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20/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50210

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2024, 50210


Tribunal administratif Numéro 50210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50210 1re chambre Inscrit le 15 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50210 du rôle et déposée le 15 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima Hammouche, avo

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Tribunal administratif Numéro 50210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50210 1re chambre Inscrit le 15 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50210 du rôle et déposée le 15 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Karima Hammouche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Tunisie), de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 13 mars 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima Hammouche et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2024.

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En date du 26 juin 2017, Madame …, de nationalité portugaise, déclarant être mariée à Monsieur … depuis le … 2013 et résider à L-…, effectua auprès de l’administration communale de … une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de travailleur salarié, sur le fondement de l’article 6 (1) 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 ».

Le même jour, Monsieur …, déclarant résider à la même adresse, déposa auprès de l’administration communale de … une demande de carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, laquelle lui fut délivrée le 4 septembre 2017, avec une durée de validité jusqu’au 25 juin 2022.

Le 15 janvier 2018, Monsieur … fut placé en détention préventive du chef d’infraction à la législation relative aux stupéfiants. Il fut libéré le 29 mars 2018.

Le 1er février 2020, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle policier, lors duquel il présenta une carte de résidence portugaise expirée le 1er avril 2019, une copie de son passeport tunisien, 1expiré le 23 août 2018, et son titre de séjour luxembourgeois. Il déclara à cette occasion qu’il vivrait dans une maison abandonnée et que son épouse résiderait au Portugal depuis environ un an.

Par décision du 14 février 2020, notifiée à l’intéressé le 5 mars 2020 par la police grand-ducale, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … qu’il aurait perdu son droit de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne conformément à l’article 17 (2) de la loi du 29 août 2008, en raison du départ du pays de son épouse, et que sa carte de séjour de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne lui serait retirée sur base de l’article 25 (1) de la même loi. Dans la même décision, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire sans délai, soit à destination du pays dont il a la nationalité, la Tunisie, soit à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Les 23 mai et 4 juin 2020, Monsieur … fit l’objet de contrôles policiers, lors desquels il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité.

Le 22 juin 2020, Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre dans le cadre d’un vol à l’étalage.

Le 20 juillet 2020, il fut placé en détention préventive pour vol simple. Il fut libéré le 21 octobre 2020.

Entre le 4 janvier 2021 et le 16 avril 2021, Monsieur … fit l’objet de sept contrôles d’identité par les forces de l’ordre, lors desquels il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité.

Il fut placé en détention préventive pour vol qualifié le 16 juillet 2021 et fut libéré le même jour.

Il ressort d’un acte d’écrou du Centre pénitentiaire de Luxembourg du 10 octobre 2021 que par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière correctionnelle, du 2 février 2021, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois, assortie d’un sursis de 12 mois, des chefs de vol et de coups et blessures volontaires, la fin de sa peine ayant été fixée au 5 janvier 2022.

Le 2 mars 2023, Madame …, déclarant résider à L-…, effectua auprès de l’administration communale de … une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de travailleur salarié, sur le fondement de l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008.

Entre le 18 mai et le 15 décembre 2023, Monsieur … fit l’objet de six contrôles policiers, lors desquels il ne put présenter de documents d’identité en cours de validité.

Par arrêté du 15 décembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prononça à l’égard de Monsieur … une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

2Par arrêté ministériel du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 14 février 2020 ;

Vu mon interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans du 15 février 2023 ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêtés des 11 janvier et 13 février 2024, notifiés respectivement les 15 janvier et 15 février 2024, le ministre prorogea la mesure de placement en rétention de Monsieur …, chaque fois pour une durée d’un mois à compter de la notification de l’arrêté en question.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2024, inscrite sous le numéro 50200 du rôle, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 13 février 2024, recours dont il se désista le 20 mars 2024.

Par arrêté du 13 mars 2024, notifié à l’intéressé le 15 mars 2024, le ministre prorogea, à nouveau, la mesure de placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 15 décembre 2023, 11 janvier 2024 et 13 février 2024, notifiés le 15 décembre 2023, le 15 janvier 2024 et le 15 février 2024, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 15 décembre 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 13 mars 2024.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en insistant sur le fait qu’il serait marié à Madame … depuis le … 2013, qu’ils auraient convenu que cette dernière résiderait au Portugal durant son emprisonnement et qu’actuellement, il ne souhaiterait que pouvoir retourner auprès de son épouse au Portugal.

