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23/02/2024 | LUXEMBOURG | N°46948

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 février 2024, 46948


Tribunal administratif N° 46948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46948 4e chambre Inscrit le 27 janvier 2022 Audience publique du 23 février 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision de la Commission des pensions en matière de pension

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46984 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2022 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre de

s avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, s...

Tribunal administratif N° 46948 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46948 4e chambre Inscrit le 27 janvier 2022 Audience publique du 23 février 2024 Recours formé par Madame …, …, contre une décision de la Commission des pensions en matière de pension

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46984 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2022 par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision de la Commission des pensions du 28 octobre 2021 s’étant déclarée incompétente pour se prononcer sur sa requête du 21 avril 2021 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date 18 mai 2022 par Maître Jean-Marie Bauler au nom de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 13 juin 2022 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Caroline Arendt, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Lemal en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 5 décembre 2023.

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Par un contrat de travail à durée déterminée à temps complet signé en date du 29 août 1998, Madame … fut engagée du 1er septembre 1998 au 31 août 1999 en qualité d’éducatrice sous le statut de l’employé privé par l’administration communale de ….

Par un contrat de travail à durée déterminée signé en date du 22 août 2000, Madame … fut à nouveau engagée par l’administration communale de … à partir du 1er septembre 2000 jusqu’au 14 septembre 2001 en qualité d’éducatrice sous le statut de l’employé privé.

Par un contrat de travail à durée déterminée signé en date du 22 août 2001, Madame … fut engagée à partir du 15 septembre 2001 et pour une durée maximale d’une année, jusqu’à « l’occupation de ce poste d’éducateur diplômé par un fonctionnaire », en qualité d’éducatrice diplômée sous le statut de l’employé privé par l’administration communale de ….

1 Par un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, signé en date du 31 juillet 2002, Madame … fut engagée à partir du 16 septembre 2002 en qualité d’éducatrice sous le statut de l’employé privé par l’administration communale de….

Suite à une décision du 14 septembre 2010 de la Commission mixte de reclassement des travailleurs incapables à exercer leur dernier poste de travail, institué par l’article L. 551-

1 du Code du travail, dénommée ci-après « la Commission mixte », prononçant le reclassement interne de Madame … auprès de l'administration communale de …, un avenant au contrat de travail précité du 31 juillet 2002 fut signé entre parties en date du 15 septembre 2010, modifiant l’article 4 dudit contrat en fixant les fonctions de Madame … dans le cadre d’une tâche à mi-temps.

Par un contrat de louage de service à durée indéterminée signé en date du 28 septembre 2012, Madame … fut engagée à mi-temps en tant que d’éducatrice sous le statut de l’employé de l’Etat à partir du 1er novembre 2012.

Par une décision du 21 octobre 2019, la Commission mixte décida d’adapter le temps de travail de Madame … à 25 % d’une tâche complète, de sorte qu’un avenant afférent fut signé entre parties en date du 31 janvier 2020 avec effet à partir du 22 octobre 2019.

En date du 21 avril 2021, Madame … fit saisir, sur base d’un rapport médical de son médecin traitant du 31 mars 2021, la Commission des pensions, instituée par la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial pour les fonctionnaires de l’Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois, dénommées ci-après « la Commission des pensions », respectivement « la loi du 25 mars 2015 », en vue d’un changement d’administration, sinon d’affectation.

Dans son rapport médical du 25 juin 2021, le médecin de contrôle, Dr K., transmit le dossier au service de Santé au travail du secteur public en concluant que « (…) Mme … souffre d'une sclérose en plaque, qui réduit nettement son niveau de performance.

Pour cette raison la continuation d'un STPRS semble nécessaire.

De plus il y a de différents déficits neurologiques concernant la motricité, la coordination et la sensibilité.

Les déficits neurologiques ne permettent plus à Mme … d'exercer ses fonctions d'éducatrice. C'est pourquoi un changement d'affectation est recommandé, p. ex. un poste administratif. (…) ».

Par un avis du 7 septembre 2021, le médecin du travail, Dr P., proposa la réaffectation de Madame … à un autre poste de travail, compatible avec ses capacités résiduelles dans le cadre d’un service à temps partiel pour raisons de santé de 25% d'une tâche complète, tout en précisant que « (…) D'un point de vue médical, un changement d'affectation sur un poste de travail administratif serait à privilégier. (…) ».

