenant à l’entreprise, au moyen duquel elle accepte et exécute régulièrement des commandes pour le compte de l’entreprise.

7. Une entreprise d’un Etat contractant n’est pas considérée comme ayant un établissement stable dans l’autre Etat contractant du seul fait qu’elle y exerce son activité par l’entremise d’un courtier, d’un commissionnaire général ou de tout autre agent jouissant d’un statut indépendant, lorsque ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

8. Le fait qu’une société qui est un résident d’un Etat contractant contrôle ou est contrôlée par une société qui est un résident de l’autre Etat contractant ou qui y exerce son activité (que ce soit par l’intermédiaire d’un établissement stable ou non) ne suffit pas, en lui-

même, à faire de l’une quelconque de ces sociétés un établissement stable de l’autre. ».

29 Il est encore constant en cause que la société demanderesse affirme qu’elle disposerait d’une « succursale » en Malaisie, en substance, au motif que les conditions visées aux paragraphes 1, 2, point b, voire c) et 4, point e), précités, de la Convention Luxembourg-

Malaisie seraient remplies, de sorte que les autres cas visés à l’article 5, précité, ne seront pas analysés par le tribunal.

Le tribunal relève, ensuite, que l’application de ces dispositions est à effectuer à la lumière du Commentaire OCDE, dans la mesure où, d’une part, il n’est pas contesté que l’article 5 de la Convention Luxembourg-Malaisie reprend essentiellement le libellé du modèle de convention de l’OCDE, et, d’autre part, ledit modèle a pour principal objet de permettre de régler uniformément les problèmes qui se posent le plus couramment dans son application7.

Il ressort d’une lecture combinée de l’article 5, paragraphes 1, 2, points b et c), et 4, point e), précités, ainsi que du Commentaire OCDE afférent8, que l’existence d’un établissement stable en Malaisie est conditionnée par (i) l’existence d’une installation d’affaires, c’est-à-dire une installation matérielle quelconque pouvant notamment revêtir la forme d’une succursale ou d’un bureau, (ii) l’existence d’une installation d’affaires qui doit être fixe, c’est-à-dire qu’elle doit être établie en un lieu précis et être caractérisée par un certain degré de permanence, (iii) l’exercice de tout ou partie de l’activité de l’entreprise en question par l’intermédiaire de cette installation en ce sens que des personnes exercent l’activité dans l’Etat où est située l’installation fixe, en l’occurrence en Malaisie, et (iv) l’absence de caractère préparatoire ou auxiliaire de cette activité.

Force est au tribunal de constater que le directeur a, à juste titre, dénié à la société demanderesse l’existence d’une succursale en Malaisie.

Certes, le « Service Level Agreement », auquel s’est référé la société demanderesse, prévoit9 une mise à disposition, pour un usage par la société AA (« for PSCS’s use in the BRANCH office ») d’un lieu de travail (« Work station »), d’un ordinateur, d’un accès internet, à un service de messagerie électronique, ainsi qu’à une ligne téléphonique et fax, d’une imprimante photocopieuse, et d’un espace d’archivage, de sorte à être a priori susceptible de constituer un emplacement réservé pour les besoins de la « succursale »10.

Toutefois, au-delà de ces stipulations, le tribunal constate, d’une part, que rien ne permet de conclure, en l’état actuel du dossier et sur base des éléments soumis par la société demanderesse à son appréciation, à l’existence effective d’une telle succursale en Malaisie, alors que la société demanderesse est restée en défaut de soumettre au tribunal des éléments probants permettant de retenir l’implantation effective d’une telle « succursale » par l’intermédiaire de laquelle son activité serait en tout ou partie exercée, et, d’autre part, que le caractère de fixité n’est pas donné en l’espèce, alors que l’adresse de la « succursale » n’est pas clairement identifiée.

En effet, le « Service Level Agreement » ne renseigne pas le lieu et l’adresse exacte des locaux qui seraient mis à disposition de la « succursale ». La seule mention d’une adresse est celle du « … » qui serait censée se situer au « … ». Or, cette adresse ne concorde pas avec les explications de la société demanderesse suivant lesquelles l’installation d’affaires serait située 7 En ce sens : Cour adm., 17 janvier 2006, n° 20316C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 1393.

8 Commentaire OCDE, version 2014, article 5, paragraphe 1, point 2.

9 Appendix 3.

10 Commentaire OCDE, article 5, paragraphe 4.

30dans les locaux du siège du Groupe et plus particulièrement de la société AA, à savoir dans la « … ». Ces deux adresses ne concordent, quant à elles, pas avec le plan des bureaux versé par la société demanderesse dans le cadre de son recours et portant sur la « … » correspondant manifestement à la « …». Dans ce contexte, le tribunal précise que la demande du directeur visant à exiger la production d’une « présentation illustrée » de la « succursale » ne constitue pas un ajout aux conditions de la Convention Luxembourg-Malaisie, mais s’inscrit à l’évidence dans le cadre de l’analyse de l’existence réelle et concrète de ladite « succursale » en Malaisie dont la réalité est justement contestée par le directeur et litigieuse en l’espèce, étant relevé à cet égard que le plan versé par la société demanderesse ne répond pas à la demande du directeur, alors qu’il s’agit d’un simple plan générique illustrant un agencement de bureau d’un étage à la « …. » ne renseignant pas précisément l’emplacement qui aurait été réservé au « … », seul personnel qui serait, en l’espèce, d’après la société demanderesse, en charge de son activité en Malaisie.

