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25/03/2024 | LUXEMBOURG | N°48838

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 mars 2024, 48838


Tribunal administratif N° 48838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48838 2e chambre Inscrit le 17 avril 2023 Audience publique 25 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48838 du rôle et déposée le 17 avril 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsa

bilité limitée NCS Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembourg, 16...

Tribunal administratif N° 48838 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48838 2e chambre Inscrit le 17 avril 2023 Audience publique 25 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48838 du rôle et déposée le 17 avril 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS Avocats SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembourg, 16, rue Michel Rodange, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B225706, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, représentée aux fins de la présente instance par Maître Aline Condrotte, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Pakistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 mars 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation, sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2023 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour de Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 novembre 2023, pour le compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2023.

Le 13 janvier 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

1 En dates des 20 septembre et 25 octobre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 14 mars 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 16 mars 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 13 janvier 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 13 janvier 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 13 janvier 2021, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 20 septembre et 25 octobre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents remis à l’appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos revirements de position au fil de votre témoignage ainsi que vos déclarations contradictoires et incohérentes ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-

dessous ne représente qu’une tentative de refléter au mieux votre vécu en Afghanistan et les motifs vous ayant poussé à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Monsieur, vous déclarez être né en … à … au Pakistan, de nationalité afghane, célibataire, de confession musulmane chiite et d’ethnie Hazara. À l’âge d’un an vous seriez retourné vivre dans votre pays d’origine dans la province de …, où vous seriez resté jusqu’à votre départ d’Afghanistan.

À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté l’Afghanistan car vous auriez été menacé par des ennemis de votre père alors que celui-ci aurait eu une dette impayée et par des membres d’un groupe « mafieux » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) alors que vous auriez refusé de travailler pour eux. Ainsi, vous indiquez qu’en cas de retour dans votre pays d’origine, vous auriez des craintes pour votre sécurité personnelle alors que vous redoutez que les membres de ce groupe « mafieux » (p.15/18 de votre rapport d’entretien) ne soient devenus des Taliban et vous auriez « honte » de revoir vos parents puisque vous n’auriez pas suivi leurs avertissements relatifs à vos mauvaises fréquentations.

2 En ce qui concerne les problèmes relatifs à votre père, vous expliquez qu’il aurait emprunté de l’argent vers 2013-2014 à trois personnes pour apporter une aide financière à son cousin … et qu’il se serait porté garant de ce dernier. Toutefois, … n’aurait pas été en mesure de rembourser cet argent et les prêteurs seraient par conséquent venus le réclamer auprès de votre père qui n’en aurait également pas été capable. Par conséquent, votre père aurait décidé de s’exiler en Iran et depuis vous n’auriez plus eu de nouvelles de sa part. Vous seriez devenu le « responsable de la famille » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), insinuant que vous auriez été contraint de commencer à travailler étant donné que vous auriez été en charge de subvenir aux besoins de votre mère et de votre petit frère. Au cours de deux mois ayant suivi le départ de votre père, les prêteurs seraient passés à plusieurs reprises à votre domicile, vous auraient posé des questions à son égard et vous auraient menacé.

En ce qui concerne les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux », vous indiquez que vous auriez progressivement appris à les connaître alors que vous auriez travaillé dans un … dans le quartier …. Vous n’auriez pas directement soupçonné qu’ils auraient été des délinquants puisque vous auriez eu plusieurs occasions de sympathiser avec eux alors qu’ils vous auraient régulièrement invité à des célébrations de mariage ainsi qu’« à la piscine et ils m’amenaient jouer aussi » (p.6/18 de votre rapport d’entretien).

Puis, graduellement, vous auriez réalisé qu’il se serait agi de « mafieux » puisqu’ils « avaient des couteaux et des poings américains. Ils vendaient du haschisch » (p.6/18 de votre rapport d’entretien) et auraient commis des arnaques. Alors que vous auriez travaillé dans un magasin de … à … qu’ils auraient parfois fréquenté, ils y seraient venus une fois pour vous proposer de travailler avec eux, proposition que vous auriez refusée puisque vous les auriez suspectés de vouloir vous faire commettre des activités illégales, voire immorales.

Vous indiquez qu’un soir en 2017-2018, vous vous seriez rendu à une soirée à laquelle ces « mafieux » vous auraient invité. Ils auraient fumé du haschisch et ils vous en auraient proposé. Vous auriez refusé mais après leur insistance, vous en auriez consommé. Vous auriez eu des vertiges et vous vous seriez senti malade. Entre-temps, vous rapportez que certains d’entre eux, notamment les dénommés … et …, vous auraient « embrassé et embêté » (p.8/18 de votre rapport d’entretien) et qu’ils vous « touchaient partout, le visage partout même aux parties intimes » (p.6/18 de votre rapport d’entretien). Ils auraient d’ailleurs voulu que vous portiez des habits de femme et dansiez car selon vous : « quand ils faisaient danser un garçon ça leur procurait du plaisir » (p.8/18 de votre rapport d’entretien). Vous auriez refusé et vous seriez parti en justifiant ne pas vous sentir bien. Dès le lendemain, ils seraient revenus vous voir en insistant que vous deviez les rejoindre à d’autres soirées, offre que vous auriez refusée.

Deux jours après la soirée, vous vous seriez rendu à la police avec votre mère pour témoigner qu’« il y a des personnes qui me menacent » (p.7/18 de votre rapport d’entretien), en dénonçant notamment les attouchements de … et …. Le premier aurait été interpellé et interrogé par la police mais il aurait démenti vos accusations. Par faute de preuve et car les policiers « ne m’ont pas cru » (p.7/18 de votre rapport d’entretien), … aurait été relâché. Le lendemain, vous auriez été menacé par … qui vous aurait prévenu que « si j’allais revoir la police il allait me tuer » (p.7/18 de votre rapport d’entretien).