En droit, en se prévalant des articles « 22 (b) point 3 » et 22 (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », de l’article 28 (1) et (2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », et de l’article 8 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive Accueil », le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir eu recours à une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention.

Dans ce contexte, il conteste l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, en soutenant, d’une part, qu’un tel risque ne pourrait être déduit de son comportement personnel et, d’autre part, qu’il n’existerait aucune nécessité de le renvoyer dans son pays d’origine, alors que son épouse résiderait actuellement au Portugal et que son droit au respect de sa vie privée et familiale impliquerait un transfert vers ce dernier pays et non pas vers la Tunisie, de sorte qu’il aurait appartenu au ministre de s’adresser aux autorités portugaises pour permettre un tel transfert.

Il en déduit que la mesure de placement en rétention serait disproportionnée, de sorte à être entachée d’un excès de pouvoir.

Sur ce dernier point, il souligne encore qu’il aurait été placé en rétention le jour même de la prise de la décision portant ordre de quitter le territoire à son encontre, sans qu’il n’aurait eu la possibilité de faire valoir sa situation particulière, tout en ajoutant qu’il aurait appartenu au ministre de l’inviter à retourner immédiatement au Portugal, où il pourrait séjourner en sa qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne.

Le demandeur fait encore plaider que la décision déférée méconnaîtrait ses droits fondamentaux.

4A cet égard, il fait, d’abord, valoir que la décision déférée constituerait une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en soutenant, en substance, qu’il pourrait se prévaloir d’une vie privée et familiale effective avec Madame …, depuis leur mariage célébré le … 2013.

Ensuite, il invoque une atteinte à sa liberté d’aller et de venir, par référence aux articles 12 de la Constitution et 5 de la CEDH, en soutenant, en substance, que la mesure litigieuse aurait été prise de mauvaise foi, qu’elle ne serait pas proportionnée au but visé et que la procédure ne se serait pas déroulée dans des conditions appropriées, alors que le ministre n’aurait pas pris en compte sa situation maritale.

Le demandeur soutient encore que la décision déférée méconnaîtrait le principe du contradictoire, en se prévalant des articles 6 et 13 de la CEDH, 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », 121 (1) de la loi du 29 août 2008, 1er de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, ci-après désignée par la « loi du 1er décembre 1978 », et 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». A cet égard, il fait plaider qu’il aurait dû être entendu préalablement à la prise de l’arrêté déféré et avoir accès aux éléments ayant conduit à son placement en rétention. Il souligne encore qu’il appartiendrait à l’administration de fournir les raisons de la rétention et de permettre à la personne concernée d’avoir accès à un contrôle juridictionnel accéléré, le demandeur renvoyant, à cet égard, aux articles 8 et 11 de la directive Accueil et 15 à 17 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive Retour ».

En se prévalant des articles 8 de la directive Accueil, 28 (3) du règlement Dublin III et 120 (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient encore que les démarches entreprises par le ministre seraient insuffisantes pour écourter au maximum sa privation de liberté. A cet égard, il reproche au ministre de s’être limité à contacter une seule fois les autorités consulaires tunisiennes à Bruxelles et de ne pas s’être adressé aux autorités portugaises, ce qui se serait cependant imposé, compte tenu de son statut marital.

Finalement, il soutient que la durée de son placement en rétention serait anormalement longue, en se prévalant d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») du 13 septembre 2017, affaire Mohammad Khir Amayry contre Migrationsverket, C‑60/16, dans lequel la Cour aurait retenu que la rétention devrait être aussi brève que possible, qu’elle ne devrait pas s’étendre au-delà du temps nécessaire et qu’elle ne saurait excéder largement une durée de six semaines pendant lesquelles le transfert aurait valablement pu être effectué.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il convient de préciser que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

5En ce qui concerne le moyen tiré d’une violation du principe du contradictoire, le tribunal rappelle qu’à cet égard, le demandeur se prévaut des articles 1er de la loi du 1er décembre 1978 et 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 (droit à la communication de l’intégralité du dossier administratif), de l’article 6 de la CEDH (droit à un procès équitable), des articles 13 de la CEDH et 47 de la Charte (droit à un recours effectif), ainsi que de l’article 121 (1) de la loi du 29 août 2008 (notification de la décision de placement en rétention dans une langue dont il est raisonnable de supposer que l’intéressé la comprend).

