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02/05/2024 | LUXEMBOURG | N°47430

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 mai 2024, 47430


Tribunal administratif N° 47430 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47430 2e chambre Inscrit le 12 mai 2022 Audience publique du 2 mai 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée simplifiée “A” SARL-S et « pour autant que de besoin » par Monsieur …, …, contre une circulaire de l’administration des Douanes et Accises, en matière d’accises

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47430 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2022 par Maître Marc Theisen, avocat à la Cour, inscri

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Tribunal administratif N° 47430 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47430 2e chambre Inscrit le 12 mai 2022 Audience publique du 2 mai 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée simplifiée “A” SARL-S et « pour autant que de besoin » par Monsieur …, …, contre une circulaire de l’administration des Douanes et Accises, en matière d’accises

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47430 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2022 par Maître Marc Theisen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée simplifiée “A” SARL-S, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée auprès du registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, et « pour autant que de besoin » par Monsieur …, commerçant, exerçant sous l’enseigne “A”, établi et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une « circulaire INFO TAXUD 08/2019 […] établie par l’Administration des Douanes et Accises et publiée en date du 08 mars 2022 […] visant la mise en place d’accises sur les produits à base de … susceptibles d’être fumés ou vaporisés […] » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 octobre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Marc Theisen déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2022 pour compte de la société à responsabilité limitée simplifiée “A” SARL-S, préqualifiée, et « pour autant que de besoin », de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la circulaire attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc Theisen et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles Barbabianca en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 11 mars 2024.

Il est constant en cause qu’en date du 17 septembre 2019, l’administration des Douanes et Accises publia la circulaire INFO-TAXUD 8/2019 relative à la taxation de produits à base de cannabis susceptibles d’être fumés ou vaporisés.

Il est encore un fait que le 20 février 2020, le chef de la division TAXUD (Taxation et Union Douanière) de l’administration des Douanes et Accises émit une modification de cette circulaire INFO-TAXUD 8/2019.

Il est également constant en cause que par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2020, inscrite sous le numéro 44630 du rôle, Monsieur …, exploitant une vingtaine de points de vente … sur le territoire luxembourgeois sous le nom commercial “A” depuis l’automne 2019, fit introduire un recours en annulation contre la prédite circulaire INFO-TAXUD 8/2019, ainsi que contre une décision, ainsi qualifiée, du directeur de l’administration des Douanes et Accises du 26 juin 2020, intervenue suite à un recours gracieux introduit par Monsieur ….

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 44631 du rôle, il demanda encore à voir prononcer le sursis à exécution de la circulaire INFO-TAXUD 8/2019, recours qui fut rejeté par ordonnance du président du tribunal administratif du 15 juillet 2020.

Après que le litismandataire de Monsieur … ait informé le tribunal que son mandant entendait se désister de son recours en annulation introduit en date du 7 juillet 2020, le tribunal constata la déchéance du recours au sens de l’article 25 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », par jugement du 5 octobre 2020.

Il est ensuite constant en cause que le chef de la division TAXUD de l’administration des Douanes et Accises émit en date du 1er décembre 2020 une nouvelle modification de la circulaire INFO-TAXUD 8/2019.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2020 et inscrite sous le numéro 45403 du rôle, Monsieur … fit introduire, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, un recours tendant à l’annulation de « la circulaire INFO TAXUD 08/2019 datée du 1 décembre 2020 établie par l’Administration des Douanes et Accises avec toutes les conséquences en fait et en droit voir vis-à-vis de la Circulaire du 20 février 2020 ».

