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21/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49992

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2024, 49992


Tribunal administratif N° 49992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49992 3e chambre Inscrit le 26 janvier 2024 Audience publique du 21 février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49992 du rôle et déposée le 26 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par la société à responsa

bilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 49992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49992 3e chambre Inscrit le 26 janvier 2024 Audience publique du 21 février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49992 du rôle et déposée le 26 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée NCS AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-2430 Luxembourg, 16, rue Michel Rodange, immatriculée au Registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B225706, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Aline CONDROTTE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (République démocratique du Congo) et être de nationalité congolaise, assigné à résidence à la …, sise à L-… (…), tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 10 janvier 2024 de le transférer vers les Pays-Bas comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er février 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique du 20 février 2024.

Le 30 juin 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-

après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche effectuée dans la base de données du système d’information sur les visas (VIS), que Monsieur … s’était vu délivrer par les autorités néerlandaises un visa valable du 20 juin au 10 juillet 2023.

1Le 12 juillet 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres également le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile assigna Monsieur … à résidence à la … (…) pour une durée de trois mois.

En date du 21 juillet 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités en date du 14 septembre 2023.

Par arrêté du 12 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, l’assignation à résidence de Monsieur … à la … (…) fut prorogée jusqu’au 22 décembre 2023.

Par arrêté du 20 décembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le 22 décembre 2023, l’assignation à résidence de Monsieur … à la … (…) fut à nouveau prorogée et ce, jusqu’au 8 mars 2024.

Par décision datée du 10 janvier 2024 et notifiée à l’intéressé en date du 15 janvier 2024, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers les Pays-Bas sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 juin 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 12(2) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 30 juin 2023 et le rapport d’entretien Dublin III du 12 juillet 2023 sur votre demande de protection internationale.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale 2En date du 30 juin 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac n’a fourni aucun résultat.

Il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que les Pays-Bas vous ont délivré un visa valable du 20 juin 2023 au 10 juillet 2023.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 12 juillet 2023.

Sur cette base, une demande de prise en charge a été adressée en date du 21 juillet 2023 aux autorités néerlandaises en vertu de l’article 12(2) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 14 septembre 2023.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction générale de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

La responsabilité des Pays-Bas est acquise suivant l’article 12(2) du règlement DIII en ce que le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité au moment de l’introduction de la demande de protection internationale au Luxembourg et que l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il résulte des recherches effectuées dans le cadre de votre demande de protection internationale que vous étiez en possession d’un visa délivré par les autorités néerlandaises, valable du 20 juin 2023 au 10 juillet 2023.

3Selon vos déclarations, vous auriez quitté la République démocratique du Congo en date du 10 décembre 2022 pour vous rendre au Malawi. Après cinq à six mois au Malawi, grâce à votre visa néerlandais vous auriez pris un vol en direction d’Amsterdam aux Pays-Bas avec un transit par Addis-Abeba en Ethiopie et par Vienne en Autriche.

Aux Pays-Bas, vous n’avez pas introduit de demande de protection internationale et vous auriez quitté le territoire néerlandais que quelques heures après votre arrivée. En outre, vous déclarez que votre objectif aurait été de vous rendre au Luxembourg. Vous auriez alors pris un train pour vous rendre en Allemagne. Après 3 jours à Coblence, vous auriez finalement pris un train pour le Luxembourg, où vous seriez arrivé en date du 30/06/2023.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 12 juillet 2023, vous avez fait mention de douleurs aux parties génitales. Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale ne ferait pas l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

4Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction générale de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2024, inscrite sous le numéro 49992 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 10 janvier 2024.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

5A l’appui de son recours, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 10 janvier 2024 et expose les raisons pour lesquelles il aurait été contraint de fuir son pays d’origine, la République démocratique du Congo.

Il explique notamment qu’il aurait quitté son pays d’origine le 10 décembre 2022, sans préjudice quant à la date exacte, en raison des violences qu’il y aurait subies du fait de son appartenance à la communauté katangaise.

Le demandeur ajoute qu’il se serait réfugié au Malawi avant de rejoindre par la suite les Pays-Bas où il n’aurait passé que quelques heures avant d’entrer sur le territoire du Grand-

Duché de Luxembourg.