Si le tribunal peut concevoir que des questions d’organisation interne et de logistique puissent nécessiter de déménager les locaux de la « succursale », en ce compris entre les trois différentes tours du complexe, il n’en demeure pas moins que la société demanderesse reste en défaut de fournir le moindre élément de nature à établir la réalité de ces réorganisations rendant ne serait-ce que plausible les déménagements successifs allégués. L’affirmation de la société demanderesse suivant laquelle, il serait, en substance, indifférent de savoir si le « … » aurait travaillé depuis la tour numéro 1, 2 ou 3 est à rejeter, alors que les conditions visées dans la Convention Luxembourg-Malaisie, interprétées à la lumière du Commentaire OCDE requièrent une installation d’affaires fixe qui nécessite plus particulièrement un emplacement qui serait mis à disposition de la « succursale » afin qu’elle puisse l’utiliser de manière permanente11 et ce d’autant plus qu’en l’espèce, cet emplacement se trouve dans les locaux qui ne lui appartiennent pas, mais à la société AA qui les lui met a priori gratuitement à disposition, le « Service Level Agreement » ne faisant aucune mention d’une contrepartie pécuniaire.

L’analogie faite par la société demanderesse entre cette organisation et celle de sociétés qui se verraient mettre à disposition des bureaux par des domiciliataires ou des fiduciaires n’invalide pas ce constat, alors que même dans ce cas, le caractère de fixité serait requis. Le Commentaire OCDE converge dans ce sens en excluant que la simple présence d’une entreprise à un emplacement particulier signifie nécessairement que cet emplacement soit à la disposition de l’entreprise12.

Loin de démontrer la réalité d’une « présence physique réelle et permanente », telle que la société demanderesse l’affirme, l’absence d’indentification claire de l’adresse de l’installation d’affaires alléguée, couplée (i) à l’absence d’un quelconque document octroyant à la « succursale » un emplacement clairement défini – tel que le contrat de bail réclamé par le directeur, la seule référence à un « BRANCH Office » ou à une « FACILIY » non autrement définie dans le « Service Level Agreement », n’étant pas suffisant –, et (ii) à l’absence de paiement pour l’utilisation d’une partie des locaux mis à disposition par la société AA, sont de nature à jeter un doute sur la réalité de l’existence matérielle d’une installation fixe d’affaires en Malaisie.

Ensuite, le tribunal est amené à retenir qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation qu’une quelconque activité de la société demanderesse serait exercée en tout ou partie par l’intermédiaire d’une telle installation fixe d’affaire sise en Malaisie.

11 Commentaire OCDE, article 5, paragraphes 4.

12 Commentaire OCDE, article 5, paragraphe 4.2.

31 Aux termes du « Service Level Agreement », la société AA disposerait des compétences et de l’expertise nécessaires pour fournir, en tant que partie tierce13, à la société demanderesse un certain nombre de services énumérés à l’annexe 1, en ce compris notamment des services juridiques, des services de comptabilité, ainsi que des services administratifs, moyennant paiement en numéraire à charge de la société demanderesse14. La société AA a nommé un « … » pour l’exécution desdits services sous la supervision du conseil d’administration de la société AA15, en la personne de « … »16.

Il en ressort que ce n’est pas un membre du personnel de la société demanderesse, dont il dépendrait, qui serait censé exercer l’activité de l’entreprise de la société demanderesse en Malaisie, mais ce serait un membre du personnel de la société AA qui mettrait à la disposition de la société demanderesse un « … » pour qu’elle bénéficie de diverses prestations de services, la société demanderesse admettant elle-même qu’elle n’aurait pas besoin de personnel, respectivement d’une personne supplémentaire au « … » compte tenu de son activité économique qui consisterait uniquement en la gestion des participations dans la société C et la société CC. Si le tribunal peut rejoindre ce raisonnement en ce que l’objet social de la société demanderesse correspond a priori principalement à celui d’une société de participation financière et que la nécessité d’avoir du personnel sur place, mis à part un « … » par la société AA, ne s’impose pas d’emblée, il n’en demeure pas moins que l’existence d’un établissement stable au sens de l’article 5 de la Convention Luxembourg-Malaisie requiert, en tout état de cause, que l’activité de la société demanderesse soit exercée en Malaisie par l’intermédiaire de son installation fixe d’affaires et une activité de détention de participation ne dispense pas du respect de cette condition, d’autant plus que c’est justement l’exercice effectif d’une quelconque activité et l’existence d’une certaine substance de la « succursale » en Malaisie qui reste en l’espèce à l’état de pure allégation17.

Or, force est de constater qu’il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le « … » aurait presté un quelconque service en faveur de la « succursale » en Malaisie, en ce compris les services énumérés à l’annexe 1 du « Service Level Agreement ». La seule mention du nom du « … » dans ledit contrat ne démontre pas non plus qu’il s’agirait effectivement d’un salarié de la société AA, alors qu’aucun contrat de travail n’a été versé en cause. Même à admettre le caractère ponctuel des services sollicités et prestés, l’intégralité des prestations de services y énumérées requiert manifestement la confection de documents écrits que la société demanderesse est restée en défaut de soumettre tant au directeur qu’au tribunal18.

