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20/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50197

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 mars 2024, 50197


Tribunal administratif N°50197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50197 5e chambre Inscrit le 14 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 (3), L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50197 du rôle et déposée le 14 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N°50197 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50197 5e chambre Inscrit le 14 mars 2024 Audience publique du 20 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120 (3), L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50197 du rôle et déposée le 14 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 24 février 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de ladite décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav PEREDERIY en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mars 2024.

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Il ressort d’un rapport, dit « Fremdennotiz », de la police grand-ducale, région Capitale, Commissariat …, en date du 24 février 2024, référencé sous le numéro …, que le même jour, Monsieur … fut interpelé par les forces de l’ordre et qu’il fut en possession d’un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles qui n’était plus valide, sans être en mesure de présenter un titre de séjour en cours de validité.

Par arrêté ministériel du même jour, notifié à l’intéressé également le même jour, le ministre des Affaires intérieures, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de quitter le territoire sans délai et prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans à son égard à partir de la sortie de l’Espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 24 février 2024, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, laquelle est basée sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 24 février 2024 établi par la Police grand-ducale ;

Considérant que le permis de séjour espagnole de l'intéressé est périmé ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l'intéressé a fait usage d'un faux document identité ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 24 février 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté ministériel.

Étant donné que l’article 123, paragraphe (1) de loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être un ressortissant marocain et résider actuellement en Espagne. Il serait régulièrement entré en Europe au moyen d’un visa portant la mention « étudiant », lui délivré le 24 octobre 2021 par les autorités espagnoles de la Municipalité …, tout en précisant que les autorités espagnoles lui auraient ensuite octroyé un titre de séjour portant la mention « étudiant » le 21 février 2022 qui aurait encore été prolongé le 6 février 2023 jusqu’à la date du 29 juillet 2023.

Il explique avoir fait l'objet d'un contrôle d'identité sur le territoire luxembourgeois, conformément aux dispositions de l’article 136 de la loi du 29 août 2008, au cours duquel il n’aurait pas pu présenter de document l'autorisant à circuler ou à séjourner sur le territoire luxembourgeois.

En droit, le demandeur fait plaider que la légalité d'une mesure de rétention administrative devrait s'inscrire dans un contexte permettant d'établir l'existence d'un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l'étranger, ainsi que le caractère proportionné d'un placement en rétention basé sur ce premier critère et l'inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l'étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu'il n'existerait aucun risque de fuite dans le chef de celui-ci, du fait notamment de l'existence de garanties de représentation, soumise à l'appréciation souveraine du juge.

Il donne à considérer que lors de son interpellation, il aurait coopéré avec les services de police afin de permettre son identification, tout en exprimant sa volonté de respecter les obligations lui imposées en vue d'organiser son éloignement.

Il affirme que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d'aller et venir, garantie tant par la Constitution que par l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH ». Il estime qu’il y aurait lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, le demandeur citant, dans ce contexte un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, désignée ci-après par « la CourEDH », du 6 novembre 1980, Guzzardi c Italie.

A cet égard, le demandeur fait valoir que le ministre serait resté en défaut d’envisager d’autres solutions plus adaptées et « moins dommageables en termes de privation de liberté », alors qu'il sollicite son placement au sein de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, désignée ci-après par « la SHUK » Il donne à considérer que le placement en structure fermée d'un étranger qui présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef, serait à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-après « la directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d'un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale, article qui serait suffisamment clair et inconditionnel, de sorte qu’il devrait, faute de transposition dans le droit national, être d’application directe.

Par ailleurs, le demandeur insiste sur le fait qu’il afficherait un comportement irréprochable au Centre de rétention et serait une personne « responsable et respectueuse », particulièrement bien intégrée tant socialement que professionnellement, de sorte qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d'un étranger, si une structure particulière répond aux critères posés par le principe de proportionnalité en tenant compte de l’opportunité du principe de l’enfermement et du type de structure fermée retenu par le ministre.

A cet égard, le demandeur fait valoir que son placement à la SHUK serait plus adapté à sa situation personnelle, étant donné qu’il ne présenterait pas un danger pour l’ordre public luxembourgeois, n’ayant commis aucune infraction « grave » au Grand-Duché de Luxembourg.

