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18/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50162

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 mars 2024, 50162


Tribunal administratif Numéro 50162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50162 4e chambre Inscrit le 8 mars 2024 Audience publique extraordinaire du 18 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50162 du rôle et déposée le 8 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Pemy Kou

mba-Koumba, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg...

Tribunal administratif Numéro 50162 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50162 4e chambre Inscrit le 8 mars 2024 Audience publique extraordinaire du 18 mars 2024 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50162 du rôle et déposée le 8 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Pemy Koumba-Koumba, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité gambienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre des Affaires intérieures, erronément attribuée au ministre de l’Immigration et de l’Asile, du 23 février 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pemy Koumba-Koumba et Monsieur le délégué du gouvernement Vyacheslav Perederiy en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2024.

Le 18 novembre 2013, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 », entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 21 janvier 2015, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 22 janvier 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Gambie ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

1Par jugement du 15 juin 2016 portant le numéro 35903 du rôle, le tribunal administratif annula ladite décision pour des raisons de forme et renvoya l’affaire devant le ministre.

Par décision du 25 juillet 2016, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 26 juillet 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de la Gambie ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Par jugement du tribunal administratif du 14 juillet 2017, portant le numéro 38413 du rôle, confirmé en instance d’appel par un arrêt de la Cour administrative du 9 novembre 2017, portant le numéro 40052C du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 25 juillet 2016.

Le 4 juin 2018, Monsieur … introduisit auprès du ministère une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015, demande qui fut déclarée irrecevable sur base de l’article 28, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015 par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 juillet 2018.

Le recours contentieux dirigé contre la décision précitée du 16 juillet 2018 fut rejeté comme non fondé par un jugement du tribunal administratif du 5 septembre 2018, inscrit sous le numéro 41527 du rôle.

En date du 19 novembre 2018, les autorités luxembourgeoises acceptèrent une demande de reprise en charge de Monsieur …, leur adressée par leurs homologues français.

Par un courrier du 24 janvier 2019, les services du ministère convoquèrent Monsieur … en vue d’organiser son retour dans son pays d’origine, convocation à laquelle Monsieur … ne réserva pas de suites.

Il ressort d’une note au dossier que Monsieur … ne se présenta pas non plus au rendez-

vous lui fixé à cette même fin au 3 septembre 2020.

En date du 22 juin 2022, les autorités luxembourgeoises acceptèrent une demande de reprise en charge de Monsieur …, leur adressée par leurs homologues allemands, transfert qui ne put pas être exécuté alors que Monsieur … avait disparu.

Par arrêté ministériel du 19 janvier 2024, notifié à l’intéressé en mains propres en date du 23 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », prononça une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans à l’encontre de Monsieur ….

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision aux motifs suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

2Vu la décision du 25 juillet 2016 suite à une demande de protection internationale au Luxembourg introduite par l’intéressé en date du 18 novembre 2013 ;

Vu la décision de retour du 25 juillet 2016 ;

Vu la décision d’irrecevabilité du 16 juillet 2018 suite à une demande de protection internationale au Luxembourg introduite par l’intéressé en date du 4 juin 2018 ;

Vu ma décision d’interdiction d’entrée sur le territoire du 19 janvier 2023 ;

Considérant que l’intéressé s’est présenté au Ministère des Affaires intérieures en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine en date du 13 décembre 2017 ;

Considérant que l’intéressé ne s’est pas présenté au Ministère des Affaires intérieures à plusieurs reprises en vue de l’organisation de son retour volontaire dans son pays d’origine ;

Considérant que l’intéressé n’est pas disposé à retourner volontairement dans son pays d’origine ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé a fait usage de plusieurs identités ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par un acte de son litismandataire du 23 février 2024, Monsieur … se désista de son recours introduit devant le tribunal administratif en date du 16 février 2024 contre le précité arrêté ministériel de placement du 19 janvier 2024.

Par arrêté ministériel du 23 février 2024, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre rapporta l’interdiction de territoire précitée du 19 janvier 2014 et prononça une nouvelle interdiction de territoire pour une durée de cinq ans à l’encontre de Monsieur ….