Par une décision du 28 octobre 2021, la Commission des pensions s'est déclarée incompétente pour se prononcer sur la requête du 21 avril 2021 de Madame …, sur base des considérations suivantes :

« (…) Vu la requête du 21 avril 2021 par laquelle Madame … saisit la Commission des pensions sur base de l'article 46 et suivants de la loi modifiée du 25 mars 2015 instituant 2un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l'Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois ;

Vu le rapport du 25 juin 2021 du médecin de contrôle, le docteur [K.], sur l'état de santé de l'intéressée ;

Vu le rapport du 7 septembre 2021 du médecin du travail, le docteur [P.], sur les capacités résiduelles de l'intéressée ;

Attendu que les parties furent régulièrement convoquées à l'audience du 14 octobre 2021 ;

Attendu que le Ministère de l'Éducation nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse était représenté à l'audience par Monsieur [N.] du Service du personnel ;

Après avoir entendu en leurs explications Madame … et le représentant du Ministère ;

Considérant que Madame … est d'accord à ce que la Commission délibère et décide sur base des rapports établis par le médecin de contrôle et le médecin du travail ;

Considérant qu'il résulte du rapport du médecin de contrôle que l'intéressée, qui bénéficie depuis le 14 septembre 2010 d'un reclassement professionnel interne auprès de l'Administration Communale … et que depuis le 21 octobre 2019 d'une réduction du temps de travail de 50% et à 25%, est capable d'exercer des fonctions à un poste adapté et dans le cadre d'un service à temps partiel pour raisons de santé ;

Considérant qu'il résulte du rapport du médecin du travail que l'intéressée peut travailler 25% d'une tâche complète et qu'un changement d'affectation sur un poste administratif serait à privilégier ;

Considérant qu'il est établi au vu des éléments du dossier que la Commission mixte a déjà pris une décision en date du 21 octobre 2019 ayant le même objet ;

Qu'au regard de cette décision, la Commission des pensions est incompétente pour statuer sur la requête du 21 avril 2021 de Madame … ;

PAR CES MOTIFS la Commission des pensions, statuant contradictoirement ;

Madame … et le représentant du Ministère entendus en leurs explications ;

ouï le Président de la Commission des pensions en son rapport ;

CONSTATE que la Commission mixte a décidé en date des 14 septembre 2010 et 21 octobre 2019 le reclassement professionnel interne de Madame … avec une réduction de son temps de travail de 50% à 25%;

3DECLARE que la Commission des pensions est incompétente pour se prononcer sur la requête du 21 avril 2021 de Madame …. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 janvier 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée de la Commission des pensions du 28 octobre 2021.

Dans son mémoire en réplique, Madame … soulève l’irrecevabilité du mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2022 pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, au motif que la signataire dudit mémoire, Madame Laurence Mousel, n'aurait pas la qualité de délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives au sens des articles 18 et 66 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », mais ne serait que délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline, Madame … citant, par analogie, un jugement du tribunal administratif du 29 juin 2021, inscrit sous les numéros 42823 et 42829 du rôle.

La partie gouvernementale ensemble avec son mémoire en duplique verse un arrêté du ministre de la Justice du 3 janvier 2022 portant nomination notamment de Madame Laurence Mousel, attachée de gouvernement, comme délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives avec effet au 1er janvier 2022.

Force est dès lors de retenir que la personne ayant signé le mémoire en réponse déposé en date du 22 avril 2022 avait bel et bien la qualité de délégué du gouvernement auprès des juridictions administratives à ce moment, de sorte que le mémoire en question, ensemble le mémoire en duplique, sont recevables pour avoir par ailleurs été déposés dans les délais de la loi.

En ce qui concerne la compétence ratione matériae du tribunal, force est de relever que l’article 42 de la loi du 25 mars 2015 attribuant compétence au tribunal administratif pour connaître comme juge du fond d’un recours dirigé contre une décision de la Commission des pensions, le tribunal administratif se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte encore à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité « ratione temporis » du recours, sans pour autant développer une argumentation afférente, et conclut à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame …, dont la situation de fait ou de droit ne se trouverait pas améliorée à la suite d'une éventuelle annulation de l'acte administratif querellé qui ne serait pas de nature à lui causer grief.

