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05/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49835

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2024, 49835


Tribunal administratif N° 49835 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49835 1re chambre Inscrit le 21 décembre 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements - amende

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49835 du rôle et déposée le 21 décembre 2023 au greffe du tribunal a

dministratif par Maître Georges Simon, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avo...

Tribunal administratif N° 49835 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49835 1re chambre Inscrit le 21 décembre 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements - amende

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49835 du rôle et déposée le 21 décembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Georges Simon, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée A, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par ses organes sociaux actuellement en fonctions, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 21 novembre 2023, référencée sous le numéro …, lui ayant infligé une amende de 138.000 euros en raison du défaut d’avoir fourni des renseignements dans le cadre d’une demande d’assistance émanant des autorités fiscales polonaises ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Georges Simon et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 janvier 2024.

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Par courrier recommandé du 15 septembre 2023, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », enjoignit à la société à responsabilité limitée A, ci-après désignée par « la société A », de lui fournir, pour le 23 octobre 2023 au plus tard, certains renseignements et documents concernant elle-même, respectivement la société de droit polonais B, ci-après désignée par « la société B », en application de la loi modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignement sur demande en matière fiscale, ci-après désignée par « la loi du 25 novembre 2014 ». Ladite injonction est libellée comme suit :

« […] En date du 1 août 2023, l’autorité compétente de l’administration fiscale polonaise nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Pologne du 14 juin 1995, modifiée par la loi du 14 juin 2013 portant approbation du Protocole et de l’échange de lettres relatif à ladite convention et de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et de son protocole d’amendement, approuvés en droit interne par la loi du 26 mai 2014.

1L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La finalité fiscale de la demande est une vérification de la situation fiscale de la société B ayant une adresse à …, Pologne.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, les renseignements et documents suivants pour le 23 octobre 2023 au plus tard.

Pour des raisons de meilleure lisibilité, nous avons repris le questionnaire anglais de la demande d’information des autorités polonaises pour les points suivants:

- Please state where the documents relating to the conduct of the business of your company are signed.

- Please provide the name(s) of the person(s) who sign(s) resolutions or agreements on behalf of your company.

- Please provide the number of persons that are employed by your company on the basis of agreements concluded between your company and another natural person for the provision of services.

- Please provide the number of persons that are employed by your company as an administrative staff.

- Please provide the number of persons that are employed by your company in a substantive or management capacity.

- Please state where higher-level employees and significant contractors have their places of residence/seat.

- Please provide the leasing agreements that were concluded by your company.

- Please state from which country the banking operations are ordered and a withdrawal of cash from an ATM occurs for the Luxembourgish bank account of your company.

- Please state whether the interest received by your company from SOCIETE B in 2022 was taxed in Luxembourg. If affirmative, please provide the amount of tax that was paid on this income.

- Please state where your company has a location (with the necessary infrastructure) where decision-making can take place.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. […] ».

Un rappel de la décision d’injonction, précitée, du 15 septembre 2023 fut adressé à la société A par courrier recommandé du 30 octobre 2023, libellé comme suit :

« […] Vous n’avez pas donné suite à notre décision d’injonction du 15 septembre 2023, dont copie en annexe, vous enjoignant de nous fournir des renseignements dans le cadre d’une demande administrative polonaise pour le 23 octobre 2023 au plus tard.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les 2renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération, endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision d’injonction.

A défaut, et conformément à l’article 5 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, le directeur des contributions directes peut vous infliger une amende administrative fiscale jusqu’à un montant de 250.000 EUR. […] ».

Par décision du 21 novembre 2023, le directeur infligea à la société A une amende de 138.000 euros, aux motifs suivants :

« […] Vous n’avez pas fourni tous les renseignements demandés endéans le délai d’un mois à partir de notre décision d’injonction du 15 septembre 2023, vous enjoignant de nous fournir des renseignements dans le cadre d’une demande d’assistance émanant des autorités fiscales polonaises.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer que conformément à l’article 5 de la loi modifiée du 25 novembre 2014 précitée, je me vois dans l’obligation de vous infliger une amende administrative fiscale de 138.000,00 EUR.

Je vous prie de bien vouloir payer endéans 1 mois, à partir de la réception de la présente, cette somme sur le compte […] du bureau de recette de Luxembourg […]. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2023, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale, précitée, du 21 novembre 2023.

Aux termes de l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014, le détenteur des informations s’étant vu infliger une amende, au sens de l’article 5 de la même loi, pour ne pas avoir fourni les renseignements sollicités endéans le délai lui imposé, peut intenter un recours en réformation à l’encontre de la décision directoriale ayant retenu une amende à son encontre.

