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15/03/2024 | LUXEMBOURG | N°50144

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 mars 2024, 50144


Tribunal administratif N° 50144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50144 4e chambre Inscrit le 6 mars 2024 Audience publique du 15 mars 2024 Recours formé par Monsieur ……, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50144 du rôle et déposée le 6 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avoc

at à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsie...

Tribunal administratif N° 50144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:50144 4e chambre Inscrit le 6 mars 2024 Audience publique du 15 mars 2024 Recours formé par Monsieur ……, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 50144 du rôle et déposée le 6 mars 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ……, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 28 février 2024 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sophie Schneider, en remplacement de Maître Philippe Stroesser, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 mars 2024.

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En date du 10 novembre 2020, l’Association de Soutien aux Travailleurs immigrés, ci-après désignée par l’« ASTI », introduisit, auprès du ministre de l’Immigration et de l’Asile, une demande en obtention d’une autorisation de séjour en qualité de travailleur salarié pour le compte de Monsieur …….

Il ressortit d’une consultation du Système d’information Schengen (SIS) que le concerné fit l’objet d’un signalement par les autorités françaises en date 31 juillet 2020, pour « interdiction de l’accès ou du séjour dans l’espace Schengen d’un ressortissant d’un pays tiers ».

Par décision du 3 mars 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara la demande en obtention d’une autorisation de séjour de Monsieur … irrecevable et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le 22 mars 2021, l’employeur de Monsieur … s’adressa au ministre des Affaires étrangères afin que celui-ci aide le concerné à obtenir une autorisation de séjour.

Par transmis du 6 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile pria la Police grand-ducale de bien vouloir vérifier si Monsieur … avait quitté le territoire et de lui tenir rapport.

Il ressort d’un « BRM » établi par la Police grand-ducale en date du 8 avril 2021, référencé sous le numéro 2021/11242/194/GG, que Monsieur … ne réside plus à l’adresse indiquée par ses soins depuis 2020 et qu’il ne dispose pas d’une autre adresse connue. Il en résulte par ailleurs qu’en date du 17 février 2021, la Ville de Luxembourg avait d’ores et déjà adressé une demande d’enquête auprès de la Police grand-ducale afin de vérifier la situation de Monsieur ….

Par courrier du 14 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile confirma sa décision de refus du 3 mars 2021.

Il ressort du relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (« CPU ») du 26 janvier 2024 que Monsieur … y fut placé en détention préventive pour des faits de vol qualifié, d’où il fut libéré en date du 31 janvier 2024.

Le 31 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prit une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans à l’encontre de Monsieur ….

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à cette même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, lequel est basé sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu la détention préventive de l'intéressé ;

Vu la décision de refus du 3 mars 2021 concernant la demande de l'intéressé en vue d'une autorisation de séjour temporaire en qualité de travailleur salarié ;

Vu la décision de retour du 3 mars 2021 ;

Vu mon interdiction de territoire du 31 janvier 2024 ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un document de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 mars 2024, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 31 janvier 2024, lequel fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 21 février 2024, inscrit sous le numéro 50045 du rôle.

Par un arrêté du 28 février 2024, notifié à l’intéressé le 29 février 2024, le ministre décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 31 janvier 2024, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 31 janvier 2024 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mars 2024, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 28 février 2024.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 » institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.

Il cite ensuite l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour expliquer que le placement d’une personne au Centre de rétention ne serait ni une obligation systématique, ni un automatisme pour le ministre, mais constituerait une simple faculté qui devrait être considérée comme l’ultime remède. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Sur le fondement du paragraphe (3) dudit article 120, le demandeur affirme que le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement devrait être en cours ou exécuté avec toute la diligence requise, ce qui impliquerait que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Dans ce contexte, il critique la encore motivation du ministre dans l’arrêt litigieux selon laquelle « ces démarches n’ont pas encore abouti » et de le retenir au Centre de rétention, alors qu’il n’existerait, à l’heure actuelle, aucune perspective d’éloignement vers son pays d’origine, de sorte que se poserait la question de savoir comment le ministre pourrait exécuter cette mesure d’éloignement dans un délai raisonnable et endéans la durée maximale de la mesure de rétention.

Le demandeur fait valoir que le maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté dont la durée devrait être réduite au strict minimum et qu’il ne devrait pas être retenu au Centre de rétention en attendant l’exécution de la mesure d’éloignement.

Enfin, le demandeur estime que son placement au Centre de rétention serait disproportionné au regard de sa situation personnelle et de son comportement, alors qu’il démontrerait disposer d’attaches suffisamment stables au Luxembourg, qu’il disposerait de garanties de représentation suffisantes et qu’il aurait l’intention d’y rester pour continuer à travailler de façon bénévole.