Le délégué du gouvernement souligne l’existence de la décision de la Commission mixte de reclassement du 21 octobre 2019 retenant une adaptation du temps de travail de Madame … de 50 à 25 %, décision qui serait toujours valide, sans limite dans le temps, alors même que Madame … aurait entretemps changé de régime de pension. Or, ni le Code du travail, ni la loi du 25 mars 2015 ne prévoiraient une équivalence, une reprise ou un lien entre les deux systèmes. En effet, l’article 46 de cette dernière loi instituant la Commission des pensions et définissant les attributions de cette dernière resterait muette quant au pouvoir de 4la Commission des pensions de remettre en cause ou de réévaluer les décisions prises par la Commission mixte.

Ainsi, au vu du constat qu'il n'existerait pas de lien entre les deux systèmes, il ne serait pas dans l'intérêt de Madame … de solliciter un service à temps partiel pour raisons de santé à raison de 25 %, alors qu’aux termes de l'article 51 de la loi du 25 mars 2015, la Commission des pensions ne pourrait accorder un tel aménagement que pour une durée maximale d'une année, à la suite de laquelle il faudrait soit augmenter le service à temps partiel pour raisons de santé à 50 % d'une tâche complète, soit attribuer la pension d'invalidité à l'agent, situation qui serait moins favorable à Madame …, étant donné qu’elle bénéficierait actuellement d’une tâche réduite à 25 % d'une tâche complète accordée par la Commission mixte qui ne serait pas limitée dans le temps.

Le délégué du gouvernement soutient en dernier lieu, dans ce contexte, que si Madame … souhaitait une adaptation de son temps de travail ou une adaptation de son poste de travail, il lui appartiendrait de faire en sorte que la décision de la Commission mixte de 2019 soit réévaluée par cette dernière.

Madame … fait rétorquer à ce sujet, dans son mémoire en réplique, qu’il serait difficile de retracer le raisonnement de la partie gouvernementale sur ce point, alors que la prétendue absence de lien entre les deux systèmes n'aurait pas d'influence sur son intérêt à agir, étant donné qu’elle aurait sollicité un changement d'affectation sur un poste administratif à raison de 25% d'une tâche complète, tout en soulignant que du fait que la Commission des pensions n’aurait même pas statué au fond, les développements y relatifs de la partie gouvernementale seraient dépourvus de tout intérêt.

De plus, la détermination de la solution la plus adéquate pour sa situation relèverait exclusivement de sa propre appréciation.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement précise qu'il serait justement nécessaire de comparer les deux systèmes pour en saisir les différences influant sur l’intérêt à agir de Madame …, sans que cette analyse ne concerne d’ores et déjà le fond de l'affaire.

A titre liminaire, force est au tribunal de relever que les parties s’accordent pour retenir que Madame …, en sa qualité d’employée de l’Etat, est, actuellement, ainsi qu’au moment de la saisine de la Commission des pensions, soumise au régime de pension des fonctionnaires de l’Etat en application de l’article 8 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, de sorte que la décision déférée de la Commission des pensions, instituée par la loi du 25 mars 2015 « (…) pour se prononcer dans tous les cas où l’état de santé du fonctionnaire, du prétendant-droit ou du bénéficiaire d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé est déterminant pour l’octroi, la modification ou le retrait d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé, la réintégration dans l’administration ou un changement d’emploi ou d’affectation avec ou sans changement d’administration. »1, de se déclarer incompétent pour statuer sur la demande de changement d’administration, respectivement d’affectation lui présentée par Madame …, est bien de nature à faire grief à cette dernière pour 1 Article 46 de la loi du 25 mars 2015 5avoir refusé de statuer sur la demande afférente, et ce, sans préjudice quant au caractère bien-

fondé de la décision déférée, analyse devant se faire au fond du présent litige.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du délégué du gouvernement quant aux différences entre les systèmes de droit privé, respectivement de droit public, régis par, d’un côté, la Commission mixte et, de l’autre côté, la Commission des pensions, alors qu’il n’appartient pas aux agents de l’Etat de choisir librement le régime juridique auquel ils souhaitent être soumis, alors que le régime applicable est exclusivement déterminé par la loi, question qui touche le fond du présent litige. Il s’ensuit que cette détermination du « système » applicable est sans la moindre influence sur l’intérêt à agir de Madame … contre la décision déférée.

