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25/03/2024 | LUXEMBOURG | N°45761

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 mars 2024, 45761


Tribunal administratif N° 45761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:45761 1re chambre Inscrit le 8 mars 2021 Audience publique du 25 mars 2024 Recours formé par Madame A et consort, … contre trois décisions du bourgmestre de la commune de Junglinster en présence de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45761 du rôle et déposée le 8 mars 2021 au greffe du tribunal admi

nistratif par Maître Yves Kasel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocat...

Tribunal administratif N° 45761 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:45761 1re chambre Inscrit le 8 mars 2021 Audience publique du 25 mars 2024 Recours formé par Madame A et consort, … contre trois décisions du bourgmestre de la commune de Junglinster en présence de la société à responsabilité limitée …, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45761 du rôle et déposée le 8 mars 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Yves Kasel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, et de Madame B, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une « décision implicite de refus de la part du Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER par rapport au recours gracieux introduit en date du 8 septembre 2020 par la requérante sub 1) contre l'autorisation de bâtir n°341/2018, délivrée par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER en date du 2 mars 2020 », 2) d’une « décision implicite de refus de la part du Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER par rapport au recours gracieux introduit en date du 8 septembre 2020 par la requérante sub 2) contre l'autorisation de bâtir n°341/2018, délivrée par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER en date du 2 mars 2020 » et 3) d’une « autorisation de bâtir n°341/2018 se trouvant à la base du recours gracieux précité, délivrée en date du 2 mars 2020 par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER à la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-

…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, sinon par tout autre organe représentatif actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro … » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick Muller, demeurant à Diekirch, du 15 mars 2021 portant signification de ce recours à la société à responsabilité limité …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro … représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 17 mars 2021 portant signification de ce recours à la commune de Junglinster, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie en sa maison communale à L-

6112 Junglinster, 12, rue de Bourglinster ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 17 mars 2021 au greffe du tribunal administratif pour compte de la commune de Junglinster ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 juin 2021 par Maître Steve Helminger pour compte de la commune de Junglinster ;

1 Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 juillet 2021 par Maître Yves Kasel pour compte de Madame A et Madame B, préqualifées;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2021 par Maître Steve Helminger pour compte de la commune de Junglinster ;

Vu le courrier du 20 octobre 2021 de Maître Yves Kasel, préqualifié, par lequel il informe le tribunal du dépôt de son mandat ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 mars 2023 par Maître Karine Bicard, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, et de Madame B, préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karine Bicard et Maître Adrien Kariger, en remplacement de Maître Steve Helminger entendu en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 octobre 2023.

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Par avis au public portant le numéro 341/2018 du 6 janvier 2020, le bourgmestre de la commune de Junglinster, ci-après désigné par « le bourgmestre », informa le public qu’il était saisi d’une demande d’autorisation relative à la « Construction d’un bâtiment résidentiel de 6 unités et un bureau » à réaliser sur la parcelle inscrite au cadastre de la commune de Junglinster, section … de Junglinster, sous le numéro …, ci-après dénommée « la parcelle », sise à L-….

Par courrier du 10 février 2020, Madame A formula, en sa qualité de propriétaire de la maison sise à L-…, des remarques et objections à l’encontre de la prédite demande d’autorisation de construire et pria le bourgmestre de « ne pas délivrer l’autorisation ».

Par avis au public du 2 mars 2020, le bourgmestre porta à la connaissance du public qu’il avait accordé l’autorisation à bâtir relative au projet précité, ladite autorisation étant ci-

après désignée par « l’autorisation 341/2018 ».

Par courrier du même jour, le bourgmestre informa Madame A que le projet lui soumis respecterait tous les règlements en vigueur.

Par courrier du 30 mai 2020, réceptionné par la commune en date du 2 juin 2020, Madame A introduisit un recours gracieux à l’encontre de l’autorisation 341/2018 « uniquement pour le cas de l’inapplicabilité du suspens du délai de recours dû à la crise covid-19 ».

Par courrier du 17 août 2020, le bourgmestre répondit à Madame A que le projet autorisé serait conforme à la règlementation urbanistique communale.

