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26/03/2024 | LUXEMBOURG | N°47249

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2024, 47249


Tribunal administratif N° 47249 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47249 3e chambre Inscrit le 29 mars 2022 Audience publique du 26 mars 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47249 du rôle et déposée le 29 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cou

r, assisté de Maître Sidonie BELA, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avo...

Tribunal administratif N° 47249 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47249 3e chambre Inscrit le 29 mars 2022 Audience publique du 26 mars 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi en matière de garantie de salaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47249 du rôle et déposée le 29 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi AMEGANDJI, avocat à la Cour, assisté de Maître Sidonie BELA, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’Agence pour le développement de l’emploi du 2 décembre 2021 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société à responsabilité limitée … SARL, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même directeur du 30 décembre 2021, rendue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement en date du 29 juin 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Pascale MILLIM en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 janvier 2024.

En date du 5 novembre 2019, Madame … acquit 69 parts sociales de la société à responsabilité limitée … SARL, ci-après désignée par « la société … ».

En date du 28 mai 2020, Madame … céda 5 parts sociales de la société … à Monsieur …, de sorte qu’après cette opération, Madame … détint 64 parts sociales dans ladite société, correspondant à une participation de 50% dans le capital de ladite société.

En date du 4 janvier 2021, Madame … signa un contrat de travail à durée indéterminée avec la société …, en vertu duquel elle fut engagée en qualité d’« Assistante de direction » avec effet au même jour, la durée de travail hebdomadaire ayant été fixée à 40 heures par semaine.

Par courrier du 28 mai 2021, Madame … fut licenciée avec un préavis de deux mois prenant effet le 1er juin 2021 pour se terminer le 31 juillet 2021.

La société … fut déclarée en état de faillite par un jugement du … 2021, rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière commerciale.

1 En date du 29 octobre 2021, Madame … déposa au greffe du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, une déclaration de créance dans le cadre de la faillite de la société … à hauteur de … euros, laquelle fut acceptée par le curateur de la faillite ainsi que par le juge commissaire au passif super privilégié de la faillite.

Par une décision du 2 décembre 2021, le directeur de l’Agence pour le Développement de l’Emploi, ci-après désigné par « le directeur », respectivement par « l’ADEM », informa Madame … de l’impossibilité de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale demandée, sur le fondement des considérations suivantes :

« […] Faisant suite à votre déclaration de créance dans la faillite émargée, je me permets de vous informer que les dispositions de l'article L.126-1. du Code du travail ne s'appliquent qu'aux seuls travailleurs salariés.

L'instruction de votre dossier a révélé que, selon les statuts de la société … S.A.R.L., vous étiez associé avec 50% des parts sociales émises.

Dès lors, vous avez eu la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale. Aucune décision n'a pu être prise sans votre consentement.

La participation d'une personne de 50% ou plus dans le capital social d'une société exclut l'existence d'un lien de subordination vis-à-vis de la société.

Dans ces conditions, une prise en charge de votre demande de remboursement par le Fonds pour l'emploi n'est pas possible. […] ».

Par courrier du 28 décembre 2021, Madame … introduisit un recours gracieux auprès du directeur, lequel confirma sa décision du 2 décembre 2021 par une décision du 30 décembre 2021, laquelle repose sur les considérations suivantes :

« […] En mains votre recours gracieux du 15 crt qui a retenu toute mon attention.

Je suis cependant au regret de vous informer que celui-ci ne contient pas d'éléments de nature à invalider notre décision; je vous invite dès lors à introduire un recours conformément aux voies de recours qui vous ont été communiquées.

Je me permets de préciser que l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes dispose que « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux. […] » Il est de jurisprudence constante que l'article précité n'impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation sommaire est exigée.

Par ailleurs, il a été jugé à de nombreuses reprises que l'ADEM a non seulement le droit, mais l'obligation de vérifier en premier lieu l'existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée, de sorte que l'acceptation d'une créance par le juge commissaire et par le curateur ne s'oppose en principe pas à un refus du directeur de libérer les fonds nécessaires à la garantie salariale.