Il s’ensuit que le tribunal de céans est compétent pour connaître du recours en réformation sous examen dirigé contre la décision directoriale, précitée, du 21 novembre 2023, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Prétentions des parties A l’appui de son recours, la société demanderesse soutient que l’amende litigieuse ne respecterait pas les principes généraux de la proportionnalité, de l’individualité, de la spécialité, de la gravité des faits, de la durée de la situation, ainsi que de l’exigence de motivation ut singula pour chaque amende prononcée, en ce que le montant de l’amende, qualifié de substantiel par la société A et qui correspondrait à plus de la moitié du maximum légal, serait disproportionné par rapport aux circonstances de l’espèce, et notamment par rapport à son comportement et à sa situation.

A cet égard, en soulignant qu’aucune des circonstances généralement considérées comme aggravantes, à savoir (i) le fait de ne pas fournir les renseignements demandés malgré un jugement coulé en force de chose jugée, (ii) l’attitude manifestement récalcitrante du 3détenteur de renseignements témoignant d’une volonté de ne pas vouloir coopérer avec l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « l’administration », et (iii) l’attitude récidiviste du détenteur de renseignements ne voulant pas coopérer avec l’administration, ne serait remplie en l’espèce, la société demanderesse donne à considérer qu’elle serait en situation de perte depuis plusieurs années.

Par ailleurs, elle souligne que la demande de renseignements des autorités polonaises gisant à la base de la décision d’injonction du directeur du 15 septembre 2023 s’inscrirait dans le cadre d’une vérification par lesdites autorités d’une demande de remboursement de retenue à la source luxembourgeoise présentée par la société B, la société demanderesse expliquant que cette dernière aurait sollicité le remboursement de la retenue à la source qui aurait déjà été payée. Il s’agirait, ainsi d’une « […] vérification standard et simple […] » qui aurait, au final, des conséquences graves pour elle.

En outre, la société demanderesse insiste sur sa bonne foi et sa volonté de collaborer avec l’administration.

A cet égard, elle fait plaider que le fait qu’elle n’aurait pas obtempéré à la susdite décision d’injonction dans le délai imparti ne serait pas dû à un manque de volonté de sa part de coopérer avec l’administration, mais à la circonstance selon laquelle, pour des raisons inconnues, ladite décision n’aurait pas été portée à la connaissance de ses gérants, de sorte qu’elle n’aurait pas été en mesure d’y répondre en temps utile.

Elle continue, en expliquant qu’après avoir pris connaissance de ladite décision d’injonction à travers le rappel lui adressé le 30 octobre 2023, elle aurait, en date du 12 décembre 2023, contacté l’agent de l’administration en charge de son dossier, afin de l’informer qu’elle préparerait une réponse à la susdite décision et que les renseignements sollicités seraient communiqués dans les meilleurs délais, la transmission desdits renseignements étant intervenue le 18 décembre 2023.

Par ailleurs, la société demanderesse donne à considérer que préalablement à la procédure initiée par l’administration, les autorités fiscales polonaises auraient déjà demandé des renseignements similaires directement à la société B. De nombreux échanges auraient eu lieu entre cette dernière et les autorités polonaises, et dernièrement en date du 7 septembre 2023, échanges dans le cadre desquels les informations sollicitées auraient été fournies. Ainsi, les autorités polonaises auraient déjà été en possession des renseignements réclamés, avant l’émission de la décision d’injonction du 15 septembre 2023, ce qui démontrerait, selon la société demanderesse, la volonté du groupe auquel elle appartiendrait d’apporter son concours effectif aux autorités tant polonaises que luxembourgeoises, la société A soulignant que la décision d’injonction, ainsi que l’amende subséquente résulteraient in fine d’un « […] problème de communication malheureux […] ».

Dans la mesure où l’amende lui infligée serait, au vu des considérations qui précèdent, disproportionnée, la société demanderesse sollicite sa réduction, par réformation de la décision déférée, au minimum légal de 10.000 euros.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il insiste sur le fait que la décision d’injonction aurait été envoyée au siège social de la société demanderesse par lettre recommandée. En application du paragraphe 88 de la loi 4générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », cet envoi recommandé serait présumé avoir été réceptionné par son destinataire le troisième jour après la remise de la lettre à la poste.

Le représentant étatique ajoute que même à admettre que la société A n’aurait pris connaissance de ladite décision qu’à travers le rappel lui adressé le 30 octobre 2023, tel que soutenu par elle, il n’en resterait pas moins qu’elle n’y aurait réservé aucune suite, alors qu’elle n’aurait contacté l’administration qu’après s’être vu infliger l’amende litigieuse, le délégué du gouvernement soulignant encore que les renseignements sollicités n’auraient été fournis que le 18 décembre 2023, soit trois mois après l’adoption de la décision d’injonction et plus d’un mois et demi après l’envoi du susdit rappel.