2Par courriers séparés du 7 septembre 2020, réceptionnés par la commune en date du 8 septembre 2020, tant Madame A que Madame B introduisirent un recours gracieux à l’encontre de l’autorisation 341/2018.

En date du 8 mars 2021, Madame B sollicita, par l’intermédiaire de son litismandataire de l’époque, le dossier administratif auprès de l’administration communale de Junglinster.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2021, Madame A et Madame B, ci-après désignées par « les consorts A », ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) d’une « décision implicite de refus de la part du Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER par rapport au recours gracieux introduit en date du 8 septembre 2020 par la requérante sub 1) contre l'autorisation de bâtir n°341/2018, délivrée par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER en date du 2 mars 2020 », 2) d’une « décision implicite de refus de la part du Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER par rapport au recours gracieux introduit en date du 8 septembre 2020 par la requérante sub 2) contre l'autorisation de bâtir n°341/2018, délivrée par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER en date du 2 mars 2020 » et 3) d’une « autorisation de bâtir n°341/2018 se trouvant à la base du recours gracieux précité, délivrée en date du 2 mars 2020 par le Bourgmestre de la Commune de JUNGLINSTER à la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, sinon par tout autre organe représentatif actuellement en fonctions, inscrite au Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro … ».

Il convient à titre liminaire de relever que la société à responsabilité limitée …, ci-

après désignée par « la partie tierce-intéressée », n’a pas fourni de mémoire en réponse dans le délai légal, bien que la requête introductive lui ait été signifiée par acte de l’huissier de justice en date du 15 mars 2021. Conformément aux dispositions de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi 21 juin 1999 », le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties par un jugement ayant les effets d’une décision contradictoire, même si la partie tierce intéressée n’a pas comparu dans le délai prévu par la loi.

I.

Quant à la compétence du tribunal Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’autorisation de construire, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit par les consorts A.

En revanche, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation introduit en l’espèce.

II.

Quant à la recevabilité du recours Moyens des parties L’administration communale de Junglinster, ci-après désignée par « la commune », soulève tout d’abord l’irrecevabilité ratione temporis du recours en se référant à l’article 13, paragraphe (1) de la loi du 21 juin 1999 et l'article 37, alinéa 7 de la loi modifiée du 19 juillet 32004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain, ci-après désignée par « la loi du 19 juillet 2004 » en insistant sur le fait que le délai de trois mois pour introduire le recours aurait couru à partir de l’affichage de l’autorisation sur les lieux du chantier en date du 2 mars 2020.

La commune fait valoir que ce serait à tort que les consorts A invoqueraient la crise sanitaire comme cause ayant suspendu les délais de recours en citant le règlement grand-

ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales et « celui du 29 mai 2020 portant introduction de mesures relatives à la validité des cartes d'identité et aux délais en matière d'aménagement communal et de développement urbain » et en leur reprochant d’avoir fait une lecture erronée desdits règlements.

La commune expose qu’en date du 25 mars 2020, le pouvoir réglementaire aurait adopté deux règlements grand-ducaux, à savoir un règlement grand-ducal portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 – délais en matière juridictionnelle », et un règlement grand-ducal portant introduction de mesures relatives à la validité des cartes d’identité et aux délais en matière d’aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 – aménagement communal », qui prévoyait différentes exceptions aux délais repris dans la loi du 19 juillet 2004. Ce n’aurait été que par son règlement grand-ducal du 10 avril 2020, rétroagissant au 25 mars 2020, que le pouvoir réglementaire aurait prévu la suspension du délai de recours devant les juridictions administratives prévu à l’article 37, paragraphe 7 de la loi du 19 juillet 2004.

La commune rappelle encore que l’état de crise aurait duré du 25 mars 2020 au 24 juin 2020, de sorte que les parties requérantes auraient en principe disposé de 6 mois, soit jusqu’au 2 septembre 2020, pour déposer un recours en annulation ou au moins un recours gracieux contre ladite autorisation de construire.