Le moyen d’irrecevabilité tenant à un défaut d’intérêt à agir dans le chef de Madame … laisse partant d’être établi.

En ce qui concerne finalement la recevabilité ratione temporis du recours, il échet de relever que la partie gouvernementale ne fournit pas d’argumentation y relative.

Or, même si le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, une contestation non autrement développée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans la présentation de leurs moyens.

Au vu des considérations qui précèdent et à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité, même à soulever d’office, le recours principal en réformation est partant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, la partie demanderesse retrace les rétroactes passés en revue ci-avant.

En droit, la partie demanderesse conclut en premier lieu à la violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors que la Commission des pensions, tout en se déclarant incompétente pour statuer sur sa requête, aurait cependant omis de transmettre sans délai la demande à l'autorité compétente, en l’avisant de cette transmission, obligation qui serait à respecter sans restriction.

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse réfute encore l’affirmation de la partie gouvernementale selon laquelle la Commission des pensions ne serait pas une autorité administrative au sens de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en raison de son caractère d’autorité administrative autonome, alors que les communes seraient également des autorités administratives dont l'autonomie serait d’ailleurs constitutionnellement consacrée, sans que cela ne les empêcherait de respecter le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, étant donné que l’article 1er dudit règlement viserait bien « Toute autorité administrative ».

6De plus, le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 devrait s'appliquer à la Commission des pensions en raison du fait qu’il n’existerait pas d’autre disposition prévoyant au moins des garanties ou protections équivalentes pour l'administré.

En deuxième lieu, la partie demanderesse conclut à la violation de l'article 49, alinéa 1er de la loi du 25 mars 2015, sinon de l'article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que la décision déférée ne serait pas motivée, alors que la Commission des pensions n'aurait indiqué aucune disposition légale ou réglementaire sur laquelle elle se serait fondée pour prendre sa décision, d’autant plus que les motifs de la décision diffèreraient fondamentalement du dispositif de cette dernière.

En effet, en estimant qu'il serait établi au vu des éléments du dossier que la Commission mixte aurait déjà pris une décision en date du 21 octobre 2019 ayant le même objet, la Commission des pensions aurait manifestement commis une erreur de fait, alors que ladite décision du 21 octobre 2019 aurait eu pour seul objet la réduction du temps de travail de 50% à 25%, mais n’aurait pas porté sur un quelconque changement d'affectation, tel que sollicité en l’espèce.

La partie demanderesse fait encore répliquer à ce sujet que la Commission des pensions, par renvoi à l'article 46 et suivants de la loi du 25 mars 2015, aurait certes valablement situé et justifié le cadre judiciaire de sa saisine, ainsi que de son champ d'application, mais qu’elle n’aurait fourni aucune motivation à la base de son constat d’incompétence, laquelle ne serait pas non plus justifiée par le simple renvoi à deux décisions de la Commission mixte datant des 14 septembre 2010 et 21 octobre 2019, ni par la référence aux conclusions du médecin de contrôle et du médecin du travail.

En troisième lieu, la partie demanderesse conclut à un excès de pouvoir, respectivement à une erreur manifeste d'appréciation de la part de la Commission des pensions en ce que cette dernière se serait déclarée incompétente pour statuer sur sa requête, alors même que tant le médecin de contrôle que le médecin du travail auraient estimé justifié le changement d'affectation sur un poste administratif, ce d’autant plus qu’elle aurait elle-

même marqué son accord à ce que la Commission des pensions délibère et décide sur base des rapports établis par le médecin du contrôle et le médecin du travail.

La partie demanderesse fait encore répliquer que contrairement aux insinuations de la partie gouvernementale, la Commission des pensions se serait déclarée incompétente sans indiquer de motivation en fait et en droit. Ce serait encore manifestement à tort que la partie gouvernementale arguerait que les raisons pour lesquelles la Commission des pensions se serait déclarée incompétente seraient parfaitement justifiées par rapport aux conclusions du mémoire en réponse.