Outre le fait que le demandeur reste en défaut de mettre en relation ces différents articles avec sa situation personnelle, force est de constater que, concrètement, les reproches de Monsieur … reposent, en substance et de l’entendement du tribunal, sur les considérations selon lesquelles, d’une part, il n’aurait pas été entendu préalablement à la prise de l’arrêté litigieux et, d’autre part, il n’aurait pas pu accéder aux éléments ayant conduit à la prise dudit arrêté.

Or, il ne ressort d’aucune des dispositions invoquées par le demandeur qu’un administré devrait être entendu préalablement à la prise d’une décision ordonnant son placement au Centre de rétention ou la prorogation de celui-ci, ni que dans pareille hypothèse, l’administration serait tenue de lui communiquer spontanément, sans demande de sa part, les éléments d’information sur lesquels elle s’est basée ou entend se baser, étant précisé que les informations visées par l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont quérables par l’administré et non point portables par l’administration.1 Dans ce contexte, le tribunal constate qu’au cours de la procédure précontentieuse, le litismandataire du demandeur a sollicité et obtenu la communication du dossier administratif de son mandant.

Si le litismandataire de Monsieur … a soutenu à l’audience publique des plaidoiries du 20 mars 2024 que le dossier ainsi communiqué n’aurait pas été complet, étant donné qu’il n’aurait pas comporté toutes les pièces figurant au dossier administratif déposé par le délégué du gouvernement à l’appui de son mémoire en réponse, le tribunal relève que la non-communication intégrale des éléments du dossier administratif ne constitue pas nécessairement et automatiquement une cause d’annulation de la décision déférée, un refus de communiquer le dossier administratif étant de nature à affecter la légalité d’une décision administrative dans la seule hypothèse d’une lésion vérifiée des droits de la défense.2 En effet, un défaut de communication complet du dossier est indépendant du contenu même de la décision prise qui repose sur des motifs propres, de sorte que le seul grief susceptible d’affecter l’intéressé est celui de ne pas avoir pu exercer utilement les voies de recours. Par conséquent, la sanction adéquate et conforme à la finalité de la prescription est la suspension des délais de recours jusqu’à communication complète du dossier administratif, puisque la finalité de l’obligation de communication est de permettre à l’administré de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur lesquels elle se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction.3 1 Sur ce dernier point, voir, par analogie : Cour adm., 21 février 2013, n° 29466aC du rôle, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 126 et les autres références y citées.

2 Trib. adm. 29 octobre 2009, n° 24429, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 155 et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 24 septembre 2013, n° 31309, Pas. adm. 2023, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 156 et les autres références y citées.

6En l’espèce, même à admettre que le dossier communiqué au litismandataire du demandeur au cours de la phase précontentieuse n’aurait pas été complet – ce qui ne se dégage cependant pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal –, le tribunal relève, d’une part, que ledit litismandataire aurait pu solliciter l’autorisation de produire à brève échéance un mémoire additionnel au motif que des pièces qu’il juge importantes n’auraient été portées à sa connaissance que postérieurement à l’introduction du recours, ce qu’il est cependant resté en défaut de faire et, d’autre part, que bien qu’il ait eu l’occasion à l’audience des plaidoiries de prendre oralement position par rapport à ces pièces, il s’est borné à s’insurger contre le défaut par l’Etat d’avoir communiqué en temps utile l’intégralité du dossier administratif, sans toutefois indiquer quels auraient été les moyens et contestations qu’il aurait voulu avancer par rapport à ces pièces désormais entre ses mains.

Dans ces circonstances, aucune lésion des droits de la défense du demandeur n’est vérifiée en l’espèce, de sorte que l’éventuel non-communication intégrale du dossier administratif au cours de la procédure précontentieuse n’est pas de nature à justifier l’annulation de l’acte déféré.

Au vu des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres éléments, le tribunal retient que le moyen tiré d’une violation du principe du contradictoire est à rejeter pour ne pas être fondé.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur selon lesquels il appartiendrait à l’administration de fournir les raisons de la rétention et de permettre à la personne concernée d’avoir accès à un contrôle juridictionnel accéléré.

En effet, outre le fait qu’à travers le recours sous examen, le demandeur a bien eu accès à un tel contrôle juridictionnel accéléré, la directive Accueil, dont Monsieur … se prévaut dans ce contexte, n’est pas pertinente en l’espèce, alors qu’elle s’applique, conformément à son article 3, aux demandeurs de protection internationale, qualité que le demandeur n’a pas.