Après avoir précisé qu’en application de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014, la fixation d’une amende serait justifiée en son principe, alors que la société demanderesse aurait, en violation de l’article 2 (2) de la même loi, omis de fournir les renseignements lui réclamés endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision d’injonction du 15 septembre 2023, le délégué du gouvernement prend position quant au quantum de l’amende, en expliquant que celui-ci aurait été fixé conformément à une instruction directoriale sur base de critères prédéfinis par le directeur, qui seraient à la fois objectifs et subjectifs.

Suivant le critère objectif, dans le cas où le détenteur de renseignements est une personne morale, l’amende s’élèverait à 10 % du montant total de la somme bilantaire de la valeur au 31 décembre de l’année précédant celle où l’amende est fixée. Si aucun bilan n’a été déposée l’année précédant celle de la fixation de l’amende, le dernier bilan déposé serait pris en compte. Dans tous les cas, l’amende prononcée ne pourrait être inférieure à 10.000 euros.

Si aucun bilan n’a encore été déposé, l’amende s’élèverait à un montant forfaitaire de 10.000 euros.

Les critères subjectifs seraient quant à eux :

• le fait de « ne pas fournir les renseignements demandés malgré un jugement coulé en force de chose jugée ou un arrêt en ce sens prononcé par les juridictions administratives », • « l’attitude manifestement récalcitrante du détenteur de renseignements témoignant une volonté de ne pas vouloir coopérer avec l’ACD et mettant celle-ci dans l’impossibilité matérielle de répondre à l’autorité compétente requérante », • « le fait de ne pas répondre à la décision d’injonction, à la lettre de rappel, respectivement de répondre partiellement à la décision d’injonction de même que le refus de fournir les informations manquantes » et • « l’attitude récidiviste du détenteur de renseignements ne voulant pas coopérer avec l’ACD ».

La présence d’un ou de plusieurs critères subjectifs entraînerait une majoration de l’amende qui serait de l’ordre d’une augmentation de 1 à 3 % du montant de l’amende, déterminée d’après les critères objectifs, avec un minimum de 2.500 euros.

En l’espèce, l’amende litigieuse aurait été fixée à travers une application combinée de ces critères objectifs et subjectifs. Concrètement, elle aurait été déterminée à partir de la somme bilantaire de la société demanderesse, en application d’un barème dégressif, et en ajoutant une 5majoration de 3 %, en raison du fait, pour la société demanderesse, de ne pas avoir répondu à la décision d’injonction, respectivement à la lettre de rappel.

Le délégué du gouvernement rappelle encore que l’amende litigieuse n’aurait été fixée que le 21 novembre 2023, soit presque un mois après l’écoulement du délai de réponse indiqué dans la décision d’injonction et après envoi d’un rappel, de sorte que la société A aurait disposé de suffisamment de temps pour fournir les renseignements demandés ou, le cas échéant, pour demander une extension du délai de réponse auprès de l’administration pour des raisons dûment justifiées et sans qu’une amende lui soit infligée.

Après avoir souligné que l’amende viserait à sanctionner le défaut de communication des informations demandées dans le délai légal ayant eu pour conséquence une transmission tardive des renseignements à l’autorité polonaise compétente, le représentant étatique conclut que l’amende en question resterait pleinement justifiée et serait à confirmer tant en son principe qu’en son quantum, nonobstant le fait que les renseignements auraient entretemps été fournis par la société demanderesse.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 « (1) Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements. Le montant en est fixé par le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué. […] ».

Il est constant en cause que la société demanderesse n’a pas fourni les documents et renseignements réclamés dans le délai imposé par la décision d’injonction du 15 septembre 2023, soit jusqu’au 23 octobre 2023 au plus tard.

Si la société A soutient que pour des raisons inconnues, ladite décision n’aurait pas été portée à la connaissance de ses gérants, de sorte qu’elle n’aurait pas été en mesure de répondre à la décision en question en temps utile, ces explications sont néanmoins d’ores et déjà à rejeter, étant donné, d’une part, que la décision en question a été envoyée au siège social de la société A par courrier recommandé remis à la poste le 15 septembre 2023, de sorte qu’elle est présumée avoir été valablement notifiée le 18 septembre 2023, en application des dispositions du paragraphe 88 (3) AO, aux termes duquel « Die Behörde kann durch eingeschriebenen Brief zustellen. Die Zustellung gilt mit dem dritten Tag nach der Aufgabe zur Post als bewirkt, es sei denn, dass der Zustellungsempfänger nachweist, dass ihm das zuzustellende Schriftstück nicht innerhalb dieser Zeit zugegangen ist. » et, d’autre part, qu’il incombe à la société demanderesse de veiller à une transmission interne adéquate des courriers lui adressés.