Par requête séparée déposée le 9 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46213 du rôle, Monsieur … demanda encore à voir prononcer le sursis à exécution de « la circulaire INFO TAXUD 8/2019 établie par l’Administration des Douanes et Accises et publiée en date du 1 décembre 2020 visant la mise en place d’accises sur les produits à base de … destinés à être fumés ou vaporisés et subsidiairement si besoin en est dire que celle émis officiellement le février 2020 fait un tout avec celle daté au 20/12/2020 de sorte que si la présente est déclarée fondée les effets remontent nécessairement au 20 février 2020 », demande dont il fut débouté par ordonnance du président du tribunal administratif du 23 juillet 2021. Par jugement du 27 juin 2022, le recours au fond introduit le 21 décembre 2020 et inscrit sous le numéro 45403 du rôle fut déclaré irrecevable.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 mai 2022, inscrite sous le numéro 47430 du rôle, la société à responsabilité limitée simplifiée “A” SARL-S, ci-après désignée par « la société “A” », ainsi que « pour autant que de besoin », Monsieur …, ont fait introduire un nouveau recours tendant à l’annulation de la « circulaire INFO TAXUD 08/2019 […] établie par l’Administration des Douanes et Accises et publiée en date du 08 mars 2022 […] visant la mise en place d’accises sur les produits à base de … susceptibles d’être fumés ou vaporisés […] ». Par requête séparée déposée le 21 juin 2022, inscrite sous le numéro 47580 du rôle, la société “A”, ainsi que « pour autant que de besoin », Monsieur …, ont encore demandé à voir prononcer le sursis à exécution de la prédite circulaire INFO TAXUD 8/2019 datée du 8 mars 2022, demande dont ils furent déboutés par ordonnance présidentielle du 11 juillet 2022.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en annulation sous analyse et ce, à plusieurs égards :

- irrecevabilité ratione temporis, étant donné que la circulaire INFO-TAXUD 8/2019 expliquant les principes applicables en matière de taxation des produits à base de cannabis susceptibles d’être fumés ou vaporisés aurait été publiée en date du 17 septembre 2019 et que les parties requérantes ne viseraient que la dernière modification de cette même circulaire publiée en date du 8 mars 2022 ;

- irrecevabilité du recours pour ne pas être dirigé contre un acte administratif à caractère réglementaire attaquable ;

- défaut d’intérêt à agir dans le chef des parties requérantes, au motif qu’outre le fait qu’il ne serait absolument pas clair qui, in fine, de la société “A” et de Monsieur …, se prévaudrait d’un intérêt à agir, ce d’autant plus que la formulation « pour autant que de besoin » dans la description de la partie requérante sèmerait encore davantage de confusion, il ne se dégagerait, par ailleurs, de la requête introductive d’instance aucun élément démontrant une quelconque lésion ou un intérêt personnel, direct, actuel et certain à agir, que ce soit dans le chef de la société “A” ou de Monsieur …. A cela s’ajouterait qu’il ne se dégagerait pas du recours que les établissements “A” seraient menacés d’un point de vue financier, respectivement que « les répercussions d’une potentielle introduction de droits d’accises sur les produits … » puissent être imputées de façon certaine et directe à la circulaire modificative INFO TAXUD 8/2019 publiée le 8 mars 2022, ni même à celles publiées antérieurement, puisque lesdites répercussions pourraient tout aussi bien s’expliquer par un changement d’intérêt des consommateurs à l’égard des produits … ou par une évolution de la situation concurrentielle sur le marché des produits … au Luxembourg.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le 17 septembre 2019, l’administration des Douanes et Accises a publié la circulaire INFO-TAXUD 8/2019 qui indiquait, sur base de la législation y visée, dont notamment la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, ci-après désignée par « la directive 2011/64/UE », le règlement ministériel modifié du 25 juillet 1997 portant publication de la loi belge du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés, ci-après désigné par « le règlement ministériel du 25 juillet 1997 », et le règlement ministériel modifié du 18 mars 2010 portant publication de la loi belge du 22 décembre 2009 relative au régime général d’accise transposant la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 et abrogeant la directive 92/12/CEE en la matière, ci-après désigné par « le règlement ministériel du 18 mars 2010 », qu’elle traitait de la « Taxation de produits à base de cannabis susceptibles d’être fumés ou vaporisés ».

