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22/04/2024 | LUXEMBOURG | N°50122

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2024, 50122


Tribunal administratif N° 50122 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50122 1re chambre Inscrit le 1er mars 2024 Audience publique du 22 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50122 du rôle et déposée le 1er mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi,

avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 50122 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50122 1re chambre Inscrit le 1er mars 2024 Audience publique du 22 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 28 (2), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50122 du rôle et déposée le 1er mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant au Centre de primo-accueil sis à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 16 février 2024 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 mars 2024.

Le 5 avril 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 3 février 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 8 février 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. Ladite décision comporta encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard.

Le recours contentieux introduit à l’encontre de la décision du 3 février 2021 fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 22 septembre 2022, inscrit sous le numéro 45765 du rôle, confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 24 janvier 2023, inscrit sous le numéro 48082C du rôle.

Les 10 février, respectivement 7 décembre 2023, Monsieur … introduisit des demandes tendant à un report à l’éloignement, demandes qui furent refusées par décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile, respectivement du ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », entretemps en charge du dossier, des 13 mars, respectivement 12 décembre 2023.

Le 28 décembre 2023, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires intérieures, direction générale de l’immigration, ci-après désigné par « le ministère », une deuxième demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Ses déclarations sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service criminalité organisée, dans un rapport du même jour.

Le 12 janvier 2024, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 16 février 2024, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre informa Monsieur … que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre deuxième demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite en date du 28 décembre 2023 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Rappelons avant tout développement en cause que vous avez introduit une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 5 avril 2019, qui a été refusée par décision ministérielle du 3 février 2021.

Pour rappel, lors de votre première demande de protection internationale, la crédibilité de votre récit a substantiellement été remise en cause puisqu'il ressortait de votre dossier administratif, d'une part, que vous vous étiez présenté sous diverses identités dans d'autres Etats de l'Union européenne de sorte que votre réelle identité n'avait pas formellement pu être déterminée alors que vous n'aviez présenté aucune pièce d'identité à l'appui de votre demande de protection internationale, et d'autre part, parce que votre récit comportait de nombreuses contradictions et incohérences compromettantes.

Il convient également de rappeler que les craintes que vous avez évoquées lors de votre première demande de protection reposaient sur des problèmes que vous, ainsi que des membres de votre famille, auriez eu avec la milice Al-Shabaab, en l'occurrence le recrutement forcé que vous auriez personnellement encouru. Vous avez aussi ajouté que votre frère aurait été assassiné fin 2015 par la ladite milice puisqu'il aurait travaillé dans une station de lavage de voitures gouvernementales, activité considérée par cette dernière comme un péché.

Monsieur, vous avez été débouté de cette première demande de protection internationale par un jugement du Tribunal administratif du 22 septembre 2022 (n° 45765 du rôle).

Concernant vos craintes le Tribunal a retenu qu'il : « se doit de rejoindre le ministre dans son constat que le demandeur n'a pas fait état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire qu'il encourrait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions et des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 ».

En effet, par rapport au recrutement forcé que vous auriez encouru par Al-Shabaab et les problèmes que vous auriez rencontrés avec cette milice, le Tribunal avait estimé que : « La véracité des déclarations faites par le demandeur lors de son audition au sujet de son vécu personnel en Somalie et des craintes afférentes en cas de retour dans ce pays, est cependant largement ébranlée par le fait que lorsqu'il a rempli la fiche de motifs de sa demande de protection internationale, il n'a fait aucune mention de problèmes qu'il aurait personnellement rencontrés avec la milice Al-Shabaab ni plus particulièrement du fait qu'il aurait été enlevé et torturé par celle-ci, voire que les membres de celle-ci auraient voulu le recruter de force. Il a, en effet, uniquement déclaré que le soutien de la famille (« Der Versorger der Familie »), en l'occurrence son frère aîné, aurait été tué suite à quoi sa mère serait devenue malade.

La circonstance d'avoir omis d'indiquer un élément aussi important de son vécu personnel que le fait qu'il ait lui-même été enlevé et subi des actes de torture d'une extrême violence de la part de la milice Al-Shabaab pour avoir vendu des cigarettes est dès lors de nature à remettre à lui seul en doute la crédibilité de son récit dans son ensemble. Ce constat s'impose d'autant plus que le demandeur n'a cessé de répéter pendant son audition qu'il se sentait responsable de la mort de son frère parce qu'après avoir été libéré par la milice, son père aurait choisi de fermer son magasin au lieu de le remettre à la milice, ce qui aurait obligé son frère de continuer à laver des voitures, notamment celles de membres du gouvernement, pour subvenir aux besoins de sa famille, et ce qui aurait, au final, conduit à ce que celui-ci soit tué par la milice qui aurait considéré que son frère travaillerait pour des non-croyants ».