Par ailleurs, le demandeur soutient qu’une assignation à résidence à la SHUK constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée. Il donne à considérer qu’en droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d'indiquer qu'il sera présent à une audience sans qu'il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « [l]e risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n'a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Le demandeur soutient que le principe selon lequel le placement d’un étranger doit être nécessaire au but légitime poursuivi figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.

Il devrait dès lors être admis qu’en l’espèce, il existerait bien d’autres mesures moins coercitives qu’un placement en rétention qui pourraient lui être efficacement appliquées, en l’occurrence une assignation à résidence dans la SHUK et qu’en conséquence son placement ne serait ni nécessaire ni proportionné au but recherché.

Le demandeur s’appuie encore sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française en vertu de laquelle « la loi n’exige[rait] pas que l’étranger qui sollicite le bénéfice d’une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure » et « l’absence de domicile ne constitue[rait] pas une raison suffisante pour refuser une assignation à résidence ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « [a]fin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « [l]a durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant, tout d’abord, des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’en l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 24 février 2024, ainsi que d’une décision du même jour valant interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et ne disposant pas de documents de voyage valables, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), lettre c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] [l]e risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Force est ensuite de relever que le demandeur reste toujours en défaut de soumettre au tribunal un quelconque élément de nature à renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef par la fourniture d’éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

En effet, il n’est pas allégué que le demandeur serait actuellement en possession d’un quelconque titre de séjour valable. Au contraire, alors que le demandeur souligne, dans sa requête introductive d’instance, qu’il serait actuellement résident à … en Espagne, il ressort des pièces versées à l’appui du recours, notamment de la réponse à la demande de réadmission du demandeur présentée par courrier en date du 28 février 2024 par les autorités luxembourgeoises aux autorités espagnoles, que cette demande a été refusée par les autorités espagnoles par courrier du 29 février 2024 au motif que le séjour du demandeur en Espagne y serait irrégulier.

De plus, l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait actuellement résident à … en Espagne est de nature à corroborer le risque de fuite dans son chef, lequel se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement, soit en l’occurrence à la mainmise des autorités luxembourgeoises.

Sur base de ces considérations, il échet de retenir que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant fourni aucun élément susceptible de renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui.

Pour les mêmes considérations, le tribunal est encore amené à rejeter le reproche du demandeur suivant lequel une mesure d’assignation à résidence, respectivement à la SHUK, aurait dû être appliquée en l’espèce.

A cet égard, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce.

Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du demandeur tendant à son assignation à résidence à la SHUK, alors que celle-ci ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y serait pas concevable.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait prêt à coopérer avec les autorités luxembourgeoises et selon laquelle son comportement au Centre de rétention serait irréprochable, respectivement qu’il se considérerait comme une personne responsable, respectueuse et bien intégrée, un tel comportement n’étant pas per se de nature à laisser conclure à une garantie de représentation suffisante et à renverser la présomption de risque de fuite dans le chef du demandeur.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse, respectivement d’une application erronée et arbitraire des dispositions légales applicables, encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Quant à la référence faite par le demandeur à l’article 15, paragraphes (2) et (4) de la directive 2008/115, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 957 et les autres références y citées.

Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et que l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte.2 Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré notamment par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de relever qu’aux termes de cette disposition : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Dans un arrêt4 du 15 décembre 2016, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

En l’espèce, le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire. Par ailleurs, le tribunal constate qu’une procédure d’éloignement est en cours et est poursuivi avec la diligence requise, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le demandeur dans le cadre de la présente instance contentieuse. En effet, l’Unité de Garde et d’Appui Opérationnel (UGAO), Service de Garde et de Protection (SGP), de la police grand-ducale a été chargée le 26 février 2024 par le ministre d’organiser le départ 2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Lois et règlements, n° 97, deuxième point, et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 812, premier point, et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

du demandeur vers le Maroc. Le 4 mars 2024, la police a communiqué au ministre un plan de vol avec comme date d’éloignement du demandeur le 25 mars 2024.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à rejeter le moyen relatif à une violation de l’article 5 de la CEDH.

Eu égard aux développements qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000,- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 20 mars 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Benoît Hupperich, juge, Nicolas Griehser Schwerzstein, attaché de justice délégué, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 50197
Date de la décision : 20/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-20;50197 ?

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