2En outre, les juridictions administratives ont, à plusieurs reprises, jugé que « force est dès lors de constater que la détention de 50% des parts dans le capital social d'une société à responsabilité limitée exclut d'office tout lien de subordination ». (voir en ce sens p. ex. TA n°44008 du rôle) […]. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mars 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 2 décembre 2021 portant refus de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de la société …, ainsi que de la décision confirmative du directeur du 30 décembre 2021.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions déférées, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose de prime abord les faits et rétroactes gisant à la base des décisions directoriales déférées.

En droit, et en ce qui concerne la légalité externe des décisions directoriales sous analyse, la demanderesse conclut en premier lieu à une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en faisant valoir que les décisions en question ne seraient pas motivées à suffisance de droit, le directeur ayant simplement retenu qu’elle ne pourrait pas être considérée comme un salarié « ordinaire », sans donner de base juridique.

Dans un deuxième temps, la demanderesse reproche au directeur une violation de la loi, respectivement une erreur manifeste d’appréciation de sa situation individuelle et réelle, sinon une application erronée de l’article L.126-1 du Code du travail et de l’article 1er, paragraphe (4) du Code de la sécurité sociale, dans la mesure où il n’aurait pas tenu compte du fait qu’elle devrait être considérée comme salarié au sens de l’article 1er, paragraphe (4) du Code de la sécurité sociale, alors qu’il y aurait un lien de subordination entre elle-même et la société ….

Après avoir cité l’article L.126-1, paragraphe (1) du Code du travail, énoncé les conditions d’application dudit article et défini la notion de « contrat de travail », la demanderesse fait valoir qu’en l’espèce, elle aurait conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec la société … en date du 4 janvier 2021 et que sa créance salariale déclarée dans le cadre de la faillite de ladite société aurait été acceptée par le juge commissaire et par le curateur, de sorte que l’existence d’un contrat de travail ne saurait être remise en cause.

Elle fait ensuite plaider, en substance, que la charge de la preuve du bien-fondé des motifs à la base de la décision de refus du directeur, à savoir la preuve de sa qualité d’associé majoritaire et du fait que cette situation exclurait tout lien de subordination dans son chef, incomberait d’abord à l’Etat. Il incomberait ensuite seulement à la demanderesse d’établir que, malgré cette situation de contrôle légal ou de fait, elle aurait en réalité été liée à la société … par un contrat de travail caractérisé par un tel lien de subordination.

3 La demanderesse précise dans ce contexte, en se référant à la jurisprudence des juridictions administratives en la matière, que sa qualité d’associé majoritaire de la société … n’exclurait pas nécessairement l’existence d’un contrat de travail caractérisé par un lien de subordination dans son chef, étant donné que l’existence d’un tel contrat ne dépendrait ni de la volonté des parties, ni de la qualification qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité de la personne concernée, la demanderesse affirmant encore que la preuve d’un tel contrat de travail pourrait résulter d’un ensemble d’éléments constituant des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination.

La demanderesse poursuit en donnant à considérer qu’en l’espèce, il résulterait à suffisance des pièces versées en cause qu’elle aurait effectivement exercé une activité salariale auprès de la société …, malgré le fait qu’il ressortirait du registre de commerce et des sociétés qu’elle aurait détenu des parts sociales de ladite société. En effet, sa qualité de salariée résulterait (i) d’un certificat d’affiliation du Centre Commun de la Sécurité Sociale, ci-après désigné par « le CCSS », du 3 « décembre » 2022, (ii) d’une fiche de retenue d’impôt de 2020, (iii) des fiches de salaire des mois de janvier à août 2021 et (iv) des conditions concrètes de son engagement et de sa journée de travail dont pourraient attester ses collègues de travail Madame … et Monsieur …, la demanderesse concluant que l’ensemble de ces éléments permettraient de renverser l’apparence d’un défaut de lien de subordination dégagée par la partie étatique et de conclure à l’existence d’une relation de travail réelle et effective entre elle-

même et la société ….

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la légalité externe des décisions déférées, à savoir le défaut de motivation invoqué à l’appui du recours, il y a lieu de retenir qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; […] - intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ; […] ».

Cette disposition consacre dès lors le principe que, d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions, dont notamment celles refusant de faire droit à une demande de l’intéressé et celles qui interviennent sur recours gracieux, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

S’agissant en l’espèce, d’une part, d’une décision du 2 décembre 2021 refusant de faire droit à la demande de Madame … de libérer des fonds nécessaires à la liquidation de sa créance salariale et, d’autre part, d’une décision confirmative du 30 décembre 2021 prise suite au 4recours gracieux introduit par celle-ci en date du 28 décembre 2021, elles doivent énoncer la motivation les sous-tendant au sens de l’article 6 précité.