En droit, il reproche d’abord au ministre d’avoir refusé l’application de l’article 17 du règlement Dublin III et estime que la décision déférée résulterait d’une appréciation incomplète et erronée de sa situation individuelle, caractérisée notamment par le fait qu’il aurait subi des mutilations génitales dans son pays d’origine et souffrirait de douleurs testiculaires.

Dans ce contexte, le demandeur fait plus particulièrement valoir qu’en cas de transfert vers les Pays-Bas, il existerait des risques que sa demande de protection internationale soit rejetée et que partant, il soit renvoyé dans son pays d’origine dans lequel sa sécurité ne serait pas assurée.

Le demandeur soutient en second lieu qu’il existerait aux Pays-Bas des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale et que son transfert vers ledit pays entraînerait des risques de traitement inhumain ou dégradant dans son chef et serait partant constitutif d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH » et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte ».

Il se réfère à cet égard à un rapport d’évaluation de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International » relatif à la situation des droits de l’Homme aux Pays-Bas pour ce qui concerne l’année 2022.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Le tribunal relève d’abord qu’il n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent1.

Il y a ensuite lieu de relever que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, sur le fondement duquel la décision ministérielle déférée a été prise, dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays 1 Trib. adm., 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 515 et les autres références y citées.

6responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a également été prise, dispose, quant à lui, que : « […] Si le demandeur est titulaire d’un visa en cours de validité, l’État membre qui l’a délivré est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d’un autre État membre en vertu d’un accord de représentation prévu à l’article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l’État membre représenté est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. ».

Il suit de cette disposition que si un demandeur de protection internationale s’est vu délivrer un visa par un Etat membre, ce dernier est en principe responsable de l’examen de la demande de protection internationale.

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 12, paragraphe (2) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale introduite par le demandeur, mais les Pays-Bas. Il est également constant en cause pour ressortir des éléments du dossier administratif que les Pays-Bas ont délivré au demandeur un visa valable du 20 juin 2023 au 10 juillet 2023, ce que ce dernier ne conteste pas. Les autorités néerlandaises ayant en outre accepté de prendre le demandeur en charge en date du 14 septembre 2023, c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg en date du 30 juin 2023, soit durant la période de validité du prédit visa délivré par les autorités néerlandaises.

Force est encore de constater que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des Pays-Bas, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour statuer sur sa demande de protection internationale, mais soutient, en substance, que son transfert vers les Pays-Bas violerait les articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi que les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale entraînant un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre 7responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant de la première possibilité visée ci-dessus, suivant l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal est amené à rappeler que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant que membre signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par la « Convention de Genève », et disposent a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point 92.

3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

8l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5.

Dans un arrêt du 16 février 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne, désignée ci-après par « la CJUE », a d’ailleurs expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que, pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation 4 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

5 Voir aussi : Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 91.

11 Ibidem, point 92.

9des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits fondamentaux par les Pays-Bas, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Si le demandeur fait certes état, dans son recours, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III aux Pays-Bas, il échet toutefois de constater que ce dernier se limite à affirmer de façon péremptoire que les conditions d’accueil et de procédure pour les demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas seraient défaillantes, sans mentionner de problème concret susceptible d’affecter l’analyse future de sa demande de protection internationale par les autorités néerlandaises, étant précisé, à cet égard, que dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale aux Pays-Bas, il ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III aux Pays-Bas qu’il y aurait personnellement pu rencontrer.

Le demandeur se prévaut en effet uniquement dans le cadre de son recours d’un rapport d’évaluation de l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International » relatif à la situation des droits de l’Homme aux Pays-Bas pour l’année 2022 et en cite le passage suivant :

« Pendant des mois, l’État a logé des milliers de demandeurs et demandeuses d’asile, y compris des mineur·e·s, dans des lieux d’accueil d’urgence, tels que des gymnases, qui convenaient uniquement à des séjours très brefs. Ces centres insalubres ne fournissaient pas de nourriture et de soins de santé en quantité suffisante, l’intimité des personnes hébergées n’y était pas préservée et elles n’étaient pas correctement protégées contre les intempéries. En août, des centaines de personnes demandeuses d’asile ont été obligées de passer la nuit dehors, devant le seul centre d’enregistrement du village de Ter Apel, dans la province de Groningen, parce que le gouvernement ne leur avait pas proposé d’hébergement. En octobre, dans la même province, le gouvernement local a émis une réglementation d’urgence prévoyant une peine maximale de trois mois d’emprisonnement ou une amende de 4 500 euros pour toute personne fournissant des tentes aux demandeurs et demandeuses d’asile sans-abri. ».

