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28/03/2024 | LUXEMBOURG | N°47548

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 mars 2024, 47548


Tribunal administratif N° 47548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47548 2e chambre Inscrit le 13 juin 2022 Audience publique du 28 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision implicite de refus du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47548 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2022 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, ...

Tribunal administratif N° 47548 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47548 2e chambre Inscrit le 13 juin 2022 Audience publique du 28 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision implicite de refus du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47548 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2022 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Chine), demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile « implicite de rejet, résultant de l’absence de réponse du recours gracieux effectué en date du 18 février 2022 […] contre la décision ministérielle en date du 25 novembre 2021 […] ayant refusé la demande d’autorisation de séjour » dans le chef de Monsieur … ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 novembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 janvier 2024, Maître Ardavan Fatholahzadeh s’étant excusé.

En date du 5 janvier 2016, Monsieur … fut condamné pour tentative de meurtre par un arrêt de la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, chambre criminelle, à une peine de réclusion de dix ans, dont cinq ans furent assortis du sursis à l’exécution.

Monsieur … fut encore condamné par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 27 janvier 2016 à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois pour coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail personnel.

En date du 22 mai 2019, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’égard de l’intéressé une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

A la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Par arrêté du 13 juin 2019, le ministre ordonna la prorogation du placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question, intervenue le 21 juin 2019.

Par jugement du tribunal administratif du 19 juin 2019, inscrit sous le numéro 43109 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 12 juin 2019 à l’encontre de la décision ministérielle de placement en rétention du 22 mai 2019.

Par arrêtés des 16 juillet, 14 août, 16 septembre et 14 octobre 2019, notifiés respectivement les 19 juillet, 19 août, 19 septembre et 18 octobre 2019, le ministre prorogea la susdite mesure de placement en rétention, chaque fois pour une durée supplémentaire d’un mois.

Le 7 novembre 2019, le ministre ordonna la libération immédiate de Monsieur ….

Il ressort d’un procès-verbal établi le 9 décembre 2019 par la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, portant le numéro de référence …, qu’à cette dernière date, Monsieur …, qui ne put présenter de documents d’identité en cours de validité, fut hospitalisé suite à une crise épileptique.

Aux termes d’une note au dossier du 16 janvier 2020, Monsieur … se présenta à cette date auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en déclarant vouloir être « euthanasié » à cause de ses problèmes de santé, ne pas vouloir introduire de demande de protection internationale et refuser un retour volontaire en Chine.

Le même jour, une recherche INTERPOL fut lancée à son encontre.

Il se dégage d’un procès-verbal établi le 4 février 2020 par la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, portant le numéro de référence …, qu’à cette dernière date, Monsieur … se présenta auprès des forces de l’ordre, sans être muni d’un document d’identité en cours de validité, pour se renseigner sur les démarches à entreprendre à l’encontre de son employeur pour travail clandestin.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une décision de retour, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 12 mars 2020, portant le numéro de référence …, qu’à cette dernière date, Monsieur … se présenta auprès dudit commissariat, afin de remettre un portefeuille qu’il aurait trouvé dans la rue. A cette occasion, il était muni d’un passeport chinois, dont la durée de validité avait expiré le 1er décembre 2019.

Par arrêté du 12 mars 2020, également notifié ce jour-là, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Par arrêté du 3 avril 2020, notifié à l’intéressé le 10 avril 2020, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter du 12 avril 2020.

Par arrêté du 24 avril 2020, l’arrêté ministériel, précité, du 4 février 2020 portant décision de retour et interdiction d’entrée sur le territoire fut rapporté.

Par jugement du tribunal administratif du 6 mai 2020, inscrit sous le numéro 44388 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 28 avril 2020 à l’encontre de l’arrêté ministériel du 3 avril 2020 de prorogation du placement en rétention.

Par arrêtés des 7 mai 2020, 5 juin 2020 et 6 juillet 2020, notifiés respectivement les 12 mai, 12 juin et 10 juillet 2020, le ministre prorogea la susdite mesure de placement en rétention, chaque fois pour une durée supplémentaire d’un mois.