A ce constat s’ajoute une absence d’éléments, tels que d’extraits de comptes, démontrant que la « succursale » aurait effectué des paiements en contrepartie des prestations de services lui fournies, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement19. La circonstance que la « succursale » ne nécessiterait pas de personnel autre que le « … » ne résout pas la question de la réalité d’une installation fixe et permanente de la prétendue « succursale » à partir de laquelle l’activité alléguée aurait été exercée.

13 Clause 2.1 14 Clause 1.1, clause 3.1, clause 4.4., clause 6, appendix 2.

15 Clause 4.3, appendix 3.

16 Appendix 4.

17 Cour adm. 30 janvier 2024, n° 49145C du rôle, confirmant Trib. adm., 26 mai 2023, n° 45030 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

18 Cour adm. 30 janvier 2024, n° 49145C du rôle, confirmant Trib. adm., 26 mai 2023, n° 45030 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

19 Egalement en ce sens : Cour adm. 30 janvier 2024, n° 49145C du rôle, confirmant Trib. adm., 26 mai 2023, n°45030 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

32 L’absence non contestée de compte bancaire ouvert par la société demanderesse en Malaisie jusqu’en 2020, tel que cela ressort de ses propres explications communiquées au directeur dans le cadre de sa mise en état, corrobore cette conclusion. L’explication de la société demanderesse suivant laquelle il se serait avéré être « plus pratique » pour la « succursale » de passer par le compte bancaire luxembourgeois « dans un premier temps » n’emporte pas la conviction du tribunal, alors que la société demanderesse est restée en défaut de verser le moindre document de nature à établir (i) l’existence de son compte bancaire au Luxembourg, (ii) que des transactions monétaires auraient été effectuées entre elle et sa « succursale » en faisant usage d’un compte bancaire au Luxembourg et qui seraient en rapport avec son activité en Malaisie, en ce compris lors de la « phase de mise en place de ses activités » en 2015, et (iii) l’ouverture effective d’un compte bancaire en Malaisie à compter de l’année 2020. Même à admettre l’ouverture d’un compte bancaire en Malaisie en 2020, ces explications de la société demanderesse sont de nature à démontrer qu’elle aurait, en définitive, mis 5 ans à mettre en place son activité, ce qui est à tout le moins de nature à jeter un doute sur le caractère opérationnel de l’activité de la société demanderesse au 1er janvier 2016, sinon à établir, à défaut d’autres éléments, le caractère préparatoire des activités de la société demanderesse durant cette période.

La circonstance que suivant une résolution datée du 17 décembre 2015, le conseil de gérance de la société demanderesse a approuvé de s’engager dans la conclusion (« Approved for the Company to enter into ») du « Service Level Agreement » avec la société AA, mais que la conclusion dudit contrat a été faite le 7 mars 2016, tandis que la date effective d’entrée en vigueur du contrat a été fixée rétroactivement au 1er janvier 201520, constitue un élément supplémentaire qui jette un doute quant à la réalité d’une quelconque activité exercée par la société demanderesse par l’intermédiaire d’une « succursale » au 1er janvier 2016. Le caractère rétroactif du contrat litigieux ne saurait être considéré comme ayant pour seul but de « formaliser un état de fait », tel que la société demanderesse le soutient, étant donné qu’il ne ressort justement d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que la société demanderesse aurait exercé une quelconque activité par l’intermédiaire d’une installation fixe d’affaires en Malaisie, voire que cette dernière aurait bénéficié de prestations de services de la part de son « … ».

Dans ce contexte, le tribunal est amené à préciser que si la société demanderesse tente, globalement, de remettre en cause la décision directoriale en faisant valoir que la question de la localisation de sa « succursale », de l’existence de personnel, de l’existence de preuve de paiement de services dont sa « succursale » aurait bénéficié au titre du « Service Level Agreement », de l’existence de compte bancaires en Malaisie et d’une présentation illustrée de sa « succursale » seraient autant d’éléments qui ne seraient pas « décisifs » ou « suffisants », voire dont il ne pourrait pas du tout être tenu compte pour conclure à l’existence ou non de sa « succursale », il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’éléments d’appréciation reconnus par la jurisprudence constante des juridictions administratives et encore récemment par un arrêt de la Cour administrative du 30 janvier 2024, inscrit sous le numéro 49145C du rôle, étant relevé que la société demanderesse n’a pas non plus mis en avant d’autres critères qui seraient, selon elle, pertinents dans le cadre de l’analyse de la reconnaissance de sa « succursale » conformément à la Convention Luxembourg-Malaisie, interprétée à la lumière du Commentaire OCDE.

20 Clause 1.1, clause 11.

33L’argumentation de la société demanderesse tendant à voir reconnaître l’existence d’une « succursale » en Malaisie repose in fine exclusivement sur la signature d’un « Service Level Agreement » – dont l’exécution concrète n’est pas établie et qui s’apparente, en l’état actuel du dossier, à un contrat de pure convenance compte tenu de son caractère rétroactif et des éléments dépeints ci-avant –, ainsi que sur la résolution de son conseil de gérance du 17 décembre 2015, alors que (i) le local exact et précis n’est pas précisément identifiable, (ii) que toute preuve d’une quelconque prestation de service qui aurait été fournie par le « … » en faveur de la « succursale » au cours d’une quelconque période fait défaut, (iii) qu’il n’est ni contesté et ni allégué par la société demanderesse qu’aucune contrepartie n’a été versée pour les prestations de services fournies à la « succursale », et (iii) qu’aucun compte bancaire n’a été ouvert en Malaisie entre 2015 et 2020.