Vous auriez ensuite été viré de votre travail dans le magasin de … car des membres du groupe « mafieux » seraient venus à plusieurs reprises pour vous voir et vous embêter afin que « j’arrête de travailler dans le magasin pour aller avec eux » (p.9/18 de votre rapport d’entretien), tout en se disputant avec votre patron. Sans emploi, à la recherche de ressources 3 financières et vous sentant menacé alors que vous auriez eu peur que « … me frappe, m’embête et qu’il m’amène ou kidnappe » (p.10/18 de votre rapport d’entretien), voire « qu’ils allaient me tuer » (p.12/18 de votre rapport d’entretien), vous auriez accepté de travailler avec eux dans le restaurant de …. Vous les auriez prévenus que vous ne souhaitiez pas « qu’on me touche et je ne veux pas danser » (p.12/18 de votre rapport d’entretien). Cependant, au cours de votre deuxième journée de travail, … vous aurait demandé de participer à une soirée avec lui.

Redoutant de devoir danser ou d’être victime de nouveaux attouchements, voire un viol, vous auriez décidé de rentrer chez vous et ne seriez pas retourné travailler à son restaurant.

Vous auriez ensuite trouvé un nouvel emploi et quelques jours plus tard, alors que vous seriez sorti de votre travail et vous trouviez dans le quartier de …, … vous aurait saisi par derrière, vous aurait insulté, frappé et menacé avec un couteau avant que vous ne preniez la fuite.

Rapportant les faits à votre mère, vous auriez déménagé les jours suivants dans le quartier de … où vous auriez trouvé des passeurs de sorte que vous auriez quitté l’Afghanistan « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), soit en janvier 2019.

Vous expliquez ensuite que vous vous seriez rendu en Iran et que vous auriez été renvoyé à deux reprises en Afghanistan. La troisième tentative aurait été fructueuse et vous auriez vécu une année en Iran avant de vous rendre en Turquie. Au bout de cinq-six mois, vous seriez parti en Grèce où vous seriez resté quatre mois avant de vous rendre en Italie en train, de traverser la France et de finalement rejoindre le Luxembourg.

Depuis votre départ de votre pays d’origine, vous auriez eu des nouvelles de votre père qui serait retourné vivre à … et aurait réussi avec son cousin à rembourser sa dette aux préteurs. Vous précisez ressentir de la honte de revoir vos parents « parce que je ne les ai pas écoutés quand j’étais là-bas. Je ne peux pas retourner » (p.15 de votre rapport d’entretien), à savoir que vous n’auriez pas respecté les recommandations de votre mère quant au fait que vous n’auriez pas dû fréquenter les membres du groupe « mafieux ». Finalement, vous indiquez avoir peur de … et … car depuis la prise des pouvoirs des Taliban en août 2021, il se pourrait qu’ils soient devenus des Taliban au motif qu’« Ils étaient déjà en contact avec les talibans il y a longtemps (…). … et … achetaient leur haschisch auprès des talibans » (p.16/18 de votre rapport d’entretien).

À l’appui de votre demande de protection internationale, vous présentez :

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Une photographie de votre carte d’identité prise à partir de votre téléphone portable ;

-

l’original d’un duplicata de votre carte d’identité.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier 4 la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vos revirements de position, vos réponses évasives et vos contradictions répétitives ne font pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Par conséquent Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, vous déclarez avoir quitté l’Afghanistan aux alentours du mois de janvier 2019 pour ensuite traverser le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale, avant d’arriver au Luxembourg. Vous affirmez ne pas avoir introduit de demande de protection internationale dans ces autres pays car « J’avais de la famille éloignée ici au Luxembourg. Elle m’a dit qu’il y a des choses positives et négatives au Luxembourg » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) et que vous ne seriez pas resté en Turquie car « Les autres Afghans ont dit que la Grèce était mieux. J’avais aussi peur que la Turquie me renvoie en Afghanistan » (p.5/18 de votre rapport d’entretien).

Or, il est évident que tel n’est pas le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou de devenir victime d’atteintes graves et qui serait réellement à la recherche d’une protection internationale. En effet, alors qu’on peut attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande de protection dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, vous avez choisi de traverser plusieurs pays en passant notamment par la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France. Force est de constater que vous n’avez pas recherché une forme quelconque de protection dans ces pays sûrs rencontrés et que cette idée ne vous est venue qu’après votre arrivée au Luxembourg.

Un tel comportement ne correspond clairement pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays d’origine à la recherche d’une protection internationale et qui aurait été reconnaissante de se voir offrir une protection dans les pays sûrs visités. Par ailleurs, le fait que vous auriez uniquement été motivé de rejoindre le Luxembourg pour des motifs de convenance personnelle ne saurait justifier le fait que vous ayez pris la décision de quitter la Grèce, et de traverser d’autres pays européens sans y introduire de demande de protection internationale. Il convient en effet de souligner que les critères d’octroi de la protection internationale en Grèce, en Italie ou en France sont strictement identiques à ceux appliqués au Luxembourg.

Deuxièmement, il y a lieu de retenir que dès l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 13 janvier 2021 vous avez tenu des propos fallacieux quant à votre âge dans le but d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises.

En effet, il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous avez tout d’abord prétendu le 13 janvier 2021 que vous seriez né le …, donc un mineur âgé de … ans, conformément aux informations disponibles sur le duplicata de votre carte d’identité que vous 5 avez remis. Ensuite, après l’inspection de votre téléphone portable par le Service de Police Judicaire, une photographie de votre ancienne carte d’identité a été retrouvée et celle-ci informe que vous étiez âgé de … ans en …, de sorte que vous seriez né en …. Par ailleurs, il a été découvert que vous vous êtes enregistré sur votre téléphone portable comme étant né le ….

Interrogé quant à ses diverses incohérences, vous avez répondu que vous ne saviez pas quelle carte d’identité contenait vos réelles données, respectivement donc quel âge vous aviez, et que vous ne compreniez pas « warum auf den zwei ID-Karten zwei verschiedene Geburtsdaten stehen. In Afghanistan ist da so. Vielleicht haben sie sich geirrt » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire). N’ayant pas réussi à duper par vos nouvelles déclarations mensongères le Service de Police Judiciaire, vous avez fini par admettre à celui-

ci que vous auriez : « vielleicht … » plutôt que … ans.

Il appert aussi que vous tenez des propos contradictoires lorsque vous évoquez la situation de votre père. En effet, vous prétendez que celui-ci aurait introduit la demande pour obtenir le duplicata de votre carte d’identité, dont la date de délivrance est en juin 2020, ce qui impliquerait qu’il aurait habité en Afghanistan et que vous auriez été en contact avec lui.