Finalement, la décision déférée aurait encore violé le principe de proportionnalité, alors qu’au-delà du fait qu'un changement d'affectation à un poste administratif aurait été recommandé tant par le médecin de contrôle que par le médecin du travail, le refus de statuer sur sa requête aurait pour conséquence de la déstabiliser davantage, compte tenu de la situation de mobbing épinglée par le rapport médical neurologique du 31 mars 2021 établi par son médecin traitant, le Dr T.

La partie demanderesse demande, à titre subsidiaire, de commettre un expert médecin avec la mission de déterminer dans un rapport écrit et motivé si elle est capable de travailler à 7temps partiel pour raison de santé à hauteur de 25% d'une tâche normale, après un changement d'affectation sur un poste administratif.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.

A titre liminaire, force est de relever qu’en l’espèce la Commission des pensions s’est limitée à se déclarer incompétente pour statuer sur la requête lui adressée par la partie demanderesse visant à se faire accorder un changement d’administration voire d’affectation pour raisons médicales, de sorte que l’objet du présent recours doit également être limité à cette question, laquelle est d’ailleurs d’ordre public, de sorte à pouvoir même être soulevée d’office par le tribunal. Il s’ensuit que le moyen relatif au bien-fondé de la demande de réaffectation, y compris la demande en institution d’un expert médical, laissent d’être pertinents et encourent d’ores et déjà le rejet.

En l’espèce, la partie demanderesse estime que la décision d’incompétence pêcherait par un excès de pouvoir, voire par une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle ne serait nullement motivée ni en fait ni en droit.

La partie gouvernementale, quant à elle, fait souligner en substance qu’étant donné que cela aurait été la Commission mixte qui aurait auparavant retenu les différentes réductions de travail, lesquelles seraient toujours valides, il aurait appartenu à la partie demanderesse de saisir cette dernière, seule compétente pour statuer dans le cadre d'une réévaluation d'une personne en reclassement professionnel en application de l’article L. 551-

6, paragraphe (4) du Code du travail, et ce, alors même que cette dernière aurait changé de régime de pension, étant donné que ni le Code du travail, ni la loi du 25 mars 2015 ne prévoiraient une équivalence, une reprise ou un lien entre les deux systèmes.

A l’audience publique des plaidoiries, le délégué du gouvernement a rajouté qu’il existerait un accord interministériel non autrement formalisé selon lequel les agents ayant déjà fait l’objet d’une procédure devant la Commission mixte, continueraient à être soumis au régime de droit privé même après avoir accédé au régime de pension des fonctionnaires de l’Etat.

Force est au tribunal de retenir que c’est d’abord à tort que la partie demanderesse conclut à une absence de motivation de la décision déférée, alors qu’au-delà du constat qu’un défaut de motivation d’une décision n’est pas de nature à entraîner l’annulation d’un acte du fait que l’administration peut toujours fournir un complément de motivation en cours d’instance et même encore en appel, il ressort de la lecture de la décision déférée, citée in extenso ci-avant, que la Commission des pensions a indiqué non seulement une motivation en droit, en avançant qu’elle a été saisie sur base de l’article 46 et suivants de la loi du 25 mars 2015, mais également en fait par le renvoi à la décision de la Commission mixte prise en date du 21 octobre 2019, motivation encore valablement précisée par le délégué du gouvernement 2 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 515 et les autres références y citées.

8en cours d’instance, de sorte qu’il n’y a en l’occurrence pas de violation de l’article 49 de la loi du 25 mars 2015, disposant que la décision de la Commission des pensions « doit être motivée », ni de violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, lequel n’exige d’ailleurs qu’une motivation sommaire, étant relevé que c’est à tort que la partie gouvernementale estime qu’en raison de la relative autonomie de la Commission des pensions, ainsi que de son statut quasi-juridictionnel, cette dernière ne serait pas à considérer comme une autorité administrative « au sens classique du terme », soumise au règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Le moyen afférent encourt dès lors le rejet, étant relevé que la pertinence et le bien-fondé de cette motivation est une question de fond, laquelle sera traitée par la suite.