Dès lors, le tribunal ne saurait suivre la thèse de la société demanderesse en retenant que le seul fait que son conseil de gérance ait décidé, suivant une résolution du 17 décembre 2015, d’ouvrir une « succursale » en Malaisie, démontrerait que cette dernière aurait déjà existé à ce moment, respectivement qu’il se serait agi d’« activités de préparation » représentant le début de l’existence de son établissement stable en Malaisie. A défaut de preuve de la réalité matérielle de la « succursale » en Malaisie, de même que de l’exercice d’une quelconque activité par l’intermédiaire d’une installation fixe d’affaires au 1er janvier 2016 dans ce pays, cette seule résolution de conseil de gérance, et de même que la conclusion du « Service Level Agreement » – dont l’exécution matérielle demeure toujours non établie au jour du présent jugement –, sont tout au plus de nature à qualifier d’activités préparatoires au sens de l’article 5, paragraphe (4) de la Convention Luxembourg-Malaisie, partant à exclure toute qualification de « succursale ».

L’extrait de la doctrine citée par la société demanderesse, quant à lui, ne s’inscrit pas en faux contre cette analyse, bien au contraire. D’abord, l’extrait en question21 porte sur la question – étrangère à l’objet du présent litige – de l’attribution de revenus à un établissement stable qu’il aurait généré à une période où il n’aurait pas encore existé (« had not subsisted yet »), ce qui implique manifestement qu’un établissement stable répondant aux conditions de l’article 5 du modèle OCDE se concrétise in fine, ce qui n’est justement pas le cas en l’espèce.

Ensuite, s’il ressort de l’extrait en question cité par la société demanderesse que même des activités préparatoires réalisées au cours du processus de mise en place de l’établissement stable qualifieraient d’activités exercées par l’intermédiaire dudit établissement stable, force est de constater qu’il ressort du passage subséquent22, non cité par la société demanderesse, que dans le cas d’un échec dans la mise en place de l’établissement stable (« failed PE ») rendant impossible le lancement des activités opérationnelles, peu importe les raisons (« for whatever reason »), une analyse minutieuse au regard des circonstances particulières de l’espèce s’imposerait. Or, en l’espèce, l’analyse effectuée par le directeur, à laquelle le tribunal s’est ralliée ci-avant, a précisément démontré que la preuve de la réalité matérielle de la « succursale » en tant que telle, de même que la preuve de la réalité d’une quelconque activité exercée en Malaisie par l’intermédiaire de cette « succursale » faisait défaut. En tout état de cause, la doctrine dont se prévaut la société demanderesse confirme, dans un autre troisième extrait23, non cité par la société demanderesse, qu’un établissement stable commence à exister 21 Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, Fifth Edition, 2022, Volume 1, Wolters Kluwer, article 5, p.406, nos 84 et 85.

22 Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, Fifth Edition, 2022 Volume 1, Wolters Kluwer, article 5, p.406, no 86.

23 Klaus Vogel on Double Taxation Conventions, Fifth Edition, 2022, Volume 1, Wolters Kluwer, article 5, p.406, no 81.

34dès lors que le dernier élément indispensable contenu dans la définition de l’article 5, paragraphe (1) du modèle OCDE et que les conditions négatives visées aux articles 5, paragraphes (4) et (6) dudit modèle seraient remplies, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, tel que relevé ci-avant.

L’ensemble des éléments qui précèdent suffisent à exclure l’existence d’une « succursale » de la société demanderesse en Malaisie au 1er janvier 2016, tel que décidé par le directeur, indépendamment de la question de la nécessité pour une installation fixe d’affaire de devoir réaliser des revenues pour qualifier comme tel, cet examen étant surabondant.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par la reconnaissance alléguée d’une « succursale » par les autorités malaisiennes, étant rappelé qu’une décision d’une administration fiscale étrangère ne s’impose, en principe, comme élément de droit à l’autorité fiscale d’un autre Etat ni, a fortiori, au tribunal appelé à trancher le litige, mais elle constitue pour ces derniers un élément de fait dont ils peuvent tenir compte sans y être tenus24. En effet, si le courrier du 13 avril 2017 émanant des autorités compétentes malaisiennes confirme l’existence d’un établissement stable de la société demanderesse en Malaisie, force est de constater qu’il ne précise pas à partir de quelle date cette reconnaissance a été faite, respectivement au titre de quelle année d’imposition le courrier a été émis. Dans ces conditions et dans la mesure où le courrier indique répondre à deux courriers datés des 24 janvier et 8 mars 2017, le tribunal retient qu’il ne saurait constituer un élément de preuve de nature à établir l’existence d’une succursale en Malaisie au 1er janvier 2016, date-clé litigieuse en l’espèce.

Quant au courrier du 31 décembre 2020 émanant des autorités malaisiennes, le tribunal constate qu’il confirme l’existence d’un établissement stable de la société demanderesse en Malaisie au sens de la Convention Luxembourg-Malaisie pour les années d’imposition 2018, 2019 et 2020, et non pas au titre de l’année d’imposition litigieuse.

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que ce volet du litige est à rejeter pour être non fondé.

2) Quant à l’existence d’un abus de droit Le tribunal est amené à relever d’emblée que le seul constat vérifié ci-avant que la société demanderesse ne disposait d’aucune « succursale » en Malaisie au 1er janvier 2016 n’est pas ipso facto de nature à caractériser l’existence d’un abus de droit au sens du § 6 StAnpG compte tenu des conditions cumulatives visées dans cette disposition qui doivent être réunies, ni de nature à en exclure la qualification, étant donné qu’il convient d’analyser l’opération litigieuse avec le traitement fiscal tel qu’appliqué par la société demanderesse suivant sa déclaration fiscale, tel que remis en cause par l’administration.