En même temps, et paradoxalement, vous avancez que vous n’auriez « seit langem keinem Kontakt mehr mit ihm » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire) alors qu’il se serait exilé en Iran et que vous ne l’auriez pas recroisé lorsque vous y auriez vécu un an après votre fuite d’Afghanistan.

Finalement, n’étant plus en mesure de réfuter le fait que vous ne seriez pas un mineur de … ans et que des irrégularités sont relevés sur le duplicata de votre carte d’identité (notamment le placement de la photo et l’absence du numéro de l’ancienne carte d’identité) vous déclarez finalement au cours de votre entretien personnel que celui-ci serait un « vrai » (p.2/18 de votre rapport d’entretien) mais que votre date de naissance serait volontairement fausse, de sorte que l’année 2002 a été retenue comme votre date de naissance et non 2004.

Vous changez également de version en expliquant désormais que c’est votre oncle maternel qui aurait obtenu ce duplicata pour votre compte, et non pas votre père, et qu’il aurait fait modifier votre date de naissance après vous avoir conseillé de vous faire passer pour un mineur lors de votre introduction d’une demande de protection internationale dans le but d’être éligible pour une demande de regroupement familial.

Malgré vos confessions et précisions tardives au cours de votre entretien personnel, force est de constater que vous avez suivi les conseils de votre oncle maternel en essayant de vous faire passer pour un mineur en présentant une fausse pièce d’identité de sorte que vous n’avez pas joué franc jeu avec les autorités luxembourgeoises. Vos explications relatives au fait que ce serait désormais votre oncle maternel et non plus votre père qui aurait obtenu votre duplicata en Afghanistan n’emporte pas conviction alors qu’il pourrait s’agir d’une tentative de corriger votre incohérence susmentionnée et de vous aligner sur ce qui deviendra un des motifs invoqués au cours de votre entretien personnel, à savoir les problèmes que vous auriez rencontré en Afghanistan après l’exil de votre père, avec qui vous auriez perdu contact, alors qu’il n’aurait pas été en mesure de rembourser sa dette.

Troisièmement, il appert que vous avez tenu des déclarations incomplètes auprès du Service de Police Judicaire en date du 13 janvier 2021 en ne mentionnant qu’un seul et unique motif pour justifier votre fuite d’Afghanistan alors que vous en invoquez un additionnel dans le cadre de vos entretiens auprès du Ministère des Affaires étrangères des 20 septembre et 25 6 octobre 2021, de sorte qu’il convient de s’interroger sur l’authenticité du motif supplémentaire que vous avez invoqué.

En effet, il ressort du rapport du Service de Police Judicaire que vous auriez uniquement quitté votre pays d’origine car « Feinde meines Vaters haben mir gedroht. Mein Vater hat Geld geliehen, er konnte dies jedoch nicht zurück bezahlen er flüchtete in den Iran.

Die Leute drohten mir nun » (p.2/5 du rapport du Service de Police Judiciaire). Vous avez également mentionné ce motif durant votre entretien personnel mais force est de constater qu’il ne s’agit pas de votre motif principal puisque vous ne vous attardez que très brièvement sur celui-ci. Il est cependant anormal de constater que la majorité de votre récit repose sur un motif que vous n’avez nullement mentionné auprès du Service de Police Judiciaire, à savoir les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux » et les attouchements dont vous auriez été victime. Or, le fait que vous n’ayez pas évoqué ce motif en date du 13 janvier 2021 auprès du Service de Police Judicaire pousse irrémédiablement à s’interroger sur son authenticité.

Vous tentez par ailleurs de justifier cette prétendue négligence en expliquant dans le cadre de vos entretiens que « je suis timide. Je n’arrivais pas à dire à la police en bas ce qui m’est arrivé. Donc je n’ai que raconté ce qui est arrivé à mon père » (p.13/18 de votre rapport d’entretien), sous-entendant vraisemblablement que vous n’auriez pas osé dire à la police luxembourgeoise que vous auriez été victime d’attouchements en Afghanistan. Toutefois, Monsieur, cette justification ne saurait nullement porté conviction pour plusieurs raisons.

D’une part, il n’est pas crédible que vous auriez eu des difficultés à vous exprimer à ce sujet devant la police luxembourgeoise alors que vous auriez supposément été en mesure de le faire devant la police afghane en y dénonçant les « attouchements » de … et … et le fait « qu’ils m’ont embrassé » (p.8/18 de votre rapport d’entretien). D’autre part, vous auriez très bien pu décrire à la police luxembourgeoise votre vécu de manière plus générale, sans avoir à entrer dans les détails que vous jugez sensibles quant aux attouchements dont vous auriez supposément été victime, en mentionnant tout de même que vous auriez été menacé par des membres d’un groupe « mafieux » qui auraient insisté pour que vous travaillez avec eux. Par ailleurs, l’on ne saurait être dupé par votre prétendu caractère « timide » (p.13/18 de votre rapport d’entretien) alors que celui-ci ne vous aurait étrangement pas empêché de tenter à plusieurs reprises d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises quant à votre date de naissance.

Partant, compte tenu que vous n’avez qu’invoqué auprès du Service de Police Judiciaire les menaces que vous auriez reçus des prêteurs de votre père en raison de son non remboursement d’une dette, sans même évoquer d’une quelconque autre manière les problèmes que vous auriez eus avec des membres d’un groupe « mafieux », et que paradoxalement, ce dernier motif représente le fil conducteur de votre rapport d’entretien alors que vous ne vous y attardez que très brièvement sur les problématiques de votre père, il convient d’en déduire que ce motif n’est pas crédible.