Il n’est pas non plus contesté, tel que l’explique la partie étatique et tel que cela ressort également des pièces versées en cause, que la circulaire initiale a été modifiée, une première fois, par la circulaire INFO-TAXUD 8/2019, publiée le 20 février 2020, et ayant précisé les modalités du commerce « B2B » des produits … concernés hors du territoire du Grand-Duché de Luxembourg, une deuxième fois, par la circulaire INFO-TAXUD 8/2019 publiée le 1er décembre 2020, laquelle a apporté de nouvelles précisions sur le conditionnement des produits … susceptibles d’être fumés ou vaporisés, tout en réitérant, pour le surplus, les principes applicables en matière de taxation des produits … en cause, tels que s’étant déjà dégagés de la circulaire initiale publiée le 17 septembre 2019 et, une troisième fois, par la circulaire actuellement déférée au tribunal à travers le recours sous analyse, laquelle a eu pour vocation de fournir une circulaire coordonnée qui identifie au sein de cette version les différentes modifications apportées au fil du temps à la circulaire initiale par l’apposition de marqueurs « M », tout en comportant les dernières mises à jour, identifiées par le marqueur « M8 »1. Le tribunal relève, à cet égard, que les dernières mises à jour en question ont concerné (i) des précisions quant aux documents commerciaux à tenir à disposition de l’administration des Douanes et Accises et quant à la possibilité pour ladite administration de procéder, dans certains cas de figure, à une dénonciation auprès du procureur d’Etat par la voie hiérarchique, conformément à l’article 23, paragraphe (2) du Code de procédure pénale et (ii) l’information aux destinataires sur les taux en vigueur à partir du 1er février 2022, ladite circulaire ayant, pour le surplus, réitéré les principes applicables en matière de taxation des produits … en cause, tels que s’étant déjà dégagés de la circulaire initiale publiée le 17 septembre 2019.

Or, indépendamment de la question de savoir si, tel que le soutiennent les parties requérantes pour justifier la recevabilité de leur recours, la circulaire attaquée à travers le présent recours peut ou non être considérée comme ayant une autonomie propre ou bien si, tel que le plaide la partie étatique, il ne s’agit que d’une version consolidée de la circulaire initiale publiée le 17 septembre 2019 - la réponse à cette question ayant une incidence sur la recevabilité du recours sous analyse non seulement d’un point de vue ratione temporis, mais également pour ce qui est de l’intérêt à agir des parties requérantes -, il appartient au tribunal d’analyser, avant tout autre progrès en cause, si le recours introduit par les parties requérantes, en ce qu’il vise « [u]ne circulaire INFO TAXUD 8/2019 […] établie par l’Administration des Douanes et Accises et publiée en date du 08 mars 2022 […] visant la mise en place d’accises sur les produits à base de … susceptibles d’être fumés ou vaporisé », est recevable pour avoir été dirigé contre un acte administratif à caractère réglementaire susceptible d’un recours contentieux, cette question ayant non seulement été librement discutée entre les parties, mais relevant, par ailleurs, de l’ordre public.

Il se dégage, en effet, du recours sous analyse que l’argumentation principale des parties requérantes table sur la prémisse que la circulaire litigieuse constituerait un acte à caractère réglementaire déférable au tribunal administratif, dans la mesure où ladite circulaire ne se bornerait pas à interpréter les textes de loi en vigueur, mais que, d’après les parties requérantes, elle envisagerait, à elle seule, et sans aucune assise légale et/ou réglementaire, l’introduction d’une taxation nouvelle sur les produits … destinés à être fumés ou vaporisés. Ainsi, toujours selon les parties requérantes, l’administration des Douanes et Accises aurait, sous couvert d’une simple circulaire, adopté un véritable règlement, édictant de nouvelles règles impératives avec l’intention de les imposer aux administrés.