Il y a, d’abord, lieu de rappeler qu’il est constant en cause qu’en date du 13 octobre 2014, la société A a acquis, à travers la conclusion de deux contrats séparés, une participation dans la société C et la société CC ayant toutes les deux pour objet la construction, la maintenance et l’opération de gazoducs. L’acquisition est devenue effective le 30 avril 2015 suite à la réalisation de la condition suspensive incluse dans les deux contrats.

24 Trib. adm., 3 décembre 2001, n° 12831 du rôle, confirmé par Cour adm., 23 avril 2002, n° 14442C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Impôts, n° 1366 et les autres références y citées.

35Il est encore constant en cause qu’à travers la résolution de son conseil de gérance datée du 17 décembre 2015, précitée, la société demanderesse a décidé d’allouer l’ensemble de ses actifs à sa « succursale » en Malaisie (« allocation of the Company’s current investments to its E »), en ce compris ses participations détenues dans la société C et la société CC.

De son côté, le directeur a considéré que l’absence de « succursale » en Malaisie qualifierait d’abus de droit au sens du § 6 StAnpG, ce que la société demanderesse conteste.

Le § 6 StAnpG, dans sa version applicable au litige25, définit l’abus de droit en ces termes : « (1) Durch Missbrauch von Formen und Gestaltungsmöglichkeiten des bürgerlichen Rechts kann die Steuerpflicht nicht umgangen oder gemindert werden.

(2) Liegt ein Missbrauch vor, so sind die Steuern so zu erheben, wie sie bei einer den wirtschaftlichen Vorgängen, Tatsachen und Verhältnissen angemessenen rechtlichen Gestaltung zu erheben wären ».

Cette disposition reflète ainsi le principe de l’appréciation d’après les critères économiques en matière fiscale26, et règle le détournement abusif des dispositions légales de leur objectif premier en vue de bénéficier, par des constructions artificielles, d’avantages fiscaux injustifiés et non voulus par le législateur27.

La reconnaissance d’un abus de droit suppose la réunion de plusieurs éléments, à savoir plus particulièrement (i) l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, (ii) une économie d’impôt consistant en un contournement ou une réduction de la charge d’impôt, (iii) l’usage d’une voie inadéquate et (iv) l’absence de motifs extra-fiscaux valables pouvant justifier la voie choisie28.

La théorie de l’abus de droit permet ainsi à l’administration d’écarter des constructions juridiques ou opérations motivées exclusivement par des fins fiscales, non motivées par des considérations économiques, le critère essentiel permettant de distinguer l’abus de droit au sens du § 6 StAnpG de l’hypothèse du bénéfice légitime d’un avantage fiscal étant en particulier la vérification d’une motivation autre que fiscale du recours à une certaine construction ou opération29.

L’application du § 6 StAnpG suppose que les conditions constitutives d’un abus de droit doivent être examinées au regard de la globalité des opérations faites en l’espèce et des personnes physiques et morales étant intervenues dans le cadre de ces opérations30.

Quant à la charge de la preuve de l’existence d’un abus de droit, force est de rappeler que s’il incombe en principe à l’Etat qui, tel que c’est le cas en l’espèce, invoque un abus de droit de prouver que les éléments constitutifs de l’abus se trouvent réunis en rendant plausible 25 Voir : loi du 21 décembre 2018 transposant la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

26 Etudes fiscales 81/82/83/84/85, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, p. 120.

27 Etudes fiscales 2000, Glossaire de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, p.18.

28 Trib. adm., 27 juin 2013, n° 30540 du rôle, confirmé par Cour adm., 18 mars 2014, n° 33125C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Impôts, n° 32 et les autres références y citées.

29 Trib. adm., 27 juin 2013, n° 30540 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 31 (1er volet) et les autres références y citées.

30 Trib. adm., 28 janvier 2015, n° 33984 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 16 février 2016, n° 35979C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 31 (2e volet) et les autres références y citées.

36l’absence d’une justification économique à la base de la voie choisie, il incombe au contribuable de faire état de considérations économiques réelles pouvant justifier la voie choisie malgré l’apparence établie par l’Etat31.

En ce qui concerne le critère de l’utilisation de formes et d’institutions du droit privé, force est de constater que l’opération litigieuse repose sur l’acquisition par la société demanderesse de ses participations détenues dans la société C et la société CC en date du 13 octobre 2014, ainsi que la décision de mettre en place une « succursale » en Malaisie et l’attribution desdites participations à cette « succursale » décidées dès le 17 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le directeur a retenu que ce premier critère est rempli en l’espèce.

Le tribunal ne partage pas l’affirmation de la société demanderesse suivant laquelle l’attribution des participations litigieuses remplirait cette condition, mais pas la qualification de l’existence de sa « succursale » qui ne serait que la conséquence d’une qualification donnée à un « état de fait ». En effet, cette thèse conduirait à exclure d’office et systématiquement la reconnaissance d’un quelconque abus de droit dans la décision de mettre en une « succursale » au seul motif qu’il ne s’agirait que d’une question d’appréciation factuelle, ce qui ne saurait être le cas. En tout état de cause, l’implication d’une succursale dans le cadre d’un abus de droit a déjà été reconnue comme étant constitutive d’une utilisation de formes et d’institution du droit privé32.

