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12/03/2024 | LUXEMBOURG | N°47804

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 mars 2024, 47804


Tribunal administratif N° 47804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47804 3e chambre Inscrit le 9 août 2022 Audience publique du 12 mars 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2022 par Maître Michel KARP, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame ...

Tribunal administratif N° 47804 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47804 3e chambre Inscrit le 9 août 2022 Audience publique du 12 mars 2024 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47804 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2022 par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 juillet 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Michel KARP et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 février 2024.

Le 11 mars 2020, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers.

Par ordonnance du 15 juin 2020 le Juge aux affaires familiales près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg désigna la Fondation CARITAS Luxembourg en tant qu’administrateur public de Madame ….

En date du 15 décembre 2021, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 27 juillet 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée le 1er août 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Madame … et lui ordonna de quitter le territoire dans le délai de trente jours dans les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes le 11 mars 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 11 mars 2020 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 15 décembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les pièces versées à l’appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de préciser que vous êtes arrivée seule au Luxembourg et avez introduit votre demande de protection internationale le 11 mars 2020.

Lors de l’introduction de votre demande de protection internationale au Luxembourg la consultation de la base de donnée VIS a révélé que vous avez auparavant introduit une demande de visa auprès de l’ambassade de l’Italie à Téhéran le 5 février 2020, demande suite à laquelle vous avez obtenu un visa de courte durée valable du 5 août 2018 jusqu’au 5 août 2023. Le Luxembourg a toutefois accepté d’analyser votre demande.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Iran, d’ethnie Lor et de confession musulmane chiite.

Madame, vous avancez que vous craindriez retourner dans votre pays d’origine étant donné que vous auriez « peur du gouvernement de la république islamique d’Iran » et « des personnes avec lesquelles [vous auriez eues] des problèmes » (p.5/15 de votre rapport d’entretien).

Concernant les faits qui se seraient déroulés en Iran avant votre départ, vous indiquez être mécontente avec le régime actuel en Iran du fait qu’il vous aurait « imposé la religion de l’Islam ». Vous auriez grandi avec des obligations et des règles que vous qualifiez de très strictes, en guise d’exemple vous avancez que vous auriez été obligée de porter le voile à tout moment et de connaître le moindre détail sur la religion musulmane. Vous expliquez également dans ce contexte que vous auriez eu des problèmes disciplinaires à l’école, notamment pendant les deux années d’études que vous auriez suivies dans un collège, et que vous auriez finalement été contrainte de vous inscrire dans un autre établissement scolaire afin de poursuivre vos études.

Ensuite, vous faites état d’un incident qui serait survenu quand vous aviez plus ou moins 16 ans alors que vous auriez été sur une route avec votre cousine en train d’attendre votre tante vers 22 ou 23 heures pour rentrer à la maison. Vous précisez avoir soudainement remarqué qu’un individu dans une voiture garée non loin vous aurait filmées et vous vous seriez précipitée vers lui pour l’interroger sur ses intentions. Cet individu se serait identifié en tant qu’agent du « Gasht Ershad » et vous aurait informée que vous seriez filmée étant donné que vous ne porteriez pas de voile. Vous ajoutez qu’un autre agent aurait également été présent dans la voiture et qu’une altercation verbale entre vous et les agents aurait eu lieu jusqu’à l’arrivée de votre tante sur place, incident qui se serait finalement soldé avec une courte garde à vue dans un « centre d’arrêt provisoire » et votre libération le jour même moyennant le paiement d’une amende s’élevant à environ cinq cent mille tomans. Vous auriez également dû suivre quelques « cours religieux ».