Par jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020, inscrit sous le numéro 44667 du rôle, l’arrêté ministériel du 6 juillet 2020 ordonnant la prorogation de la mesure de placement en rétention de Monsieur … fut déclaré justifié, jugement qui fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 5 août 2020, inscrit sous le numéro 44729C du rôle.

Par transmis du 12 août 2020, le ministre ordonna la libération immédiate de Monsieur … du Centre de rétention.

Par courrier du 16 novembre 2020, le litismandataire de Monsieur … introduisit une demande de sursis à l’éloignement dans le chef de Monsieur … en vertu de l’article 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », qui fut refusée par décision du 2 décembre 2020.

Par courrier du 12 avril 2021, le litismandataire de Monsieur … introduisit une demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié au sens de l’article 42 et suivants de la loi du 29 août 2008.

Il ressort d’un procès-verbal de la Police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 14 mai 2021, portant le numéro de référence …, qu’à cette dernière date, les forces de l’ordre durent intervenir dans un restaurant asiatique situé à … pour une tentative de meurtre suite à laquelle Monsieur … se blessa et fut emmené à l’hôpital.

Il ressort du relevé journalier du Centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) du 15 mai 2021, que Monsieur … y fut placé en détention préventive pour tentative d’homicide volontaire.

Par décision du 25 novembre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur …, ladite décision étant motivée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre télécopie datant du 12 avril 2021 relative à l’objet repris sous rubrique.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à la demande en faveur de votre mandant. En effet, conformément à l’article 34, paragraphe (2), point 4. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, le ressortissant de pays a le droit d’entrer sur le territoire luxembourgeois sous condition de « ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-Duché de Luxembourg ou de l’un des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg. » 3 Force est de constater que votre mandant a été condamné pour tentative de meurtre à une peine de réclusion de dix années, dont cinq années avec sursis par arrêt de la Cour d’appel, Chambre criminelle, du 5 janvier 2016 (n°1/16) et à une peine d’emprisonnement de 18 mois pour coups et blessures volontaires par jugement du tribunal d’arrondissement du 27 janvier 2016 (n°365/2016).

Partant, l’autorisation de séjour est refusée à votre mandant sur base des articles 34, paragraphe (2), point 4. et 101, paragraphe (1), point 2. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] ».

Le 18 février 2022, le litismandataire de Monsieur … introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 25 novembre 2021, qui resta sans réponse.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2022, inscrite sous le numéro 47548 du rôle, Monsieur … a introduit un recours tendant à l’annulation de la « décision ministérielle implicite de rejet, résultant de l’absence de réponse du recours gracieux effectué en date du 18 février 2022 […], contre la décision ministérielle en date du 25 novembre 2021 […] ayant refusé la demande d’autorisation de séjour » dans son chef.

Aucune disposition légale n’instaurant de recours au fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit.

En vertu de l’article 4 (1) de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, « Dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif », étant relevé que si à la suite de l’introduction d’un recours gracieux, aucune décision expresse n’intervient dans un délai de trois mois, il y a lieu de conclure du silence gardé par l’administration que celle-ci est censée avoir rejeté ledit recours gracieux et que cette décision est à qualifier de décision implicite de rejet qui est susceptible d’être attaquée par la voie d’un recours contentieux1.

Le recours en annulation introduit contre la décision implicite de refus du ministre découlant du silence observé pendant plus de trois mois suite au recours gracieux daté du 18 février 2022, introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 25 novembre 2021 refusant l’octroi d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié dans le chef de Monsieur …, est ainsi recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … indique être de nationalité chinoise et être arrivé sur le territoire luxembourgeois plus de huit années auparavant, dans l’unique but de trouver un emploi et d’avoir de meilleures conditions de vie, raison pour laquelle il aurait déposé une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié en date du 12 avril 2021.

En droit, le demandeur s’empare de l’article 27 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des 1 Cour. adm., 28 avril 2016, n° 37158C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Actes Administratifs, n° 106 et les autres références y citées. membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, ci-après désignée par la « directive 2004/38 », pour faire valoir (i) que les mesures prises pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique devraient être conformes au principe de proportionnalité, (ii) qu’elles devraient être fondées exclusivement sur le comportement personnel de la personne concernée, qui devrait représenter une menace réelle, présente et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société, et (iii) que les condamnations pénales antérieures ne devraient pas constituer en elles-mêmes un motif justifiant l’adoption de telles mesures.