Force est de constater que le demandeur se borne à citer de façon purement théorique ce rapport sans le mettre en relation avec sa situation particulière.

Cette observation étant faite, il importe encore de relever que le prédit rapport manque de pertinence alors qu’il vise uniquement une certaine période de l’année 2022 (non autrement précisée par l’organisation non-gouvernementale « Amnesty International ») et qu’il ne résulte d’aucune pièce du dossier soumis au tribunal que la situation déplorée par ladite organisation non-gouvernementale durant cette période existerait toujours, étant encore souligné que ledit rapport reste complètement muet sur la question même de la procédure d’asile aux Pays-Bas.

Il ne saurait en outre être déduit de manière générale d’un tel rapport que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure 12 Ibidem, point 93.

10d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal relève de surcroît que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », relative à une suspension générale des transferts vers les Pays-Bas, voire une demande en ce sens de la part du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, ci-après désigné par « l’UNHCR ». Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers les Pays-Bas de ressortissants congolais dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile néerlandaise qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Il y a encore plus particulièrement lieu de noter que le demandeur n’a ni dans le cadre de son entretien Dublin III, ni dans le recours sous examen, fait état de problèmes particuliers qu’il aurait personnellement rencontrés aux Pays-Bas.

Dans ce contexte, il importe de souligner, à l’instar du délégué du gouvernement, que le demandeur n’avait, lors de son entretien auprès du ministère en date du 12 juillet 2023, évoqué aucune crainte de subir aux Pays-Bas un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH. Il résulte au contraire du rapport d’entretien Dublin III du 12 juillet 2023 que le demandeur ne souhaitait pas retourner aux Pays-Bas pour les raisons suivantes : « J’aurais des difficultés au niveau de la langue », « Je ne voulais pas y rester parce qu’à mon arrivée j’ai vu que la communication serait difficile. En plus, mon objectif était de me rendre au Luxembourg », « La communication sera difficile. J’ai peur qu’ils ne comprennent pas les raisons de mon départ », « Mon objectif était de venir au Luxembourg », « Je souhaite que le Gouvernement du Luxembourg traite ma demande de protection internationale ». Suivant le rapport dressé le 30 juin 2023 par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, le demandeur a également indiqué ce qui suit : « Ich bin nach Luxembourg gekommen, da hierzulande französisch gesprochen wird ».

Il est ainsi manifeste que le demandeur a quitté les Pays-Bas et choisi de venir au Luxembourg pour des motifs de pure convenance personnelle.

L’argumentation développée dans son recours en relation avec ses prétendues craintes d’être confronté à des risques de traitement inhumain ou dégradant aux Pays-Bas laisse dès lors de convaincre le tribunal.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le demandeur n’a pas rapporté la preuve de l’existence, aux Pays-Bas, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens des articles 3 de la CEDH 11et 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays, de sorte que le moyen y afférent encourt le rejet.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable13.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte14, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.

Il appartient dès lors au tribunal de vérifier s’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé16.

Le demandeur invoque à plusieurs reprises dans son recours son état de santé pour contester la légalité de la décision entreprise.

En l’espèce, le tribunal relève de prime abord que, lors de son entretien Dublin III du 12 juillet 2023, le demandeur a indiqué avoir « des douleurs aux parties intimes », tout en précisant néanmoins ne pas nécessiter de traitement médical spécifique17.

A l’appui de son recours contentieux, le demandeur verse une ordonnance médicale établie le 6 juillet 2023 par le docteur …, médecin auprès de la cellule santé des demandeurs de protection internationale, indiquant ce qui suit : « Douleurs testiculaires suite à mutilation génitale dans son pays d’origine. A la palpation, seul un testicule est palpable ». Le demandeur se prévaut ensuite d’un compte-rendu d’examen daté du 27 octobre 2023, établi par le docteur 13 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 65 et 96.

15 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

16 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

17 Page 2 du rapport d’entretien Dublin III.

12…, suivant lequel « Le testicule gauche mesure 37 mm, il est le siège d’une microlithiase +-

diffuse, mais il n’y a pas de lésion focale suspecte. Le vascularisation normale. Le testicule droit est atrophique mesure moins de 10 mm, présente une grosse calcification centraux testiculaire, il est assez peu vasculaire, voire pas du tout, même en Doppler puissance.