Vous continuez votre récit en mentionnant des « émeutes » qui auraient eu lieu en Iran, il y a environ deux années selon vos dires, en relation avec un avion civil de l’Ukraine qui aurait été abattu par les autorités iraniennes. Vous expliquez qu’une « cérémonie » aurait été organisée à … pour rendre hommage aux victimes et à laquelle vous auriez participé. Cinq policiers seraient arrivés et auraient commencé à filmer les participants. Par la suite, une altercation aurait éclaté entre les gens et les agents alors que ces derniers seraient intervenus pour disperser la foule étant donné qu’il se serait agi d’un rassemblement non autorisé. Un jeune homme vêtu en civil se serait alors approché de vous et vous aurait aspergée le visage avec un spray lacrymogène.

Vous relatez encore un autre fait qui serait survenu en 2018 et lors duquel vous auriez eu une dispute avec un ami dénommé « … » qui aurait provoqué un accident de la moto alors qu’il aurait été en train de rouler. Vous auriez été blessé à la jambe et cet ami en question aurait commencé à vous importuner par la suite avec d’autres de ses amis. Vous auriez porté plainte à la police sans néanmoins spécifiquement dénoncer le concerné, mais plutôt en indiquant que vous vous feriez harceler par un groupe de gens. Vous avancez que votre plainte n’aurait pas donné de résultats et que les individus en question auraient néanmoins arrêté de vous importuner à partir de 2019.

Enfin, vous avancez que vous auriez en outre peur de vos oncles, maternel et paternel.

Vous déclarez d’abord craindre votre oncle paternel étant donné qu’il vous aurait violée alors que vous n’auriez été qu’une enfant au moment des faits. Vous indiquez qu’il se serait entre-temps marié et éloigné de la famille mais vous laissez entendre que vous risqueriez de subir le même sort si vous devriez le rencontrer. Vous craindriez également votre oncle maternel, qui ferait l’objet d’un conflit familial alors qu’il aurait tué votre cousin maternel. Il serait une personne très pieuse et aurait menacé de vous tuer si jamais vous n’étiez pas « obéissante » et si vous ne portiez pas le voile.

Vous affirmez avoir voyagé à Paris en France en 2019 accompagnée de votre mère et munie d’un visa de courte durée obtenue par les autorités françaises.

Vous auriez finalement quitté l’Iran au début du mois de mars 2020 en avion pour l’Italie, munie de votre passeport iranien et d’un visa de courte durée pour l’espace Schengen. Vous indiquez ne pas être restée en Italie et d’être venue au Luxembourg étant donné que votre cousine, que vous considéreriez être la personne la plus proche, serait également au Luxembourg.

Vous présentez votre « Shenasnameh » iranien, une copie de votre carte d’identité iranienne et des copies de deux photos qui illustrent ce qui serait une blessure sur une de vos jambes.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f) de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f) de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

A titre liminaire, il convient de constater que vous invoquez plusieurs faits différents qui auraient eu lieu depuis votre enfance, afin de tenter d’établir une crainte fondée de persécution dans votre chef.

Vous essayez de lier ces faits entre eux pour faire croire que depuis presque deux décennies vous craindriez le « gouvernement de la république islamique d’Iran » et les « personnes avec lesquelles [vous auriez eues] des problèmes » (p.5/15 de votre rapport d’entretien). Or, il échet de conclure qu’il n’existe aucun lien établi entre les quelques incidents que vous relatez.

Premièrement, quant à votre crainte en lien avec le régime actuel en Iran, notons en premier lieu que votre peur entre a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Force est cependant de constater que les faits que vous relatez en relation avec cette crainte ne revêtent manifestement pas un caractère de gravité tels qu’ils puissent être assimilés à une persécution au sens des dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, vous indiquez que vous auriez peur du gouvernement iranien étant donné que vous seriez contre le fait que l’Etat vous imposerait la religion musulmane. En guise d’exemple vous mentionnez notamment le fait que vous auriez toujours été obligée de porter le voile et que les écoles que vous auriez visitées auraient eu des réglementations religieuses très strictes. Vous expliquez que vos notes scolaires se seraient continuellement dégradées à cause de votre refus de respecter le code vestimentaire scolaire et pour des raisons disciplinaires, de sorte que vous auriez même été contrainte de changer d’établissement.

