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21/02/2024 | LUXEMBOURG | N°47405

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 février 2024, 47405


Tribunal administratif N° 47405 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47405 3e chambre Inscrit le 6 mai 2022 Audience publique du 21 février 2024 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47405 du rôle et déposée le 6 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … en

Syrie et de Madame B, née le … en Syrie, demeurant actuellement en Syrie et élisant do...

Tribunal administratif N° 47405 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47405 3e chambre Inscrit le 6 mai 2022 Audience publique du 21 février 2024 Recours formé par Monsieur A et consorts, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47405 du rôle et déposée le 6 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … en Syrie et de Madame B, née le … en Syrie, demeurant actuellement en Syrie et élisant domicile en l’étude de leur litismandataire, préqualifié, sise à L-2340 Luxembourg, 34 B, rue Philippe II, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de leur enfant mineur C, né le … à … (Syrie), ainsi qu’au nom de Madame D, née le … à … (Syrie), demeurant à L-…, tous de nationalité syrienne, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 octobre 2021 rejetant la demande de regroupement familial au bénéfice des deux parents et des frères et sœur mineurs d’C ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 octobre 2022 ;

Vu la constitution de nouvel avocat déposée au greffe du tribunal administratif le 5 décembre 2023 par Maître Nour E. HELLAL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des demandeurs, préqualifiés ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. HELLAL et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 décembre 2023.

En date du 29 mai 2020, Madame D, accompagnée de son neveu, l’enfant mineur C, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-

après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 21 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Madame D que le statut de réfugié leur était accordé.

1Par un courrier de leur mandataire du 15 juin 2021, Madame D et l’enfant mineur C introduisirent une demande de regroupement familial en faveur des deux parents d’C, ainsi que de ses frères et sœur résidant avec ces derniers.

Par une décision du 22 octobre 2021, le ministre refusa de faire droit à ladite demande de regroupement familial aux motifs suivants :

« […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 18 juin 2021, ainsi que vos courriers des 7 et 27 septembre 2021.

Il y a lieu de rappeler que l'enfant C a déposé une demande de protection internationale en date du 29 mai 2020, accompagné de sa tante, Madame D qui lors de l'entretien concernant sa demande de protection internationale a déclaré être responsable de son neveu. Par décision ministérielle du 21 avril 2021, le statut de réfugié politique leur est accordé. Il y a lieu de constater que Madame D et son neveu C habitent à la même adresse.

Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, l'enfant C ne peut pas être considéré comme mineur non-accompagné au sens de l'article 68 d) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration alors qu'il est entré sur le territoire luxembourgeois accompagné d'un adulte responsable de lui de par la loi ou la coutume et qu'il n'a pas été laissé seul après être entré sur le territoire. Par conséquent l'article 70, paragraphe (4) de la loi citée n'est pas applicable en l'espèce.

Par ailleurs, afin de pouvoir bénéficier du regroupement familial conformément à l'article 70, paragraphe (5) de la loi modifiée du 29 août 2008, les ascendants en ligne directe au premier degré doivent être à charge du regroupant et privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d'origine.

Or, il ne ressort pas de votre demande que Monsieur A et Madame B sont à charge de l'enfant C et il n'est pas prouvé que les intéressés ne peuvent pas subvenir à leurs besoins élémentaires par leurs propres moyens.

En ce qui concerne la demande de regroupement familial en faveur de la sœur et des frères de l'enfant C, je tiens à vous informer que le regroupement familial de la fratrie n'est pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008.

Enfin, Monsieur A, Madame B, née en … et leurs enfants …, … et … ne remplissent aucune condition qui leur permettrait de bénéficier d'une autorisation de séjour dont les catégories sont fixées à l'article 38 de la loi du 29 août 2008 précitée.

L'autorisation de séjour leur est donc refusée conformément aux articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. […] ».

Par courrier de leur litismandataire du 7 décembre 2021, Madame D et l’enfant mineur C firent introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 22 octobre 2021.

2Par courrier du 7 février 2022, le ministre confirma sa décision initiale du 22 octobre 2021 dans les termes suivants :

« […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 9 décembre 2021.

Je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 22 octobre 2021 dans son intégralité. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 mai 2022, Monsieur A et Madame B, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour compte de l’enfant C, ensemble Madame D, ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 22 octobre 2021 rejetant la demande de regroupement familial introduite par l’enfant C au bénéfice de ses deux parents et ses frères et sœur mineurs.