Par ailleurs, alors que vous n'avez pas été en mesure de garder une version inchangée en ce qui concerne votre appartenance clanique, le Tribunal avait jugé que vos : « déclarations contradictoires frappantes et incohérences amènent le tribunal à la conclusion que les explications du demandeur en relation avec son origine clanique sont également inventées de toutes pièces et que le demandeur a entendu, dès l'introduction de sa demande de protection internationale, induire les autorités luxembourgeoises en erreur ».

Ce constat se basait notamment sur le fait que lors de l'introduction de votre demande de protection vous avez déclaré sur votre fiche des données personnelles que vous appartiendrez au clan … de votre mère et n'auriez aucune connaissance du nom du clan de votre père. Lors de votre audition, et après avoir parlé à votre père, vous auriez appris que vous faisiez en réalité partie de son clan, à savoir le clan …. Or, votre explication relative à votre méconnaissance vis-à-vis de votre appartenance clanique n'a pas été retenu comme étant crédible alors que vous avez déclaré qu'elle se justifierait par le fait que vous n'auriez vécu qu'avec votre mère alors qu'en même temps, vous avez admis que vous auriez vécu avec vos deux parents et que vous auriez régulièrement accompagné votre père à son travail.

Ainsi le Tribunal avait conclu que « ses déclarations au sujet de son origine clanique et du risque prétendument encouru si l'origine clanique de son père avait été connue sont contredites par les sources internationales invoquées par la partie étatique dont il se dégage que suivant la culture clanique en Somalie, après le mariage, la femme devient membre du clan de son mari et les enfants appartiennent uniquement au clan du père. Il n'est dès lors non seulement pas plausible qu'un ressortissant somalien ayant passé son enfance dans ce pays n'ait pas eu connaissance du clan de son père au moment de l'introduction de sa demande de protection internationale au Luxembourg, mais encore qu'il ait pu choisir son appartenance clanique en utilisant celle de sa mère, tout en « cachant » celle de son père ».

Le Tribunal s'était également encore prononcé concernant la situation sécuritaire en Somalie en affirmant que « Monsieur … reste, dès lors, en défaut d'apporter les preuves suffisantes qu'il serait susceptible de risquer sa vie en raison de sa seule présence sur le territoire somalien et que, sur l'ensemble de ce territoire, la simple présence d'un civil serait insuffisante pour établir un risque réel d'y subir des atteintes graves au sens de l'article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 24 octobre 2022, vous avez sollicité par l'intermédiaire de votre mandataire la réformation du jugement du Tribunal.

Dans son arrêt du 24 janvier 2023 (n°48082C du rôle) la Cour administrative a déclaré votre appel comme étant non justifié et vous avez été débouté. En effet, la Cour a été amenée à conclure « à son tour que les craintes dont l'appelant fait état ne sont pas de nature à justifier dans son chef l'octroi de l'un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que c'est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée sa demande tendant à l'obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet (…). En effet, comme il a été retenu ci-avant que c'est à bon droit que le ministre a refusé d'accorder à l'appelant l'un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité, ni le bien-fondé de l'ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause ».

Vous auriez par la suite quitté le Luxembourg pour rejoindre les Pays-Bas où vous auriez été arrêté par les forces de l'ordre et vos empreintes digitales y auraient été saisies le 10 mars 2022. Vous seriez ensuite parti en France où vous auriez introduit une nouvelle demande de protection internationale en date 19 mai 2022. Or, conformément aux procédures prévues par le règlement « Dublin III » les autorités françaises vous auraient expliqué qu'elles vous transféreraient vers le Luxembourg. Néanmoins, vous auriez pris l'initiative de venir tout seul au Luxembourg. Par conséquent, vous vous êtes présenté une première fois à la Direction de l'immigration en octobre 2022 et vous auriez « été logé pendant environ une année (…) même en sachant que ma procédure était déboutée » (rapport du Service de Police judiciaire du 28 décembre 2023), puis le 28 décembre 2023, vous avez décidé d'introduire une deuxième demande de protection internationale.

En mains, votre fiche de motifs établi lors de l'introduction de votre deuxième demande, le rapport du Service de Police Judiciaire du 28 décembre 2023, le rapport d'entretien du 12 janvier 2024, ainsi que l'ensemble des éléments composant votre dossier administratif.

Monsieur, il ressort de votre fiche de motifs que vous n'invoquez aucun élément nouveau à votre deuxième demande de protection internationale puisque vous vous contentez de répéter que votre frère aurait été assassiné par la milice Al-Shabaab et que cette dernière envisagerait de vous recruter de force. Ainsi, vous demandez aux autorités luxembourgeoises « to let me live here because I study. Luxembourg my first country that give me educations and I will happy to live Luxembourg (sic) » (fiche des motifs rédigée le 28 décembre 2023).

Dans le cadre de votre entretien ministériel du 12 janvier 2024, vous rapportez tout d'abord que vous souhaiteriez vous corriger alors que vos déclarations, en l'occurrence celles relatives à votre appartenance clanique, lors de votre première demande de protection internationale auraient été confuses et contradictoires en raison de votre jeune âge.