Elles ajoutent que si la circulaire en question se référait certes à différentes lois, dont celle du 13 juin 2017 transposant en droit luxembourgeois la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de 1 Le site de l’administration concernée identifie d’ailleurs la circulaire en question comme constituant « La dernière mise à jour de l’Info-Taxud 08/2019 « Produits de cannabis » ».

présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, abrogeant la directive 2001/37/CE et modifiant la loi modifiée du 11 août 2006 relative à la lutte antitabac, dite « loi anti-tabac », et la loi belge du 3 avril 1997, précitée, de même qu’au règlement ministériel du 25 juillet 1997, il n’en resterait pas moins qu’il n’existerait au Luxembourg aucun texte de loi spécifique visant à imposer des produits … destinés à être fumés ou vaporisés. Par ailleurs, si le législateur n’avait pas prévu spécifiquement l’imposition des produits … destinés à être fumés ou vaporisés, « ses règlements grand-ducaux » renverraient, quant à eux, simplement et uniquement à des réglementations belges qui ne prévoiraient pas davantage l’imposition des produits …, mais parleraient de surcroît de « produits manufacturés », ce qui ne serait pas le cas des produits en cause.

Les parties requérantes font, à cet égard, remarquer que le fait de taxer des produits de … destinés à être fumés, voire d’être vaporisés relèverait tant en droit que d’un point de vue scientifique d’une complexité telle que la création d’un texte per analogiam ne serait pas concevable dans le système de droit luxembourgeois. Ceci serait d’autant plus vrai que les textes de lois cités parleraient de produits de tabacs, tels les cigarettes, cigarillos ou cigares, donc de produits de tabac manufacturés, tandis que les produits de … seraient tout au plus des produits de substitution auxquels il ne serait renvoyé dans aucun des textes légaux cités.

Comme aucune référence à la problématique en cause ne se retrouverait ni dans la loi budgétaire, ni dans une loi cadre, ni « dans une loi belge datant de 1997 », il devrait être admis qu’en procédant par voie de simple circulaire dans une matière où il faudrait procéder par voie législative, voire par voie réglementaire, l’administration des Douanes et Accises aurait contourné les règles prescrites affectant de fait les droits des administrés. Ce constat s’imposerait d’autant plus que la circulaire en cause ne se contenterait pas d’interpréter un texte de loi en vigueur, mais créerait une toute nouvelle taxation sans expliquer ni justifier les raisons d’être de celle-ci.

En guise de conclusion, elles font remarquer que le principe de la légalité de l’impôt ne serait pas respecté alors que « « le produit » en tant que produit de substitution qui subit les accises n’est pas suffisamment défini comme le requiert la Loi et la Jurisprudence de la Cour Constitutionnelle et le rapport de la Commission Européenne du 20.05.2021 ». A défaut de loi venant définir ce qu’il y a lieu d’entendre par la notion de « produit » et en l’absence de motifs suffisants, respectivement de précisions dans un règlement grand-ducal, la circulaire litigieuse, en ce qu’elle envisagerait à elle seule et sans aucune assise légale et/ou réglementaire une nouvelle taxation sur les produits … destinés à être fumés ou vaporisés serait illégale car non conforme au principe inscrit à l’article 99 de la Constitution, dans sa version applicable en l’espèce, suivant lequel un impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi, de même qu’à la législation en vigueur dans la mesure où aucune analyse empirique, forensique n’aurait été faite pour justifier qu’un produit de substitution a ou n’a pas les mêmes effets qu’un produit manufacturé.

Dans leur mémoire en réplique, les parties requérantes font valoir qu’il ne faudrait pas tenir compte des ordonnances et jugement du tribunal administratif, rendus d’ores et déjà au provisoire et au fond, à travers lesquels elles ont été déboutées de leurs précédents recours dirigés contre les circulaires INFO TAXUD 8/2019 publiées respectivement les 20 février et 1er décembre 2020. En effet, elles sont d’avis que « l’instruction de l’affaire [aurait] drastiquement évolué » par la publication, en date du 20 mai 2021, du rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l’application de la directive 2014/40/UE en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, ci-après désigné par « le rapport de la Commission ». Elles estiment que sur base dudit rapport, dans lequel il serait reconnu que la réglementation des produits à base de … ne serait pas claire et qu’en l’état du droit, ces produits échapperaient à la réglementation européenne sur les tabacs et produits assimilés, le tribunal devrait arriver à la conclusion que la circulaire actuellement déférée ne pourrait pas constituer qu’une simple circulaire interprétative, mais qu’elle aurait véritablement modifié l’ordonnancement juridique, ce qui suffirait pour la considérer comme un acte administratif à caractère règlementaire susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux. En effet, il ne pourrait faire aucun doute que comme les produits … n’auraient pas existé au moment de l’adoption de la loi, le « législateur, au moment de l’adoption de la loi belge, n’a[urait] donc pas pu accepter de faire entrer dans le champ d’application de la loi, ces produits de …, alors que ces produits n’existaient pas ».