En ce qui concerne le critère de l’économie d’impôt, le tribunal rappelle qu’il est reproché à la société demanderesse d’avoir choisi de mettre en place une « succursale » en Malaisie pour lui attribuer ses participations détenues dans la société C et la société CC afin qu’elles ne soient pas incluses dans le calcul de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 et voir diminuer, en conséquence, le montant de l’impôt sur la fortune qui aurait été dû par elle à cette date-clé.

Il ressort des propres explications du litismandataire de la société demanderesse fournies dans son courrier du 28 juin 2021 adressé au directeur en réponse à sa mise en état du 28 avril 2021 que « Les participations dans des sociétés actives ont été allouées à la succursale en raison de l’impossibilité de bénéficier du régime mère-filiale au Luxembourg ». Il ressort encore de la demande de décision anticipée de la société demanderesse du 7 août 2015 qu’elle sollicitait la confirmation du traitement fiscal envisagé au sujet de « l’allocation des participations à la succursale située en Malaisie en vue d’obtenir leur exonération au niveau de l’impôt sur la fortune », et qu’elle affirme dans le cadre du présent recours qu’elle a « appliqué le traitement fiscal demandé » dans ladite demande, malgré le refus lui opposé par l’administration.

Compte tenu, par ailleurs, de l’explication non contestée du directeur fournie dans sa décision suivant laquelle l’opération litigieuse aurait permis « l’exonération de la valeur unitaire de la succursale », le tribunal retient, à défaut de contestations de la société demanderesse et à l’instar du directeur, que le critère de l’économie d’impôt se situe, en l’espèce, au niveau des effets de l’attribution des participations dans la société C et la société CC par rapport à l’application du régime d’exonération visé au § 60 BewG, intitulé 31 Trib. adm., 27 juin 2013, n° 30540 du rôle, confirmé par Cour adm., 18 mars 2014, n° 33125C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Impôts, n° 38 et les autres références y citées.

32 Trib. adm., 20 janvier 2021, n° 43824 du rôle, confirmé par Cour adm., 26 octobre 2021, n° 45710C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 40.

37« Vergünstigung für Schachtelgesellschaften », disposition qui exonère, sous conditions, les participations détenues notamment par un organisme à caractère collectif résident pleinement imposable, tels qu’une société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois, comme la société demanderesse, « lorsque le détenteur, à la fin de l’exercice d’exploitation qui précèdent la date clé de fixation (alinéa 2 des §§ 21 à 23) a soit une participation d’au moins 10 pour cent, soit une participation dont le prix d’acquisition est d’au moins … euro. ».

Il s’ensuit que l’argumentation de la société demanderesse portant sur la question d’une réduction d’un « impact fiscal en cas de distribution de dividendes » qui ne serait qu’un « effet secondaire » de l’attribution litigieuse de ses participations détenues dans la société C et la société CC est dénuée de pertinence en l’espèce.

Le tribunal constate, ensuite, que dans la mesure où il ressort du propre courrier du litismandataire de la société demanderesse du 28 juin 2021, précité, qu’elle ne remplissait pas les conditions du § 60 BewG à la date-clé du 1er janvier 2016 litigieuse, ce qu’elle ne conteste d’ailleurs pas non plus dans le cadre du présent recours, ses participations détenues dans la société C et la société CC auraient, à défaut d’attribution à sa « succursale », été incorporées dans sa fortune d’exploitation au Luxembourg conformément aux prescriptions du BewG et, en conséquence, soumises à l’impôt sur la fortune au Luxembourg en application des dispositions de la loi sur l’impôt sur la fortune du 16 octobre 1934, telle que modifiée, appelée « Vermögensteuergesetz », en abrégé « VStG ».

La société demanderesse ne conteste pas non plus qu’en décidant d’ouvrir une « succursale » en Malaisie et de lui attribuer ses participations détenues dans la société C et la société CC, lesdites participations n’étaient plus soumises à l’impôt sur la fortune au Luxembourg conformément à l’article 24, paragraphe 2 de la Convention Luxembourg-

Malaisie qui dispose que « La fortune constituée par des biens mobiliers qui font partie de l’actif d’un établissement stable qu’une entreprise d’un Etat contractant a dans l’autre Etat contractant […] est imposable dans cet autre Etat. ».

C’est, dès lors, à juste titre que le délégué du gouvernement fait plaider que la décision de mettre en place une « succursale » en Malaisie a permis à la société demanderesse de réduire sa charge fiscale au titre de l’impôt sur la fortune au Luxembourg.

Si la société demanderesse estime que ce constat serait insuffisant pour caractériser l’existence d’une économie d’impôt réalisée au 1er janvier 2016, ses explications sont à rejeter pour défaut de pertinence. En effet, contrairement à la situation visée dans l’arrêt de la Cour administrative du 23 décembre 2021, inscrit sous le numéro 45696C du rôle, auquel la société demanderesse se réfère dans ce contexte, ce n’est pas sa constitution, en tant que telle, ni la reprise d’une quelconque activité par elle au Luxembourg à travers l’acquisition d’un fonds de commerce détenu jusqu’alors par une société non-résidente ne disposant pas d’établissement stable au Luxembourg, qui git à la base du reproche étatique en l’espèce et qui ferait apparaître une économie d’impôt. En l’espèce, l’économie d’impôt réside dans l’attribution par la société demanderesse de ses participations détenues dans la société C et la société CC à sa « succursale » pour les exclure de sa fortune d’exploitation et in fine éviter leur assujettissement à l’impôt sur la fortune au Luxembourg, étant rappelé que la société demanderesse ne conteste pas qu’elle ne remplissait pas les conditions d’exonération visées au § 60 BewG au 1er janvier 2016 puisqu’elle l’admet expressément.