Il estime que de la violation de la prédite disposition découlerait une violation de l’article 27 (2) de la loi du 29 août 2008, moyen dans le cadre duquel il soulève, par ailleurs, l’absence de motivation détaillée de la décision initiale de refus du 25 novembre 2021. Il fait, à cet égard, valoir que l’absence de motivation ne lui permettrait pas de comprendre les raisons du refus d’autorisation de séjour dans son chef, le demandeur affirmant, dans ce contexte, que l’autorité ministérielle serait en principe tenue de motiver sa décision lorsqu’il est question d’ordre publique et de sécurité publique.

En s’appuyant sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 13 juillet 2017, E. contre Subdelegación del Gobierno en Álava, C-193/16, ainsi que sur l’article 83 (1) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne citant les infractions pénales susceptibles d’être considérées comme constituant une atteinte particulièrement grave à un intérêt fondamental de la société, Monsieur … donne à considérer que les actes qu’il a commis ne relèveraient pas de cet article 83 (1), de sorte qu’une autorisation de séjour ne pourrait pas lui être refusée pour ce motif.

En renvoyant à un autre arrêt de la CJUE du 2 mai 2018, K. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie et H. F. contre Belgische Staat, affaires jointes C-331/16 et C-366/16, le demandeur soutient que la décision litigieuse serait disproportionnée, étant donné que depuis sa condamnation du 5 janvier 2016 pour tentative de meurtre avec circonstances atténuantes, aucune nouvelle infraction n’aurait pu être constatée, de sorte que « [sa] bonne foi [serait] prouvée par l’absence de récidive depuis les faits en cause ». Il ajoute qu’il aurait exprimé un profond regret quant aux actes commis. Il se serait, en outre, intégré au Luxembourg, ce qui serait démontré par l’emploi qu’il occuperait actuellement, ainsi que par la promesse d’embauche qu’il aurait versée. Grâce à ses revenus personnels, il serait totalement indépendant des deniers publics et souhaiterait indemniser les victimes de ses précédents actes, ce qui ne serait possible qu’en exerçant un travail.

Enfin, Monsieur … précise que la décision litigieuse l’aurait particulièrement impacté, alors qu’il serait de bonne foi et qu’il démontrerait la repentance de ses actes. Il estime qu’il serait injuste de le condamner une seconde fois pour des faits pour lesquels il aurait déjà purgé une peine, ce qui l’aurait psychologiquement affecté, le demandeur versant un rapport médical du 5 octobre 2020 et une ordonnance médicale du 10 novembre 2020 à cet effet.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour être non fondé.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de lestoiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant2, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.

Avant tout autre progrès en cause, si le recours est certes dirigé contre la seule décision implicite de rejet du recours gracieux, il est néanmoins de jurisprudence qu’une décision, sur recours gracieux, purement confirmative d’une décision initiale, tire son existence de cette dernière et que les deux doivent, dès lors, être considérées comme formant un seul tout3 et que le fait de diriger un recours contentieux contre la seule décision confirmative, prise sur recours gracieux, entraîne nécessairement que le recours est également dirigé contre la décision initiale4. Ainsi, le recours dirigé contre la seule décision implicite de rejet découlant du silence de trois mois observé par le ministre suite au recours gracieux introduit en date du 18 février 2022, doit être considéré comme dirigé également contre la décision initiale du 25 novembre 2021.

En ce qui concerne la légalité externe, notamment le moyen ayant trait au défaut de motivation des décisions litigieuses, il ressort de l’argumentaire du demandeur qu’il tend, de l’entendement du tribunal, à invoquer une violation de l’article 109 de la loi du 29 août 2008 disposant que « (1) Les décisions de refus visées respectivement aux articles 25 et 27 et aux articles 100, 101 et 102 sont prises par le ministre et dûment motivées. La décision motivée par des raisons de santé publique est prise sur proposition du ministre ayant la Santé dans ses attributions.