Elles insistent ensuite sur le fait que même si le rapport en question n’avait pas de valeur juridique, il remettrait sévèrement en doute « cette équivalence entre "autres produits de tabac" et du … qui est fumé, et en tout cas à l’instar du Tribunal Fédéral Suisse, il appartien[drai]t à une Juridiction saisi par un recours comme celui-ci de se poser cette question sur une "équivalence" et faire elle-même le raisonnement empirique tel le cas "suisse" ». Il s’ensuivrait qu’une telle analyse aurait dû amener le tribunal à la conclusion que l’administration ne pouvait en l’espèce se baser sur la réglementation des produits de tabacs.

Pour le surplus, les parties requérantes réitèrent, en substance, les développements contenus dans leur requête introductive d’instance pour insister sur l’absence de loi spécifique « pour cette nouvelle taxation et la négation de la souveraineté nationale » et le « défaut d’analyse empirique justifiant qu’un produit de substitution a/ou n’a pas les mêmes effets qu’un produit manufacturé (tels cigarettes, cigares et cigarillos voire encore les E-cigarettes) ».

Aux termes de l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif : « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent.

(2) Ce recours n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain. […] ».

Il est de jurisprudence constante qu’en principe, les circulaires émises par des autorités administratives n’ont pas de caractère légal. Elles ne constituent pas des actes réglementaires ou des décisions obligatoires pour les administrés. Elles ne sont obligatoires que pour l’autorité administrative elle-même et ne s’imposent ni aux tribunaux, ni aux personnes étrangères à l’autorité concernée. Elles doivent se borner à interpréter les textes de loi en vigueur, sans pouvoir fixer des règles nouvelles. A contrario, ce n’est que lorsqu’une autorité administrative entend imposer des normes réglementaires aux administrés en se servant de la forme de la circulaire qu’un tel acte est susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux2.

En l’espèce, la circulaire litigieuse, prise aussi bien en ses modifications apportées en date du 8 mars 2022 que dans sa globalité, se réfère expressément au règlement ministériel du 2 En ce sens : Trib. adm., 8 avril 2002, n°13875 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes réglementaires (Recours contre les), n°3 et les autres références y citées.

25 juillet 1997 et plus particulièrement à ses articles 2, 5, 6 et 8, paragraphe (2), lequel a rendu applicable au Grand-Duché de Luxembourg la loi belge du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés, ci-après désignée par « la loi belge du 3 avril 1997 », dont l’article 2 prévoit ce qui suit :

« […] sont considérés comme tabacs manufacturés :

a) les cigares ;

b) les cigarettes ;

c) le tabac à fumer :

- le tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes ;

- les autres tabacs à fumer. », l’article 8, paragraphe (2), précisant, pour sa part, que « Sont assimilés aux cigarettes et au tabac à fumer, les produits constitués exclusivement ou partiellement de substances autres que le tabac mais répondant aux autres critères des articles 5 ou 6. Par dérogation aux dispositions du présent paragraphe, les produits ne contenant pas de tabac ne sont pas considérés comme tabac manufacturé lorsqu’ils ont une fonction exclusivement médicale ». L’article 6, en question, dispose, quant à lui, comme suit : « Sont considérés comme tabacs à fumer : a) le tabac coupé ou fractionné d’une autre façon, filé ou pressé en plaques, qui est susceptible d’être fumé sans transformation industrielle ultérieure. […] ».

