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26/03/2024 | LUXEMBOURG | N°47015

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 mars 2024, 47015


Tribunal administratif Numéro 47015 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47015 4e chambre Inscrit le 10 février 2022 Audience publique du 26 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision de la Banque Centrale du Luxembourg, en matière d’accès au lieu de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47015 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2022 par Maître Agathe Sekroun, avocat à la Cour,

inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à...

Tribunal administratif Numéro 47015 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47015 4e chambre Inscrit le 10 février 2022 Audience publique du 26 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision de la Banque Centrale du Luxembourg, en matière d’accès au lieu de travail

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47015 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2022 par Maître Agathe Sekroun, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du 11 novembre 2021 par laquelle l’établissement public Banque Centrale du Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2983 Luxembourg, 2, boulevard Royal, lui a interdit l’accès à ses locaux ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy Engel, demeurant à Luxembourg, du 22 février 2022, portant signification de la requête introductive d’instance à la Banque Centrale du Luxembourg, établissement public, établi et ayant son siège social à L-2983 Luxembourg, 2, boulevard Royal, représenté par son organe représentatif actuellement en fonctions ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 4 mars 2022, inscrite sous le numéro 47016 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 mai 2022 par Maître Marisa Roberto, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom et pour le compte de la Banque Centrale du Luxembourg, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 27 mai 2022 par Maître Agathe Sekroun au nom et pour le compte de son mandant ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 23 janvier 2024, Maître Agathe Sekroun et Maître Marisa Roberto s’étant excusées.

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Par un contrat de travail à durée indéterminée, Monsieur … fut engagé auprès de l’établissement public Banque Centrale du Luxembourg, dénommé ci-après « la BCL », en 1 qualité d’employé de l’Etat à partir du 1er février 2014.

En date du 11 novembre 2021, Monsieur … fut informé par son supérieur hiérarchique que le directeur général de la BCL lui avait interdit avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre d’accéder à tout bâtiment de la BCL, cette interdiction lui ayant encore été confirmée par son interlocuteur par message électronique du même jour, rédigé comme suit :

« (…) Suite à notre conversation téléphonique, je te confirme par la présente que tu es invité de poursuivre ton travail à distance, c.-à-d. sans présence physique sur les sites de la BCL et ceci avec effet immédiat.

Il t’est dès lors demandé de quitter les locaux de la BCL et de ne plus revenir sur site, à moins d’en être dûment autorisé au préalable. (…) » Suite à deux demandes de justification adressées à son supérieur hiérarchique en date des 11 novembre et 2 décembre 2021, Monsieur … exigea par un courriel du 3 février 2022, sous la menace de porter l’affaire devant le tribunal administratif, que ses accès, tels qu’ils auraient existé jusqu’au 11 novembre 2021, soient rétablis pour le 4 février 2022.

Par requête déposée le 10 février 2022 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 47015 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de la décision précitée de la BCL du 11 novembre 2021.

Par requête déposée le même jour, inscrite sous le numéro 47016 du rôle, Monsieur … avait encore sollicité le sursis à exécution de la décision en question, afin de pouvoir à nouveau accéder aux locaux de la BCL, requête qui fut rejetée par une ordonnance du président du tribunal administratif du 4 mars 2022, inscrite sous le numéro 47016 du rôle, pour cause de perte d’objet, au motif que la BCL avait entretemps rétabli Monsieur … dans ses droits par une décision du 10 février 2022.

Dans son mémoire en réponse, la BCL conclut d’abord à l’irrecevabilité du recours au fond faute d’objet et d’intérêt à agir, au motif que ce dernier aurait été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 février 2022 à 11h55, alors que par un courriel du même jour de 9h26, la BCL aurait déjà informé Monsieur … qu’elle aurait décidé de lever sa décision litigieuse du 11 novembre 2021.

Ainsi, dès le 10 février 2022 à 9h26, Monsieur … n'aurait plus eu d’intérêt à agir contre la décision déférée qui ne lui ferait plus grief, de sorte que le recours afférent serait devenu sans objet avant même son dépôt.

La BCL explique encore qu’à toutes fins utiles, Monsieur … aurait encore reçu un message électronique sur son téléphone le 10 février 2022 à 11h13 pour l'informer qu'un courriel lui aurait été adressé le matin même, message dont ce dernier aurait accusé réception le 10 février 2022 à 19h51. Par conséquent, en tout état de cause, Monsieur … aurait été au courant au plus tard le 10 février 2022 à 19h55 que la mesure déférée du 11 novembre 2021 aurait été levée.