Dans la mesure où aucune disposition légale ne prévoit de recours en réformation en la présente matière, l’article 113 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 », auquel il est indirectement renvoyé par l’article 75 de cette même loi, sur le fondement duquel la décision déférée du 22 octobre 2021 a été prise, prévoyant expressément un recours en annulation en cette matière, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui du recours, les demandeurs exposent d’abord les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, tout en faisant valoir que l’enfant C aurait fui la Syrie en 2019 à l’âge de … ans, accompagné de sa tante paternelle, Madame D, afin d’échapper à l’enrôlement militaire forcé du régime syrien, les parents de celui-ci, tout comme ses frères et sœur n’ayant pas pu partir avec eux faute de moyens financiers.

En droit, les demandeurs invoquent, en premier lieu, une erreur manifeste d’appréciation du ministre dans la mesure où ce dernier n’aurait pas pris en compte la situation concrète d’C qui souffrirait gravement de l’absence de ses parents et de ses frères et sœur, comme en attesteraient une lettre manuscrite que celui-ci aurait adressée au ministre en date du 10 mars 2022, ainsi que le compte rendu du 17 janvier 2022 du docteur …, psychologue clinicienne de la …, lequel aurait constaté une importante détresse psychologique ainsi qu’un état dépressif dans le chef du mineur, de même qu’une dégradation de la relation avec sa tante qui ne souhaiterait plus le prendre en charge.

En second lieu, les demandeurs critiquent la décision déférée pour ne pas avoir reconnu la qualité de mineur non accompagné à l’enfant C en application de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008 et s’étonnent qu’aucun administrateur public n’aurait été nommé pour ce dernier. A cet égard, ils font valoir que sa tante, Madame D, en acceptant qu’C l’accompagne en Europe, aurait été de fait responsable de celui-ci, et non pas de par la loi ou la coutume, tel qu’exigé par l’article 68, point d) de la loi du 29 août 2008.

En troisième lieu, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir fait primer l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément aux articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, désignée ci-après par « la CEDH », et 24, paragraphe (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et plus particulièrement de ne pas avoir pris en compte le jeune âge d’C, ni les 3circonstances de guerre qui l’auraient obligé à fuir son pays d’origine, ni encore la gravité de son état psychologique liée à l’absence de sa famille.

Ils renvoient encore, dans ce contexte, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, dont il ressortirait que la prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant serait primordiale en matière de regroupement familial, ainsi qu’aux articles 3, paragraphe (1), 9, paragraphe (1) et 10, paragraphe (1) de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, pour faire valoir que le ministre aurait l’obligation de veiller à ce qu’un enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré et d’éviter toute conséquence préjudiciable pour les membres de la famille du regroupant, ce qu’il n’aurait pas fait en l’espèce.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, les demandeurs concluent, par renvoi à un arrêt de la Cour administrative du 22 avril 2022, inscrit sous le numéro 46806C du rôle, que le ministre aurait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant C en violation de l’article 8 de la CEDH et qu’il aurait méconnu l’intérêt supérieur de celui-ci, de sorte que la décision litigieuse encourrait l’annulation.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens. Après avoir retracé les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 22 octobre 2021, tels que repris ci-avant, il rappelle les termes de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, pour souligner que, pour l’application du paragraphe (4) dudit article, il faudrait être considéré comme mineur non accompagné au sens de l’article 68, point d) de la loi du 29 août 2008, dont la définition constituerait une transposition littérale de la notion de mineur non accompagné, telle que donnée par l’article 2, point f) de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, dénommée ci-après « la directive 2003/86/CE », ce qui ne serait cependant pas le cas en l’espèce, alors qu’il ressortirait du rapport d’entretien de Madame D du 16 février 2021 dans le cadre de sa demande de protection internationale qu’elle aurait déclaré être responsable de son neveu dès leur arrivée au Luxembourg, partant depuis plus de huit mois, et qu’ils se seraient vus octroyer le statut de réfugié ensemble.

Concernant le reproche suivant lequel aucun tuteur n’aurait été nommé pour l’enfant C, le délégué du gouvernement fait plaider que, conformément aux articles 5 et 6 de la Convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, les autorités de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant, à savoir les autorités luxembourgeoises, seraient compétentes pour prendre des mesures de protection relatives à sa personne ou ses biens. Or, en l’espèce, le fait qu’aucun administrateur ad hoc n’ait été nommé, ni même sollicité par la partie étatique démontrerait que la tante d’C, qui aurait affirmé être sa tutrice lors de la délivrance de leurs titres de séjour, aurait « assumé son rôle de représentant de l’enfant », raison pour laquelle celui-ci ne serait pas à considérer comme mineur non accompagné.