Madame, il convient de retenir que le fait que vous auriez été obligée de tout connaître sur une foi religieuse dès votre enfance, d’avoir la contrainte de porter le voile et d’avoir été obligée de changer d’établissement scolaire pour des raisons disciplinaires liés notamment à votre tenue vestimentaire et à votre comportement, n’est clairement pas d’une gravité suffisante pour être considéré comme acte de persécution au sens des prédis textes.

Deuxièmement, il en va de même quant à l’incident qui serait survenu avec les agents du Gasht-e Ershad lors duquel vous auriez fait l’objet d’une brève garde à vue avec votre cousine et votre tante.

En effet, même si ce fait entre a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, il convient de souligner qu’il n’est néanmoins pas d’une gravité suffisante pour valoir comme acte de persécution au sens des prédits textes.

En effet, il ressort clairement de vos dires que vous auriez passé quelques heures en garde à vue et que vous auriez été rapidement relâchée après le paiement d’une amende que votre sœur aurait réglée. Vous auriez en outre été obligée de suivre cinq « cours religieux » de deux heures.

Il y a dès lors lieu de conclure que ce fait est indéniablement exempt d’une gravité suffisante de sorte qu’on ne saurait retenir l’existence dans votre chef d’une persécution respectivement d’une crainte de persécution au sens des prédits textes.

Troisièmement, quant à la « cérémonie » à laquelle vous auriez participé et lors de laquelle vous auriez été aspergée avec du gaz lacrymogène, il convient de préciser que cet incident pourrait a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Cependant, force est de constater qu’une intervention de la police lors d’un rassemblement non autorisé et le fait de se faire asperger avec du gaz lacrymogène lors d’une altercation avec les forces de l’ordre, sans qu’il y ait eu aucun autre fait particulier et individuel respectivement aucune conséquence concrète, sont incontestablement exempts d’une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution au sens des prédits textes.

Ainsi, il y a lieu de conclure qu’aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Quatrièmement, quant aux harcèlements que vous auriez subis en 2018 par un dénommé « … » et son groupe d’amis, harcèlements liés à une dispute qui aurait causé un accident de moto lors duquel vous auriez été blessée à la jambe, force est de constater que ce fait n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors qu’il n’existe aucun lien avec votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social déterminé.

Même à supposer que ce fait serait lié à un des critères de fond, force est de constater que le simple fait de se faire importuner par des jeunes durant quelques mois ne revête manifestement pas un caractère de gravité suffisante pour être qualifiée d’acte de persécution au sens des prédits textes.

Quand bien même ce fait serait d’une gravité suffisante pour valoir comme acte de persécution, notons qu’une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Madame, vous concédez que vous vous seriez rendue chez la police pour déposer plainte. L’agent auquel vous vous seriez adressée vous aurait fourni un formulaire afin que vous puissiez remplir votre déposition. Vous expliquez cependant ne jamais avoir explicitement dénoncé l’auteur des faits, mais plutôt son groupe d’amis sans néanmoins donner des noms et descriptions précises à la police. Ainsi, aucun reproche ne saurait être formulé à l’égard des forces de l’ordre iraniennes qui n’auraient jamais été mise en mesure de remplir convenablement leur mission.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

De plus, notons que vous indiquez que ces personnes auraient cessé de vous importuner en 2019, si bien qu’on ne saurait retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution.

Cinquièmement, vous avancez que vous craindriez des représailles de la part de vos oncles, maternel et paternel, en cas de retour en Iran.

Concernant votre oncle paternel, vous avancez qu’il vous aurait violée à l’âge de cinq ans, raison pour laquelle vous auriez peur de lui.

Madame, ce fait est sans aucun doute très regrettable et fort condamnable mais n’entre néanmoins pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors qu’il n’est pas lié à votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social déterminé.

