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05/02/2024 | LUXEMBOURG | N°48526

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2024, 48526


Tribunal administratif N° 48526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48526 2e chambre Inscrit le 13 février 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48526 du rôle et déposée le 13 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E

. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 48526 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48526 2e chambre Inscrit le 13 février 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48526 du rôle et déposée le 13 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 janvier 2023 dans la seule mesure où elle porte refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2023 ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée le 17 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif, par laquelle Maître Ardavan Fatholazadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déclare reprendre le mandat pour le compte de Monsieur …, préqualifié, en remplacement de Maître Nour E. Hellal ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2023.

Le 19 octobre 2020, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment déposé une demande de protection internationale en Grèce en date du 10 février 2020.

En date des 12 juillet et 5 août 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Un entretien complémentaire fut encore mené en date du 24 décembre 2021, suite à la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan.

Par décision du 5 janvier 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 10 janvier 2023, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 19 octobre 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 octobre 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 juillet et 5 août 2021, le rapport d’entretien complémentaire du 24 décembre 2021 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale ainsi que le document versé à l’appui de votre demande de protection internationale.

Il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 10 février 2020 et que vous avez quitté la Grèce, en direction du Luxembourg, sans avoir attendu l’issue de votre procédure de protection internationale alors que vous seriez « resté deux mois dans un camp et au bout de deux mois j’étais à la rue je n’avais plus d’hébergement » (p.4/15 de votre rapport d’entretien). Ensuite, vous seriez passé par l’Italie et la France avant d’arriver au Luxembourg. Vous précisez que vous auriez voulu vous rendre en Allemagne, mais que vous auriez été contrôlé pendant le trajet en train et que vous n’auriez pas eu de billet sur vous. Le contrôleur vous aurait alors obligé de descendre du train à Luxembourg.

Vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara et de confession musulmane chiite. Vous indiquez avoir vécu à … dans le district de … situé dans la province de Ghazni avant de quitter l’Afghanistan pour la première fois au printemps 2018 afin de vous installer en Iran, en raison de la situation sécuritaire précaire en Afghanistan. Vous auriez toutefois été renvoyé en Afghanistan par les autorités iraniennes au bout de trois mois et vous y auriez séjourné jusqu’en juillet 2019. Vos parents ainsi que votre fratrie vivraient toujours à … en Afghanistan.

Concernant vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine, vous indiquez avoir peur d’être tué par les Taliban, parce qu’ils vous accuseraient d’avoir travaillé pour l’Etat afghan et d’être responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes.

2 Concernant les faits qui se seraient déroulés avant son départ, vous indiquez premièrement qu’en 2019, vous auriez commencé à travailler comme couturier dans une usine qui aurait fabriqué des uniformes pour la police afghane. Un jour de juillet 2019, trois Taliban seraient entrés dans l’usine et auraient ordonné aux ouvriers de leur confectionner 50 uniformes de police. Vous vous y seriez opposé, mais deux de vos collègues ayant plus d’ancienneté, les dénommés A et B, y auraient consenti et leur auraient dit de venir récupérer la marchandise dans trois jours.

Par peur d’avoir des problèmes avec la police afghane, vous auriez décidé le lendemain de prévenir les autorités qui ne vous auraient pas cru et vous auraient indiqué de formuler une plainte officielle.

A et B auraient été au courant de votre projet de porter plainte et vous auraient frappé et auraient déchiré la plainte. Ils vous auraient ordonné de retourner au travail et vous auraient menacé de mort si vous essayiez à nouveau de contacter la police.

Le 3ème jour, les Taliban seraient revenus récupérer les uniformes et vous auraient frappé et menacé de mort après que A et B les eurent avertis que vous auriez contacté la police.

Au moment où ils auraient quitté l’usine, des coups de feu auraient retenti et vous vous seriez enfui par la porte arrière avec deux de vos collègues. Vous vous seriez caché chez un ami dans le quartier de …, alors que vous n’auriez plus osé rentrer à la maison. Cet ami vous aurait averti qu’il aurait entendu dire que la police aurait attaqué l’usine, qu’elle serait à la recherche des ouvriers et que des Taliban auraient été tués lors de cette attaque.