A cet égard, il donne à considérer qu’il aurait travaillé en tant que technicien de scène auprès du Luxembourg… du 1er septembre 2020 au 31 mars 2021, qu’il se serait engagé en tant que bénévole auprès de l’association sans but lucratif « … a.s.b.l. » à partir du mois d’octobre 2021 et qu’il aurait aussi travaillé pour « … » pendant les années 2021 et 2022. Il ajoute qu’il aurait la possibilité d’habiter chez sa concubine, Madame ……, avec laquelle il entretiendrait une relation amoureuse sérieuse depuis l’été 2023 et avec laquelle il prévoirait de se marier prochainement et qui serait propriétaire d’un logement à … et disposerait, compte tenu de ses dépenses mensuelles et de son salaire mensuel de 4.600 euros, de moyens financiers suffisants pour le prendre en charge.

Le demandeur renvoie à ce sujet à une déclaration signée par sa concubine qui confirmerait qu’il s’agirait d’une relation amoureuse sérieuse et stable avec la perspective de se marier et de fonder une famille, qu’elle lui rendrait visite tous les jours en conciliant lesdites visites avec son travail, que son appartement s’apprêterait très bien à la cohabitation de deux personnes, qu’elle disposerait de moyens financiers suffisants et que le demandeur recevrait, chaque semaine, un sac contenant de la nourriture de l’église où il travaillerait de façon bénévole.

Finalement, il fait valoir que le ministre aurait dû appliquer, conformément à l’article 125 de la loi du 29 août 2008, des mesures moins coercitives en l’assignant à résidence dans un lieu qu’il aurait fixé avec l’obligation de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès de ses services ou de toute autre autorité désignée.

Le demandeur conclut que son maintien au Centre de rétention ne serait pas justifié, de sorte que la décision ministérielle du 28 février 2024 serait à réformer.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Il conteste tout d’abord le moyen du demandeur tenant à une insuffisance de motivation de la décision litigieuse.

La partie étatique fait ensuite valoir que le séjour irrégulier du demandeur sur le territoire luxembourgeois ne serait pas contesté, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, l’existence d’un risque de fuite serait présumée dans son chef, Monsieur … ne disposant d’aucun document de voyage valable ni d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg et qu’en conséquence, le ministre aurait, a priori, valablement pu ordonner son placement en rétention, ce d’autant plus que les éléments figurant dans le dossier administratif ne permettraient pas de renverser cette présomption.

Dans ce cadre, la partie étatique fait valoir que le demandeur circulerait illégalement dans l’espace Schengen et plus particulièrement au Grand-Duché de Luxembourg depuis plusieurs années.

La partie étatique conteste le caractère disproportionné du placement en rétention au motif qu’aucune mesure moins coercitive aurait pu être prise, alors que Monsieur … ne présenterait pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite dans son chef.

La partie étatique conclut finalement au rejet du moyen fondé sur l’absence de diligences suffisantes au vu de l’organisation de son éloignement, en donnant à considérer que le lendemain du placement en rétention de Monsieur …, le ministre aurait contacté les autorités marocaines en vue de l’identification de ce dernier, démarche qui aurait régulièrement fait l’objet d’un rappel et laquelle serait toujours en cours.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de l’arrêté ministériel litigieux, et plus particulièrement le reproche non autrement circonstancié d’une insuffisance de la motivation fournie par le ministre, il convient de souligner que ces développements sont à rejeter pour ne pas être fondés, étant donné qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé – l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision –, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision de placement litigieuse, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est, partant, en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, et tel que relevé par le tribunal dans son jugement du 21 février 2024, il est constant en cause que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, pour avoir fait l’objet, en date du 3 mars 2021, d’une décision de retour, laquelle est entretemps coulée en force de chose décidée, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans en date du 31 janvier 2024 – décision qui est exécutoire et bénéficie de la présomption de légalité attachée à tout acte administratif –, qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévu au paragraphe (2), numéro 3. de la disposition légale en question.

Dès lors, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur au Centre de rétention afin d’organiser son éloignement, étant relevé que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments probants permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef. En effet, sa volonté déclarée de rester au Luxembourg pour se marier avec sa compagne, auprès de laquelle il affirme pouvoir habiter, est au contraire, de nature à conforter l’existence d’un risque de fuite dans son chef, étant, à ce sujet, relevé que le risque de fuite visé à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 ne vise pas le seul risque de fuir le territoire luxembourgeois, mais qu’il est surtout à entendre comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement ne serait-ce justement que dans le but de rester sur ledit territoire.

Le constat ci-avant quant à l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur n’est pas énervé par les développements de celui-ci visant à mettre en avant la stabilité de la relation qu’il entretiendrait avec sa compagne au domicile de laquelle il habiterait et qu’il souhaiterait épouser.

Le moyen du demandeur visant à contester l’existence d’un risque de fuite et à exiger sa libération immédiate sur base du constat de l’inexistence d’un tel risque dans son chef est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite des contestations du demandeur fondées sur le principe de proportionnalité au motif qu’une autre mesure moins coercitive qu’un placement en rétention aurait dû être prise, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008].

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1), de sorte que pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité, aucune des autres mesures moins coercitives ne doit entrer en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite, tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi.

Au regard des contestations du demandeur, il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, celui-

ci a fourni des garanties de représentation suffisantes pour prévenir le risque de fuite, qui, tel que cela a été retenu ci-avant, existe dans son chef.