Dans ce contexte, elle fait valoir qu’il y aurait lieu de distinguer entre la situation de Madame A et celle de Madame B. Madame A aurait déposé deux recours gracieux contre la même décision en date du 30 mai, respectivement 8 septembre 2020. La commune soutient que le bourgmestre aurait répondu en date du 17 août 2020 au premier recours gracieux en prenant une décision confirmative de l'autorisation du 2 mars 2020. Madame B, quant à elle, n’aurait déposé qu’un seul recours gracieux contre l'autorisation en date du 8 septembre 2020.

La commune soutient que si un propriétaire dépose un recours gracieux en son nom propre, cela vaudrait aussi nécessairement pour ses héritiers potentiels dans la mesure où ils auraient tous les mêmes intérêts, En l’espèce, il y aurait lieu de considérer que le premier recours gracieux du 30 mai 2020 déposé par Madame A vaudrait également pour sa fille, Madame B.

Il s’ensuivrait que Madame B devrait être considérée comme ayant également introduit deux recours gracieux, de sorte que tant dans le chef de Madame A que dans celui de Madame B seul le premier recours gracieux aurait pu suspendre les délais contentieux sans que le deuxième recours gracieux introduit en date du 8 septembre 2020 n’aurait eu une quelconque incidence à cet égard et que le délai pour agir contre l’autorisation du 2 mars 2020, respectivement de la décision confirmative du 27 août 2020 serait écoulé le 27 novembre 2020.

4 A supposer que Madame A aurait pu renoncer à son premier recours gracieux et que Madame B serait à considérer comme n’ayant introduit que le recours gracieux du 8 septembre 2020, la commune fait valoir qu’aux termes des règles applicables pendant l’état de crise, le délai de recours aurait été prolongé de 3 mois, soit en l'espèce jusqu'au 2 septembre 2020.

Le recours gracieux aurait dès lors été déposé après l'expiration du délai de recours contentieux, de sorte que l'article 13, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999 ne saurait être applicable et que le recours gracieux du 8 septembre 2020 n’aurait pas suspendu les délais de recours conformément à l'article 13, alinéa 3 de la loi du 21 juin 1999.

La commune souligne encore que même à admettre que la règle générale de suspension des délais prévue dans le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 soit applicable en l'espèce, à savoir que les délais venant à échéance pendant l’état de crise seraient reportés de deux mois à compter de la date de la fin de l’état de crise, soit le 25 août 2020, le recours serait tout de même tardif.

Dans leur mémoire en réplique, les consorts A font valoir que suivant l’article 37 de la loi du 19 juillet 2004, le délai de recours commencerait à courir trois jours à compter de la date d’affichage des certificats, soit en l’espèce, le 4 mars 2020. En application de la loi du 21 juin 1999, le délai pour introduire un recours gracieux ou judiciaire aurait donc expiré le 4 juin 2020.

En se référant à l’article 3, paragraphe (3) du règlement grand-ducal du 25 mars 2020 – aménagement communal, ayant suspendu le délai de recours devant les juridictions administratives prévu à l'article 37, paragraphe (7) de la loi du 19 juillet 2004 pendant l'état de crise, sans effacer le délai déjà couru, le consorts A soulignent que l’état de crise aurait commencé le 18 mars 2020 et aurait perduré jusqu'au 24 juin 2020. Elles expliquent qu’en dehors de l’état de crise, le délai aurait commencé à courir le 4 mars 2020 jusqu'au 4 juin 2020 inclus.

Entre le 4 mars 2020 et le 4 juin 2020, 92 jours se seraient écoulés, de sorte qu’elles auraient disposé de 92 jours pour introduire un recours contre l'autorisation de construire en cause. En l'espèce, 14 jours sur les 92 jours auraient déjà couru avant la déclaration de l'état de crise, le 18 mars 2020. Suite à la suspension des délais entre le 18 mars et le 24 juin, le délai restant de 78 jours aurait recommencé à courir à partir du 25 juin 2020 jusqu'au 10 septembre 2020 inclus.

En l’espèce, aussi bien Madame A que Madame B auraient déposé leur recours gracieux en date du 8 septembre 2020.