Il est également raisonnable de penser que vous auriez réalisé entre le 13 janvier 2021, date correspondant à l’introduction de votre demande de protection internationale et rédaction de votre rapport du Service de Police Judiciaire, et le 20 septembre 2021, date de votre premier entretien personnel, que les menaces des prêteurs n’auraient pas été suffisantes pour vous voir octroyer une protection internationale et que vous vous seriez donc senti contraint d’inventer un nouveau motif. Cette déduction se base non seulement sur le fait que les problèmes que vous auriez eus avec les prêteurs auraient été temporaires puisqu’ils ne vous auraient menacé que 7 durant les deux mois ayant suivi le départ de votre père et que rien de grave ne vous serait concrètement arrivé, mais aussi par le fait qu’entre-temps votre père aurait réussi à rembourser sa dette de sorte que les prêteurs ne représentent plus aucune menace pour votre sécurité personnelle.

Quatrièmement, il convient de remettre en doute la crédibilité de votre récit lorsque vous évoquez le départ de votre père d’Afghanistan en raison d’une dette impayée et, par extension, les conséquences que son exil aurait eues sur votre quotidien.

Vous expliquez en tout début d’entretien que votre père aurait quitté votre pays d’origine « 1 an avant que je quitte l’Afghanistan » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), respectivement donc vers janvier 2018 puisque vous déclarez en septembre 2021 que vous auriez quitté votre pays d’origine « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), c’est-à-dire vers janvier 2019. Cependant, vous vous contredisez plus tardivement dans votre entretien en mentionnant que « Quand je suis parti en Iran ça faisait déjà 3-4 ans qu’il avait quitté l’Afghanistan » (p.14/18 de votre rapport d’entretien), de sorte que votre père aurait quitté votre pays d’origine en 2015-2016 et non plus en 2018. Finalement, lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande de maintenir un déroulement chronologique inchangé afin de garder un semblant de cohérence dans votre récit, alors qu’une confusion inéluctable règne sur celui-ci, vous répondez désormais que « Mon père est parti en Iran en 2017 » (p.12/18 de votre rapport d’entretien).

Force est donc de constater que vous donnez trois temporalités différentes - à savoir 2015-2016, 2017, ou 2018 - pour dater le départ de votre père d’Afghanistan et qu’il est par conséquent impossible à ce jour de savoir quelle date il convient de maintenir, d’autant plus que, selon la version retenue, le déroulement chronologique des autres évènements qui en découle se trouve constamment perturbé.

En effet, si l’on retient l’année 2017 ou 2018 comme étant la date réelle du départ de votre père en Afghanistan, il est dès lors aberrant de constater que vous puissiez répondre à l’agent en charge de votre entretien qu’« il n’y a pas eu de problème » (p.12/18 de votre rapport d’entretien), en dehors de vos ennuis avec le groupe « mafieux », entre 2017 et 2019 alors que temporellement cette période aurait dû coïncider avec les problèmes que vous auriez eus avec les prêteurs étant donné qu’ils seraient venus à votre domicile pour réclamer l’argent en vous menaçant « plusieurs jours consécutifs 1 mois et demi et 2 mois après le départ de mon père » (p.14/18 de votre rapport d’entretien).

Inversement, il convient de noter que le même constat s’impose lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande si quelque chose de particulier s’est déroulé pendant les 3-4 années précédant votre départ d’Afghanistan, respectivement entre 2015 et 2019 et que vous répondez cette-fois ci : « Non mais les gens auxquels mon père avait emprunté de l’argent m’embêtaient » (p.14/18 de votre rapport d’entretien) alors que cette période devrait également coïncider à la période au cours de laquelle vous auriez eu des problèmes avec les membres du groupe « mafieux ».

Il en est de même lorsque vous prétendez que vous seriez « devenu responsable de la famille. J’étais obligé de travailler » (p.5/18 de votre rapport d’entretien) après le départ de votre père et que vous enchaînez directement votre récit en expliquant que par conséquent vous auriez commencé à travailler « quand j’avais l’âge de … ans », respectivement en …, pour subvenir aux besoins financiers de votre famille. Or, ce déroulement chronologique perd 8 entièrement de sa crédibilité si l’année retenue du départ de votre père date de 2017 ou 2018.

Une énième version révisée (p.12/18 de votre rapport d’entretien), que vous présentez plus tard, conformément à la demande de l’agent en charge de votre entretien qui est inévitablement désorienté par vos multiples versions, ne saurait également porter conviction puisqu’il s’agit là encore de modifications alambiquées que vous apportez uniquement, après avoir été averti de vos incohérences, dans le but de vous aligner sur votre récit pour garder un semblant de crédibilité.

À cela s’ajoute que vous avez évoqué lors de votre première journée d’entretien, le 20 septembre 2021, que vous n’auriez « plus de nouvelles » (p.4/18 de votre rapport d’entretien) de votre père depuis son départ en Iran. Ensuite, dans le cadre de la relecture, en date du 25 octobre 2021, vous avez informé l’agent en charge de votre entretien que « j’ai eu de ses nouvelles. Il est à … avec ma mère » (p.4/18 de votre rapport d’entretien). Nonobstant de cette modification, il appert toutefois que ces deux déclarations ne peuvent qu’être qualifiées de mensongères si elles sont comparées avec une des deux versions retenues de votre rapport du Service de Police Judiciaire datant du 13 janvier 2021, à savoir que vous auriez en réalité maintenu le contact avec votre père et que celui-ci aurait été en Afghanistan en 2020. En effet, comme susmentionné, il convient de rappeler qu’il était impossible de démêler le vrai du faux dans ce rapport puisque vous présentez deux versions différentes en indiquant d’une part « Mein Vater hat den Antrag für die neue Tazkira gemacht, da ich die alte verloren habe » et d’autre part « Ich habe meinen Vater im Iran nicht gesehen, da ich seit langem keinen Kontakt mehr mit ihm habe ».

Partant, compte tenu de vos contradictions et multiples révisions qui bouleversent drastiquement le déroulement chronologique de votre récit lorsque vous témoignez de l’exil de votre père, il convient de ne pas accorder de la crédibilité à vos dires et de sérieusement considérer l’éventualité que votre père n’aurait en réalité pas quitté temporairement l’Afghanistan au cours des périodes que vous avancez, que vous n’auriez pas perdu contact avec lui au cours de celles-ci, et par extension, que les prêteurs ne seraient pas forcément venus vous menacé personnellement à votre domicile.

Cinquièmement, le constat du caractère fictif de votre récit est d’ailleurs corroboré par le fait que vous modifiez constamment son déroulement chronologique dans d’autres contextes, à l’image des incohérences temporelles précédemment soulevées en ce qui concerne votre père.