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de proroger la mesure de placement au Centre de rétention décidée à l’encontre de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, laquelle est motivée comme suit :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 19 janvier 2024, notifié le 23 janvier 2024, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 19 janvier 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement; (…) ».

3Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mars 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 23 février 2024 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir été contraint de quitter son pays d'origine suite au décès de ses parents. Après s’être d’abord rendu au Brésil, il aurait rejoint l'Allemagne.

Il relate encore qu’après avoir été débouté de sa demande de protection internationale au Luxembourg, il y aurait été appréhendé par la police grand-ducale et mis en rétention par un arrêté ministériel du 19 janvier 2024 lui notifié le 23 janvier 2024, mesure prolongée par une décision du ministre du 23 février 2024 lui notifiée le jour même.

En droit, et quant à la prétendue possession de plusieurs identités et le refus de quitter volontairement le Luxembourg, le demandeur fait souligner qu’il serait constant qu’il serait de nationalité gambienne et que le ministère serait en possession de son passeport gambien.

Le demandeur donne encore à considérer qu’il ne lui saurait être reproché que les autorités luxembourgeoises auraient eu des difficultés à organiser son retour volontaire en raison du fait que les autorités gambiennes n’auraient pas marqué leur accord y relatif, au motif qu’il n’aurait pas pu renouveler son passeport en Gambie du fait de se trouver en Europe.

Il rappelle à cet égard qu’il se serait volontairement rendu au ministère pour aborder sa situation administrative au Grand-Duché de Luxembourg, alors qu’il éprouverait des difficultés à rentrer dans son pays d'origine où il ne disposerait plus d'attaches, contrairement au Luxembourg, où il serait bien intégré du fait de disposer d'une offre d'emploi, le demandeur renvoyant à cette fin à une attestation testimoniale de la KULTURFABRIK pour laquelle il aurait travaillé depuis 3 ans en tant que bénévole. Or, le ministère n'aurait pas donné de suites favorables à la demande de séjour en qualité de salarié.

Le demandeur en conclut que son identité serait connue et que le retour volontaire dans son pays d’origine n’aurait pas été possible seulement en raison d’un problème administratif.

Il n’y aurait dès lors pas lieu à ordonner son retour vers son pays d'origine.

Il conteste encore le bien fondé de la mesure de placement, alors qu’il n'existerait pas de risque de fuite dans son chef.

Il donne ensuite à considérer que la prise d’une décision de placement serait facultative et ne devrait donc être appliquée qu'en l'absence de la possibilité d’ordonner d'autres mesures moins coercitives, alors qu'elle emporterait ipso facto la privation de liberté de l'individu placé.

Or, aucun élément tangible de la cause ne serait de nature à justifier objectivement la prise de la mesure de placement déférée.

4Il considère en effet présenter des garanties de représentation suffisantes, contrairement à ce qui serait prétendu par la partie étatique, alors qu’il n'entendrait nullement se soustraire aux effets de la mesure d'éloignement prise à son encontre.

Finalement, le demandeur donne à considérer, dans ce contexte, qu'il serait prêt à se soumettre à toutes mesures restrictives découlant de la décision d'assignation à résidence, notamment celle relative à la surveillance électronique.

Le demandeur fait encore relever qu’en l'espèce, il serait constant qu'il n'existerait pas de perspective raisonnable d'exécuter la mesure d'éloignement. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », il faudrait que l'éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, compte tenu de l'absence de coopération des autorités gambiennes.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, force est de relever que le présent recours est exclusivement dirigé contre une décision de prorogation d’un placement en rétention dans le cadre de l’exécution de l’éloignement basé sur un ordre de quitter le territoire coulé en force de chose décidée, lequel ne fait pas l’objet du présent litige, de sorte que l’argumentation du demandeur selon laquelle il estime ne pas devoir faire l’objet d’un éloignement et par laquelle le demandeur met en cause l’ordre de quitter le territoire, est à écarter pour manquer de pertinence dans la présente affaire.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève d’abord qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention 5dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant en cause que le demandeur, qui ne conteste pas être en séjour irrégulier au Luxembourg, ne dispose ni d’un passeport ni d’un visa en cours de validité, de sorte qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 34 de la loi du 29 août 2008 et que, dès lors, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) ». Il s’y ajoute qu’il fait également l’objet d’une interdiction de territoire décidée en date du 23 février 2024, étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure également celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire.