Elles expliquent que ce mode de computation des délais aurait été expliqué dans la circulaire n°3871 du 24 juin 2020 du ministère de l'Intérieur, ci-après désignée par « la circulaire ».

Les consorts A soutiennent que leurs recours gracieux auraient dès lors été introduits dans le délai légal et conformément à l'article 13, paragraphe (2) de la loi du 21 juin 1999, le délai du recours contentieux aurait été valablement suspendu. Dans la mesure où les recours gracieux seraient restés sans réponse de la part de la commune pendant plus de 3 mois à compter de l’introduction des recours gracieux, le délai du recours contentieux 5aurait, conformément à l'article 13, paragraphe (3) de la loi précitée, commencé à courir à partir de l'expiration du troisième mois, soit le 8 décembre 2020. Elles auraient disposé dès lors d'un nouveau délai pour introduire un recours devant les juridictions administratives jusqu'au 8 mars 2021 inclus.

Elles donnent encore à considérer que le courrier du 30 mai 2020 aurait été envoyé à un moment où la pandémie aurait empêché une consultation sur place du dossier, ce qui aurait été particulièrement vrai pour Madame A, laquelle serait une personne vulnérable, mais aussi pour Madame B qui habiterait avec Madame A.

Dans son mémoire en duplique, la commune fait valoir que les consorts A se seraient basées sur une ancienne version de la loi du 19 juillet 2004 et que le délai de recours aurait couru à partir de l’affichage du certificat relatif à l’autorisation de construire, soit le 2 mars 2020.

La commune conteste les développements des parties requérantes basés sur la circulaire tout en rappelant le principe de la non-rétroactivité des lois et des règlements grand-

ducaux y afférents.

Ce serait à partir du 25 mars 2020 que les délais de recours contre l'autorisation de construire auraient été suspendus et non à partir du 18 mars 2020. La commune cite dans ce contexte l’article 3 du règlement grand-ducal du 10 avril 2020 portant modification du règlement grand-ducal modifié du 25 mars 2020 portant introduction de mesures relatives à la validité des cartes d'identité et aux délais en matière d'aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 10 avril 2020 », précisant qu’il aurait produit ses effets au 25 mars 2020. Cet élément serait encore renforcé par la mention de la loi habilitante du règlement grand-ducal du 10 avril 2020 à savoir la loi du 24 mars 2020 portant prorogation de l'état de crise déclaré par le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d'une série de mesures dans le cadre de la lutte contre Covid-19, ci-après désignée par « la loi du 24 mars 2020 ».

L'interprétation des parties requérantes et du ministère de l’Intérieur, à savoir celle de vouloir donner un effet rétroactif au règlement grand-ducal du 10 avril 2020 à partir du 18 mars 2020 et non du 25 mars 2020 comme le règlement l'énoncerait expressément, serait « contraire aux principes réglementant un Etat de droit ».

Selon la commune, ce serait dès lors à partir du 25 mars 2020 - date d'entrée en vigueur du règlement grand-ducal et non du 18 mars 2020 - que les délais de recours contre l'autorisation de construire aurait été suspendus en insistant sur le fait qu’un règlement grand-

ducal ne saurait avoir d'effet rétroactif sans que celui-ci soit strictement inscrit dans sa base habilitante et ne saurait avoir d'effet avant l'entrée en vigueur de sa loi habilitante du 24 mars 2020 qui serait entrée en vigueur le lendemain, c’est-à-dire le 25 mars 2020.

Dans la mesure où l'autorisation de construire aurait été affichée le 2 mars 2020 et que la suspension des délais de recours aurait couru du 25 mars au 24 juin 2020 soit pendant 3 mois, ledit délai de recours aurait expiré le 2 septembre 2020, de sorte que tant le premier que le second recours gracieux introduits le 8 septembre 2020 devraient être considérés comme tardifs et ne sauraient dès lors suspendre le délai de recours contentieux.

Appréciation du tribunal 6 Il échet de rappeler que selon l’article 13 de la loi du 21 juin 1999 « (1) Sauf dans les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance.