38En tout état de cause, l’argument visant à soutenir que si le Groupe avait décidé de ne pas « localiser » les participations dans la société C et la société CC à une société de droit luxembourgeois, aucun impôt Luxembourgeois n’aurait été dû, de sorte qu’aucune économie d’impôt ne serait à constater du seul fait de les avoir attribuer à sa « succursale », est manifestement inopérant, tel que le délégué du gouvernement l’affirme à juste titre. Un tel raisonnement aboutirait, en effet, à exclure d’office toute existence d’économie d’impôt au sens du § 6 StAnpG par une société résidente luxembourgeoise par la simple argumentation qu’à défaut d’existence au Luxembourg, aucun impôt n’aurait jamais été dû, ce qui ne saurait être admis. A partir du moment où le Groupe a effectivement décidé de constituer la société demanderesse pour acquérir les participations dans ces deux sociétés, elles faisaient partie de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 et étaient, dès lors, soumises à l’impôt sur la fortune au Luxembourg à cette date-clé, ce que l’attribution desdites participations à sa « succursale » a justement permis d’éviter, indépendamment de la question de l’existence d’un motif économique pour ce faire, à ce stade de l’analyse.

La société demanderesse n’est pas non plus fondée à soutenir que si elle avait conservé, dans son chef, la détention directe de ses participations dans la société C et la société CC, sa base d’imposition aurait été « vraisemblablement » réduite à un montant proche de zéro, respectivement à hauteur du montant des « prêts » lui octroyés par la société A, de sorte qu’elle n’aurait, suivant cette thèse, pas bénéficié d’une économie d’impôt. Cette argumentation repose, en effet, sur la prémisse erronée d’une qualification des « prêts » en instruments de dettes, qualification que le tribunal a justement rejeté ci-avant compte tenu de la réalité économique de ces instruments qui s’analyse en des contributions occultes à ses fonds propres.

A défaut d’autres éléments, le tribunal conclut que le critère de l’économie d’impôt se trouve, dès lors, vérifié en l’espèce.

Quant au critère de la voie inadéquate, il y a lieu de préciser qu’il est de jurisprudence constante que le caractère simplement inhabituel des formes, constructions ou opérations de droit privé n’est pas à lui seul suffisant pour les voir qualifier d’inadéquates, au vu de la liberté en principe reconnue au contribuable, de choisir la voie la moins imposée. Il faut que l’objectif économique soit atteint par cette voie dans le contexte économique donné d’une manière telle qu’elle permet l’obtention d’un effet fiscal que le législateur ne peut pas être considéré comme ayant voulu accorder dans le cadre d’une application de la loi fiscale conforme à son intention33.

Le tribunal rejoint le directeur et le délégué du gouvernement dans leurs explications en ce que l’exclusion des participations dans la société C et la société CC de la fortune d’exploitation de la société demanderesse, par leur attribution à sa « succursale » en Malaisie, a eu pour effet de les exclure à un assujettissement à l’impôt sur la fortune au Luxembourg au 1er janvier 2016, tandis que la voie adéquate aurait été celle de bénéficier des dispositions du § 60 BewG pour en obtenir l’exonération, étant rappelé qu’il est constant en cause que la société demanderesse ne remplissait pas les conditions à cette date-clé, tel que relevé expressément par la société demanderesse et constaté ci-avant par le tribunal.

Contrairement à ce que soutient la société demanderesse, ces éléments sont suffisants pour retenir l’existence d’une voie inadéquate pour obtenir l’économie d’impôt recherchée, le 33 Trib. adm., 27 juin 2013, n° 30540 du rôle, confirmé par Cour adm., 18 mars 2014, n° 33125C du rôle, Pas.

adm. 2023, V° Impôts, n° 36 (1er volet) et les autres références y citées.

39seul fait de soutenir péremptoirement que la partie étatique n’aurait pas satisfait à l’exigence de preuve lui incombant n’étant pas de nature à invalider cette conclusion.

A défaut d’autres éléments, le tribunal retient que le critère de la voie inadéquate est rempli en l’espèce.

Quant au quatrième et dernier critère tenant à l’existence de motifs extra-fiscaux pour justifier la voie choisie, le tribunal précise d’ores et déjà, contrairement à ce que la société demanderesse affirme, qu’il est de jurisprudence constante qu’il n’appartient pas à l’Etat de rapporter la preuve concrète de l’impossibilité d’une justification économique de la voie choisie. L’exigence de preuve est toujours limitée aux éléments que l’Etat peut raisonnablement être supposé établir, à savoir que l’Etat devra rendre plausible l’absence d’une justification économique à la base de la voie choisie. Dans ce cas, il incombe alors au contribuable, à la source de la voie choisie, de faire état de considérations économiques justifiant, d’après lui, la voie choisie malgré l’apparence contraire dument mise en avant par l’Etat. Il ne suffit pas que le contribuable fasse simplement état de motifs économiques pour que ceux-ci doivent nécessairement être admis comme valables, mais il faut que ces motifs puissent être considérés comme réels et présentent par eux-mêmes un avantage économique suffisant au-delà du seul bénéfice fiscal obtenu34.