Dans la mesure où il est constant en cause que la société demanderesse n’a fourni les documents et renseignements lui réclamés qu’en date du 18 décembre 2023, soit bien au-delà du délai lui imparti par la décision d’injonction du 15 septembre 2023, et dans la mesure où le détenteur des renseignements s’expose à l’amende prévue à l’article 5 (1) de la loi du 25 novembre 2014 du seul fait de ne pas avoir répondu endéans le délai lui octroyé, l’amende litigieuse est justifiée en son principe.

6Quant au quantum de l’amende, et s’agissant des critères que s’est donnée l’administration en vue de fixer l’amende, il a été retenu que le système mis en place par le directeur par voie de circulaire retrace une approche partant de montants minima pour, au vu de circonstances aggravantes, permettre une majoration objective cumulant dans le montant maximal à infliger, à savoir 250.000 euros. Ces critères doivent partant permettre au directeur de moduler le montant de la sanction selon le comportement, la gravité des faits, leur fréquence, etc..1 Il a également été jugé que le caractère coercitif de l’amende s’exerce par l’effet dissuasif de la crainte de la sanction financière et, postérieurement, par l’effet coercitif du risque de voir le juge administratif, siégeant en tant que juge du fond, maintenir l’amende, voire augmenter le cas échéant l’amende initialement prononcée dans le cadre d’une réformation in pejus. Aussi, il convient de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif en vue de sanctionner les détenteurs en cause, mais aussi en vue de dissuader d’autres détenteurs de s’engager dans de pareils comportements dilatoires. L’amende infligée au contrevenant doit donc tenir compte de la dissuasion de ce même contrevenant, mais aussi des contrevenants potentiels. Cette dissuasion passe a priori essentiellement par le prononcé de sanctions aux montants particulièrement forts. Toutefois, cette nécessité ne saurait faire l’impasse sur l’exigence de respecter les principes généraux de la proportionnalité, de l’individualité, voire de la spécialité, de la gravité des faits, de la durée de la situation ainsi que de l’exigence de motivation ut singula pour chaque amende prononcée ; il en est de même du pouvoir d’appréciation accordé au directeur, lequel ne saurait s’exprimer sans retenue ni pondération.2 Ainsi, en ce qui concerne la question de la proportionnalité du montant de l’amende fiscale prononcée à l’égard de la société demanderesse et s’élevant en l’occurrence au montant de 138.000 euros, force est de prime abord au tribunal de constater que le délégué du gouvernement a expliqué de manière circonstanciée et en détail les différents critères visant à déterminer le montant de la sanction administrative prononcée, ainsi que, calculs à l’appui, l’application au cas d’espèce. L’amende litigieuse correspond ainsi à un pourcentage, déterminé sur base d’un barème dégressif, de la somme bilantaire de la demanderesse, à savoir … euros, augmenté de … euros du fait, pour la société demanderesse, de ne pas avoir répondu à la décision d’injonction, ainsi qu’à la lettre de rappel, le montant final de l’amende ayant été arrondi vers le bas de (… + … =) … euros à 138.000 euros.

Bien que l’administration se soit ainsi tenue à ses propres critères, tels qu’énoncés par le délégué du gouvernement et tels que repris ci-avant, il y a cependant lieu, dans le cadre du recours en réformation dont le tribunal est saisi, impliquant qu’il est tenu de statuer à la place de l’administration au vu de tous les éléments de droit et de fait tels qu’ils se présentent au jour où il se prononce, de réduire l’amende prononcée au seuil minimal de 10.000 euros, sur base de la circonstance que la société demanderesse a, de manière non contestée, fourni l’ensemble des informations et documents sollicités en date du 18 décembre 2023, montant auquel il y a lieu de rajouter une majoration de 2.500 euros pour avoir fourni lesdits informations et documents non seulement en dehors du délai lui imposé à travers la décision du 15 septembre 2023, mais aussi approximativement un mois et demi après le rappel du 30 octobre 2023.3 1 Trib. adm., 13 août 2015, n° 36452 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 2 Trib. adm., 13 août 2015, n° 36452 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1481 et l’autre référence y citée.

3 Voir, pour des cas similaires : trib. adm., 5 juillet 2022, n° 47471 du rôle, trib. adm., 22 novembre 2022, n° 47971 du rôle, trib. adm., 22 novembre 2022, n° 47972 du rôle et trib. adm., 22 novembre 2022, n° 47973 du rôle, tous disponible sous www.jurad.etat.lu.

7Il s’ensuit que le recours est à déclarer partiellement fondé.

Au vu de l’issue du litige, il est fait masse des frais et des dépens pour les imposer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 21 novembre 2023, référencée sous le numéro …, ramène l’amende infligée à la société demanderesse à un montant de 12.500 euros ;

condamne chaque partie à la moitié des frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 février 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 49835
Date de la décision : 05/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-05;49835 ?

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