(2) Toutefois si la partie intéressée a adressé un recours gracieux à l’autorité compétente avant l’expiration du délai de recours fixé par la disposition qui précède ou d’autres dispositions législatives ou réglementaires, le délai du recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite de ce recours gracieux. (…) ».

Aux termes de l’article 37, alinéa 7 de la loi du 19 juillet 2004, dans sa version applicable au présent litige, « [l]e délai de recours devant les juridictions administratives court à compter de l’affichage du certificat [relatif à l’autorisation de construire] ».

En l’espèce, dans la mesure où les requérantes ne remettent pas en cause que l’autorisation litigieuse a été affichée à partir du 2 mars 2020 et ne nient pas en avoir pris connaissance à partir de cette date, le délai de recours a donc commencé à courir à partir de ladite date.

C’est tout d’abord à bon droit que les parties requérantes et communale soutiennent qu’en l’espèce deux facteurs ont pu suspendre les délais précités, à savoir, d’un côté, l’introduction d’un recours gracieux et, d’un autre côté, la déclaration de l’état de crise intervenue dans le contexte de la pandémie Covid-19.

S’agissant tout d’abord de l’incidence de l’introduction de recours gracieux, il échet de constater que Madame A a introduit un premier recours gracieux en date du 30 mai 2020 et un deuxième en date du 8 septembre 2020.

Si certes, les parties requérantes soutiennent que Madame A aurait introduit le premier recours gracieux à titre purement conservatoire, il n’en reste pas moins que suivre ce raisonnement en admettant qu’un administré puisse introduire un recours gracieux en se réservant le droit d’en introduire un second aurait comme conséquence que l’administré pourrait aménager à sa guise par l’introduction de recours gracieux subséquents son délai pour l’introduction d’un recours contentieux en contournant les délais légaux qui s’appliquent à tous les administrés.

Ainsi, si l’introduction d’un deuxième recours gracieux n’est pas interdite, un deuxième recours gracieux est néanmoins dépourvu d’effets juridiques, dans la mesure où une telle possibilité n’est pas prévue par la loi1 et il ne fait pas courir un nouveau délai de trois mois.

Il s’ensuit que dans le chef de Madame A seul le recours gracieux introduit en date du 30 mai 2020 est à prendre en compte et a pu interrompre le délai de recours.

1 Trib. adm., 21 octobre 2016, n° 36880 du rôle, Pas adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 269 et l’autre référence y citée.

7 Si la commune fait encore plaider que l’introduction du recours gracieux introduit en date du 30 mai 2020 serait à considérer comme valant également pour le compte de Madame B, en sa qualité de future héritière de l’immeuble appartenant, de façon non contestée, à Madame A, il n’en reste pas moins qu’un propriétaire et un occupant d’un immeuble, de même qu’un propriétaire et son héritier, sont des personnes juridiquement distinctes dont l’introduction par l’une d’elles d’un recours n’implique aucun effet sur l’autre.

Il y a ensuite lieu de vérifier si les recours gracieux des 30 mai, respectivement, en ce qui concerne Madame B du 8 septembre 2020, ont valablement pu interrompre le délai de recours.

A cet égard, il échet de rappeler que par règlement grand-ducal du 18 mars 2020 portant introduction d’une série de mesures dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 l’état de crise a été déclaré sur le territoire national suivant l’article 32, paragraphe (4) de la version de la Constitution, alors en vigueur. L’état de crise a été prorogé de 3 mois par la loi du 24 mars 2020.

L’article 1er du règlement grand-ducal du 25 mars 2020 – délais en matière juridictionnelle, entretemps abrogé, prévoyait ce qui suit :

« (1) Les délais prescrits dans les procédures devant les juridictions constitutionnelle, judiciaires et militaires sont suspendus. (…) ».

Le règlement grand-ducal du 10 avril 2020 ayant modifié le règlement grand-ducal du 25 mars 2020 – aménagement communal ajoutait un article 5 audit règlement grand-ducal aux termes duquel « Par dérogation à l’article 1er, paragraphe 2 du règlement grand-ducal modifié du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, le délai de recours devant les juridictions administratives prévu à l’article 37, paragraphe 7, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain est suspendu pendant l’état de crise.