Le tribunal relève, d’un côté, que le demandeur ne conteste pas se trouver illégalement sur le territoire luxembourgeois et dans l’espace Schengen.

D’un autre côté, il y a lieu de constater que les éléments soumis à l’analyse du tribunal permettent d’établir la réalité et la stabilité de la relation de Monsieur … avec Madame …, le demandeur versant dans ce cadre des photos du couple, des captures d’écran du téléphone portable de Madame … montrant des échanges de messages et des appels téléphoniques avec lui, une liste relevant les visites journalières de Madame … au Centre de rétention, ainsi qu’une attestation testimoniale de Madame … fournissant des précisions sur son couple formé avec Monsieur … et leur projet de mariage. Force est ensuite de relever que Madame … a exprimé sa disponibilité à héberger Monsieur … et de le prendre en charge chez elle jusqu’à son éloignement vers le Maroc. Il ressort encore des pièces versées ainsi que du dossier administratif que Monsieur … dispose d’un passeport en cours de validité, de même qu’il y aurait moyen de régler une garantie financière de 5.000 euros.

Il s’ensuit que, conformément aux dispositions combinées des articles 120 et 125, précités, de la loi du 29 août 2008, interprétées conformément aux développements ci-avant, l’une ou l’autre mesure moins coercitive qu’un placement au Centre de rétention peut lui être appliquée, étant encore relevé que le constat de l’existence de garanties de représentation effectives suffisantes de nature à prévenir le risque de fuite ne saurait, en l’espèce, entraîner la libération pure et simple, telle que sollicitée à titre principal par le demandeur, mais seulement le recours à l’une ou l’autre mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1), précité.

Au vu des circonstances particulières de l’espèce décrites ci-avant, le tribunal estime que parmi les mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, une assignation à résidence, telle que prévue à l’article 125, paragraphe (1), point b), ensemble avec l’obligation de remettre l’original du passeport et l’obligation de déposer une garantie financière d’un montant de 5.000 euros, telles que prévues aux points a) et c) de l’article 125, paragraphe (1), doivent être considérées comme adéquates et efficaces pour fournir en l’espèce des garanties suffisantes en vue de l’éloignement du demandeur. Ces mêmes circonstances amènent le tribunal à conclure qu’il n’est, en l’espèce, pas nécessaire d’assortir l’assignation à résidence d’une mesure de surveillance électronique.

Le moyen du demandeur étant partant justifié dans cette mesure, il y a lieu de retenir qu’une assignation à résidence, combinée à l’obligation de remettre l’original du passeport et de déposer une garantie financière d’un montant de 5.000 euros, est à considérer comme répondant aux exigences de proportionnalité.

Au vu de cette conclusion, il y a lieu de réformer l’arrêté ministériel du 28 févier 2024 en ce sens qu’à condition pour le demandeur d’avoir fait remettre l’original de son passeport et d’avoir fait déposer une garantie financière de 5.000 euros, le demandeur est à libérer immédiatement du Centre de rétention et à assigner à résidence au domicile de Madame ……, sis à L-…, jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement, avec obligation de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui.

En ce qui concerne, finalement, les diligences concrètement entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur, le tribunal a constaté dans son jugement, précité, du 21 février 2024, que dès le lendemain du placement au Centre de rétention du demandeur, les services du ministre se sont adressés au Consulat Général du Maroc à Liège pour obtenir un laissez-passer en faveur de l’intéressé, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identité et une copie de son passeport.

Dans le même jugement, le tribunal a conclu que les démarches ainsi entreprises à l’époque par l’autorité ministérielle luxembourgeoise devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Quant aux démarches accomplies depuis lors, le tribunal constate que le 22 février 2024, les autorités luxembourgeoises se sont enquises auprès de leurs homologues marocains sur l’état d’avancement du dossier du demandeur. Le lendemain, les autorités marocaines ont informé l’autorité ministérielle luxembourgeoise que les autorités compétentes avaient été saisies du dossier de Monsieur … et qu’elles ne manqueraient pas de la tenir informée au sujet des résultats de cette démarche. Le 11 mars 2024, les autorités luxembourgeoises ont adressé un rappel aux autorités marocaines afin de s’enquérir sur l’état d’avancement du dossier de Monsieur ….

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter, le tribunal réitérant son constat que les autorités luxembourgeoises, actuellement tributaires de la collaboration des autorités étrangères compétentes, ne sauraient nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels leur adressés, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le dispositif d’éloignement est toujours en cours, et qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise.

Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

par réformation, ordonne la libération du Centre de rétention de Monsieur …, ainsi que son assignation corrélative à résidence au domicile de Madame ……, sis à L-…, conformément aux dispositions de l’article 125 paragraphe (1), point b) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, à condition, pour Monsieur …, d’avoir fait remettre l’original de son passeport et d’avoir fait déposer une garantie financière de 5.000 euros, avec obligation de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui ;

le déclare non fondé pour le surplus ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 mars 2024 par :

Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Anna Chebotaryova, attachée de justice déléguée, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 50144
Date de la décision : 15/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-15;50144 ?

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