En pratique, Monsieur … aurait effectivement à nouveau pu accéder aux bâtiments de 2 la BCL à partir du 12 février 2022.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … donne à considérer que même si ses accès auraient entretemps été rétablis, son intérêt à agir aurait manifestement existé au moment de l'introduction de la requête introductive d’instance, de sorte qu'il y aurait lieu de déclarer son recours recevable.

Il fait relever, dans ce contexte, qu’il n'aurait jamais recouvré ses accès s'il n'avait pas déposé une requête en sursis à exécution ainsi qu'une requête au fond contre la mesure déférée, tel que cela aurait également été souligné par l’ordonnance présidentielle du 4 mars 2022.

Monsieur … concède finalement qu’en raison du rétablissement de ses accès aux locaux de la BCL, sa demande tendant à récupérer ses accès n'aurait plus d'objet, tout en maintenant cependant sa demande en allocation d’une indemnité de procédure en application de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », demande qui ne disparaîtrait pas automatiquement avec la demande principale. Il en irait de même de sa demande visant à faire condamner la BCL aux frais et dépens de l’instance.

A ce sujet, Monsieur … fait relever que, contrairement aux affirmations de la BCL, l'introduction du présent recours aurait été nécessaire au rétablissement de ses accès, tel que l’aurait soulevé l’ordonnance présidentielle ayant acté que le recours aurait été justifié par le silence de la BCL par rapport à ses différentes sollicitations et mise en demeure des 11 novembre et 2 décembre 2021, respectivement du 3 février 2022.

Etant donné qu’il aurait ainsi été obligé d'engager une instance en justice pour obtenir le rétablissement de ses droits, il serait inéquitable de laisser à sa charge les sommes exposées par lui pour faire valoir ses droits et qui ne sont pas comprises dans les dépens, ce d'autant plus alors que la BCL aurait finalement rapporté la décision déférée.

Monsieur … donne à considérer que, pour ces motifs, l’ordonnance présidentielle du 4 mars 2022 aurait déjà condamné la BCL au paiement d'une indemnité de procédure de 1.500,-

euros, ainsi qu'au paiement des frais et dépens de l'instance du référé administratif.

Néanmoins ledit montant ne suffirait pas à le dédommager pour les frais engagés en vue de l'introduction des deux procédures nécessaires, raison pour laquelle il maintiendrait sa demande d'indemnisation de ce chef à hauteur de 3.000,- euros en sus de la somme de 1.500,-

euros lui déjà accordée dans le cadre de la procédure de référé.

Finalement Monsieur … s’oppose encore à la demande reconventionnelle de la BCL en allocation d’une indemnité de procédure de 3.000,- euros, laquelle serait manifestement infondée.

La BCL, dans son mémoire en réponse, s’oppose à se voir condamnée aux frais et dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure, alors que dès le 10 février 2022, Monsieur … aurait eu connaissance que son recours n'aurait plus d'objet en raison de la levée de la mesure ordonnée par la décision déférée.

3 Même à supposer qu'il n'en ait pris connaissance qu'à 19h55 le jeudi 10 février 2022, la BCL fait plaider que Monsieur … aurait encore pu éviter d'exposer les frais de signification de son recours, signification qui n’aurait été faite qu'en date du 22 février 2022, soit 10 jours après que Monsieur … aurait eu connaissance de la révocation de la décision déférée.

Ainsi, Monsieur … aurait fait le choix, en toute connaissance de cause, d'exposer des frais complémentaires qu'il y aurait partant lieu de laisser à sa charge.

De même, il aurait pu, pour les mêmes raisons, s'épargner les frais d'un mémoire en réplique et d’une audience de plaidoiries.

La BCL présente finalement une demande reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure, au motif que, malgré le fait qu’il aurait été informé le jeudi 10 février 2022 à 9h26 sur la révocation de la décision déférée, il aurait néanmoins déposé son recours au greffe du tribunal administratif à 11h55, laissé signifier son recours et sollicité le maintien de la présente procédure, laquelle aurait pourtant pu être parfaitement évitée.

La BCL en conclut qu’il y aurait ainsi lieu de condamner Monsieur … non seulement aux frais et dépens de l’instance, mais également à lui payer une indemnité de procédure de 3.000,- euros sur base de l'article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Force est d’abord au tribunal de relever qu’il est constant en cause que par courriel du 10 février 2022, la BCL a informé Monsieur … que « la banque te redonne les accès physiques. Je vais préparer la DAPH [demande d’accès physique] encore ce matin (…) », de sorte à ainsi mettre fin à la mesure fixée par la décision déférée du 11 novembre 2021.

La décision déférée n’existant dès lors plus, le recours afférent est à déclarer irrecevable, étant donné que même si la décision déférée a existé au jour de l’introduction du recours y relatif, mais qu’elle a été ensuite amenée à disparaître au cours d’instance, le recours devient irrecevable pour perte d’objet.