Tel que le tribunal a eu l’occasion de le retenir dans son jugement du 27 juin 2022, précité, dans le cadre duquel il a été saisi d’un recours dirigé contre la circulaire INFO TAXUD 8/2019, telle que publiée le 1er décembre 2020, ces dispositions légales prévoient notamment la taxation par voie d’accises et de TVA des « produits constitués exclusivement ou partiellement de substances autres que le tabac » qui n’ont pas une fonction exclusivement médicale, mais qui présentent les mêmes caractéristiques que les cigares, les cigarettes ou le tabac à fumer, auquel cas les produits en question, en ce qu’ils sont assimilés aux tabacs manufacturés, sont soumis au même régime procédural d’apposition d’un signe fiscal et de taxation que les cigares, les cigarettes ou le tabac à fumer.

Dans la mesure où il est constant en cause que la législation applicable n’a pas été modifiée depuis le jugement du 27 juin 2022, de même que la circulaire, prise en ses modifications apportées en date du 8 mars 2022 ou en sa globalité, n’a pas non plus changé les principes de taxation des produits de cannabis, le tribunal ne saurait, dans le cadre du litige sous analyse, se départir de la conclusion à laquelle il est arrivé dans son jugement prévisé du 27 juin 2022, à savoir qu’en ne faisant toujours rien de plus qu’expliquer, par renvoi exprès aux dispositions applicables de la loi belge du 3 avril 1997, telles que rendues applicables à travers le règlement ministériel du 25 juillet 1997, précité, que « tous les produits à base de cannabis avec une teneur en THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3% par rapport au poids de l’échantillon destinés à être fumés ou vaporisés ou qui peuvent être utilisés à cet effet sont assujettis à l’accise et à la TVA perçue à la source, indépendamment de leur forme ou de leur conditionnement », tout en indiquant à titre d’exemple les produits plus spécifiquement visés, à savoir les fleurs de chanvre ou les parties de plantes susceptibles d’être fumées ou vaporisées, la résine de chanvre, ainsi que les cigarettes composées exclusivement de chanvre, la circulaire actuellement attaquée ne crée pas une règle nouvelle, mais ne fait qu’exposer, dans une note à usage interne et externe, la position de l’administration des Douanes et Accises au sujet de l’application des dispositions légales en cause aux produits à base de cannabis susceptibles d’être fumés ou vaporisés et dont la teneur est inférieure à 0,3%. En ce qui concerne plus particulièrement le taux d’accises à appliquer aux produits à base de cannabis destinés à être fumés ou vaporisés, cette même circulaire ne fait toujours que souligner qu’il s’agit du taux légalement prévu pour le produit de tabac en question, en renvoyant aux définitions spécifiées aux articles 4 et suivants du règlement ministériel du 25 juillet 1997 et en précisant les taux en vigueur à partir du 1er février 2022, tout en rappelant que les mélanges de plantes pour infusion, présentés et conditionnés en tant que tels, avec une forte proportion de feuilles de chanvre, sont exonérés des accises et de la TVA perçue à la source.

Dans la mesure où l’acte attaqué ne crée ni ne modifie une quelconque règle en matière de taxation des produits … concernés, de même qu’il ne détermine pas non plus les modalités de perception de la taxe applicable aux produits considérés comme tabacs manufacturés, ni les personnes tenues au paiement de celle-ci, il y a lieu de conclure qu’il n’a pas la portée que les parties requérantes entendent lui prêter et qu’il ne constitue rien de plus qu’une circulaire interprétative des textes de loi en vigueur qui ne modifie pas l’ordonnancement juridique, et non pas un acte administratif à caractère réglementaire susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.

Cette conclusion ne se trouve pas ébranlée par l’argumentation des parties requérantes suivant laquelle il y aurait prétendument « un moment nouveau » depuis le prononcé du jugement précité du tribunal administratif du 27 juin 2022 et ce, du fait de la publication, en date du 20 mai 2021, du rapport de la Commission.