Dorénavant, et après avoir demandé des renseignements complémentaires à vos parents, vous auriez eu la confirmation que vous appartiendrez bel et bien au clan des … de votre père et non à celui des … de votre mère.

Vous déclarez ensuite avoir introduit une nouvelle demande de protection internationale au motif que vous risqueriez de vous faire tuer en cas de retour dans votre pays d'origine « wegen meiner Probleme, die ich gehabt hatte » (p.6/11 de votre rapport d'entretien) en Somalie sachant que vous n'y êtes plus retourné depuis votre départ en 2016.

L'agent ministériel vous demande dès lors s'il existe éventuellement un nouveau motif à la base de votre deuxième demande de protection internationale, ce à quoi vous répondez qu'après chaque conversation téléphonique que vous auriez eue avec votre père depuis votre arrivée en Europe en 2018, il vous aurait systématiquement averti de ne pas revenir en Somalie car votre vie y serait en danger. Dans ce contexte, vous précisez que votre père serait victime d'extorsion par des membres d'un clan majoritaire et qu'il aurait des problèmes avec Al-Shabaab depuis votre départ de Somalie en 2016, sans néanmoins fournir plus de détails.

N'étant pas en mesure de relier ces faits déplorables et anciens à votre personne, l'agent ministériel vous demande de présenter des nouveaux motifs personnels à l'appui de votre deuxième demande de protection internationale. Vous vous contentez toutefois de rappeler que vous auriez des problèmes avec Al-Shabaab, en lien avec votre recrutement forcé, et que certains de leurs membres seraient par conséquent toujours à votre recherche, huit années après le départ de votre pays d'origine. Vous ajoutez également que si vous étiez amené à devoir retourner en Somalie, les autorités somaliennes pourraient potentiellement vous percevoir comme étant affilié à cette milice et qu'elles n'hésiteraient pas à vous assassiner dans le cas de figure où Al-Shabaab vous forcerait à commettre un attentat-suicide contre une base militaire gouvernementale.

Finalement, vous déclarez que vous craindriez d'être sujet à des actes discriminatoires en raison de votre appartenance au clan minoritaire …. L'agent ministériel vous demande pour quelle raison vous n'avez pas avancé ce motif lors de votre première demande de protection internationale mais vous ne répondez pas à la question posée puisque vous répétez tout simplement que votre père serait extorqué par des membres d'un clan majoritaire.

A l'appui de votre nouvelle demande de protection internationale, vous versez un certificat d'identité ainsi qu'un acte de naissance délivrés le 4 mai 2023 par la municipalité de … et qui vous auraient été transmis par votre père.

Votre mandataire a également adressé à la Direction générale de l'immigration un courrier en date du 30 janvier 2024 à travers lequel il justifie votre deuxième demande de protection internationale en insistant sur la situation sécuritaire instable en Somalie et les discriminations dont seraient sujets les individus du clan ….

Il sied de relever qu'un mois après votre entretien ministériel du 12 janvier 2024, respectivement le 9 février 2024, le Centre de primo-accueil du Kirchberg a fait parvenir à la Direction générale de l'immigration un rapport d'incident attestant que vous avez été identifié comme étant l'auteur de violences commisses contre un enfant hébergé, tout comme vous, par ladite structure. Il va de soi qu'un tel comportement est extrêmement condamnable et ne fait que corroborer la conclusion du Tribunal et de la Cour administratifs selon laquelle votre attitude adoptée depuis votre arrivée en Europe n'est aucunement compatible avec celle d'une personne recherchant sérieusement une protection internationale.

Monsieur, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des articles 28 (2), point d) et 32 de la Loi de 2015, votre demande ultérieure est irrecevable pour les raisons étayées ci-

après.

Il y a tout d'abord lieu de rappeler qu'en vertu des articles 28 (2), point d) et 32 de la Loi de 2015, le Ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure sans vérifier si les conditions d'octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n'invoque aucun élément ou fait nouveau relatif à l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

Saisi d'une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L'examen de la demande n'est poursuivi que si les nouveaux éléments ou faits indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s'ensuit que la recevabilité d'une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les nouveaux éléments ou faits présentés augmentent de manière significative la probabilité qu'il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu'il ait été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de se prévaloir de ces nouveaux éléments ou faits au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Monsieur, il ressort des éléments de votre dossier que vous avez introduit votre nouvelle demande de protection internationale le 28 décembre 2023, soit après avoir été définitivement débouté de votre première demande de protection internationale introduite le 5 avril 2019, de sorte que votre demande de protection internationale faisant l'objet de la présente analyse doit être qualifiée comme constituant une demande ultérieure au sens de l'article 32, paragraphe (1) de la Loi de 2015.

S'agissant ensuite de la question de savoir si les éléments avancés dans le cadre de cette nouvelle demande peuvent être qualifiés de nouveaux éléments, il échet d'abord de souligner que sont à considérer comme nouveaux, des éléments qui sont postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et à la procédure contentieuse afférente.