Il convient cependant d’ajouter, en ce qui concerne les conclusions de la demanderesse tendant à l’annulation pure et simple des décisions déférées du fait du défaut de motivation allégué, que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours et que celle-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse1.

Il convient également de souligner que l’article 6 précité n’impose pas une motivation exhaustive et précise, étant donné que seule une motivation « sommaire » est expressément exigée.

Par ailleurs, le défaut d’indiquer dans une décision administrative la disposition légale qui constitue son fondement n’encourt pas de sanction, dès lors que les raisons fournies sont suffisamment explicites pour permettre au destinataire de la décision de les rattacher à la disposition légale visée par l’administration2.

En outre, il est de jurisprudence qu’aucune règle de droit administratif n’exige qu’une décision confirmative, qui forme un seul ensemble avec la première décision, reprenne in extenso le contenu et la motivation – en fait et en droit – de la première décision et que la décision confirmative peut même ajouter des éléments de motivation non contenus dans la première décision3.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision du 2 décembre 2021 est suffisamment motivée en droit et en fait en ce qu’elle renvoie à la base légale pertinente, notamment l’article L.126-1 du Code du travail, et qu’elle retient que la demanderesse ne peut être considérée comme salariée « ordinaire », alors qu’en tant qu’associée détenant une participation de 50% dans le capital social de la société …, elle aurait eu la possibilité de bloquer toute décision des associés en assemblée générale et aurait ainsi eu un pouvoir de contrôle au sein de ladite société, pouvoir qui exclurait tout lien de subordination, de sorte que le tribunal est amené à conclure que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur la motivation à la base de la décision du 2 décembre 2021 et que ses droits de la défense n’ont ainsi pas été violés.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne la décision confirmative du 30 décembre 2021, prise sur recours gracieux, laquelle renvoie, d’une part, à la décision initiale et apporte, d’autre part, des éléments de motivation supplémentaires relatifs notamment à la jurisprudence des juridictions administratives en matière de garantie de salaire.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’un défaut de motivation des décisions déférées laisse d’être fondé.

1 Cour adm., 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 93 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 4 décembre 1997, n° 10157 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 79 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 1er juillet 2010, n° 26661C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 72 et les autres références y citées.

5En ce qui concerne la légalité interne des décisions sous analyse, l’article L.126-1 du Code du travail dispose que :

« (1) En cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit les créances résultant du contrat de travail et celles résultant de la liquidation du compte épargne-temps sous les conditions et dans les limites fixées au présent article.

Il en est de même lorsque le tribunal compétent a soit décidé l’ouverture de la procédure collective fondée sur l’insolvabilité de l’employeur, soit constaté la fermeture définitive de l’entreprise ou de l’établissement de l’employeur.

(2) Sont garanties jusqu’à concurrence d’un plafond égal au double du salaire social minimum de référence, les créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et jusqu’à concurrence du plafond visé à l’article 2101, paragraphe 3, du Code civil les créances des salaires et indemnités de toute nature dues aux salariés à la date du jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

(3) En cas de continuation des affaires par le curateur de la faillite, la garantie visée au présent article est applicable, dans les limites visées au paragraphe 2, aux créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié le jour de la résiliation du contrat de travail et celles résultant de la résiliation du contrat de travail.

(4) Pour l’application des dispositions des paragraphes 1er à 3, sont considérées les créances résultant de la liquidation du compte épargne-temps et de salaire et d’indemnité, déduction faite des retenues fiscales et sociales obligatoires en matière de salaires.

(5) Le droit à la garantie s’ouvre pour le salarié, lorsque les créances visées au présent article ne peuvent être payées, en tout ou en partie, sur les fonds disponibles dans les dix jours qui suivent le prononcé du jugement déclaratif de la faillite.