En prenant appui sur la notion d’autorité parentale telle que définie par l’article 372 du Code civil, d’une part, et par l’article 2, point 7) du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, d’autre part, il fait encore valoir qu’en confiant leur enfant à Madame D, les parents d’C auraient décidé de lui en confier la responsabilité, alors qu’ils ne seraient plus en mesure d’exercer leur autorité parentale sur 4celui-ci. A cela s’ajouterait que Madame D aurait indiqué, lors de son entretien du 16 février 2021 dans le cadre de sa demande de protection internationale, que « [s]on neveu est venu dans le but de faire un regroupement familial pour sa famille », la partie étatique insistant, dans ce contexte, sur le fait qu’C serait venu au Luxembourg accompagné de sa tante qui serait responsable de lui, tout en se référant, à cet égard, à un jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2021, inscrit sous le numéro 44144 du rôle, qui aurait accueilli cette argumentation.

Le délégué du gouvernement réfute ensuite l’argumentation des demandeurs relative à une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et du droit au respect de la vie privée et familiale, en donnant à considérer que tant le droit européen que le droit national conféreraient une protection renforcée aux mineurs non accompagnés, parmi lesquels le regroupant ne pourrait pas être compté, et que ce seraient les parents d’C qui auraient, en l’envoyant avec sa tante en Europe, pris une décision allant à l’encontre de son intérêt supérieur, de sorte qu’aucune ingérence injustifiée dans la vie privée et familiale du regroupant, ni aucune lésion de son intérêt supérieur, ne sauraient être reprochées au ministre, le délégué du gouvernement s’appuyant encore, à cet égard, sur un arrêt de la Cour administrative du 19 novembre 2020, inscrit sous le numéro 44309C du rôle.

Finalement, le délégué du gouvernement rappelle que les Etats auraient le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur sol, et qu’ils ne seraient pas obligés de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence et de permettre le regroupement familial sur leur territoire et conclut, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, au rejet du recours sous analyse.

A titre liminaire, force est au tribunal de rappeler que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, il a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés1.

Il échet ensuite de relever que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68, point c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.

Il convient ensuite de rappeler qu’aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an et qui a une perspective fondée d'obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l'article 70, s'il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu'il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d'aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

1 Trib. adm., 1er octobre 2012, n° 28831 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 38 et les autres références y citées.

52. il dispose d'un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d'une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l'article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l'octroi d'une protection internationale. ».

Il ressort du prédit article que le bénéficiaire d’une protection internationale ayant introduit une demande de regroupement familial dans le délai de six mois suivant l’octroi de la protection internationale n’a pas à répondre aux conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1), à savoir aux obligations en matière de logement, d’assurance maladie et de ressources suffisantes.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que l’enfant C a introduit la demande de regroupement familial dans les six mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.

L’article 70 de cette même loi, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, est libellé comme suit : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l'article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu'ils ne représentent pas un danger pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l'entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d'en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d'un conjoint n'est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

6(4) Le ministre autorise l'entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d'une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L'entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre:

a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d'origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu'ils sont objectivement dans l'incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d'une protection internationale, lorsque celui-ci n'a pas d'ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

En considération du fait que le regroupant bénéficie de la dispense précitée de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, il convient en l’espèce d’examiner si l’enfant C est susceptible de tomber dans les prévisions de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008, impliquant un regroupement de droit avec ses ascendants en ligne directe, sans devoir rapporter la preuve que ces derniers sont à sa charge et privés de tout soutien familial dans leur pays d’origine, ou si, comme le ministre l’a estimé, à défaut de remplir les conditions du paragraphe (4), la demande de regroupement familial de l’enfant C serait régie par les dispositions plus restrictives du paragraphe (5) du même article.

Il ressort de la lecture du paragraphe (4) de l’article 70, précité, de la loi du 29 août 2008 que l’application de ce dernier suppose que deux conditions cumulatives soient remplies dans le chef du regroupant, à savoir être bénéficiaire d’une protection internationale et être considéré comme mineur non accompagné.

La première condition n’étant pas litigieuse, les parties sont cependant en désaccord sur la question de savoir si l’enfant mineur C peut être considéré comme un mineur non accompagné.

La notion de « mineur non accompagné » est définie par l’article 68, point d) de la loi du 29 août 2008 comme « tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de dix-huit ans, entrant sur le territoire sans être accompagné d'un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu'il n'est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire ».