Même à supposer que cet incident serait lié à un des critères de fond et serait suffisamment grave, soulevons qu’il s’agit là d’un qui serait survenu il y a plus de 15 ans et qui est ainsi beaucoup trop éloigné dans le temps pour justifier l’octroi d’une protection internationale en 2022.

A cela s’ajoute que vous ne l’auriez à aucun moment dénoncé et qu’aucune plainte n’aurait été déposé auprès des autorités iraniennes, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d’origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

De plus, vous expliquez que votre oncle paternel en question se serait marié par la suite et qu’il aurait déménagé dans une autre ville avec sa famille, si bien que vous n’auriez plus de contact avec lui depuis de nombreuses années. On ne saurait dès lors retenir l’existence dans votre chef d’une persécution respectivement d’une crainte de persécution.

Concernant votre oncle maternel, vous avancez que vous auriez peur de lui étant donné qu’il aurait tué son enfant et qu’il aurait menacé de vous tuer si jamais vous n’étiez pas « obéissante ». Notons que ce fait en relation avec votre crainte pourrait entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 étant donné que vous laissez entendre des motifs religieux.

Toutefois, pour ce qui est du décès regrettable de votre cousin maternel, il convient de souligner qu’il s’agit d’un fait non personnel par le biais duquel vous essayez de créer un lien artificiel avec votre personne alors que votre oncle maternel serait « religieux » et qu’il vous aurait menacée en relation avec votre tenue vestimentaire.

En effet, il découle clairement de vos propos que vous ignorez les circonstances du décès de votre cousin. Vous mentionnez simplement que votre oncle maternel aurait tué son propre fils étant donné que ce dernier se serait opposé à son père, sans être à même de donner une quelconque autre information concrète, de sorte qu’aucun lien ne saurait être établi en l’espèce entre le décès de votre cousin et votre personne.

Quand bien même ce fait aurait un lien quelconque avec vous, notons que vous affirmez que votre oncle maternel aurait été dénoncé à la police pour son acte et qu’une enquête aurait été diligentée à son encontre conduisant à sa condamnation ainsi qu’à son emprisonnement, si bien qu’aucun reproche ne saurait être formulé à l’égard des autorités iraniennes qui auraient ainsi exécuté leur mission. Le fait que votre oncle maternel aurait été libéré après avoir purgé sa peine privative de liberté, ne saurait infirmer cette conclusion.

Il appert dès lors que vous avez à tout moment la possibilité de vous adresser à la police pour demander de l’aide en cas de nécessité.

Enfin, notons que vous déclarez avoir voyagé sans le moindre problème à Paris en France en 2019, accompagnée de votre mère et munie d’un visa de courte durée obtenue par les autorités françaises. Madame, il convient de préciser que le fait que vous soyez volontairement rentrée en Iran après votre voyage en France démontre clairement que la gravité de la situation dans votre pays d’origine n’est manifestement pas celle que vous tentez de dépeindre.

Madame, il échet de souligner qu’à la lecture de l’ensemble de votre dossier, il ressort incontestablement que vos craintes sont plutôt hypothétiques et se traduisent tout au plus en un sentiment général d’insécurité, de sorte qu’il y a lieu de conclure qu’aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g) de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. Or, en l’espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d’atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d’un retour dans votre pays d’origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de l’Iran, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 août 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 27 juillet 2022 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 27 juillet 2022, telle que déférée.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Ledit recours principal en réformation est, quant à lui, encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse reprend les faits et rétroactes exposés ci-avant, tout en précisant qu’elle serait de nationalité iranienne et née dans une famille de confession musulmane chiite, mais qu’elle serait actuellement sans confession religieuse. Elle rappelle ensuite les raisons l’ayant poussée à quitter son pays d’origine telles qu’exposées dans le cadre de son entretien auprès de la direction de l’immigration et reprises par le ministre dans la décision litigieuse.