En effet, il a été jugé que la recevabilité d’un recours est conditionnée en principe par l’existence et la subsistance d’un objet, qui s’apprécie du moment de l’introduction du recours jusqu’au prononcé du jugement. Si, suite à l’introduction du recours, l’acte dont l’annulation est recherchée à travers le recours disparaît, le recours devient sans objet1.

Néanmoins dans la mesure où les demandes en allocation d’une indemnité de procédure, s’inscrivant dans le cadre de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, procèdent d'une cause juridique particulière et autonome, le rejet du recours principal pour défaut d'objet n'implique pas l'irrecevabilité de la demande en allocation d'une indemnité de procédure, laquelle a une individualité propre2.

1 Trib. adm. 20 octobre 2010, n° 26758 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 33 et les autres références y citées 2 Trib. adm. 15 juillet 2015, n° 34244 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1237 et les autres références y citées.

4 Si la BCL juge les frais de procédure engagés par Monsieur … comme étant frustratoires dans la mesure où le dépôt de la requête introductive d’instance, sa signification, ainsi que la rédaction du mémoire en réplique n’auraient pas été nécessaires du fait qu’il aurait déjà eu gain de cause avant l’introduction de son recours, force est cependant de retenir qu’au vu du silence total lui opposé par la BCL à ses courriers et mise en demeure des 11 novembre et 2 décembre 2021 respectivement du 3 février 2022, il ne saurait être reproché à Monsieur … d’avoir engagé des frais d’avocats en vue de faire valoir ses droits devant les juridictions administratives, frais engagés, pour partie (p.ex. : consultation juridique, rédaction d’une requête), nécessairement bien avant la date du dépôt de la requête introductive d’instance, de sorte que la circonstance que la BCL ait décidé, le jour même du dépôt de la requête introductive d’instance, de rétablir les accès à Monsieur … ne saurait avoir d’incidence y relative, d’autant plus que la BCL avait bien été informée par la mise en demeure du 3 février 2022 qu’un recours allait être introduit à partir du 7 février 2022, de sorte qu’il lui aurait importé de réagir avant ladite date si elle avait voulu éviter toute procédure contentieuse.

La requête introductive d’instance ayant été déposée, même si elle s’est effectivement croisée avec la décision de la BCL du même jour, il ne saurait être reproché à Monsieur … d’avoir signifié son recours à cette dernière, afin de ne pas risquer la caducité de ce dernier, respectivement d’avoir pris position, dans un mémoire en réplique, au mémoire en réponse déposé par la BCL, en vue de faire valoir ses droits, même si ce n’est que pour soutenir sa demande visant à faire condamner cette dernière aux frais de l’instance ainsi qu’à une indemnité de procédure.

Au vu des considérations qui précèdent, il échet de retenir que Monsieur … est bien à considérer comme avoir été obligé d’engager une instance en justice, impliquant la représentation obligatoire par un avocat, pour rentrer dans ses droits, finalement reconnus par la BCL, de sorte qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge la totalité des sommes exposées pour faire valoir ses droits et qui ne sont pas comprises dans les dépens.

En considérations des circonstances de l’espèce, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer à Monsieur … au montant de 1.500,- euros.

A l’inverse, la demande reconventionnelle en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000,- euros, telle que formulée par la BCL, laisse d’être fondée, alors que cette dernière n’a pas établi, au regard des circonstances relevées ci-avant, en quelle mesure il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens.

Finalement, en ce qui concerne les frais et dépens de l’instance, force est de rappeler que l’article 32 de la loi du 21 juin 1999 dispose que « Toute partie qui succombera sera condamnée aux dépens, sauf au tribunal à laisser la totalité, ou une fraction des dépens à la charge d’une autre partie par décision spéciale et motivée ».

Alors même que le recours de Monsieur … a été déclaré irrecevable, les frais et dépens de l’instance y relative devront être supportés par la BCL, sur base des mêmes motifs que ceux repris ci-avant au sujet du bien-fondé de la demande en allocation d’une indemnité de 5 procédure présentée par Monsieur ….

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le recours dirigé contre la décision de la Banque Centrale du Luxembourg du 11 novembre 2021, partant le rejette ;

condamne la Banque Centrale du Luxembourg à payer à Monsieur … une indemnité de procédure de 1.500,- euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 ;

rejette la demande reconventionnelle de la Banque Centrale du Luxembourg tendant à son tour à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000,- euros ;

condamne la Banque Centrale du Luxembourg aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 mars 2024 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 47015
Date de la décision : 26/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-26;47015 ?

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