(2) Les motifs précis et complets d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique qui sont à la base d’une décision, sont portés à la connaissance de la personne concernée, à moins que des motifs relevant de la sûreté de l’Etat ne s’y opposent », la décision du 25 novembre 2021 visant expressément l’article 101 (1), point 2 de la loi du 29 août 2008.

En l’espèce, le tribunal constate que le ministre a examiné, dans la décision du 25 novembre 2021, la demande d’autorisation de séjour sous l’angle des articles 34 et 101 de la loi du 29 août 2008 et qu’il a précisé les différentes condamnations prononcées à l’encontre du demandeur pour justifier sa décision de lui refuser une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié.

Dans ce contexte, il y a lieu de préciser qu’il est de jurisprudence constante que l’administration peut utilement produire ou compléter les motifs postérieurement à la décision prise et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse, motifs qui ont, par ailleurs, été plus amplement développés dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, de sorte qu’aucune violation de l’article 109 de la loi du 29 août 2008 ne saurait être constatée.

Partant, le moyen tendant à l’annulation des décisions litigieuses pour défaut de motivation est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne la légalité interne des décisions déférées, si le demandeur a entendu invoquer une violation du principe non bis in idem en soutenant qu’il serait injuste qu’il soit 2 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 21060 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 528 et autres références y citées.

3 Trib. adm., 21 avril 1997, n° 9459 du rôle, conf. par Cour adm., 23 octobre 1997, n° 10040C du rôle, Pas. adm.

2023, V° Procédure contentieuse, n° 279 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 13 avril 2016, n° 35531 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure contentieuse, n° 279 et les autres références y citées.condamné une seconde fois par le ministre par le fait de ne pas lui accorder d’autorisation de séjour en raison de ses condamnations pénales antérieures, le tribunal relève que ce principe ne s’applique que lorsqu’une personne est poursuivie ou condamnée en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée définitivement.

Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que les décisions ministérielles déférées ne constituent pas une nouvelle condamnation de Monsieur … pour des faits pour lesquels il a déjà été condamné pénalement, mais une appréciation de son comportement par le ministre afin de vérifier si le demandeur présente un risque pour l’ordre public, risque qu’il doit apprécier dans le cadre d’une demande d’autorisation de séjour conformément à l’article 101 de la loi du 29 août 2008, qui sera analysé ultérieurement.

Dès lors, un refus d’autorisation de séjour ne pouvant être considéré comme étant une peine, l’interdiction formulée par le principe non bis in idem est sans application, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Force est, ensuite, de constater que l’argumentaire du demandeur tourne essentiellement autour du principe de proportionnalité, qu’il estime violé en raison du refus d’autorisation de séjour dans son chef, qui serait uniquement basé sur ses condamnations pénales antérieures.

Le tribunal relève que, dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité5 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but6.

L’article 34 (2), point 4 de la loi du 29 août 2008 régissant l’entrée et le séjour du ressortissant de pays tiers sur le territoire luxembourgeois pour une période allant jusqu’à trois mois, sur lequel se base le ministre dans sa décision du 25 novembre 2021 qu’il a confirmée à travers la décision implicite de rejet du recours gracieux dirigé contre celle-ci, dispose que ledit ressortissant ne doit pas « […] être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales du Grand-

Duché de Luxembourg ou de l’un des États parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant le Grand-Duché de Luxembourg […] ».

5 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 56 et les autres références y citées.

6 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Recours en annulation, n° 32 et les autres références y citées. L’article 101 de la loi du 29 août 2008, sur lequel le ministre s’est également basé, dispose, quant à lui, que « (1) L’autorisation de séjour du ressortissant de pays tiers peut lui être refusée ou son titre de séjour peut être refusé ou retiré ou refusé d’être renouvelé : […] 2.

s’il est considéré comme un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique ; […] (2) Les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de la personne concernée qui en fait l’objet. Ce comportement doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, sans que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne puissent être retenues ».

Il ressort de ces dispositions que le ressortissant de pays tiers, catégorie à laquelle Monsieur … appartient, peut se voir refuser une autorisation de séjour s’il est considéré comme un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique et si son comportement représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société.