Le lendemain, votre ami vous aurait contacté par téléphone afin de vous avertir que des Taliban se seraient rendus au domicile de vos parents pour vous chercher et, faute de vous y trouver, auraient frappé votre père et votre frère. Suite à cela, vous auriez pris la décision de quitter définitivement l’Afghanistan.

Vous ajoutez encore que le jour où les Taliban se seraient rendus au domicile de vos parents, ils auraient emmené votre père et l’auraient retenu pendant 20 jours, jusqu’à ce que les barbes blanches seraient intervenues. Après la libération de votre père et jusqu’à aujourd’hui, les Taliban se rendraient régulièrement au domicile de vos parents et le fouilleraient leur maison. Les Taliban vous soupçonneraient d’avoir collaboré avec l’ancien Etat afghan et vous accuseraient d’être en partie responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes.

Deuxièmement, vous indiquez avoir peur d’être tué par les Taliban en raison de votre ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite, ainsi qu’en raison du fait que vous avez vécu en Europe, considéré comme une terre mécréante par ces derniers.

A l’appui de votre demande de protection internationale vous remettez votre carte d’identité afghane. Aucune conclusion quant à l’authenticité du document n’a pu être tirée par l’Unité de la Police de l’Aéroport.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

3 Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous indiquez premièrement que vous auriez peur d’être tué par les Taliban parce qu’ils vous accuseraient d’avoir travaillé pour l’ancien Etat afghan, d’avoir aidé l’ancien Etat afghan et d’être responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes.

En ce qui concerne votre crainte que les Taliban vous tueraient étant donné qu’ils vous accuseraient d’être responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes, il convient tout d’abord de noter qu’il ne s’agit ici que d’une simple supposition de votre part. En effet vous ne faites état d’aucun élément concret permettant d’établir que vous seriez dans leur collimateur.

A cela s’ajoute que vous n’avez aucunement fait état de ce fait lors de votre première audition qui a duré deux jours. Cet élément important et essentiel de votre récit vous l’évoquez pour la première fois lors de votre entretien complémentaire, 5 mois après votre premier entretien personnel et 2 ans et demi après les événements qui vous auraient fait fuir votre pays d’origine. Il convient de souligner que ce second entretien ait pour finalité de vous donner la possibilité de vous exprimer sur des craintes qui découleraient de la prise de pouvoir des Taliban le 15 août 2021. La finalité de cette audition n’était pas de compléter votre récit précédent au cours duquel vous vous borniez à indiquer que les Taliban vous recherchaient uniquement parce que vous auriez des liens avec l’ancien Etat afghan.

Or, il est évident que, si les Taliban vous auraient effectivement accusé d’être responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes, vous l’auriez invoqué lors de votre entretien qui aurait été le seul et unique entretien. En effet le second n’a eu lieu qu’en raison du changement de régime. Par conséquent, votre silence par rapport à un tel élément permet de conclure qu’il s’agit d’un élément que vous ajouté à votre récit dans le seul et unique but d’étoffer votre réel vécu, et n’est donc pas pris en considération.

En ce qui concerne votre crainte d’être tué par les Taliban étant donné que vous auriez travaillé dans une usine qui fabriquerait des uniformes pour la police, et que de ce fait les Taliban considéreraient que vous auriez travaillé pour l’ancien Etat afghan, force est de constater que cette crainte relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte est liée à une opinion politique imputée.

4 En ce qui concerne votre crainte de devenir victime de tortures ou d’exécution, il convient de noter que celle-ci n’est pas avérée. En effet, il ressort de la « Country Guidance : Afghanistan » de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (« AUEA ») que les personnes les plus susceptibles d’être persécutées sont celles qui ont occupé des postes clés dans les anciennes unités militaires, policières et d’investigation, ainsi que les membres du système judiciaire ».

Ce même constat ressort également d’un rapport récent publié par les autorités suisses duquel il ressort que « Vieles deutet darauf hin, dass es innerhalb der ehemaligen Sicherheitskräfte unterschiedliche Risikoprofile gibt. Human Rights Watch nennt in einem Bericht zum Thema der Verfolgung ehemaliger Angehöriger der Sicherheitskräfte die folgenden Profile als besonders gefährdet:

• Mitarbeiter des Nationalen Sicherheitsdiensts (NOS) • Eliteeinheiten der Sicherheitskräfte wie die Zero Units • Milizen und Paramilitärs wie die Khost Protection Force (KPF), Arbaki oder Patsun Kawanki • Lokalpolizei (ALP) • Personal von Checkpoints, an denen Taliban-Kämpfer getötet worden waren ».