En droit, tout en se référant tant à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, qu’à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés du 28 juillet 1951, désignée ci-après par « la Convention de Genève », elle met en avant la répression dont seraient victimes les femmes en Iran, tout en mettant en exergue que les faits à la base de sa demande de protection internationale relèveraient d’une gravité extrême au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, alors que dans son pays d’origine elle serait non seulement exposée à une violation des droits de l’homme, mais qu’elle y risquerait également sa vie.

La demanderesse en conclut que ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé l’octroi du statut de réfugié, alors qu’elle remplirait l’ensemble des conditions pour pouvoir y prétendre.

Ce serait pareillement à tort que le ministre lui aurait refusé l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, alors qu’elle risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans ce contexte, la demanderesse fait état de la situation générale des personnes en Iran, qui y seraient condamnées, torturées et exécutées « pour leurs idées », la demanderesse se prévalant à cet égard d’un « rapport mondial 2020/2021 » de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International ».

La demanderesse donne ensuite à considérer que bien qu’elle soit « née musulmane », elle ne se serait « plus intéressée » à cette même religion, voire à une quelconque autre religion lorsqu’elle aurait quitté son pays d’origine. Or, le fait de ne plus être musulmane et d’être dépourvue de toute croyance religieuse lui serait préjudiciable en Iran où 99% de la population serait musulmane, la demanderesse rappelant à cet égard que l’Iran serait une république islamique.

Après avoir fait la distinction entre actes de tortures et traitements inhumains et dégradants et avoir précisé la définition à donner aux termes de traitement « inhumain », respectivement « dégradant », la demanderesse fait valoir que l’évaluation visant à déterminer si un traitement ou une sanction est inhumain ou dégradant impliquerait non seulement la prise en considération d’éléments objectifs, mais également du ressenti subjectif de cette même personne, tel que la peur et l’angoisse d’être exposé à de tels traitements. La demanderesse est d’avis qu’outre son ressenti subjectif, à savoir sa crainte vis-à-vis des autorités iraniennes, sa vie serait en danger dans son pays d’origine, vu sa « démonstration de foi contraire à l’Islam », Madame … rappelant à cet égard que la liberté de culte serait protégée par l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », ainsi que par l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte ».

La demanderesse en conclut dès lors à la réformation de la décision ministérielle litigieuse.

Le délégué du gouvernement estime que la décision ministérielle litigieuse serait fondée tant en fait qu’en droit.

A l’appui de ses conclusions, et en ce qui concerne le refus d’octroi du statut de réfugié à la demanderesse, il reprend l’argumentation contenue dans la décision ministérielle litigieuse citée in extenso ci-avant tout en donnant à considérer que si, dans le cadre du recours sous analyse, le mandataire de la demanderesse affirmait certes que les faits invoqués par celle-ci à la base de sa demande de protection internationale revêtiraient une gravité extrême, il resterait toutefois en défaut de d’apporter un quelconque élément concret qui permettrait d’établir un risque éventuel de persécution dans le chef de sa mandante.

Ce serait partant à bon droit que le ministre aurait refusé l’octroi du statut de réfugié à la demanderesse.

Quant au refus d’octroi de la protection subsidiaire, le délégué du gouvernement, outre de reprendre les développements figurant dans la décision ministérielle litigieuse, fait encore valoir que dans la mesure où il n’y aurait pas de conflit armé en Iran et que la demanderesse n’allèguerait pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y aurait seulement lieu de vérifier si les traitements dont elle fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants.

A cet égard, il constate que la concernée baserait sa demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux invoqués dans le cadre de sa demande en obtention du statut de réfugié, motifs qui ne permettraient toutefois pas de conclure que celle-ci risquerait de devenir victime d’atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d’un retour dans son pays d’origine.