En ce qui concerne les faits invoqués à la base de votre deuxième demande de protection internationale, il appert que ceux-ci ont d'ores et déjà été partiellement exposés à l'appui de votre première demande de protection internationale, de sorte qu'ils ne sauraient dans aucun cas être considérés comme éléments ou faits nouveaux. En effet, vous développez en partie dans le cadre de votre entretien du 12 janvier 2024 les mêmes motifs de fuite qui étaient déjà à la base de votre première demande de protection internationale, respectivement vos craintes vis-à-vis de la milice AI-Shabaab.

Par rapport à vos craintes en relation avec votre appartenance au clan minoritaire …, bien que vous ne les ayez pas mentionnées d'une telle manière dans le cadre de votre première demande de protection internationale, il convient de ne pas qualifier celles-ci comme étant des éléments nouveaux puisque vous n'étiez pas dans l'incapacité de vous prévaloir de ces éléments au cours de la précédente procédure. En effet, votre appartenance clanique n'est pas postérieure à la décision ministérielle de rejet de votre demande initiale et à la procédure contentieuse afférente.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le Tribunal administratif, soutenu ensuite par la Cour administrative, avait analysé cette question et retenu que vos « déclarations contradictoires frappantes et incohérences » avaient amené à la conclusion que vos explications en relation avec votre origine clanique « sont également inventées de toutes pièces et que le demandeur a entendu, dès l'introduction de sa demande de protection internationale, induire les autorités luxembourgeoises en erreur ». Ainsi, compte tenu que votre récit n'avait pas été perçu comme étant crédible, en l'occurrence votre appartenance clanique, rien ne permet de déterminer que vous appartenez réellement au clan minoritaire …, d'autant plus que vous n'apportez aucun élément susceptible de renverser ce constat dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale. Il convient dès lors d'interpréter votre choix d'appartenance au clan … comme une énième tentative infructueuse en vue de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg.

En ce qui concerne les arguments versés par votre mandataire en date du 30 janvier 2024 et relatifs à la situation sécuritaire en Somalie, il sied de rappeler que la Cour avait dans son arrêté du 24 janvier 2023 fait sienne les analyses du Tribunal administratif en estimant que vous n'aviez « pas fait état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire qu'il encourrait, en cas de retour dans son pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l'article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l'article 48, points a) et b), de ladite loi en relation avec son vécu personnel ».

A toutes fins utiles, il convient de soulever de manière générale que votre entretien ministériel du 12 janvier 2024 contient lui aussi une série de contradictions et incohérences qui ne font que renforcer le constat déjà posé lors de votre première demande de protection internationale du caractère fictif de votre récit. En effet, en guise d'exemple, vous changez la temporalité relative à votre déménagement vers Hurwa, respectivement vous aviez déclaré lors de votre entretien découlant de votre première demande de protection internationale que votre famille y aurait déménagé un an avant votre naissance pour cette fois-ci expliquez que vous auriez été âgé entre 5 et 7 ans. Vous avez également déclaré lors de l'entretien de votre première demande de protection internationale que votre père aurait travaillé jusqu'en 2015 dans un atelier de voitures mais qu'il aurait été contraint de fermer celui-ci en raison des menaces émises par Al-Shabaab et qu'il se serait reconverti dans la menuiserie alors que vous prétendez désormais qu'il aurait été menuisier depuis votre enfance et que c'est votre frère qui aurait été le propriétaire de l'atelier de voitures et non votre père. Partant, il convient de n'accorder aucune crédibilité à vos déclarations contradictoires et incohérentes.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l'article 28 (2) d). (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 16 février 2024 par laquelle sa nouvelle demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35, paragraphe (3) de ladite loi, prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, seul un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai de la loi.

A l’appui de sa requête et en fait, le demandeur rappelle, en substance, les éléments ayant été exposés lors de son audition auprès du ministère.

En droit, le demandeur soutient que le ministre aurait violé l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 en précisant qu’il aurait soumis des éléments nouveaux à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale, à savoir (i) le risque d'être tué en cas de retour en Somalie par la milice Al-Shabaab, qui serait toujours à sa recherche d'après les informations de son père, (ii) le risque d'être perçu en cas de retour par les autorités somaliennes comme membre de la milice Al-Shabaab, de sorte qu'elles n'hésiteraient pas à l'assassiner dans le cas où ladite milice venait à le forcer de commettre un attentat-suicide contre une base militaire gouvernementale, (iii) le risque de faire l'objet de discriminations par les clans majoritaires du fait de son appartenance au clan minoritaire … et (iv) le risque d'être exposé à des persécutions ou à des atteintes graves en cas de retour dans son pays d'origine, en raison de la situation sécuritaire prévalant actuellement dans sa région d'origine, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités.

Concernant le risque d'être tué par la milice Al-Shabaab en cas de retour en Somalie, le demandeur fait valoir, tout en admettant que ce motif aurait été « partiellement » invoqué dans le cadre de sa première demande de protection internationale, que le caractère nouveau de cet élément résiderait dans le fait que son père lui aurait rapporté qu'il serait toujours recherché par la milice Al-Shabaab. Il soutient ne pas avoir disposé de cette information durant la procédure initiale, de sorte que ledit motif devrait être qualifié comme élément nouveau à l'appui de sa nouvelle demande.