Si, en l’espèce, la minorité d’âge de l’enfant C n’est pas contestée, la question litigieuse à toiser est celle de savoir si sa tante, Madame D, peut être considérée comme un adulte responsable de lui de par la loi ou la coutume, étant donné qu’il est constant en cause que l’enfant C a fui son pays d’origine et est venu au Luxembourg ensemble avec celle-ci, qu’il a déposé une demande de protection internationale et obtenu une telle protection ensemble avec celle-ci et qu’il est, depuis son arrivée au Luxembourg, hébergé chez elle.

7S’il ressort effectivement du rapport d’entretien de Madame D du 16 février 2021 dans le cadre de sa demande de protection internationale qu’elle est « responsable de [s]on neveu jusqu’à nouvel ordre »2, alors qu’aucun autre membre de sa famille ne l’avait accompagné au Luxembourg, il ne ressort néanmoins d’aucun élément de la cause que Madame D puisse être, en l’occurrence, considérée comme un adulte responsable de l’enfant C « de par la loi ou la coutume ».

En effet, s’il ressort certes des éléments de la cause que l’enfant C est arrivé au Luxembourg sans ses parents, mais en compagnie de sa tante, qui a déposé une demande de protection internationale également au nom de son neveu et que ces derniers se sont vu reconnaître le statut de réfugié, il n’en demeure pas moins que la tante d’C ne peut pas être considérée comme un adulte légalement responsable de lui de par la loi ou la coutume, à défaut de sa nomination comme administrateur public chargé de s’occuper de lui, étant relevé que l’autorité parentale a été exercée au moment pertinent par les parents restés en Syrie.

Or, la seule affirmation faite par Madame D dans le cadre de son rapport d’entretien du 16 février 2021 qu’elle serait responsable de son neveu ne permet pas de conclure que l’autorité parentale ne serait plus exercée par les parents d’C restés en Syrie. Au contraire, le constat que seuls les parents d’C exercent leur autorité parentale vis-à-vis de ce dernier est conforté, d’une part, par l’affirmation de Madame D dans son rapport d’entretien du 16 février 2021 suivant laquelle les deux parents d’C auraient la garde de celui-ci3 et, d’autre part, par la déclaration du père d’C, Monsieur A, datée du 4 novembre 2021 et versée au débat par les demandeurs, dans laquelle celui-ci souligne que « the child [C] has no guardian or breadwinner other than us in Syria or outside », le mot « us » se référant aux deux parents d’C, étant encore précisé que si cette déclaration est certes postérieure à la prise de la décision litigieuse, elle corrobore un état de fait préexistant et peut, à ce titre, être prise en considération par le juge de l’annulation.

Ce constat n’est pas énervé par l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle aucun des deux parents ne serait actuellement en mesure d’exercer l’autorité parentale sur leur fils, de sorte que la tante de celui-ci serait « la mieux placée afin d’exercer telle autorité sur ce dernier », alors qu’il aurait, dans ces conditions, appartenu à la partie étatique de faire nommer un administrateur public dès l’arrivée de l’enfant sur le territoire, le cas échéant, dans la personne de sa tante, ce qu’elle a toutefois omis de faire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’enfant C était à qualifier de mineur non accompagné au sens de l’article 68, point d), de la loi du 29 août 2008 et que sa demande de regroupement familial était partant à examiner sous l’angle de l’article 70, paragraphe (4), de la loi du 29 août 2008 visant le regroupement familial des ascendants directs au premier degré d’un mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, et non pas sous l’angle de l’article 70, paragraphe (5), de la même loi, de sorte que le moyen tenant à une violation de la loi, respectivement à une erreur manifeste d’appréciation, par la décision déférée, en relation avec le statut de mineur non accompagné dans le chef de l’enfant C est à accueillir.

2 Page 2 du rapport d’entretien.

3 Page 2 du rapport d’entretien.

8Il s’ensuit que la décision déférée encourt d’ores et déjà l’annulation en ce qu’elle n’a pas fait droit à la demande de regroupement familial sollicitée sur base de l’article 70, paragraphe (4) de la loi du 29 août 2008, sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant sur les autres moyens et arguments invoqués de part et d’autre, cette analyse étant superfétatoire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme;

au fond, le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 octobre 2021 et renvoie l’affaire en prosécution de cause audit ministre ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 février 2024 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Laura Urbany, premier juge, Sibylle Schmitz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 47405
Date de la décision : 21/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-21;47405 ?

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