(6) A la demande du curateur, le Fonds pour l’emploi verse aux salariés, dans les limites visées au présent article et, le cas échéant, en tenant compte des avances versées au titre de l’alinéa qui suit, les sommes impayées figurant sur le relevé des créances présenté par le curateur, visé par le juge commissaire et vérifié par l’Agence pour le développement de l’emploi. Le relevé prévu au présent paragraphe peut être présenté par le curateur avant la clôture du procès-verbal de vérification des créances.

Pour toute créance salariale visée au paragraphe (2), le salarié créancier peut, si sa créance représente plus de la moitié du salaire mensuel, calculé sur la moyenne des trois derniers mois précédant le mois de la déclaration de la faillite, remettre une copie de sa déclaration de créance déposée au Tribunal de commerce concernant les arriérés de salaire, à l’Agence pour le développement de l’emploi. Après vérification par l’Agence pour le développement de l’emploi des pièces remises, le Fonds pour l’emploi verse à titre d’avance les créances de salaire arriéré sans pouvoir dépasser soixante-quinze pour cent du plafond visé au paragraphe (2). […] ».

Il s’ensuit qu’en cas de faillite de l’employeur, le Fonds pour l’emploi garantit jusqu’au plafond visé à l’article 2101 du Code civil, c’est-à-dire jusqu’au sextuple du salaire social minimum, les créances des salaires et indemnités de toute nature dues au salarié à la date du 6jugement déclaratif de la faillite pour les six derniers mois de travail et résultant de la rupture du contrat de travail.

Force est encore de souligner qu’indépendamment de l’admission par le curateur d’une créance salariale au passif privilégié d’une société en faillite, l’ADEM a non seulement le droit, mais l’obligation de vérifier l’existence de la qualité de salarié dans le chef du demandeur de la garantie salariale sollicitée4.

En effet, il résulte de l’article L.126-1 précité du Code du travail que peuvent seules faire l’objet d’une prestation de garantie à charge du Fonds pour l’emploi les créances de nature salariale et que, conformément au paragraphe (6) du même article, les versements sont effectués sur base de relevés « vérifiés par » l’ADEM. Sous peine de vider ledit texte de toute portée, il y a lieu de retenir que l’administration est en droit de procéder à son propre examen des créances qui lui sont soumises.

Cette vérification doit se rapporter à l’examen de la justification de l’intervention du Fonds pour l’emploi qui a vocation, en cas de faillite, à se substituer à l’employeur en carence et qui bénéficie d’une subrogation dans les droits du salarié. Il en découle que l’administration est en droit de vérifier aussi la qualité de salarié de l’intéressé et donc l’existence d’une relation de travail entre celui-ci et le failli, en vertu de l’article L.126-1, paragraphe (1) du Code du travail, disposant que ladite créance s’applique aux « créances résultant du contrat de travail ». Son application est dès lors plus particulièrement conditionnée par l’existence d’un contrat de travail, caractérisé par l’existence d’un lien de subordination.

Le contrat de travail s’analyse notamment en une convention par laquelle une personne s’engage à mettre, moyennant une rémunération, son activité à la disposition d’une autre à l’égard de laquelle elle se trouve dans un rapport de subordination juridique. Dès lors, la subordination juridique constitue l’élément essentiel de tout contrat de travail, de sorte qu’il faut que le contrat place le salarié sous l’autorité de son employeur qui lui donne des ordres concernant l’exécution du travail, en contrôle l’accomplissement et en vérifie les résultats5.

L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination ou de la qualification qu’elles ont données à leurs conventions, mais des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité de la personne concernée. Ainsi, la preuve du contrat de travail peut résulter d’un ensemble d’éléments qui constituent des présomptions précises et concordantes faisant conclure à l’existence d’un lien de subordination6.

En cas de refus par l’ADEM du paiement d’une créance dûment acceptée par le curateur et le juge commissaire, tel que c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve du bien-fondé des motifs justifiant la décision de refus incombe à l’Etat, cette preuve étant à rapporter sur la toile de fond de l’examen, par le juge administratif, de l’existence et de l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision déférée, et de la vérification si les motifs dûment établis sont de nature à la motiver légalement7.

Ainsi, il appartient à l’Etat, ayant refusé la prise en charge de la créance pourtant acceptée, tel que c’est le cas en l’espèce, par le curateur et le juge commissaire, de fournir la 4 Cour adm., 18 mai 2006, n° 21111C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 21 et les autres références y citées.