S’agissant des risques d'être perçu en cas de retour par les autorités somaliennes comme membre de la milice Al-Shabaab et de faire l'objet de discrimination par les clans majoritaires du fait de son appartenance au clan minoritaire …, le demandeur fait valoir que ces faits n'auraient pas été invoqués dans le cadre de sa demande de protection internationale initiale, de sorte à devoir être qualifiés de faits nouveaux.

Concernant le risque d'être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en raison de la situation sécuritaire prévalant actuellement dans sa région d'origine, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités, le demandeur soutient que la situation sécuritaire en Somalie se serait dégradée depuis sa première demande de protection internationale, de sorte à devoir être considérée comme un élément nouveau.

Monsieur … fait ensuite valoir que lesdits éléments augmenteraient de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Quant au risque d'être tué en cas de retour par la milice Al-Shabaab, il soutient qu’il s’agirait d’un élément nouveau « non négligeable » au regard de la dégradation actuelle de la situation sécuritaire prévalant dans sa région d'origine.

S'agissant du risque d'être perçu en cas de retour par les autorités somaliennes comme membre de la milice Al-Shabaab, le ministre resterait en défaut de prouver que cet élément n’augmenterait pas de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à un statut conféré par la protection internationale.

Le risque de faire l'objet de discrimination par les clans majoritaires du fait de son appartenance au clan minoritaire …, serait également à considérer comme un élément nouveau pouvant augmenter la probabilité qu’il remplisse les conditions pour prétendre à un statut conféré par la protection internationale, étant donné que la société somalienne serait « fortement clanique ». Il se réfère à cet égard à un article du Secrétaire d’Etat aux migrations suisse publié en date du 31 mai 2017.

Le demandeur insiste sur le fait que la situation sécuritaire générale en Somalie serait à elle seule suffisante pour retenir dans son chef un fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité qu'il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il se rapporte à cet égard à l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 ainsi qu’à plusieurs rapports de l’Organisation des Nations Unies, de l’Agence de l’Union européenne pour l’Asile (AUEA) et du Haut Commissariat pour les réfugiés ainsi qu’à un article du The Armed Conflict Location & Event Data Project en soulignant que le conflit entre la milice Al-Shabaab et les forces du gouvernement fédéral somalien, assistées de la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (ATMIS), demeurerait la principale source de conflit armé en Somalie mais que les milices claniques, l'État islamique en Somalie et les autorités régionales du Somaliland et du Puntland seraient également des acteurs de l'insécurité et des violences armées dans le pays touchant également des civils.

Il soutient encore que la Somalie serait marquée par une sécheresse ayant conduit au déplacement de personnes à l'intérieur du pays et que les personnes les plus vulnérables, à savoir les femmes et les enfants représenteraient plus de 80% des déplacés internes en Somalie.

En se référant à la Country Guidance Somalia 2023 de l’AUEA, le demandeur fait valoir que sa région d’origine, Baadir, serait particulièrement affectée par le conflit armé en cours et qu’Al-Shabaab aurait conservé sa capacité de mener des opérations à …, projetant son influence dans la zone urbaine par le biais d'attaques et d'assassinats ciblés. Plusieurs attaques auraient entraîné la mort de civils.

Le demandeur fait encore valoir qu’il aurait été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de se prévaloir des éléments ou faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse en soutenant qu’il n’aurait pas eu l’information qu’il courrait un risque d’être tué par la milice Al-Shabaab en cas de retour en Somalie durant la procédure initiale mais qu’il ne l’aurait appris qu'après avoir été définitivement débouté de sa première demande de protection internationale lors d’un entretien téléphonique avec son père.

Concernant le risque d'être perçu en cas de retour par les autorités somaliennes comme membre de la milice Al-Shabaab, il soutient ne pas avoir eu connaissance de ce fait avant.

Concernant le risque de faire l'objet de discrimination par les clans majoritaires du fait de son appartenance au clan minoritaire …, il explique ne pas avoir pu invoquer cet élément dans le cadre de sa première demande de protection internationale, étant donné qu’il n’aurait pas été certain quant à son appartenance clanique dans la mesure où il viendrait d'une famille mixte.

Quant au risque d'être exposé à des persécutions ou à des atteintes graves en raison de la situation sécuritaire prévalant dans sa région d'origine, le demandeur expose ne pas avoir invoqué ce fait à l'appui de sa première demande de protection internationale, étant donné qu’à l'époque, la situation sécuritaire aurait été plus calme.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Le tribunal relève que l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale (…) ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris, notamment, le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande -, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il appartient dès lors au tribunal d’analyser les motifs soumis en cause par le demandeur afin de vérifier le caractère nouveau de ces éléments, ainsi que, le cas échéant, leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplit les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle doit, aux termes de l’article 32, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, avoir fait l’objet d’une décision finale.