A l’appui de ses conclusions et après avoir défini les notions de torture et de traitement inhumains et dégradants en se basant sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme, le délégué du gouvernement fait valoir que dans la mesure où le ministre serait arrivé à la conclusion que les faits invoqués par la demanderesse ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié dans son chef, pareille conclusion devrait être tirée en ce qui concerne le volet ayant trait au statut conféré par la protection subsidiaire visé au point b) de l’article 48 de de la loi du 18 décembre 2015, le délégué du gouvernement étant en effet d’avis que les craintes de la de la concernée de subir des actes de torture et des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine seraient purement hypothétiques, de sorte qu’elles ne sauraient être qualifiées d’atteintes graves au sens du prédit article.

Cette conclusion ne saurait, d’après le délégué du gouvernement, pas être énervée par l’invocation par la demanderesse dans le cadre du recours sous analyse d’un rapport d’« Amnesty International », alors qu’outre le fait que la publication invoquée serait citée sans mise en relation concrète avec la situation particulière, individuelle et personnelle de celle-ci, elle concernerait des faits divers étrangers à la situation de la concernée.

Le délégué du gouvernement conclut dès lors au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Appréciation du tribunal Force est au tribunal de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays. ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites lors de son audition, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que l’intéressée a fait état à juste titre de raisons de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée d’être persécutée du fait de ses convictions religieuses et politiques, en cas de retour en Iran, au sens des dispositions de l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève.

Force est en effet de constater que la demanderesse base sa demande de protection internationale principalement sur son refus de se soumettre aux dictats religieux imposés par le régime iranien actuel, ainsi que sur son opposition à ce même régime et partant ses convictions politiques, motifs qui tombent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il convient ensuite de relever que si les déclarations y relatives contenues dans le cadre du recours contentieux sont certes pour le moins succinctes, il n’en reste pas moins que la demanderesse a plus largement développé ses convictions religieuses et politiques au cours de son entretien auprès de la direction de l’Immigration en date du 15 décembre 2021, convictions dont l’expression est à mettre en rapport avec son jeune âge, étant rappelé à cet égard que la demanderesse a quitté son pays d’origine et a passé ledit entretien alors qu’elle était encore mineure.

Ainsi et en ce qui concerne ses convictions religieuses, la demanderesse a déclaré, lors de ce même entretien, que lorsqu’elle fréquentait le collège, elle s’est vue attribuer des notes médiocres en raison de son refus de se plier strictement aux dictats religieux dont le port obligatoire du voile et du tchador au sein de l’établissement scolaire. La demanderesse a ainsi expliqué qu’elle a dû repasser les cours de mathématiques, non pas en raison d’un manque de connaissance dans cette matière ou encore en raison d’un manque d’assiduité, mais uniquement parce que l’enseignante était d’avis qu’elle n’était pas « une personne obéissante », dans la mesure où elle avait, à plusieurs reprises, remis en question l’obligation de porter le voile et le tchador au sein du collège, la demanderesse ayant encore ajouté avoir finalement été obligée de changer d’établissement scolaire.

Il ressort encore de l’entretien de la demanderesse auprès de la direction de l’Immigration que celle-ci a eu des problèmes avec un agent de la police des mœurs iranienne (Gasht Ershad), alors qu’elle n’avait que 16 ans. La concernée a en effet expliqué s’être vue filmer par un homme en civil faisant partie du Gasht Ershad alors qu’elle se trouvait dans la rue avec sa cousine et qu’elle attendait sa tante, sans porter son voile correctement. Elle a par ailleurs précisé que suite à cet incident et l’altercation qui s’en est suivie, elle avait été emmenée à un centre d’arrêt provisoire, duquel elle n’a pu sortir que moyennant paiement d’une amende de 500 mille tomans (environ 10.000 euros), amende qui avait finalement été réglée par sa sœur et son beau-frère. Il résulte encore des déclarations de la demanderesse qu’après cette arrestation, elle avait été obligée de suivre des cours religieux dans le palais de justice.