5 Cour adm., 16 juin 2011, n° 27974C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 9 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 10 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 22 mai 2006, n° 20427 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 7 et les autres références y citées.

7preuve du bien-fondé des motifs justifiant sa décision. Il lui appartient plus précisément d’établir, d’une part, la réalité de la situation juridique, respectivement de la situation de fait qu’il allègue, et, d’autre part, de justifier que celle-ci est de nature à conclure, au regard des circonstances de l’espèce, à l’absence d’une relation de travail entre le demandeur et la société en question. Une fois cette preuve rapportée, il appartient, le cas échéant, au demandeur d’établir que, malgré la situation de fait ainsi démontrée et excluant, a priori, l’existence d’un contrat de travail, il se trouve néanmoins en réalité lié à la société par un contrat de travail correspondant à une convention réelle et sérieuse.

En l’espèce, l’Etat fonde son refus sur l’absence d’un lien de subordination entre la demanderesse et son employeur, la société …, tirée du fait, d’une part, qu’elle détiendrait une participation dans le capital de ladite société à raison de 50% et, d’autre part, que tant son contrat de travail que le courrier de licenciement lui adressé auraient été signés par le gérant technique de la société en question, Monsieur …, qui serait son conjoint, et que le siège de la société … se trouverait au domicile de celle-ci.

A cet égard, il est constant en cause pour se dégager des pièces versées au tribunal et pour ne pas être contesté, qu’en date du 5 novembre 2019, Madame … a souscrit 69 parts sur une totalité de 126 parts sociales, les autres 57 parts ayant été souscrites par Monsieur … et par Monsieur … à hauteur de 20, respectivement de 37 parts, et qu’en date du 28 mai 2020, elle a cédé 5 parts à Monsieur …, de sorte qu’à partir de cette date, elle détenait encore 64 sur 126 parts sociales. Il ressort également des actes sociaux notariés afférents que, lors de l’assemblée générale extraordinaire du 3 décembre 2020, le siège social de la société … a été transféré à l’adresse L-…, adresse à laquelle la demanderesse déclare être domiciliée. Il ressort, par ailleurs, d’un extrait du registre national des personnes physiques du 27 mai 2022 que celle-ci est mariée à Monsieur … depuis le 29 janvier 2013. Enfin, il ressort d’un extrait du registre de commerce et des sociétés qu’à partir du 15 juin 2020, ce dernier, tout comme Monsieur …, exerçaient le mandat social de gérant technique au sein de la société en question.

Dans ces conditions, il convient de retenir que, dans la mesure où la demanderesse était associée majoritaire dans la société …, dont le siège social était fixé au domicile privé de celle-

ci, et que des liens de nature privée la liaient au gérant technique de ladite société, aucun lien de subordination entre la demanderesse et la société … n’est concevable. En effet, compte tenu notamment du fait que la demanderesse détenait 50 % des parts sociales dans le capital de ladite société, elle avait la possibilité de bloquer toute décision prise par les associés en assemblée générale, de sorte qu’aucune décision n’a pu être prise sans son consentement8.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que la partie étatique a démontré à suffisance de droit que la demanderesse exerçait au sein de la société … un pouvoir de contrôle à tel point déterminant qu’un lien de subordination est exclu.

Cette conclusion n’est pas énervée par les pièces versées en cause par la demanderesse, et notamment son contrat de travail, le certificat d’affiliation au CCSS ou ses fiches de salaire, alors qu’elles ne permettent pas, à défaut pour la demanderesse de fournir à l’appui de son recours une quelconque précision quant aux conditions précises de son engagement et des ordres reçus ainsi que le déroulement concret de sa journée de travail, de conclure à l’existence d’une relation de travail réelle et effective, étant encore relevé, à cet égard, que l’offre de preuve 8 Voir en ce sens : Cour adm., 28 novembre 2017, n° 39860C du rôle, Pas. adm. 2023, V° Travail, n° 20 et les autres références y citées.

8formulée dans ce contexte par cette dernière ne permet pas de suppléer sa carence de fournir des explications quant à ces éléments.

C’est partant à bon droit que le directeur a refusé de libérer les fonds nécessaires à la liquidation de la créance salariale déclarée par Madame … dans le cadre de la faillite de la société ….

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47249
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-26;47249 ?

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