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que la demande de protection internationale de Monsieur … faisant l’objet de la décision déférée a été introduite le 28 décembre 2023, soit après le rejet définitif de sa demande précédente par l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 24 janvier 2023, de sorte que la demande en question doit être qualifiée de demande ultérieure au sens de l’article 32, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant ensuite de la question de savoir si les éléments soumis par Monsieur … dans le cadre de sa nouvelle demande peuvent être qualifiés de nouveaux au sens des articles 28 et 32, précités, de la loi du 18 décembre 2015, il échet d’abord de souligner que sont à considérer comme nouveaux, au sens de l’article 32, précité, de la loi du 18 décembre 2015, des éléments qui sont postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et à la procédure contentieuse afférente.1 A cet égard, le tribunal constate à la lecture des rapports des auditions effectuées dans le cadre de la première et deuxième demande de protection internationale que le demandeur a présenté essentiellement les mêmes faits à la base de sa fuite de son pays d’origine.

1 Voir en ce sens Trib., adm. 6 décembre 2006, n° 22137 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 91 et les autres références y citées.

En effet, le tribunal constate qu’à l’appui de sa première demande de protection internationale, le demandeur a fait valoir qu’il aurait quitté la Somalie par crainte d’être recruté par la milice Al-Shabaab, dont les membres (i) l’auraient enlevé et torturé après qu’il aurait vendu des cigarettes, (ii) auraient assassiné son frère et (iii) auraient extorqué son père.

Force est ensuite de constater que dans le cadre de son entretien sur les motifs à la base de sa deuxième demande de protection internationale, le demandeur a déclaré qu’il ne pourrait retourner dans son pays d’origine au motif que son père lui aurait fait part du fait que les membres de la milice Al-Shabaab seraient toujours à sa recherche et qu’il serait extorqué par eux tout comme par des membres d’un clan majoritaire, qui auraient depuis toujours discriminé les membres du clan … auquel le demandeur appartiendrait. Dans le cadre de la procédure contentieuse, il ajoute encore la situation sécuritaire en Somalie.

S’agissant du motif avancé par le demandeur ayant trait à sa crainte de se voir recruter par la milice Al-Shabaab, la Cour administrative a retenu dans son arrêt du 24 janvier 2023 ce qui suit :

« (…) Ceci étant dit, la Cour rejoint et se fait sienne l’analyse détaillée et pertinente des premiers juges qui les a amenés à retenir que Monsieur … n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de ladite loi en relation avec son vécu personnel.

La Cour rejoint ainsi les premiers juges en ce qu’ils ont relevé que Monsieur … a omis de mentionner, au moment de remplir la fiche de motifs de sa demande de protection internationale, ses problèmes personnels avec la milice Al Shabaab, à savoir le fait d’avoir été enlevé et torturé par ladite milice en raison de son activité de vendeur de cigarettes, voire que les membres de celle-ci auraient voulu le recruter de force, l’appelant ayant uniquement déclaré que son frère aîné ayant soutenu la famille (« Der Versorger der Familie ») aurait été tué suite à quoi sa mère serait devenue malade.

Ce constat se trouve encore renforcé par le fait que l’appelant a déclaré avoir reçu en décembre 2014, donc à l’âge de … ans, une centaine de coups de fouet sur le dos, mais qu’il ne présente à l’heure actuelle plus aucune séquelle, voire cicatrice, l’explication donnée par ce dernier suivant laquelle l’absence de séquelles sur sa peau serait due à une maladie de la peau qu’il aurait contractée en Libye (page 19 du rapport d’audition) n’étant nullement plausible aux yeux de la Cour.

A cela s’ajoute que le récit de l’appelant est truffé de nombreuses imprécisions, incohérences et contradictions, telles qu’épinglées par l’autorité ministérielle.

Indépendamment de la discussion quant à l’appartenance clanique de l’appelant - clan … ou clan … -, la Cour confirme le ministre en ce qu’il a pointé à bon escient les contradictions évidentes contenues au récit de Monsieur … en relation avec les conditions de son départ de son pays d’origine. Ainsi, l’appelant a relaté en premier lieu avoir quitté la ville de … à bord d’un bus, affirmation réitérée en instance d’appel, et que le voyage à destination du Kenya aurait duré sept jours (page 13 du rapport d’audition) pour prétendre par la suite, qu’après que son frère aurait été tué et que son père aurait été menacé par téléphone, ce dernier aurait convaincu un chauffeur de poids-lourd pour l’emmener hors du pays et qu’il aurait traversé la frontière kenyane à pied (page 15 du rapport d’audition).

S’il est vrai qu’un état de détresse, la vulnérabilité ou le jeune âge d’un demandeur de protection internationale peut affecter la chronologie et la cohérence de son récit, eu égard au vécu personnel et aux événements traumatiques qu’il a pu subir lors de son parcours migratoire, une telle prétendue vulnérabilité ne peut, comme en l’espèce, être invoquée par rapport à des contradictions évidentes du récit de l’appelant en relation avec un élément aussi fondamental que les conditions de fuite de son pays d’origine.