Cette suspension en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. ».

Le règlement grand-ducal du 29 avril 2020 portant modification de l’article 1er du règlement grand-ducal du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 29 avril 2020 », également abrogé, a modifié le paragraphe (2) du règlement grand-ducal – délais en matière juridictionnelle comme suit :

(2) Les délais, légaux ou conventionnels, qui gouvernent l’introduction des procédures en première instance devant les juridictions judiciaires, administratives et militaires, (…) ainsi que les délais qui gouvernent l’introduction des recours gracieux sont prorogés comme suit :

- les délais venant à échéance pendant l’état de crise sont reportés de deux mois à compter de la date de la fin de l’état de crise ;

- les délais venant à échéance dans le mois suivant la fin de l’état de crise sont reportés d’un mois à compter de leur date d’échéance. (…) ».

8 Ledit règlement grand-ducal prévoit encore dans son article 2 que l’article 1er a « un effet rétroactif au 26 mars 2020 ».

Le règlement grand-ducal du 29 mai 2020 portant introduction de mesures relatives à la validité des cartes d’identité et aux délais en matière d’aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 et portant abrogation du règlement grand-ducal du modifié du 25 mars 2020 portant introduction de mesures relatives à la validité des cartes d’identité et aux délais en matière d’aménagement communal et de développement urbain dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 29 mai 2020 », reprend les termes du règlement grand-ducal du 10 avril 2020 dans son article 3, paragraphe (3)2.

Le règlement grand-ducal du 29 mai 2020 produisait ses effets, aux termes de son article 5, au 25 mars 2020.

Si aux termes dudit règlement grand-ducal le délai de recours prévu à l’article 37, paragraphe (7) de la loi du 19 juillet 2004 était suspendu pendant l’état de crise, à savoir a priori du 18 mars 2020 au 24 juin 2020 à minuit, il n’en reste pas moins que ledit règlement grand-ducal ne produit ses effets non pas à partir du 18 mars 2020 mais qu’à partir du 25 mars 2020, de sorte que la suspension du délai de recours ne saurait rétroagir au-delà du 25 mars jusqu’au 18 mars 2020.

Ce constat n’est pas infirmé par la circulaire, qui prévoit certes que « La suspension des délais prévue au règlement grand-ducal précité a pour effet d’arrêter le délai à partir du début de l’état de crise, déclaré le 18 mars 2020 et prorogé par la loi du 24 mars 2020, sans effacer la partie qui s’est déjà écoulée et de le reprendre à partir de la fin de l’état de crise », tout en se référant à un exemple chiffré visualisant une période de suspension du 18 mars 2020 au 24 juin 2020. En effet, indépendamment du fait qu’une telle circulaire ne revête aucune valeur juridique contraignante, alors qu’elle a pour seul objet « d’informer les communes sur les mesures d’urgence qui cessent avec la fin de l’état de crise et les mesures qui entreront en vigueur à partir du 25 juin 2020 », elle ne saurait en tout état de cause pas avoir pour effet de faire rétroagir au 18 mars 2020 un règlement grand-ducal qui ne produit ses effets qu’au 25 mars 2020.

Il suit des développements qui précèdent que le délai de recours de trois mois, qui a commencé à courir à partir du 2 mars 2020, a été suspendu du 25 mars 2020 au 24 juin 2020.

Ce même délai de recours aurait couru, hors pandémie, du 2 mars au 2 juin inclus, à savoir 92 jours.

2 « Par dérogation à l’article 1er, paragraphe 2 du règlement grand-ducal modifié du 25 mars 2020 portant suspension des délais en matière juridictionnelle et adaptation temporaire de certaines autres modalités procédurales, le délai de recours devant les juridictions administratives prévu à l’article 37, paragraphe 7, de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain est suspendu pendant l’état de crise.

Cette suspension en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru. » 9En l’espèce, à la suite de l’affichage de l’autorisation de construire en date du 2 mars 2020 jusqu’au 25 mars 2020, date du début de la suspension du délai de recours en la matière, 23 jours avait déjà couru. Suite à la suspension des délais de recours entre le 25 mars et le 24 juin 2020, le délai restant a recommencé à courir le 24 juin 2020 pour expirer le 1er septembre 2020.