Il convient par ailleurs de noter que dès le début de l’entretien, la demanderesse a déclaré renier sa religion d’origine, à savoir l’Islam, et ne plus avoir de croyances religieuses.

S’il est vrai que les incidents dont Madame … a d’ores et déjà été victime en Iran en raison de ses croyances religieuses manquent de gravité pour justifier à eux-seuls l’octroi du statut de réfugié dans son chef, la clémence relative des châtiments auxquels elle a été exposée pouvant s’expliquer par la circonstance qu’elle n’avait, à ce stade, pas ouvertement déclaré réfuter toute croyance religieuse, il n’en reste pas moins que l’apostasie, c’est-à-dire le fait de renier sa religion, est très sévèrement réprimée en Iran. Le reniement de la foi musulmane y est en effet prohibé par la loi et les apostats risquent la peine de mort1, l’organisation internationale « Amnesty international » ayant précisé à cet égard, dans son rapport intitulé « Iran-Rapport annuel 2020 » et dont se prévaut la demanderesse dans le cadre du présent recours, que « La liberté de religion et de conviction était systématiquement bafouée, en droit et en pratique. Les autorités continuaient d’imposer aux personnes de toutes les confessions, ainsi qu’aux athées, des codes de conduite s’appuyant sur une 1 Trib. adm. 12 mars 2014, n° 32107 du rôle, trib adm. 26 mars 2014, n°32069 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

interprétation stricte de l’islam chiite. Elles refusaient de reconnaître le droit des personnes nées de parents musulmans de se convertir à une autre religion ou de renoncer à la pratique religieuse, et celles qui exerçaient ce droit risquaient d’être arrêtées arbitrairement, soumises à la torture et condamnées à mort pour « apostasie ». ».

Or, dans la mesure où la liberté de religion ainsi que le droit de l’exercer ouvertement constituent des droits fondamentaux consacrés notamment par l’article 9 de la CEDH, et compte tenu du fait que les apostats risquent d’être condamnés à la peine capitale en Iran, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse invoque à bon droit une crainte fondée d’être persécutée du fait qu’elle a renié l’Islam et est actuellement dépourvue de toute croyance religieuse.

Ce même constat s’impose en ce qui concerne les convictions politiques de la demanderesse. En effet, il ressort des déclarations de celle-ci au cours de son entretien auprès de la direction de l’Immigration que malgré son jeune âge, elle avait d’ores et déjà manifesté son opposition au régime en place alors qu’elle se trouvait encore en Iran. Ainsi, la demanderesse a expliqué avoir participé à une cérémonie organisée à la mémoire des victimes qui s’étaient trouvées à bord d’un avion ukrainien qui avait été abattu par les autorités iraniennes, cérémonie au cours de laquelle elle a été aspergée avec du spray lacrymogène pour avoir ouvertement manifesté son incompréhension quant à l’interdiction de participer au deuil des personnes dont les proches sont décédés suite « à une erreur de la part du régime ».

S’il est vrai que cette unique participation à une cérémonie organisée du moins indirectement contre le régime en place, ne saurait à elle seule suffire pour laisser conclure à un activisme politique dans le chef de la demanderesse, force est toutefois de constater qu’il ressort des pièces versées en cause et plus particulièrement de diverses photos issues des comptes Instagram « … » et « … », que depuis son arrivée au Luxembourg celle-ci a ouvertement fait état de son opposition au régime iranien en place et notamment en participant à plusieurs manifestations politiques contre ce même régime, manifestations qui avaient notamment comme toile de fond le décès de …, une étudiante iranienne de 22 ans, qui est morte suite aux violences lui infligées par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés » et visaient ainsi à dénoncer la situation des femmes en Iran. Sur une de ces photos, laquelle a d’ailleurs également été reprise par le site internet « … » dans le cadre d’un article intitulé « … » et qui fait explicitement état des manifestations visant la défense des droits des femmes en Iran, on voit notamment la demanderesse brûler un « Hijab ». La participation de la concernée à ces manifestations politiques a encore été documentée sur un reportage publié par RTL.