Le manque de crédibilité du récit de Monsieur … se trouve encore conforté par l’attitude adoptée par celui-ci suite à son arrivée en Europe depuis le dépôt d’une demande de protection internationale en Italie, pays qu’il a quitté pour rejoindre la France, puis le Luxembourg avant que sa demande n’ait été traitée. Ainsi, l’appelant a introduit au Luxembourg sa demande de protection internationale sous l’identité de Monsieur … né le … à …, tandis qu’en Italie il était connu sous les identités de …. et …, né le …, respectivement …, né le …. A cela s’ajoute que l’appelant, d’après les affirmations non contredites du délégué du gouvernement, a encore déposé deux demandes de protection internationale au Pays-Bas en date du 10 mars 2022 et en France en date du 19 mai 2022 sans se soucier du sort de sa demande de protection internationale pendante au Luxembourg, attitude démontrant un désintérêt total de celui-ci par rapport au sort réservé à sa demande par les autorités des pays auprès desquelles il a sollicité le bénéfice d’une mesure de protection internationale. A l’instar des premiers juges, la Cour retient que pareil comportement est incompatible avec celui d’une personne recherchant sérieusement une protection internationale et dénote une volonté d’induire en erreur les autorités auprès desquelles il demande l’obtention d’une protection internationale.

Loin de clarifier en instance d’appel la conclusion de l’autorité ministérielle et des premiers juges en relation avec le manque de crédibilité de son récit, Monsieur … ne fournit que des explications générales guère convaincantes sans clarifier les doutes sérieux que ce constat génère logiquement à propos des faits de persécution actuellement allégués.

Ainsi, le récit de l’appelant, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant au contraire tenter sciemment d’induire en erreur au sujet de son vécu.

Il découle de ce qui précède que l’appelant n’a pas fait état de manière crédible qu’il a des raisons fondées de craindre d’être persécuté en cas de retour dans son pays ou qu’il y encourt un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b), de la loi du 18 décembre 2015, par rapport aux faits allégués. (…) ».

Force est au tribunal de constater que la Cour administrative a définitivement rejeté le récit du demandeur quant à ces motifs pour ne pas être crédible, de sorte que ces faits ne sont pas à qualifier d’éléments ou de faits nouveaux au sens de l’article 28, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, étant encore précisé que l’affirmation par Monsieur … selon laquelle le risque de se voir recruter par la milice Al-Shabaab serait toujours d’actualité en raison de l’information reçue par son père selon laquelle les membres de ladite milice seraient, même après 8 ans d’absence, toujours à sa recherche n’est pas de nature à infirmer la conclusion retenue par la Cour administrative et à rendre son récit crédible, à défaut de précision circonstanciée à cet égard.

S’agissant de l’appartenance du demandeur au clan …, il échet de préciser que même si l’appartenance clanique du demandeur a été analysée dans les jugement et arrêt précités sous l’angle des contradictions et incohérences relevées dans son récit, ledit motif n’a cependant pas fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte qu’il peut être considéré comme un élément nouveau.

Force est cependant de constater qu’il ne ressort pas des déclarations du demandeur exposées lors de son audition auprès du ministère dans le cadre de sa seconde demande de protection internationale et selon lesquelles, d’une part, les membres de clans majoritaires ne l’auraient pas payé lorsqu’il leur aurait vendu des cigarettes et, d’autre part, une personne lui aurait administré un coup après qu’il avait réclamé l’argent, qu’il aurait été dans l’impossibilité de les faire valoir dans le cadre de sa première demande de protection internationale2. En effet, lesdites discriminations ont eu lieu avant le départ du demandeur de son pays d’origine et son affirmation que son père se verrait dévaliser par les membres de clans majoritaires n’est pas de nature à justifier que lesdits faits n’auraient pas pu être soumis dans le cadre de la première demande de protection internationale.

S’agissant de l’affirmation du demandeur selon laquelle il risquerait d’être tué par les autorités somaliennes s’il était considéré comme un membre de la milice Al-Shabaab3, il échet de retenir que s’il s’agit certes d’un fait qui n’avait pas été avancé dans le cadre de sa première demande de protection internationale, il n’en reste pas moins que, d’un côté, il est directement lié à la crainte du recrutement forcé par la milice Al-Shabaab ayant été analysée dans le cadre de sa première demande de protection internationale, et, d’un autre côté, le demandeur n’invoque en l’espèce aucun élément pour justifier les raisons pour lesquelles il n’aurait pas été en mesure de se prévaloir de cette crainte supplémentaire lors de la précédente procédure devant le tribunal administratif, respectivement devant la Cour administrative, siégeant, par ailleurs, tous les deux dans le cadre d’un recours en réformation, étant encore rappelé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur qui doit démontrer qu’il a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir des éléments invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale ultérieure au cours de la précédente procédure y compris durant la phase contentieuse.