Les parties requérantes avaient dès lors jusqu’au 1er septembre 2020 pour introduire soit un recours devant le tribunal administratif, soit pour introduire un recours gracieux.

Comme le recours gracieux de Madame B n’a été introduit qu’en date du 8 septembre 2020, ce dernier n’a pas pu suspendre le délai prévu à l’article 13 de la loi du 21 juin 1999, de sorte que le recours contentieux en ce qu’il a été introduit par Madame B introduit en date du 8 mars 2021 est irrecevable ratione temporis à son égard.

S’agissant ensuite du recours gracieux de Madame A introduit en date du 30 mai 2020, il échet de constater que le bourgmestre a répondu audit recours gracieux par courrier du 17 août 2020, c’est-à-dire à la fin de l’état de crise.

Aux termes de l’article 13 de la loi du 21 juin 1999, un nouveau délai de trois mois a commencé à courir à partir de la notification dudit courrier.

Il n’est pas contesté en cause que le courrier du 17 août 2020 rejetant le recours gracieux de Madame A lui a été notifié à la même date par envoi recommandé.

C’est à bon droit que la commune souligne que son courrier du 17 août 2020 est une décision simplement confirmative de sa décision du 2 mars 2020, de sorte que le fait que la décision du 17 août 2020 ne comporte pas d’indication des voies de recours, telle que prévue par l’article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes3, n’entraîne pas que les délais du recours contentieux ne commencent pas à courir4, étant relevé que cette circonstance n’a même pas été relevée par les parties demanderesses.

En effet, il échet de rappeler que si la réponse donnée par l’administration à la suite d’une réclamation ou d’un recours gracieux est purement et simplement confirmative de la décision antérieure, une nouvelle information sur les voies de recours n’est pas requise5 Il s’ensuit que la notification de la décision purement confirmative du bourgmestre du 17 août 2020 a fait courir un délai de trois mois pour l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif.

3 Article 14 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Les décisions administratives refusant de faire droit, en tout ou en partie, aux requêtes des parties ou révoquant ou modifiant d'office une décision ayant créé ou reconnu des droits doivent indiquer les voies de recours ouvertes contre elles, le délai dans lequel le recours doit être introduit, l'autorité à laquelle il doit être adressé ainsi que la manière dans laquelle il doit être présenté. » 4Trib. adm. 18 novembre 2009, n°25454 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse n°259 et les autres références y citées.

5Cour adm. 18 novembre 2004, n° 18435C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 277 et les autres références y citées.

10Alors qu’il ne ressort, certes, pas du dossier administratif à quelle date exactement la décision litigieuse a été notifiée à Madame A, le tribunal rappelle que la notification de la décision administrative finale à la partie elle-même ne constitue pas une fin en soi, et qu’une prise de connaissance de ladite décision par un autre moyen, à supposer que la preuve de pareille prise de connaissance soit rapportée, fait courir le délai du recours contentieux6.

En l’espèce, il échet de retenir que, dans la mesure où Madame A a reproché au bourgmestre dans son deuxième recours gracieux de ne pas avoir analysé ses remarques et objections formulées préalablement, elle a dû avoir connaissance de la décision confirmative du bourgmestre du 17 août 2020 au plus tard en date du 7 septembre 2020, de sorte qu’au plus tard à cette date le délai de recours contentieux de trois mois a commencé à courir et que le recours contentieux contre les actes déférés, introduit en date du 8 mars 2021, a été introduit en dehors du délai légal de trois mois.

Il s’ensuit que le recours est également irrecevable ratione temporis dans le chef de Madame A.

Les consorts A sollicitent l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, demande qui, au vu de l’issue du litige, est toutefois à abjuger.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 2.500 euros, telle que formulée par les consorts A ;

condamne les consorts A aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 mars 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 6 Trib. adm., 12 mai 2003, n° 15516 du rôle, Pas. adm.. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 266 et les autres références y citées.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45761
Date de la décision : 25/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-25;45761 ?

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