A ce propos, la CJUE a été amenée à retenir que « […] le fait qu’un ressortissant d’un pays tiers est soupçonné d’avoir commis un acte punissable qualifié de délit ou de crime en droit national ou a fait l’objet d’une condamnation pénale pour un tel acte ne saurait, à lui seul, justifier que ce ressortissant soit considéré comme constituant un danger pour l’ordre public […] » et qu’« […] un État membre peut constater l’existence d’un danger pour l’ordre public en présence d’une condamnation pénale, même si celle-ci n’est pas devenue définitive, lorsque cette condamnation, prise ensemble avec d’autres circonstances relatives à la situation de la personne concernée, justifie un tel constat. […] »7.

Elle a également précisé que « […] la simple suspicion qu’un ressortissant d’un pays tiers a commis un acte punissable qualifié de délit ou de crime en droit national peut, ensemble avec d’autres éléments relatifs au cas particulier, fonder un constat de danger pour l’ordre public […] » et que « […] les États membres restent pour l’essentiel libres de déterminer les exigences de la notion d’ordre public, conformément à leurs besoins nationaux […] » 8.

Elle en a conclu que la notion de danger pour l’ordre public suppose, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, que, dans le cadre de l’appréciation de cette notion, tout élément de fait ou de droit relatif à la situation de la personne concernée susceptible d’éclairer la question de savoir si le comportement personnel de celle-ci est constitutif d’une telle menace, est pertinent et que, dans le cas d’un ressortissant qui est soupçonné d’avoir commis un acte punissable qualifié de délit ou de crime en droit national ou a fait l’objet d’une condamnation pénale pour un tel acte, la nature et la gravité de cet acte, ainsi que le temps écoulé depuis sa commission figurent au nombre des éléments pertinents à cet égard9.

En l’espèce, le tribunal constate, pour ressortir du dossier administratif ainsi que des propres affirmations du demandeur, que ce dernier a été condamné le 5 janvier 2016 par la Cour d’appel du Luxembourg à une peine de réclusion criminelle de dix ans, dont cinq ans avec sursis pour tentative de meurtre, et qu’il a été condamné le 27 janvier 2016 par le Tribunal 7 CJUE, 11 juin 2015, Z. Zh contre Staatssecretaris voor Veiligheid en Justitie et Staatssecretaris voor Veiligheid en Justitie contre I. O., C-554/13, points 50 et 51.

8 Ibidem, point 52.

9 Ibidem, points 60, 61 et 62.d’arrondissement de et à Luxembourg à dix-huit mois de prison pour coups et blessures volontaires.

Il en ressort encore qu’il a été arrêté le 14 mai 2021 et placé au CPL en date du 15 mai 2021, - soit un mois après l’introduction de sa demande d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié et neuf mois avant l’introduction de son recours gracieux -, à nouveau pour tentative de meurtre, après s’être battu dans un restaurant chinois.

Le tribunal est amené à relever, à cet égard, que les affirmations du demandeur selon lesquelles il n’aurait commis aucune infraction depuis celles pour lesquelles il a été condamné en 2016 sont d’ores et déjà contredites par les prédits éléments du dossier administratif. Force est encore de constater que Monsieur … n’a pas pris position quant à ce point dans le cadre d’un mémoire en réplique, possibilité lui offerte mais dont il n’a toutefois pas fait usage.

Ainsi, et même s’il ne ressort pas du dossier administratif que Monsieur … aurait été poursuivi et condamné par une juridiction pénale pour l’incident du 14 mai 2021, il échet de relever qu’il reste tout de même soupçonné d’avoir commis un acte punissable qualifié de crime grave en droit national, tel que relevé à bon droit par la partie étatique, de sorte qu’au vu de tous ses antécédents, le demandeur est à considérer comme constituant un danger pour l’ordre public au sens de l’article 101 (1) de la loi 29 août 2008, la menace qu’il représente étant en effet réelle, suffisamment grave et actuelle.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention d’une autorisation de séjour du demandeur sur base de l’article 101 (1), point 2 de la loi 29 août 2008.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation introduit à l’encontre du refus d’autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 28 mars 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47548
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-28;47548 ?

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