Au fond, il est rappelé qu’en vertu de l’article 46 de la loi du 25 mars 2015, la Commission des pensions est compétente pour « (…) se prononcer dans tous les cas où l’état de santé du fonctionnaire, du prétendant-droit ou du bénéficiaire d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé est déterminant pour l’octroi, la modification ou le retrait d’une pension ou d’un service à temps partiel pour raisons de santé, la réintégration dans l’administration ou un changement d’emploi ou d’affectation avec ou sans changement d’administration. », le fonctionnaire concerné par cette disposition étant notamment, d’après l’article 1er de la même loi, définissant son champ d’application, les « (…) fonctionnaires et employés de l’Etat à condition de l’application de l’article 8 prévu respectivement par la loi modifiée du 27 janvier 1972 fixant le régime des employés de l’Etat et par la loi du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, (…) ».

En l’espèce, il est rappelé qu’il est constant en cause que la partie demanderesse est à considérer comme un employé de l’Etat ayant, par application de l’article 8 de la loi modifiée du 25 mars 2015 déterminant le régime et les indemnités des employés de l’Etat, entretemps « droit pour lui-même et ses survivants, à l’application du régime de pension des fonctionnaires de l’Etat ».

Il ressort ensuite de la demande de la partie demanderesse, telle qu’elle ressort de la fiche de renseignement personnelle remplie en vue de la saisine de la Commission des pensions, figurant au dossier administratif, que sous la rubrique « Sujet de la demande » est notamment coché la case « Un changement d’administration / changement d’affectation pour raisons de santé », la rubrique « Rapport de la situation actuelle » renvoyant au rapport médical précité de son médecin traitant du 31 mars 2021 sollicitant expressément un changement d’affectation en vue de l’occupation d’un poste administratif.

Il s’ensuit que la demande litigieuse, visant un changement d’affectation, tombe clairement dans le champ de compétence de la Commission des pensions, tel que défini par les articles 46 et 1er, précités, de la loi du 25 mars 2015, de sorte que la décision déférée du 28 octobre 2021 est à réformer en ce sens.

Cette conclusion n’est énervée ni par l’argumentation gouvernementale selon laquelle il appartiendrait exclusivement à la Commission mixte de réévaluer les dossiers qu’elle avait traités auparavant, alors que cette dernière ne saurait appliquer le régime des pensions, tel qu’il est prévu par la loi du 25 mars 2015 actuellement applicable à la partie demanderesse, ni par un prétendu accord interministériel, d’ailleurs non autrement formalisé, lequel aurait pour but de laisser en partie lettre morte les articles 1er et 46 précités de la loi du 25 mars 2015.

9Il suit de ces considérations que le recours en réformation est d’ores est déjà à accueillir, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant et notamment sur le moyen tenant à une violation de l’article 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, dont l’analyse est devenue superfétatoire.

La partie demanderesse sollicite finalement une indemnité de procédure d’un montant de 3.000,- euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 ».

Le délégué du gouvernement s’oppose à l’indemnité de procédure sollicitée par la partie demanderesse.

Eu égard à l’issue du litige, ainsi qu’aux circonstances de l’espèce précitées, et au regard du fait que la partie demanderesse a dû recourir aux services d’un avocat pour soutenir sa demande, le tribunal fixe ex aequo et bono une indemnité de procédure à la somme de 1.000,- euros.

Force est au tribunal de relever que si la partie demanderesse a sollicité, au dispositif de sa requête introductive d’instance, d’ordonner à la partie étatique de lui communiquer le dossier administratif conformément à l’article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 1999, sans fournir une quelconque précision à ce sujet dans son recours, il échet de relever que le dépôt du dossier administratif constitue une obligation spontanée pour l’administration dont émane la décision déférée, de sorte qu’à défaut, pour la partie demanderesse, d’avoir, par la suite, contesté le caractère complet du dossier administratif versé en l’espèce, la demande y relative encourt le rejet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation dirigé contre la décision de la Commission des pensions du 28 octobre 2021 ;

au fond, le déclare justifié et déclare, par réformation de la décision du 28 octobre 2021, la Commission des pensions compétente pour statuer sur la requête de Madame … du 21 avril 2021 et lui renvoie le dossier pour statuer plus en avant ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat à payer à Madame … une indemnité de procédure d’un montant de 1.000,- euros ;

rejette la demande de Madame … basée sur l’article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 1999 ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 février 2024 par :

10Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46948
Date de la décision : 23/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-23;46948 ?

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