Il s’ensuit que le simple fait d’avoir travaillé pour une entreprise privée fabriquant des uniformes pour la police sous contrat avec l’Etat, ce qui ne constitue clairement pas une position centrale dans l’ancienne armée ou police afghane, ne suffit pas pour établir dans votre chef une crainte fondée de persécution.

A cela s’ajoute que vous ignorez manifestement pourquoi les Taliban se rendraient au domicile de vos parents « la première fois qu’ils sont passés, ils ont dit la raison. Ensuite, ils ne disaient plus la raison. Je suppose que c’est toujours la même raison » (p.3/6 de votre rapport d’entretien complémentaire).

Il convient de surplus de noter que votre famille n’a manifestement pas rencontré de problèmes majeurs ou de menaces depuis votre départ, alors qu’elle vivrait toujours à la même adresse.

Ainsi, il y a lieu de conclure que les craintes que vous exprimez sont purement hypothétiques. Cependant, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait être qualifiée de crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Monsieur, vous indiquez également être à risque en Afghanistan en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite. Dans ce contexte, vous précisez que toutes les personnes d’ethnie Hazara seraient dans la ligne de mire des Taliban et que vous auriez vu « des vidéos d’Hazaras qui ont été tués sur les réseaux sociaux » (p.4/6 de votre rapport d’entretien complémentaire).

Force est de constater que votre crainte d’être tué en Afghanistan à cause de votre confession musulmane chiite respectivement votre ethnie relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte est liée à votre religion respectivement à votre ethnie.

5 Or, il convient néanmoins de constater que vous vous bornez à faire état de considérations générales et ne faites référence à aucun risque, respectivement menace, qui vous toucherait personnellement et individuellement.

Il ne ressort pas des informations à ma disposition que toutes les personnes de confession musulmane chiite respectivement d’ethnie Hazara seraient toutes à risque de devenir victimes de persécution en Afghanistan de par leur seule appartenance ethnique ou confession religieuse.

Il convient dès lors de faire une analyse des motifs individuels et personnels présentés par chaque demandeur de protection internationale.

Il échet de constater que vous n’établissez aucunement être personnellement à risque alors que vous ne faites état que des considérations générales qui sont dépourvues de lien directe avec votre personne.

Il convient dès lors de constater que votre crainte est à qualifier de purement hypothétique. Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Enfin, Monsieur, vous indiquez craindre d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants.

Il y a lieu de noter que votre crainte d’être tué en Afghanistan au motif que vous seriez considéré comme mécréant pour avoir vécu en Europe, relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte se base sur une toile de fond religieuse.

Toutefois, il convient de noter que vous vous bornez dans ce contexte également à faire état de généralités et n’établissez aucunement que vous seriez dans leur collimateur à titre individuel.

Il ne ressort pas des informations dont je dispose que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Taliban.

Il convient dès lors de conclure que les craintes que vous exprimez sont, une fois de plus, purement hypothétiques. Or, comme susmentionné, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence 6 habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur d’être tué par les Taliban soit en raison de votre ethnie Hazara et de votre religion, soit en raison du fait que vous avez vécu en Europe et seriez, de ce fait, considéré comme mécréant.

Il convient de noter que ces craintes sont liées aux critères de religion et d’appartenance ethnique énumérés dans la Convention de Genève et la loi de 2015 et ont été analysées en tant que telles dans la première partie de la présente décision. Par conséquent, elles ne seront plus analysées dans le contexte de la protection subsidiaire, puisque, comme mentionné ci-dessus, il s’agit de craintes liées aux critères du statut de réfugié et non pas de la protection subsidiaire.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 février 2023, Monsieur … a fait introduire, suivant le dispositif de la requête introductive d’instance auquel le tribunal est seul tenu, un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 5 janvier 2023 dans la seule mesure où sa demande en obtention d’une protection internationale lui a été refusée.