2 « Sie haben von Unterdrückung, Diskriminierung von Großklans geredet. Nennen Sie mir Beispiele.

Als ich noch mit meiner Karre Zigaretten verkauft habe, wurde ich nicht von ihren Leuten bezahlt. Wenn ich das Geld verlangte, hat mich einmal einer mit der Faust geschlagen. Es gibt kein gleiches Recht. Auch ältere Klansmitglieder sind diskriminiert. (…) Warum haben Sie diese Diskriminierungen letztes Mal nicht erwähnt? Ja. Wenn mein Vater nachts arbeitet, wird er von diesen Leuten beraubt. Bei jemanden aus einem großen Klan hätten sie dies nicht gewagt. Die hätten Schutz gehabt. (…) ». Rapport d’audition, p. 9.

3 « Hatten Sie jemals Probleme mit den Regierungssoldaten? Nein.

Warum sollten die Regierungssoldaten Sie denn als Al Shabaab-Mitläufer betrachten? Ich werde von den Al Shabaab gesucht. Sie wollten, dass mein Vater mich zurückbringt.

Sie reden von den Jahren 2015/2016? Ja.

Letztes Mal haben Sie nicht über die Regierungssoldaten geredet.

Die Al Shabaab wollen mich zurückhaben. Und wenn jemand als Al Shabaab-Mann verdächtigt wird von der Regierungsseite, wird er getötet. Meine Rückkehr nach Somalia ist lebensgefährlich für mich.

Warum würde man Sie als Al Shabaab-Mann ansehen? Sie sind vor den Al Shabaab geflohen. Das macht doch keinen Sinn.

Die Al Shabaab, wenn sie explosive Gurte an mir befestigen, damit ich zu den Regierungssoldaten gehe, um mich in die Luft zu jagen, dann würde ich sofort erschossen werden. Damit ich nicht unschuldige Menschen in den Tod reiße. ». Rapport d’audition, p. 8.

S’agissant finalement de la situation générale en Somalie, force est au tribunal de constater qu’il se dégage des éléments du dossier administratif que le demandeur s’est d’ores et déjà prévalu de la situation sécuritaire dans son pays d’origine et que tant le tribunal de céans, dans son jugement du 22 septembre 2022, que la Cour administrative, dans son arrêt du 24 janvier 2023, ont retenu quant au risque de subir des atteintes graves en application de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015 que le demandeur était resté en défaut d’apporter des éléments suffisants desquels il se dégagerait qu’il serait susceptible de risquer sa vie en raison de sa seule présence sur le territoire somalien et que, sur l’ensemble de ce territoire, la simple présence d’un civil serait suffisante pour établir un risque réel d’y subir des atteintes graves en relation avec une situation devant être qualifiée de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015.

Si certes le demandeur soumet à l’appréciation du tribunal des rapports dont certains sont postérieurs aux jugement et arrêt précités, il n’en reste pas moins que la Country Guidance sur la Somalie publiée en août 2023 par l’AUEA conclut quant à la situation à … que « Looking at the indicators, it can be concluded that « mere presence » in the area would not be sufficient to establish a real risk of serious harm under Article 15(c) QD [transposé en droit national par l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015] in the region of Benadir/…. However indiscriminate violence reaches a high level, and, accordingly, a lower level of individual element is required in order to show substantial grounds for believing that a civilian, returned to the territory, would face a real risk of serious harm within the meaning of Article 15(c) QD »4.

Ainsi, il existe dans la région d’origine du demandeur une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, sans que cette violence n’atteint cependant un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La Cour de justice de l’Union européenne a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle5.

Dans la mesure où les éléments avancés par le demandeur quant à son risque d’être recruté par la milice Al-Shabaab ont été déclarés non crédibles à travers le jugement du tribunal administratif du 22 septembre 2022 et l’arrêt de la Cour administrative du 24 janvier 2023 et où les éléments ajoutés dans le cadre de la deuxième demande de protection internationale ne sont pas non plus de nature à emporter la conviction du tribunal et de rendre son récit crédible à cet égard, de sorte à ne pas augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, le tribunal est amené à retenir que lesdits éléments ne sauraient pas non plus être pris en considération comme élément propre de la situation personnelle de Monsieur … à analyser dans le cadre de l’examen du moyen ayant trait à une violation de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur est, par ailleurs, resté en défaut de soumettre d’autres éléments propres à sa situation personnelle qui permettraient de retenir qu’il serait exposé à un risque réel de menace grave pour sa vie ou sa personne en cas de retour en Somalie, de sorte que le tribunal est amené à conclure que la situation sécuritaire régnant en Somalie n’est pas de nature à 4 Country Guidance: Somalia, August 2023, p. 173.

5 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07 augmenter de manière significative la probabilité que Monsieur … remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le ministre a valablement pu déclarer irrecevable la deuxième demande de protection internationale de Monsieur …, en application des articles 28, paragraphe (2), point d) et 32 de la loi du 18 décembre 2015 et que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 avril 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 50122
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-04-22;50122 ?

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