En effet, s’il se dégage dudit rapport que « La définition actuelle des produits à fumer à base de plantes ne couvre pas certains nouveaux produits entrant sur le marché, tels que les extraits et huiles de cannabis contenant du …, utilisés en particulier dans les cigarettes électroniques (avec ou sans nicotine) » et que « Dans le contexte de la DPT [directive sur les produits du tabac], la réglementation relative aux extraits de cannabis ou au … synthétique dans les e-liquides n’est pas claire », il n’en reste pas moins qu’outre le fait, et tel que le relèvent les parties requérantes elles-mêmes, ledit rapport n’a aucune valeur juridique puisqu’il ne fait qu’illustrer l’opinion de la Commission européenne par rapport à la directive 2014/40/UE en matière de fabrication, de présentation et de vente de produits du tabac et des produits connexes, il convient encore de relever que les parties requérantes restent en défaut d’expliquer dans quelle mesure concrètement ledit rapport, qui a été établi de manière non contestée par rapport à une directive n’ayant pas vocation à déterminer les règles fiscales applicables aux produits de tabac/cannabis et qui est donc sans lien quelconque avec la directive 2011/64/UE, qui elle concerne la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés et à laquelle il est référé dans la circulaire litigieuse, pourrait avoir une incidence par rapport aux législations à la base de la taxation des produits de cannabis, à savoir principalement la loi belge du 3 avril 1997 relative au régime fiscal des tabacs manufacturés, dont les dispositions ont été rendues applicables au Grand-Duché de Luxembourg à travers le règlement ministériel du 25 juillet 1997 auquel se réfère expressément, tel que relevé ci-avant, la circulaire litigieuse.

Au vu des considérations qui précèdent et sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant, le recours sous analyse est à déclarer irrecevable.

A titre superfétatoire et pour être tout à fait complet, c’est encore à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de « la question préjudicielle » et de la « question de constitutionnalité » évoquées par les parties requérantes dans leur mémoire en réplique.

En effet, si les parties requérantes demandent au tribunal de céans de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour lui poser une question préjudicielle « afin de voir dire à la Cour si la loi belge du 3 avril 1997 peut suffire et servir de base à l’administration pour émettre une nouvelle taxation pour les produits de … alors que cette loi belge est relative à la réglementation des produits de tabacs alors que des doutes unanimes sont émis par les analystes scientifiques et les jurisprudences européennes sur le fait que les feuilles de chanvres sont équivalents à des produits de tabacs ou des produits équivalents. », elles restent en défaut de formuler la moindre question relative à l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union européenne. Or, aux termes de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités, b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union. Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. […] ».

Pour ce qui est de la « question prioritaire de constitutionnalité » que les parties requérantes souhaitent voir poser à la Cour constitutionnelle « afin de voir dire à la Cour si la loi belge du 3 avril 1997 peut permettre à l’administration seule de créer une taxation pour les produits … et si de ce fait, cette circulaire émise par l’administration est bien une circulaire interprétative au sens de l’article 99 de la Constitution [dans sa version applicable en l’espèce], et si partant elle est conforme à la loi et à la Constitution [alors même] que le sources de celles-

ci – à savoir la loi belge du 3 avril 1997, telles que rendues applicables à travers le règlement ministériel du 25 juillet 1997 – son[t] mis en doute unanimement par les analyses scientifiques, les jurisprudences européennes et notamment le rapport du Parlement européen, dans la mesure où ces paragraphes ne sont d’application qu’à des produits de tabacs qu’on fume ou qu’on vaporise (qu’ils contiennent de la nicotine ou non) et plus précisément, il y a un doute sur le fait que les feuilles de chanvres sont équivalents à des produits de tabacs ou des produits équivalents. », il y a lieu de relever que suivant l’article 2 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, celle-ci « statue, suivant les modalités déterminées par la présente loi, sur la conformité des lois à la Constitution, à l’exception de celles qui portent approbation des traités », tandis que l’article 6 de la même loi prévoit les cas de figure dans lesquels une juridiction est tenue de saisir la Cour constitutionnelle lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution. Or, comme les parties requérantes restent en défaut de formuler une question relative à la conformité d’une loi grand-ducale à la Constitution, leur demande est à rejeter.

Eu égard à l’issue du litige, les parties requérantes sont à débouter de leur demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 20.000.- euros formulée sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en annulation irrecevable, partant le rejette ;

déboute les parties requérantes de leur demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne les parties requérantes aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 2 mai 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 3 mai 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47430
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-05-02;47430 ?

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