En effet, bien que la décision en question comporte un ordre de quitter le territoire luxembourgeois endéans un délai de trente jours contre lequel est ouvert, au vœu de l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015, un recours en réformation qui doit être introduit, ensemble avec le recours en réformation dirigé contre la décision portant refus d’une protection internationale, à travers une seule et même requête introductive d’instance, la requête sous analyse ne contient aucun recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire, aucun moyen n’ayant, par ailleurs, été invoqué dans le corps de la requête introductive d’instance pour remettre en cause le bien-fondé dudit ordre de quitter, de sorte que le tribunal n’en est pas saisi.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 5 janvier 2023, dans la seule mesure où elle refuse de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur ….

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir fui son pays d’origine pour deux raisons. La première serait le fait d’avoir occupé un poste d’ouvrier dans une usine de confection d’uniformes pour la police de la ville et d’avoir, dans ce cadre, été témoin de manœuvres de la part des talibans qui auraient cherché à se procurer des uniformes de la police pour tromper la population afin de perpétrer des attentats. Il fait valoir, à ce propos, qu’en Afghanistan et au Pakistan, beaucoup d’attentats auraient été perpétrés par des terroristes qui se seraient déguisés en policiers et renvoie, dans ce contexte, à deux articles de presse relatant du même évènement, dans lesquels il est indiqué que les talibans auraient utilisé des uniformes de la police pour commettre des attentats sur un complexe de la police à Gardez. Il reproche également au ministre de ne pas avoir tenu compte de sa crainte d’être tué par les talibans en raison de la mort de plusieurs de leurs membres lors de l’attaque sur son lieu de travail qu’il a partagée seulement au moment de son audition complémentaire, alors que cette crainte serait « sous-jacente à l’ensemble de son récit ». Il ajoute qu’il se serait contenté de répondre aux questions de l’agent lors de cet entretien complémentaire. Enfin, il précise que la deuxième raison de sa fuite serait liée à son appartenance à l’ethnie Hazara.

Le demandeur fait ensuite valoir que quatre « remarques essentielles » devraient être examinées par le tribunal.

En premier lieu, il soutient que le ministre n’aurait pas tiré les conséquences qui se seraient imposées au regard de sa situation individuelle et ce, plus particulièrement à la lumière de son appartenance à l’ethnie des Hazaras qui serait l’un des groupes ethniques d’Afghanistan ayant subi le plus de persécutions au cours de son histoire.

Afin de sous-tendre cette affirmation, il retrace l’historique des persécutions qu’auraient subies les membres de cette ethnie depuis plus d’un siècle, avant de relever que selon les chiffres de Human Rights Watch, l’Etat islamique du Khorasan (ISKP) aurait commis 13 attentats contre des Hazaras faisant au moins 700 morts depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021. Si certes les talibans ont condamné ces attaques, ils n’auraient mené aucune enquête, voire, au contraire, ils auraient eux-mêmes participé aux campagnes d’anéantissement des Hazaras. Ainsi, depuis le 15 août 2021, l’organisation Amnesty International aurait recueilli des informations sur 3 massacres de Hazaras commis par les talibans au Malistan, à Khadir et dans la province de Gaur.

Le demandeur pointe, ensuite, le fait que les talibans n’auraient inclus aucun Hazara dans le gouvernement malgré des demandes en ce sens de la part de la communauté internationale. Les Hazaras seraient également exclus de la fonction publique et des forces armées. Une autre mesure prise par les talibans contre les Hazaras serait leur déplacement forcé.

Il continue en évoquant différents attentats commis en 2022 lors desquels les victimes auraient été majoritairement des Hazaras, tout en insistant sur le fait que si la situation des femmes afghanes était déjà difficile, celle des femmes hazaras serait bien pire. En tout état de cause, ildonne à considérer que si des attaques contre les Hazaras ont été commises dans le passé, la violence contre les membres de cette communauté se serait intensifiée depuis le retour au pouvoir des talibans. Ce serait en raison de la persistance de ces violences et des persécutions que des milliers de Hazaras auraient choisi de fuir vers d’autres pays, tels le Pakistan, l’Indonésie ou encore l’Iran, où leur situation serait toutefois également préoccupante.

Au vu de ces premières observations, le demandeur est d’avis que le ministre aurait dû apprécier à sa juste valeur son appartenance ethnique en prenant plus particulièrement en compte « les observations pertinentes de l’actualité internationale » dont il se dégagerait qu’il appartiendrait à un certain groupe social au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015.

En deuxième lieu et toujours à titre de remarque préliminaire, le demandeur reproche au ministre d’avoir fortement édulcoré la situation passée et surtout actuelle en Afghanistan et ce, au détriment de sa situation personnelle.