A cet égard, il convient avant tout de soulever que vos excuses justificatives, telles que « je ne me rappelle pas bien des dates et des années » (p.5/18 de votre rapport d’entretien), « Je ne me rappelle pas de la date précise » (p.7/18 de votre rapport d’entretien) ou « j’ai oublie pas mal de choses (…) J’ai oublié les années et les dates » (p.12/18 de votre rapport d’entretien) ne sauraient être suffisantes pour justifier et ignorer les chamboulements du déroulement chronologique qui se produisent au cours de votre entretien. En d’autres termes, il est totalement compréhensible que vous ne soyez pas en mesure de vous rappeler précisément de certaines dates mais il ne saurait être justifiable que le déroulement chronologique des faits, respectivement l’ordre des évènements, ou leur durabilité soient constamment modifiés.

Il est par exemple aberrant de constater que vous puissiez déclarer que : « J’étais obligé de travailler et finalement j’ai accepté de travailler pour eux. Au début, je pensais qu’ils étaient gentils » (p.10/18 de votre rapport d’entretien), sous-entendant clairement ici que vous n’auriez pas soupçonné les mauvaises intentions des « mafieux » les jours précédents votre acceptation de travailler avec eux dans le restaurant de …. Or, un tel jugement de votre part 9 ne peut concorder avec vos autres déclarations antérieures puisque, chronologiquement parlant, vous auriez été victime d’attouchements de la part de … et …, seriez allé porter plainte à la police et auriez été menacé par … avant même de commencer à travailler dans ce restaurant. Partant, cette incohérence remet la crédibilité du déroulement chronologique de votre récit en doute et par extension sa crédibilité entière. D’autant plus que dans votre version initiale, vous expliquez que vous auriez accepté de travailler dans le restaurant de …, alors que vous auriez déjà été un employé à l’usine après avoir été viré du magasin de … : « J’ai été obligé d’arrêter de travailler (…) 2-3 semaines plus tard j’ai trouvé un autre travail (…) dans une usine de …. Les mafieux m’ont retrouvé un jour (…) Ils m’ont demandé de travailler dans leur restaurant. J’ai accepté » (p.5/18 de votre rapport d’entretien). Or, ce déroulement chronologique ci ne concorde aucunement avec une autre version selon laquelle vous soutenez que vous auriez commencé à travailler pour eux avant même de travailler à l’usine : « quand j’ai arrêté de travailler au magasin de … j’ai travaillé pour eux 1 ou 2 journées. C’était pendant les 2-3 semaines que je n’avais pas de travail » (p.10/18 de votre rapport d’entretien).

Par ailleurs, alors que cette version révisée contredit le déroulement chronologique que vous aviez jusqu’à-là utiliser, il se trouve qu’elle dément également votre déclaration relative au fait qu’au cours de ces deux-trois semaines « non » il ne se serait rien passé de particulier en dehors du fait que « j’étais à la maison. Je sortais de temps en temps. Je cherchais du travail » (p.9/18 de votre rapport d’entretien).

Vous évoquez par la suite qu’après avoir arrêté de travailler pour eux « je n’ai plus travaillé pendant trois mois » (p.12/18 de votre rapport d’entretien) alors qu’initialement vous aviez rapporté que vous auriez seulement était pendant deux-trois semaines sans travail:

« pendant les deux-trois semaines que je n’avais pas de travail » (p.10/18 de votre rapport d’entretien).

Le fait que votre récit soit qualifié d’incohérents se trouve encore corroborer lorsque vous prétendez dans un premier temps que vous auriez été menacé au couteau par … dès le « lendemain » (p.7/18 de votre rapport d’entretien) de votre visite au poste de police, puis dans un deuxième temps vous décidez de changer de version en indiquant que cette menace au couteau se serait produite lors de « mon 5e jour de travail à l’usine » (p.9/18 de votre rapport d’entretien) ou « après avoir commencé à travailler dans l’usine » (p.11/18 de votre rapport d’entretien), soit quelques semaines après votre visite au poste de police et non plus le « lendemain » alors qu’il vous aurait seulement menacé cette fois-ci mais sans couteau. Par cette révision, il appert que les motifs de cette menace au couteau sont également différents puisque d’une part il l’aurait fait le « lendemain » en raison de votre dénonciation auprès de la police, et d’autre part lorsque vous seriez sorti de l’usine pour rentrer chez vous car « je refusais d’aller avec lui » (p.10/28 de votre rapport d’entretien) pour vous faire danser.

En ce qui concerne la menace qui se serait déroulé « après avoir commencé à travailler dans l’usine », respectivement lors de « mon 5e jour de travail à l’usine », vous indiquez que vous auriez décidé de quitter l’Afghanistan « environ 1 semaine après » (p.11/18 de votre rapport d’entretien). Or, cette déclaration ne peut s’aligner temporellement sur ce que vous avez prétendu antérieurement, à savoir que vous auriez supposément encore travailler « 1 mois » dans l’usine (p.9/18 de votre rapport d’entretien). Vous êtes alors interrogé par l’agent en charge de votre entretien quant à cette incohérence et répondez que vous auriez en réalité été menacé au couteau « après que j’ai arrêté de travailler à l’usine de … » (p.11/18 de votre rapport d’entretien) et non plus « après avoir commencé ». Or, cette justification n’emporte aucunement conviction puisqu’il s’agit d’une énième modification du déroulement 10 chronologique de votre récit alors que vous aviez confirmé à plusieurs reprises, de différentes manières, que cela se serait produit lorsque vous auriez encore été un employé à l’usine, sur le trajet de retour à votre domicile.

Vous informez aussi l’agent en charge de votre entretien que vous auriez commencé à travailler dans l’usine vers la « fin de l’année 2017 » (p.9/18 de votre rapport d’entretien).

Cependant, sachant que vous y auriez travaillé pendant un mois et que vous auriez décidé de quitter l’Afghanistan une semaine après que vous auriez arrêté de travailler à l’usine en raison de l’attaque au couteau dont vous auriez prétendument été victime, il en ressort qu’il serait dès lors temporellement impossible que vous puissiez allégué, le 20 septembre 2021 lors de votre premier entretien, avoir quitté l’Afghanistan « il y a environ 2 ans et 8 mois » (p.2/18 de votre rapport d’entretien), c’est-à-dire en janvier 2019.