Conclusion : microlithiase testiculaire gauche. Atrophie du testicule droit. Pas de lésion focale évolutive suspecte ».

Si ces pièces confirment dès lors certes les affirmations du demandeur quant à la mutilation génitale subie dans son pays d’origine, elles ne laissent toutefois pas conclure que son état de santé serait d’une gravité telle qu’aucun transfert vers les Pays-Bas ne serait possible. En effet, il ne ressort ni de l’ordonnance médicale, ni du compte-rendu d’examen versés en cause qu’un transfert du concerné vers les Pays-Bas pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers les Pays-Bas. S’y ajoute au demeurant que le demandeur ne soutient aucunement que les lésions testiculaires dont il souffre nécessiteraient une prise en charge médicale ou un traitement médicamenteux qui s’opposeraient à un tel transfert, respectivement qu’une telle prise en charge médicale ou un tel traitement médicamenteux seraient impossibles sinon inaccessibles aux Pays-Bas.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin, il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers les Pays-Bas par le biais de la communication aux autorités néerlandaises des informations adéquates, pertinentes et raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard18.

Pour être complet, le tribunal se doit de rappeler que la décision déférée n’implique pas un retour du demandeur vers son pays d’origine, ce que ce dernier reconnaît lui-même dans son recours, mais désigne uniquement l’Etat responsable pour le traitement de la demande de protection internationale.

L’argumentation développée par le demandeur en relation avec son retour dans son pays d’origine n’est dès lors pas pertinente dans le cadre de l’analyse de la légalité de la décision déférée.

Pour être complet, en ce qui concerne la crainte d’un refoulement vers la République démocratique du Congo invoquée par le demandeur, force est de souligner que la décision entreprise n’implique pas un retour au pays d’origine, mais désigne a priori uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale, respectivement de ses suites, soit en l’espèce les Pays-Bas, ce pays ayant, comme relevé ci-

18 En ce sens : Trib. adm., 30 mars 2022, n° 47115 du rôle, disponible sur le site www.justice.public.lu.

13dessus, reconnu sa compétence pour reprendre en charge l’intéressé, ce point n’étant d’ailleurs pas contesté.

Il échet ensuite de rappeler que les Pays-Bas respectent a priori - le demandeur ne fournissant aucun indice tangible permettant au tribunal d’en douter - en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions les droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que, plus particulièrement, le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève et que les Pays-Bas disposent d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, le règlement Dublin III qualifiant d’ailleurs explicitement, en son considérant 3, les Etats membres comme pays sûrs respectant le principe de non-refoulement (« À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considérés comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers »). Ainsi, même dans l’hypothèse d’un rejet de sa demande de protection internationale par les autorités néerlandaises, rejet à l’heure actuelle purement hypothétique, le demandeur pourrait encore le cas échéant se prévaloir des risques prétendument encourus en République démocratique du Congo devant la justice néerlandaise afin d’éviter son éloignement.

Il n’appert encore pas que la mise en œuvre d’une décision définitive de refus de protection internationale et de renvoi vers le pays d’origine constituerait en soi une violation du principe de non-refoulement, le règlement Dublin III visant précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples (« asylum shopping ») en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only ») : le règlement Dublin III cherche en effet à pallier aux mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui souhaitent, pour différentes raisons, notamment au vu d’une jurisprudence nationale plus favorable, faire leur demande dans l’Etat membre de leur choix.

Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments soumis au tribunal, il échet de conclure que Monsieur … n’a pas démontré que le transfert vers les Pays-Bas l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH ou à l’article 4 de la Charte, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur fondé sur l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. », il y a lieu de relever que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres19, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201720.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la 19 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

20 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.

14satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge21, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration22.

En l’espèce, le demandeur affirme que sa situation serait particulière et relèverait d’un cas humanitaire au motif qu’il aurait subi des mutilations génitales dans son pays d’origine. Il soutient en outre qu’en cas de transfert vers les Pays-Bas, il existerait des risques que sa demande de protection internationale soit refusée et qu’il soit renvoyé vers la République démocratique du Congo.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que l’intéressé estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que le demandeur n’a pas mis en avant des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de ce qui précède et en l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours sous analyse est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

21 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

22 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

15 s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49992
Date de la décision : 21/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-21;49992 ?

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