Il renvoie, à cet égard, à divers rapports et publications dont il se dégagerait qu’il serait unanimement admis que la situation en Afghanistan serait incertaine depuis la prise de pouvoir des talibans et que les droits humains y seraient violés de manière permanente.

En troisième lieu, il souligne que la crise politique et celle inhérente aux droits de l’Homme seraient toujours d’actualité en Afghanistan « ne serait-ce que pour la certitude quant à l’existence d’un climat, d’insécurité, de guerre et de violence aveugle dans cette partie du monde » et estime que cette situation à elle seule aurait justifié qu’il se voie octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.

Il invoque, à cet égard, la résolution du Parlement européen du 24 novembre 2022 sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan et en particulier la détérioration des droits des femmes et les attaques contre les établissements d’enseignement s’en dégageant. Il est d’avis que cette résolution serait constitutive d’une présomption irréfragable de ce que l’Afghanistan serait un Etat dans lequel régnerait un climat de violence aveugle.

Enfin, en quatrième lieu, le demandeur donne à considérer que sa demande de protection internationale n’aurait pas été traitée dans un délai raisonnable pour finalement être rejetée après plus de deux ans.

En droit et sur la toile de fond des remarques préliminaires reprises ci-avant, le demandeur reproche au ministre de ne pas lui avoir accordé le statut de réfugié et ce, malgré la situation générale des droits de l’Homme en Afghanistan, et de ne pas avoir apprécié sa situation individuelle à sa juste valeur, notamment en tenant compte de cette situation générale.

Il insiste, à cet égard, sur le fait que s’il refuse de retourner en Afghanistan ce ne serait pas pour fuir « des problèmes familiaux » mais surtout parce qu’il ferait partie de la communauté des Hazaras, donc d’un groupe social à risque d’être persécuté.

De ce fait, en cas de retour en Afghanistan, il risquerait plus particulièrement d’être « assassiné, comme d’autres civils par le passé dans des attentats sordides ou dans le cadre d’une discrimination endémique contre les “Hazaras” ». Ainsi, il estime avoir prouvé qu’ilcourrait un grave danger en cas de retour en Afghanistan et qu’« au vu de l’ambivalence » des talibans, il ne pourrait pas valablement s’adresser aux autorités de son pays.

En ce qui concerne, enfin, le refus de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur soutient qu’il serait indéniable que l’Afghanistan serait un pays en proie à une violence aveugle d’une exceptionnelle intensité. Il précise que le 12 août 2021, les talibans se seraient emparés de la ville de Ghazni, qui serait la dixième capitale provinciale contrôlée par ceux-ci depuis le début de leur offensive. Cette même ville aurait fait l’objet, en 2022, d’un rapport spécial portant sur l’année 2021 de la part de l’organisation Amnesty International, et d’une déclaration du 19 août 2021 selon laquelle des combattants talibans auraient massacré le mois précédent 9 hommes hazaras après avoir pris le contrôle de la province de Ghazni.

Le demandeur est, en tout état de cause, d’avis que la décision ministérielle minimiserait la réalité de la situation de la minorité hazara en Afghanistan, qui serait un pays en situation de guerre permanente. Il lui reproche également de nier la situation réelle régnant dans ledit pays, déni qui irait à l’encontre des positions officielles du Luxembourg et de l’actualité internationale, étant donné que le ministre aurait déclaré le 8 février 2022 que le Luxembourg se serait pleinement engagé à offrir une nouvelle perspective aux Afghans ayant fui leur pays natal et que 81 ressortissants afghans auraient ainsi obtenu le statut de réfugié en 2021. Il en conclut que, pour ces seules raisons, il aurait pu au moins obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé, en reprenant en substance la décision ministérielle, tout en insistant sur le fait que la crainte de Monsieur … d’être persécuté par les talibans, qui l’auraient accusé d’être responsable de la mort de plusieurs de leurs hommes, ne devrait pas être prise en compte, étant donné que le demandeur ne démontrerait pas, dans son recours, qu’il n’aurait pas ajouté ce fait dans le seul but d’étoffer son récit et qu’il n’expliquerait pas non plus la raison pour laquelle il n’aurait pas « perdu mot sur celui-ci lors de son premier entretien avec l’agent ministériel ».