Si, dans ce même contexte, le demandeur se prévaut encore des articles 15 et 17 de la directive Retour, le tribunal relève que celle-ci a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi du 18 décembre 2015.

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte.4 Etant donné qu’en l’espèce, le demandeur n’allègue, ni a fortiori ne prouve que l’Etat luxembourgeois serait resté en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008, applicable à la décision déférée.

4 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97 et les autres références y citées.

7 Pour autant qu’à travers son affirmation selon laquelle il appartiendrait à l’administration de fournir les raisons de la rétention, le demandeur ait entendu soulever un défaut de motivation de la décision déférée, le tribunal relève qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée. L’argumentation afférente doit, dès lors, être rejetée pour ne pas être fondée.

S’agissant ensuite de l’argumentaire du demandeur ayant trait au défaut de recours à une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, à l’absence, dans son chef, d’un risque de fuite et au caractère disproportionné de la mesure litigieuse, le tribunal rappelle qu’à cet égard, Monsieur … se prévaut des dispositions des articles « 22 (b) point 3 » et 22 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, 28 (1) et (2) du règlement Dublin III, et 8 de la directive Accueil.

Or, les différentes dispositions ainsi invoquées ne trouvent pas application en l’espèce, étant donné que l’arrêté ministériel déféré a été pris sur base de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, et non pas de la loi du 18 décembre 2015, ni du règlement Dublin III, ni de la directive Accueil, textes qui concernent plus particulièrement les demandeurs de protection internationale, catégorie à laquelle Monsieur … n’appartient pas.

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a, en réalité, été pris, prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé 8ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 14 février 2020, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné que le 15 décembre 2023, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Ainsi, il aurait appartenu au demandeur de fournir des éléments permettant de renverser cette présomption, ce qu’il est cependant resté en défaut de faire, ses développements selon lesquels il souhaiterait se rendre au Portugal pour y rejoindre son épouse étant insuffisants à cet égard.

En effet, outre le fait que l’argumentation en cause est plutôt de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef, alors que la notion de risque de fuite vise un risque de soustraction à la mesure d’éloignement projetée, le tribunal constate, d’une part, qu’il ressort des propres déclarations du demandeur, faites lors de contrôles policiers dont il a fait l’objet, qu’il n’entretient plus de relation avec Madame …5 – qu’il a affirmé ne plus avoir vue depuis 5 Rapport de police dit « Fremdennotiz » n° JDA 147294-1/2023 du 15 décembre 2023 : « […] Ich bin nach Luxemburg gekommen, da meine Frau hier arbeitete. Wir sind jedoch nicht mehr zusammen. […] ».

920186 et qu’il a qualifiée de « [m]eine Ex-Frau »7 – et, d’autre part, qu’il ne ressort pas des éléments de la cause que cette dernière résiderait effectivement au Portugal, alors qu’en date du 2 mars 2023, l’intéressée a effectué auprès de l’administration communale de … une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de travailleur salarié, sur le fondement de l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008, en déclarant résider à L-

…, le demandeur ayant, de son côté, affirmé, lors des susdits contrôles policiers, qu’elle résiderait en Suisse8.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que les contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite sont à rejeter.

Pour les mêmes motifs, et au-delà de toute autre considération, la même conclusion s’impose en ce qui concerne l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait appartenu au ministre de l’inviter à retourner immédiatement au Portugal, où il pourrait séjourner en sa qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne, au lieu de le placer au Centre de rétention.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant, ensuite, de l’argumentation de Monsieur … ayant trait à l’application d’une mesure moins coercitive qu’un placement en rétention, le tribunal relève que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

6 Rapport de police dit « Fremdennotiz » n° JDA 2023/136240-1 du 20 juin 2023.

7 Rapport de police dit « Fremdennotiz » n° 47602/1030/2023 du 23 novembre 2023.

8 Ibid..

10 La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125 (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi.

Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.9 En l’espèce, le tribunal vient de retenir que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, son argumentation selon laquelle il souhaiterait se rendre au Portugal pour y rejoindre son épouse ayant été jugée insuffisante à cet égard. Le tribunal en déduit qu’à défaut d’autres éléments, le demandeur, qui ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, n’a pas présenté d’éléments permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de 9 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

11sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate que le 18 décembre 2023, les autorités luxembourgeoises ont contacté les autorités consulaires tunisiennes à Bruxelles en vue de l’identification de Monsieur … et de la délivrance d’un laissez-passer, tout en leur communiquant un jeu d’empreintes digitales, deux photos d’identité de l’intéressé, ainsi qu’une copie de son passeport expiré le 23 août 2018. Des rappels ont été adressés aux autorités tunisiennes en date des 8 janvier, 5 février, 19 février, 4 mars et 18 mars 2024.