Partant, il convient de percevoir ces multiples modifications comme des tentatives infructueuses de vous aligner du mieux que possible sur vos déclarations précédentes alors qu’en réalité vous vous perdez manifestement dans vos mensonges et vous enlisez dans un récit sans queue ni tête. Partant, aucune crédibilité ne peut être accordée à votre témoignage.

Sixièmement, votre récit est parsemé d’autres contradictions et incohérences, moins flagrantes mais tout de même étonnantes, qui prises dans leur globalité ne font que réduire la crédibilité qui lui est accordée.

Il est par exemple difficile de vous croire lorsque vous évoquez que … vous aurait demandé de venir travailler dans son restaurant environ deux-trois mois après que vous seriez allé dénoncer ses attouchements à la police et qu’il vous aurait prétendument menacé le « lendemain » en vous prévenant que « si j’allais revoir la police il allait me tuer » (p.7/18 de votre rapport d’entretien).

Il n’est également pas crédible que les membres du groupe « mafieux » vous auraient forcé à travailler pour eux au motif qu’« ils gaspillaient beaucoup d’argent pour moi. J’étais obligé de travailler et de les rembourser » (p.10/18 de votre rapport d’entretien) alors qu’en même temps, vous avancez que « Les 2 jours que j’ai travaillé là-bas c’était bien j’étais payé et j’ai eu des baskets » (p.12/18 de votre rapport d’entretien).

Il n’est pas crédible que vous ayez « fait 10 ans d’école » (p.2/18 de votre rapport d’entretien) alors que vous auriez en même-temps, selon vos déclarations, commencé à travailler « quand j’avais … ans » (p.5/18 de votre rapport d’entretien). Par ailleurs, il est impossible de se faire une idée claire et précise des différents emplois que vous auriez occupés et au cours de quelle période alors que vous expliquez d’une part que vous auriez commencé à travailler dès vos … ans dans un magasin de … à …, respectivement dès …, et par après dans une usine à … lorsque vous aviez …-… ans, soit en …-… (p.5/18 de votre rapport d’entretien).

Cependant, vous avez également mentionné, à une seule et unique reprise, que vous auriez travaillé dans un … (p.6/18 de votre rapport d’entretien) lorsque vous auriez commencé à faire connaissance avec des membres du groupe « mafieux », respectivement avant même d’avoir travaillé dans un magasin de …. Or, non seulement vous ne mentionnez plus jamais cet emploi que vous auriez exercé, mais de plus cela ne se chevauche aucunement de manière temporelle sur les informations précitées.

Tout comme, il n’est pas crédible que votre mère aurait financé votre trajet pour fuir l’Afghanistan alors que vous prétendez en même temps qu’elle n’aurait pas été en mesure de 11 subvenir aux besoins familiaux et que vous auriez été contraint de travailler dès votre plus jeune âge : « Mes parents n’avaient pas d’argent. Ils me demandaient de travailler » (p.13/18 de votre rapport d’entretien).

Enfin, il convient aussi de relever que lorsque l’agent en charge de votre entretien vous demande en fin d’entretien si vous avez porté plainte contre les menaces émises par les prêteurs ou « pour d’autres faits que vous avez mentionnés » (p.15/18 de votre rapport d’entretien), vous répondez par la négative alors que l’on est en raisonnablement droit de s’attendre de votre part de rappeler ici que vous seriez allé porter plainte contre … et …. Votre réponse négative pousse donc automatiquement à s’interroger sur la crédibilité de votre visite au poste de police, d’autant plus que vous ne versez aucun document permettant de le prouver.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 avril 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 14 mars 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé à titre principal contre la décision du ministre du 14 mars 2023, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

A titre liminaire, force est de constater qu’à l’audience publique des plaidoiries, le demandeur a déclaré renoncer à sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de la part de l’Etat, de sorte qu’il lui en est donné acte.

1) Quant au recours contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, après avoir exposé en substance les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée et avoir rappelé qu’il appartiendrait à l’ethnie hazara, le demandeur reproche au ministre de ne pas lui avoir accordé le statut de réfugié et d’avoir, ainsi, commis une violation des articles 2 f), 42 (1) et 39 de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne le manque de crédibilité et l’incohérence de son récit, et plus précisément quant au reproche qu’il n’aurait pas eu le comportement d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée ou encore de devenir victime d’atteintes 12 graves en ne déposant pas une demande de protection internationale dans l’un des pays qu’il aurait traversés, le demandeur explique que les réfugiés afghans emprunteraient tous le même parcours avant de parvenir au Luxembourg, en traversant le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France avant d’introduire finalement une demande de protection internationale au Luxembourg. Il ajoute que le risque de rapatriement vers l’Afghanistan aurait pesé sur lui s’il était resté en Iran, respectivement en Turquie, et que des membres de sa famille résideraient au Luxembourg.

Le demandeur continue en expliquant, quant à l’incohérence soulevée par le ministre relative à son âge et le déroulement chronologique des faits invoqués, qu’il aurait dû quitter son pays d’origine à l’âge de seulement … ans, c’est-à-dire à partir de janvier 2019, et qu’il serait arrivé au Luxembourg à l’âge de … ans. Il aurait, en outre, essayé de faire venir, par tous moyens, sa famille au Luxembourg, laquelle il aurait dû laisser en Afghanistan dans une situation instable et risquée pour elle. Au vu de son jeune âge et de son vécu, il ne lui aurait pas été possible de fournir « un déroulé chronologique infaillible en se rappelant de toutes les dates ». En outre, au vu de la situation chaotique actuelle en Afghanistan, il lui serait impossible de rapporter la preuve des faits invoqués. Il rencontrerait partant des difficultés pour prouver la véracité de ses dires, notamment celle des menaces émises par les créanciers de son père, et ce d’autant plus que « cela » se serait produit il y a quelques années. Ces faits seraient cependant « bien réels », étant donné qu’il aurait pris le risque « de partir très jeune de son pays d’origine sans aucun moyen, en risquant sa vie au vu de son parcours ».