En ce qui concerne, tout d’abord, le reproche du demandeur selon lequel, de manière générale, le ministre n’aurait pas procédé à une évaluation correcte de sa demande de protection internationale en n’appréciant pas suffisamment sa situation personnelle à la lumière de la situation sécuritaire générale en Afghanistan, force est de constater qu’il s’agit d’un moyen simplement suggéré, de sorte qu’il encourt le rejet, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur en recherchant lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Il en est de même du reproche suivant lequel sa demande de protection internationale n’aurait pas été traitée dans un délai raisonnable, le demandeur n’en tirant aucune conclusion en droit.

Le tribunal relève, ensuite, qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de 10 son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ilsémanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

Il se dégage, à ce propos, de la décision litigieuse que le ministre a décidé d’écarter les déclarations du demandeur selon lesquelles il craindrait d’être tué par les talibans en raison des victimes dans leur camp à la suite de l’attaque de l’usine dans laquelle il travaillait, le ministre considérant que Monsieur … aurait dû faire part de cet élément lors de ses premiers entretiens menés en date des 12 juillet et 5 août 2021.

Or, le tribunal constate que la question qui lui a été posée lors de l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021, à savoir les raisons pour lesquelles les talibans étaient venus au domicile familial la première fois, ne l’avait pas été lors des entretiens des 12 juillet 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.et 5 août 2021. En effet, après que le demandeur ait mentionné à plusieurs reprises, pendant l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021, que les talibans s’étaient présentés au domicile familial « pour les mêmes raisons que je vous ai dit la dernière fois »2, l’agent en charge de ses entretiens a fini par lui poser la question « Vous dites que la première fois qu'ils sont passés, ils ont dit la raison. Quel était cette raison ? », à laquelle Monsieur … a répondu « Ils ont dit à ma famille que j'avais aidé l'Etat afghan et que c'était à cause de moi que les talibans avaient perdu des hommes. »3.

Il échet également de constater que le demandeur a, par ailleurs, expliqué dans ses entretiens des 12 juillet et 5 août 2021 qu’après que les talibans avaient récupéré les uniformes et qu’ils étaient sortis de l’usine, des échanges de coups de feu avaient été entendus, et qu’il était persuadé que ces tirs avaient été échangés entre les autorités afghanes de l’époque et les talibans4, ce qui n’exclut pas qu’il y ait eu des victimes lors de cet assaut et ne rend pas invraisemblables les déclarations de Monsieur … à ce propos.

Il y a, en outre, lieu de relever qu’il a répondu à toutes les questions lui posées lors de ses différentes auditions, que ses déclarations sont restées cohérentes, qu’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande et que sa crédibilité générale n’a pas été remise en cause par le ministre.

Ainsi, le tribunal est amené à retenir que c’est à tort que le ministre a écarté les prédits faits, de sorte que le tribunal les prendra en compte dans son analyse.

En l’espèce, le demandeur invoque différentes raisons à la base de sa crainte d’être persécuté par les talibans, à savoir (i) pour avoir confectionné des uniformes pour les autorités afghanes de l’époque et pour être accusé d’avoir une responsabilité dans l’attaque menée par lesdites autorités sur son lieu de travail qui a coûté la vie à certains talibans, (ii) son appartenance ethnique et religieuse, et (iii) pour avoir passé plusieurs années en Europe.

En ce qui concerne les craintes de persécution de la part des talibans en lien avec son emploi, il échet de retenir que ces faits s’inscrivent sur la toile de fond des opinions politiques qui pourraient lui être attribuées par les talibans, de sorte à tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, si le ministre considère que les craintes de Monsieur … seraient hypothétiques en raison de son emploi en tant que simple couturier dans une usine d’uniformes pour la police, force est de constater que le demandeur a déclaré que ses collègues de travail « étaient en relation avec les 3 talibans. Quand je suis allé voir la police et que je voulais déposer la demande [contre les talibans] A et B m’ont frappé. »5. Il a encore ajouté que la deuxième fois où les talibans sont venus à l’usine, ils ont d’abord parlé auxdits collègues, avant de le frapper et de lui demander « Pourquoi êtes-vous allé voir la police ? »6, et qu’après avoir récupéré leur commande et être sortis de l’usine, les talibans se sont vus confrontés à une attaque menée par les autorités afghanes. Le demandeur a aussi précisé que « Selon les talibans, j’ai travaillé pour l’Etat. […] »7. Il ressort ainsi, en substance, des 2 Page 2 du rapport de l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021.