Au vu des diligences ainsi déployées par les autorités ministérielles luxembourgeoises, actuellement tributaires de la collaboration des autorités tunisiennes, le tribunal conclut que les démarches entreprises en l’espèce en vue d’organiser l’éloignement doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait appartenu au ministre de s’adresser aux autorités portugaises, au motif qu’il désirerait rejoindre son épouse résidant au Portugal. En effet, le tribunal vient ci-avant de constater, d’une part, qu’il ressort des propres déclarations du demandeur, faites lors de contrôles policiers dont il a fait l’objet, qu’il n’entretient plus de relation avec Madame …, et, d’autre part, qu’il ne ressort pas des éléments de la cause que cette dernière résiderait effectivement au Portugal, alors qu’en date du 2 mars 2023, l’intéressée a effectué auprès de l’administration communale de … une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de travailleur salarié, sur le fondement de l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008, en déclarant résider à L-…, le demandeur ayant, de son côté, affirmé, lors des susdits contrôles policiers, qu’elle résiderait en Suisse. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au ministre de s’être adressé aux autorités de la Tunisie, pays dont le demandeur a la nationalité, et non pas aux autorités portugaises, afin d’organiser l’éloignement de l’intéressé.

Au vu des considérations qui précèdent et compte tenu du fait que la durée maximale de rétention, fixée à six mois par l’article 120 (3), n’a pas été dépassée en l’espèce, c’est encore à tort que le demandeur soutient que son placement en rétention serait d’une durée anormalement longue, étant précisé que l’arrêt, précité, de la CJUE du 13 septembre 2017, dont il se prévaut dans ce contexte, n’est pas pertinent dans le cadre du présent litige, étant donné qu’il concerne l’hypothèse, non vérifiée en l’espèce, d’un placement en rétention en vertu des dispositions de l’article 28 du règlement Dublin III.

Si le demandeur se prévaut encore d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la CEDH, le tribunal rappelle qu’il vient d’être constaté ci-avant que Monsieur … n’entretient plus de relation avec Madame …, qu’il a expliqué ne plus avoir vue depuis 2018. Monsieur … ne saurait, dès lors, se prévaloir d’une vie privée et familiale effective qui serait protégée par ledit article 8 de la CEDH, de sorte que l’argumentation sous examen encourt le rejet, outre le fait que l’objet de la décision sous examen est limité à une mesure tendant à assurer la présence physique de la personne concernée sur le territoire luxembourgeois en vue de permettre son éloignement, en exécution d’une décision de retour, à savoir la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 février 2020 déclarant irrégulier le séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois et lui ordonnant de quitter ledit territoire sans délai, décision qui ne fait pas l’objet du présent recours.

12 Quant à l’invocation par le demandeur d’une violation de ses libertés fondamentales, à savoir son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH et par l’ancien article 12 de la Constitution, devenu l’article 17 de la Constitution révisée, entrée en vigueur le 1er juillet 2023, il y a lieu de rappeler qu’aux termes dudit article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort ainsi du libellé de l’article 5 (1) f), précité, de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays.10 Etant donné que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour en date du 14 février 2020, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement, sans violer l’article 5 de la CEDH.

L’article 17 de la Constitution prévoit, quant à lui, ce qui suit : « (1) La liberté individuelle est garantie.

(2) Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou privé de sa liberté que dans les cas prévus et dans la forme déterminée par la loi. […] ».

Or, cet article permet la privation de liberté pour autant qu’elle soit prévue par la loi, condition qui est remplie en l’espèce, étant donné que le placement au Centre de rétention est prévu par l’article 120 de la loi du 29 août 2008 sur base duquel l’arrêté litigieux a été pris.

Il s’ensuit que l’argumentation du demandeur ayant trait à une violation des articles 5 de la CEDH et 17 de la Constitution est à rejeter pour ne pas être fondée.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal arrive à la conclusion que contrairement à l’argumentation du demandeur, la prorogation de la mesure de placement en rétention litigieuse n’est ni arbitraire, ni disproportionnée et qu’aucun excès de pouvoir ne peut être reproché au ministre.

Il suit de tout ce qui précède qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, 10 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812 et les autres références y citées.

13le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 50210
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-20;50210 ?

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