Le demandeur reproche encore au ministre de ne pas lui avoir accordé la protection subsidiaire, et ce alors même qu’il serait de confession musulmane chiite et qu’il appartiendrait à l’ethnie hazara en Afghanistan laquelle aurait déjà été « victime de génocide » dans le passé.

Il ajoute qu’avec l’arrivée au pouvoir des talibans en août 2021, l’ethnie hazara serait la cible de nombreux massacres et persécutions, en se référant à cet égard à un article d’Amnesty International du 15 septembre 2022, intitulé « Afghanistan. Les talibans torturent et exécutent des Hazaras dans le cadre d’une attaque ciblée – Nouvelle enquête ». Il serait encore manifeste qu’aucune aide ne saurait être obtenue auprès des autorités étatiques. Il invoque, dans ce contexte, un communiqué du ministère du 7 novembre 2022, intitulé « Luxembourg. Pas de retours vers l’Afghanistan », soulignant qu’aucun afghan n’aurait été renvoyé depuis 2015 et que « Ceux qui ne [pourraient] pas bénéficier du statut de réfugié « [seraient] aidés par le ministère afin de régulariser leur situation » ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 13 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

14 Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

15 En l’espèce, il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … n’était pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit du demandeur et y constate de nombreuses incohérences et contradictions, concernant, notamment, (i) son identité, et plus précisément sa date de naissance et son lieu de naissance, et (ii) la chronologie des différents évènements qui se seraient produits.

Ainsi, le tribunal constate tout d’abord que Monsieur … a fourni cinq dates de naissance différentes. En effet, lors de son entretien avec la police grand-ducale il a indiqué être né le …, conformément au duplicata de sa tazkira remis aux agents de la police grand-ducale, et être âgé, dès lors, de … ans. Or, ces derniers ont trouvé sur son téléphone portable une photo de son ancienne tazkira, renseignant qu’il aurait … ans, pour ensuite remarquer que sur son compte Facebook il a fourni comme date de naissance le …. Il ressort encore d’un courrier du 20 juillet 2022 de son litismandataire de l’époque et de sa requête introductive d’instance qu’il serait né le …. Enfin, sur la copie du passeport communiqué par son nouveau litismandataire au ministère en date du 6 juin 2023, est indiqué comme date de naissance de Monsieur … le …. S’il peut être concevable que le demandeur ait dans un premier temps essayé de se faire passer pour un mineur d’âge afin de pouvoir faire venir sa famille au Luxembourg, les autres dates de naissance restent inexpliquées, Monsieur … n’ayant pas fourni de plus amples explications dans le cadre de son recours à ce propos. Au contraire, il a rendu ses indications y relatives encore plus confuses en versant en cause une copie de son soi-disant passeport sur lequel figure non seulement comme date de naissance le …, mais également un autre lieu de naissance que celui qu’il a fourni jusqu’alors. Ainsi, s’il prétendait auparavant être né à … au Pakistan, il ressort de ladite copie de son passeport qu’il serait né à …, c’est-à-dire en Afghanistan.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir que Monsieur … a nécessairement délibérément menti quant à sa réelle identité, afin d’induire les autorités luxembourgeoises en erreur, attitude qui est de nature à ébranler d’ores et déjà sérieusement la crédibilité de son récit.

S’y ajoute qu’à la lecture du rapport d’entretien de Monsieur …, la chronologie des faits relatés est difficilement compréhensible, ce qui a d’ailleurs contraint l’agent ministériel à devoir, à plusieurs reprises, le rendre attentif à l’incompréhension de ses déclarations2. Ces 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

2 Page 9 du rapport d’entretien : « Cependant la temporalité des évènements ne correspond pas. Vous avez dit que vous aviez été menacé au couteux le lendemain d’être allé à la police. Ensuite, vous dites que la menace au couteux a eu lieu après que vous avez commencé à travailler à l’usine de …. », page 12 du rapport 16 incohérences et contradictions se dégagent essentiellement de la chronologie des différents faits relatés par le demandeur (i) en relation avec les menaces subies de la part d’un dénommé … et les circonstances lors desquelles elles auraient été proférées, (ii) quant à ses différents emplois et (iii) quant au départ de son père d’Afghanistan.

En effet, Monsieur … fournit plusieurs versions différentes en ce qui concerne les menaces subies par …. Il relate tout d’abord que … l’aurait menacé avec un couteau le lendemain du dépôt de sa plainte contre ce dernier pour attouchements3. Ensuite, il fait valoir que … l’aurait menacé avec un couteau après qu’il aurait commencé à travailler à l’usine de …4, c’est-à-dire presque trois mois après le dépôt de la plainte5. Face à l’incompréhension de l’agent ministériel, Monsieur … a indiqué n’avoir été menacé à l’aide d’un couteau qu’une seule fois, cinq jours après avoir commencé à travailler à l’usine de … et que la menace perpétrée après le dépôt de la plainte n’aurait été que verbale, ce qui ajoute de la confusion à son récit au vu des développements qui suivent6.

Force est de constater que le demandeur se contredit aussi quant aux emplois qu’il aurait exercés après avoir quitté son travail au magasin de …. Ainsi, il indique d’abord être resté à la maison pendant une période de deux à trois semaines pendant laquelle il ne serait que sorti de temps en temps et aurait cherché un nouvel emploi, pour ensuite commencer à travailler dans une usine à …7. Peu après, il revient sur son récit en prétendant avoir travaillé dans le … de … pendant une ou deux journées après avoir arrêté de travailler dans le magasin de …, c’est-à-dire pendant la période de deux à trois semaines8. Le tribunal est, à cet égard, amené à partager l’appréciation ministérielle suivant laquelle on devrait pouvoir s’attendre que Monsieur … se rappelle immédiatement avoir travaillé pour …, qu’il accusait auparavant de l’avoir touché de manière inappropriée et contre lequel il aurait porté plainte en raison de ces attouchements, et non pas qu’il n’en fasse état qu’après des questions plus poussées de la part de l’agent ministériel.

Le demandeur se contredit enfin encore quant au départ de son père d’Afghanistan.