Si l’activisme politique de la demanderesse s’est certes plus particulièrement développé lors de son séjour au Luxembourg, il convient toutefois de rappeler que l’article 38 de la loi du 18 décembre 2015 prévoit expressément dans ses paragraphes (1) et (2) que « (1) Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des évènements ayant eu lieu depuis le départ du demandeur du pays d’origine.

(2) Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes gaves peut s’appuyer sur des activités exercées par le demandeur depuis son départ du pays d’origine, en particulier s’il est établi que les activités sur lesquelles cette demande se fonde constituent l’expression et la prolongation de convictions ou d’orientations affichées dans le pays d’origine. ».

Il ressort de ladite disposition légale qu’une crainte de persécution peut être fondée sur des faits postérieurs au départ du demandeur de protection internationale de son pays d’origine, soit qu’il s’agisse d’événements survenus dans le pays d’origine, soit qu’il s’agisse d’activités exercées par le demandeur lui-même, s’il est établi que ces activités constituent l’expression et la prolongation de convictions affichées dans le pays d’origine, étant encore précisé que cette même disposition légale n’exige pas que le demandeur de protection internationale se soit livré, dans son pays d’origine, à une activité identique ou similaire mais se limite à exiger un lien entre l’activité et les opinions ou convictions qu’il doit avoir affichées dans son pays d’origine.

Au vu de ce qui précède, et compte tenu d’une part, de l’activisme politique avéré et public de la demanderesse lequel s’inscrit, tel qu’exigé par l’article 38 précité de la loi du 18 décembre 2015, dans la prolongation de son attitude critique face au pouvoir en place avant son départ de son pays d’origine, et d’autre part, de la situation générale existant en Iran telle qu’elle est notamment dépeinte dans le prédit rapport annuel de 2020 de l’organisation internationale « Amnesty International » prémentionné, situation qui se caractérise par une répression des droits à la liberté d’expression, une discrimination des femmes, lesquelles sont exposées à des violences, le sort réservé aux opposants politiques qui sont victimes des disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires secrètes et l’utilisation de la peine de mort comme outil de répression politique, amène le tribunal à conclure que dans le cas d’espèce, la demanderesse peut à juste titre se prévaloir d’une crainte fondée de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays d’origine.

Il s’ensuit, sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, que les conditions susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la loi du 18 décembre 2015 sont remplies dans le chef de la demanderesse, de sorte que la décision litigieuse encourt la réformation en ce sens.

L’analyse de la demande subsidiaire en obtention de la protection subsidiaire et du refus afférent du ministre devient, au vu de la conclusion dégagée ci-avant, surabondant.

2) Quant au recours dirigé contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 juillet 2022 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre ledit ordre de quitter le territoire.

Force est de constater que la demanderesse sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision ministérielle de rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que sur base d’une violation du principe de non-refoulement prévu aux articles 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève et par l’article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours en arguant que l’ordre de quitter le territoire découlerait directement du rejet de la demande de protection internationale de la demanderesse. Il ajoute que dans la mesure où la concernée ne risquerait pas de subir des persécutions ou des atteintes graves en cas de retour en Iran, le reproche quant à une violation du principe de non-refoulement serait également non fondé.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que la demanderesse est fondée à se prévaloir du statut de réfugié et que la décision de refus de la protection internationale est à réformer en ce sens, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.

Partant, le recours en réformation est à accueillir pour être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 juillet 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, par réformation de la décision ministérielle du 27 juillet 2022, accorde à Madame … le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève et renvoie le dossier devant le ministre compétent pour exécution ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 27 juillet 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule l’ordre de quitter le territoire ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 mars 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s.Judith Tagliaferri s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 mars 2024 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47804
Date de la décision : 12/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-03-12;47804 ?

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