En l’espèce, le tribunal retient que l’absence de réalité matérielle d’une quelconque « succursale » de la société demanderesse ayant existé au 1er janvier 2016 en Malaisie constitue un indice suffisant pour, d’une part, établir de manière au moins plausible qu’aucune justification économique ne semble être à la base de l’opération litigieuse, et, d’autre part, opérer, en conséquence, un renversement de la charge de la preuve dans le chef de la société demanderesse. Cette exigence de preuve par la société demanderesse d’un motif économique réel et suffisant présentant, par lui-même, un avantage économique suffisant au-delà du seul bénéfice fiscal ne constitue d’ailleurs pas une quelconque ingérence de la partie étatique dans ses « décisions opérationnelles », mais repose sur des principes dégagés par la jurisprudence constante des juridictions administratives35 sur le fondement du § 6 StAnpG.

A cet égard, le tribunal est amené à retenir que les deux motifs mis en avant par la société demanderesse pour tenter de justifier l’usage de la voie inadéquate ne constituent pas des motifs économiques réels et suffisants présentant un avantage économique suffisant au-

delà de celui d’avoir permis l’exclusion des participations détenues par elle dans la société C et la société CC de sa fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 pour en éviter l’assujettissement à l’impôt sur la fortune au Luxembourg à cette date-clé.

D’abord, et pour autant que la société demanderesse ferait référence à l’accord entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise et le Gouvernement de la République d’Azerbaïdjan concernant l’encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Bruxelles le …2004, le tribunal constate que les explications de la société demanderesse à cet égard tendent à justifier le « choix du Luxembourg » pour acquérir les participations dans la société C et la société CC, mais ne sont en tout état de cause pas de nature à constituer un motif économique justifiant l’opération litigieuse ayant consisté dans sa décision de mettre en place une « succursale » en Malaisie pour lui attribuer lesdites participations, au lieu de les conserver au niveau de la société demanderesse.

34 Trib. adm., 28 janvier 2015, n° 33984 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 16 février 2016, n° 35979C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Impôts, n° 37 et les autres références y citées.

35 Ibidem.

40 Ensuite, le tribunal peut certes concevoir que la gestion de ses participations dans la société C et la société CC nécessiterait des compétences et moyens humains particuliers, compte tenu du fait que ces deux sociétés exercent une activité dans un domaine a priori spécifique. Or, la société demanderesse reste en défaut d’expliquer concrètement pourquoi cette gestion n’aurait pas pu être effectuée au Luxembourg, d’autant plus que le tribunal a retenu ci-avant que la preuve de la réalité matérielle d’une telle « succursale » en Malaisie n’existait pas aux motifs (i) que la signature du « Service Level Agreement » s’apparentait à un contrat de pure convenance au regard de sa date de prise d’effet rétroactive et dont l’exécution concrète n’était pas établie, (ii) qu’aucun local exact et précis n’était précisément identifiable et (iii) que toute preuve d’une quelconque prestation de service fournie par le « … » en faveur de la « succursale » au cours d’une quelconque faisait défaut. A défaut d’autres éléments mis en avant par la société demanderesse, le constat s’impose qu’aucune preuve tangible ne démontre que la gestion de ces participations aurait effectivement été effectuée en Malaisie compte tenu de l’absence de preuve de la réalité d’une quelconque activité exercée par l’intermédiaire d’une succursale en Malaisie, les éléments dépeints ci-

avant étant, au contraire, de nature à révéler que la société demanderesse n’a bénéficié d’aucune compétence et de moyens humains particuliers en Malaisie.

Dans ces conditions, le tribunal retient que c’est à juste titre que le directeur a conclu que l’opération litigieuse n’était justifiée par aucun motif autre que fiscal et que le critère afférent se trouve rempli en l’espèce.

Eu égard à la vérification cumulée des quatre critères précités visés au § 6 StAnpG, le tribunal est amené à rejoindre la conclusion du directeur en retenant que l’attribution par la société demanderesse de ses participations détenues dans la société C et la société CC qui, de façon non contestée, ne remplissaient pas les conditions visées au § 60 BewG pour bénéficier d’une exonération de l’impôt sur la fortune au Luxembourg au 1er janvier 2016, en faveur de sa « succursale » qui serait située en Malaisie – dont l’existence et la réalité matérielle ne se trouvent pas vérifiées – constitue un montage purement artificiel dont l’unique objectif, de nature fiscale, consistait à bénéficier d’une économie d’impôt aux effets identiques à ceux octroyés par le § 60 BewG, compte tenu l’absence de la prise en considération, au Luxembourg, de la fortune attribuable à un établissement stable qui serait situé en Malaisie conformément à la Convention Luxembourg-Malaisie.

C’est dès lors à bon droit que le directeur a retenu l’existence d’un abus de droit au sens du § 6 StAnpG.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme n’étant pas fondé.

III) Quant à l’indemnité de procédure Eu égard à l’issue du litige, la demande d’indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros formulée par la société demanderesse sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, à laquelle s’oppose le délégué du gouvernement, est à rejeter.

41Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 14 janvier 2022 (C 28891);

reçoit ledit recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

rejette la demande d’indemnité de procédure sollicitée par la société demanderesse ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 mai 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Benoît Hupperich, juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 42


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 47267
Date de la décision : 08/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-08;47267 ?

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