Afin de tenter de retracer les différentes dates fournies par le demandeur à ce sujet, il y a tout d’abord lieu de relever que ce dernier indique dans le rapport de police du 13 janvier 2021 avoir quitté l’Afghanistan deux ans avant ledit entretien, c’est-à-dire en 2019, période qu’il a également indiqué à l’agent ministériel9. Par rapport à la date de départ de son père, il déclare que ce dernier aurait quitté l’Afghanistan (i) un an avant son propre départ, c’est-à-dire en 201810, ou (ii) en 201711, ou (iii) en 2015-2016, le demandeur ayant, en effet, expliqué à ce propos, qu’il aurait quitté l’Afghanistan trois à quatre ans après la menace12, soit trois à quatre d’entretien : « Il faut que je comprenne la chronologie des évènements. Résumez les faits de façon brève et chronologique. » et page 14 du rapport d’entretien : « Cela n’est pas cohérant chronologiquement. Vous avez dit que votre père est parti de l’Afghanistan 1 an avant que vous soyez parti de l’Afghanistan. Maintenant, vous dites que vous êtes resté encore 3-4 années. ».

3 Page 7 du rapport d’entretien.

4 Page 9 du rapport d’entretien.

5 Page 8 du rapport d’entretien : « J’ai arrêté de travailler environ 2 mois après avoir été voir la police. ».

6 Page 9 du rapport d’entretien.

7 Pages 5 et 9 du rapport d’entretien.

8 Page 10 du rapport d’entretien : « Quand avez-vous accepté de travailler pour eux ? Quand j’ai arrêté de travaillé dans le magasin de … J’ai travaillé pour eux 1 ou 2 journées. C’était pendant les 2-3 semaines que je n’avais pas de travail. ».

9 Page 2 du rapport d’entretien : « J’ai quitté l’Afghanistan il y a environ 2 ans et 8 mois ».

10 Page 5 du rapport d’entretien : « Il était allé en Iran 1 an avant que je quitte l’Afghanistan. ».

11 Page 12 du rapport d’entretien : « Mon père est parti en Iran en 2017 […] ».

12 Page 14 du rapport d’entretien.

17 ans avant 2019. Le demandeur fait dès lors état d’une période allant de 2015 à 2018 pendant laquelle son père est susceptible d’avoir quitté l’Afghanistan. Or, Monsieur … ayant déclaré être devenu le responsable de la famille13 et que les créanciers de son père l’auraient menacé suite au départ de ce dernier, s’il est, certes, possible qu’il puisse ne pas se rappeler du mois exact du départ de son père, il est cependant inconcevable qu’il ne se souvienne pas de l’année du départ de ce dernier.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à emporter sa conviction.

En effet, si Monsieur … peut ne pas se rappeler « d’exactement toutes les dates », tel qu’il le soutient dans le cadre de son recours, le tribunal est cependant amené à retenir que le demandeur n’a pas été en mesure de relater au moins un des motifs principaux invoqués à la base de sa demande de protection internationale dans un ordre chronologique à peu près cohérent, sans se contredire de multiples fois, de sorte à rendre ambiguë l’entièreté de ses déclarations. Ce constat est corroboré par le fait que, malgré la remise en cause par le ministre de la crédibilité de son récit, le demandeur n’a pas pris plus amplement position y relativement dans le cadre de sa requête introductive d’instance, en restant en défaut d’y fournir une explication circonstanciée de nature à pouvoir lever les différentes contradictions et incohérences valablement relevées dans la décision déférée et de permettre au tribunal d’en dégager une chronologie à peu près exacte.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a pu remettre en question la crédibilité du récit du demandeur en son ensemble, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a conclu que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi en relation avec son vécu personnel, tel que relaté à l’appui de sa demande de protection internationale.

Il s’avère cependant qu’indépendamment de la date et du lieu de naissance du demandeur, le ministre n’a remis en cause ni son pays d’origine, ni sa confession musulmane chiite, ni son appartenance à l’ethnie hazara, alors qu’il a uniquement retenu qu’il était impossible de fixer son âge. Or, Monsieur … invoque, tant dans son entretien ministériel14 que dans le cadre de sa requête introductive d’instance, l’existence de nombreux massacres et de persécutions que les membres de l’ethnie hazara auraient subis en Afghanistan. Si ces développements sont, certes, faits dans le cadre de sa requête introductive d’instance uniquement sous son argumentation relative à la protection subsidiaire, il voulait, de l’entendement du tribunal et au vu de son rapport d’entretien ministériel faire valoir des violences générales commises à l’encontre de l’ethnie hazara à laquelle il appartient, en se fondant en sus sur diverses sources d’informations versées à l’appui de son recours et dont il cite des extraits. Le tribunal est ainsi amené à constater qu’au vu des pièces fournies par Monsieur … et du défaut de prise de position de la part du délégué du gouvernement sur ce point précis, mettant ainsi le tribunal dans l’impossibilité d’apprécier le bien-fondé du refus d’octroi d’une protection internationale sous l’angle d’un éventuel risque pour Monsieur … de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite, et d’épuiser son pouvoir en réformation, il y a lieu d’annuler la décision 13 Page 5 du rapport d’entretien.

14 Page 15 du rapport d’entretien : « Est-ce qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles vous avez quitté votre pays ? […] Les talibans tuaient les chiites ».

18 déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre actuellement compétent aux fins d’un nouvel examen au fond de la demande de protection internationale de Monsieur …, limité à la question de la crainte de celui-ci de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire, sans invoquer un moyen concret à l’appui de ce volet de son recours.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2) précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient d’annuler la décision de refus d’une protection internationale et de renvoyer le dossier devant le ministre compétent, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de Monsieur ….

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de condamner l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 14 mars 2023 et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre actuellement compétent aux fins d’un nouvel examen au fond de la demande de protection internationale de Monsieur …, limité à la question de la crainte de celui-ci de subir des violences de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession chiite ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

19 reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 14 mars 2023 portant ordre de quitter le territoire et renvoie le dossier devant le ministre compétent en prosécution de cause ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

donne acte au demandeur qu’il renonce à sa demande en obtention d’une indemnité de procédure ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 mars 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48838
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-25;48838 ?

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