Dans la mesure où le demandeur reste toujours en défaut de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effective de nature à prévenir le risque de fuite, ses contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont à rejeter.

Cette conclusion n’est pas énervée par les déclarations du demandeur selon lequel il ne voudrait pas être éloigné du fait d’éprouver des difficultés à rentrer dans son pays d'origine, respectivement qu’il se sentirait bien intégré au Luxembourg, alors qu’au contraire, de telles affirmations sont tout au plus de nature à conforter le risque de fuite, en ce qu’il en découle 6qu’il n’entend pas retourner volontairement dans son pays d’origine, étant entendu que le risque de fuite vise le risque de se soustraire à son éloignement et non pas le risque de quitter le territoire luxembourgeois.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû recourir à des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) (…).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

7 Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précitées, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier. L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit justifier de garanties de représentation suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite1.

Or, en l’espèce, le tribunal constate qu’au-delà de ce qui a été retenu ci-avant quant au risque de fuite dans le chef du demandeur, ce dernier reste en défaut de soumettre des garanties suffisantes de représentation, étant relevé à cet égard que sa proposition de se faire assigner à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg ne saurait être suffisante à cet égard.

C’est partant à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

Si le demandeur ne conteste pas directement les démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement, il estime néanmoins que ce dernier n’aurait aucune chance d’aboutir en raison d’un refus de coopération de la part des autorités gambiennes. Or, il ressort du dossier administratif qu’en date du 16 février 2024, les autorités gambiennes ont bien accusé réception de la demande du ministre en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef du demandeur, demande qui leur avait été adressée en date du 25 janvier 2024 et leur avait été rappelée en date du 15 février 2024. De plus, en date du 20 février 2024, l’ambassade de la Gambie à Bruxelles a fait la demande d’entendre le demandeur en personne, demande par rapport à laquelle, suivant un échange de courriel interne aux autorités luxembourgeoises, le demandeur a d’ailleurs marqué son accord, avec prière d’y procéder le plus vite possible. Il ressort encore du dossier administratif que le rendez-vous à l’ambassade gambienne à Bruxelles, initialement prévu pour le 29 février 2024, a dû être reporté au 14 mars 2024 et qu’en date du 5 mars 2024 une demande de transit a été transmise aux autorités belges pour pouvoir accompagner le demandeur auprès des autorités consulaires gambiennes, demande qui fut accordée le même jour.

Or, d’après les explications concordantes fournies à l’audience des plaidoiries, le demandeur a finalement refusé, le 14 mars 2024, de se rendre à Bruxelles pour l’entrevue prévue avec l’ambassade de son pays d’origine, sous prétexte qu’il aurait du mal à comprendre la langue officielle de la Gambie et qu’il n’aurait pas pu convenablement préparer cette 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022 V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

8entrevue avec son litismandataire du fait d’avoir été informé tardivement de la tenue de celle-

ci, argumentation qui ne saurait cependant valoir au regard de l’obligation de diligence pesant sur les autorités luxembourgeoises dans le cadre de l’organisation de l’éloignement des personnes placées en rétention.

Il suit partant non seulement des éléments qui précèdent que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises jusqu’à ce jour doivent être considérées comme étant suffisantes, de sorte que le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, mais également qu’il ne saurait d’ores et déjà être conclu à ce que l’éloignement n’aurait aucune chance à aboutir, le manque de coopération allégué par le demandeur ne provenant pas des autorités gambiennes, mais de lui-même.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 18 mars 2024, à 11:00 heures, par :

Paul Nourissier, vice président, Olivier Poos, vice-président, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 50162
Date de la décision : 18/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-18;50162 ?

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