3 Page 3 du rapport de l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021.

4 Pages 5, 9 et 10 du rapport d’entretien des 12 juillet et 5 août 2021.

5 Page 8 du rapport d’entretien des 12 juillet et 5 août 2021.

6 Page 9 du rapport d’entretien des 12 juillet et 5 août 2021.

7 Page 3 du rapport de l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021.déclarations de Monsieur … que les talibans lui reprochent de les avoir dénoncés aux autorités afghanes de l’époque, dénonciation qui, pour eux, a conduit à l’attaque devant l’usine de confection.

Il échet encore de relever que Monsieur … a expliqué qu’après les échanges de coups de feu entre les talibans et les autorités afghanes de l’époque près de son lieu de travail, les talibans étaient à sa recherche8 et qu’ils passaient « Environ 1 fois toutes les deux semaines depuis [qu’il a] quitté l'Afghanistan »9.

Ainsi, contrairement à ce que le ministre retient, il échet de constater que le lien avec les autorités afghanes de l’époque imputé par les talibans au demandeur, en raison de son travail pour les policiers et le fait qu’il les ait dénoncés à ces derniers, laisse présager que les talibans pourraient le persécuter en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que les craintes de persécutions de Monsieur … vis-à-vis des talibans sont fondées et actuelles.

Etant donné qu’il craint avec raison pour sa vie et son intégrité physique, les conditions ayant trait à la gravité des persécutions encourues par le demandeur sont également remplies au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Enfin, en ce qui concerne la protection à laquelle le demandeur peut prétendre dans son pays d’origine, force est de relever que depuis leur prise de pouvoir en août 2021, la situation au niveau étatique en Afghanistan a fondamentalement changé, les talibans composant à présent l’Etat afghan, de sorte que Monsieur … ne peut espérer aucune protection étatique de leur part, dans la mesure où ils sont à considérer comme étant des acteurs de persécution au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Partant, il ressort de l’ensemble de ces considérations, et sans qu’il ne soit nécessaire d’analyser les autres faits à la base de la demande de protection internationale de Monsieur …, qu’il existe dans son chef une crainte fondée de subir des persécutions de la part des talibans pour être accusé d’avoir aidé la police afghane de l’époque, pour laquelle il confectionnait des uniformes, à les attaquer.

Quant à la possibilité d’une fuite interne, celle-ci ne saurait exister qu’au vu du respect d’une double condition consistant en l’absence, dans une partie du pays d’origine, de toute raison de craindre d’être persécuté et en la présence de raisons permettant au ministre d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays. Il appartient, dès lors, au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, pour ensuite, une fois cette zone dûment identifiée, procéder à l’examen de la protection disponible contre la persécution et examiner le caractère pertinent et raisonnable de l’alternative proposée en fonction du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale : le ministre ne peut pas s’emparer 8 « […] Pour quelles pensez-vous qu'ils sont encore à votre recherche aujourd’hui ? Parce que les talibans embêtent encore mes parents. Ils rentrent chez moi sans toquer, sans respect. […] », page 11 du rapport des auditions des 12 juillet et 5 août 2021.

9 Page 3 du rapport de l’entretien complémentaire du 24 décembre 2021.d’un défaut par le demandeur d’établir l’impossibilité de la fuite interne, en mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale10.

Le tribunal constate à cet égard que, alors que la charge de la preuve lui revient, le ministre n’a pas indiqué de zone sûre où Monsieur … pourrait effectivement et matériellement recourir à une fuite interne au sens de l’article 41 (1) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à juste titre que le demandeur fait valoir une crainte d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que le ministre a refusé, à tort, d’accorder au demandeur le statut de réfugié, de sorte que la décision déférée encourt la réformation en ce sens, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … tendant à l’obtention de la protection subsidiaire, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 5 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond le déclare justifié, partant par réformation de la décision ministérielle du 5 janvier 2023, reconnaît à Monsieur … le statut de réfugié et renvoie l’affaire devant le ministre actuellement compétent en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 5 février 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 10 Trib. adm., 13 juillet 2009, n° 25558 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 163 et les autres références y citées.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48526
Date de la décision : 05/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-05;48526 ?

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