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05/02/2024 | LUXEMBOURG | N°48483

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 février 2024, 48483


Tribunal administratif N° 48483 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48483 2e chambre Inscrit le 2 février 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par Madame …, …, en matière de nomination d’un commissaire spécial

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48483 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2023 par Maître Gaëlle Relouzat, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la nomination d’un commissair

e spécial à la suite d’un jugement du tribunal administratif du 14 juin 2021, inscrit sous le...

Tribunal administratif N° 48483 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48483 2e chambre Inscrit le 2 février 2023 Audience publique du 5 février 2024 Recours formé par Madame …, …, en matière de nomination d’un commissaire spécial

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48483 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 février 2023 par Maître Gaëlle Relouzat, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la nomination d’un commissaire spécial à la suite d’un jugement du tribunal administratif du 14 juin 2021, inscrit sous le numéro 42837 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2023 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mai 2023 par Maître Gaëlle Relouzat, au nom et pour le compte de Madame … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement dont l’exécution fait l’objet de la requête introductive d’instance ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Gaëlle Relouzat et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 novembre 2023.

Le 24 janvier 2017, Madame … introduisit, par un formulaire de demande daté du 8 novembre 2016, une demande tendant à l’obtention de l’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute.

Par décision du 13 juillet 2017, le ministre de la Santé, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à ladite demande.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 août 2017, Madame … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 13 juillet 2017.

1 Par jugement du 18 juin 2018, inscrit sous le numéro 40014 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation justifié et annula la décision ministérielle du 13 juillet 2017 en renvoyant l’affaire devant le ministre en prosécution de cause. Le tribunal dit, par ailleurs, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal releva que préalablement à la prise de la décision déférée à l’époque, le Collège médical n’avait pas convoqué Madame … à un entretien portant sur toutes les conditions légalement exigées pour l’accès et l’exercice de la profession de psychothérapeute, contrairement au prescrit de l’article 4 (3) du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2015 fixant la procédure à suivre pour obtenir l’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 31 juillet 2015 ».

Ledit jugement n’ayant pas été frappé d’appel, Madame … s’adressa par courriers de son mandataire des 21 août, 1er octobre, 6 novembre et 6 décembre 2018 au ministre pour s’enquérir des suites réservées au dossier, et notamment pour savoir si l’entretien avec le Collège médical pouvait « être d’ores et déjà fixé ».

A défaut de réponse du ministre, Madame … déposa le 14 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif une demande sur base de l’article 84 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif tendant à la désignation d’un commissaire spécial, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », avec la mission « de satisfaire aux prescrits du jugement du 18 juin 2018 précité et de prendre en lieu et place et aux frais de l’Etat la décision en lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci, après avoir mené à bien la procédure idoine ».

Par courrier électronique du 8 février 2019, le Collège médical adressa une convocation à un entretien à Madame … en application de l’article 4 (3) du règlement grand-ducal du 31 juillet 2015. Ledit rendez-vous fut fixé au 13 février 2019, à 18.30 heures. A défaut de réponse de la part de Madame …, le secrétariat du Collège médical recontacta l’intéressée par SMS en date du 14 février 2019 et proposa un nouveau rendez-vous le 6 mars 2019 à 18.30 heures, lequel Madame … accepta par retour d’SMS.

L’entretien eut effectivement lieu à cette dernière date.

Le même jour, le Collège médical avisa négativement la demande de l’intéressée.

Le 28 mars 2019, le Conseil scientifique de psychothérapie, ci-après désigné par « le Conseil », rendit, lui aussi, un avis défavorable par rapport à la demande de Madame ….

Par décision du 11 avril 2019, le ministre refusa, à nouveau, de faire droit à la demande d’autorisation de Madame … d’exercer la profession de psychothérapeute.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2019, Madame … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 11 avril 2019.

2 Par jugement du 26 octobre 2020, portant le numéro 42216 du rôle, le tribunal administratif déclara sans objet la demande de Madame … tendant à la nomination d’un commissaire spécial, au vu de l’adoption de la décision du ministre du 11 avril 2019 portant rejet de sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute.

Par jugement du 14 juin 2021, inscrit sous le numéro 42837 du rôle, le tribunal administratif déclara le recours principal en réformation justifié et annula la décision ministérielle du 11 avril 2019 en renvoyant l’affaire devant le ministre en prosécution de cause. Le tribunal dit, par ailleurs, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal releva qu’il lui était impossible de vérifier si la condition légale ayant trait à l’adoption de l’avis du Conseil à la majorité des membres présents, telle que prévue par l’article 6, alinéa 6 de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de psychothérapeute, ci-après désignée par « la loi du 14 juillet 2015 », à défaut de toute mention en ce sens et, par ailleurs, de tout autre élément d’information concluant, soumis, le cas échéant, exclusivement au tribunal, sans être communiqué à la partie demanderesse, avait été respectée et, ainsi, d’exercer son contrôle de légalité à cet égard.

Ledit jugement ne fut pas frappé d’appel.

Par courrier du 7 novembre 2022, le ministre s’adressa à Madame … dans les termes suivants :

« […] Concerne : Jugement n°42837 rendu par le Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Réf : … Madame, Par la présente, je me permets de vous contacter suite au jugement rendu le 14 juin 2021 par le Tribunal administratif dans l’affaire sous rubrique qui annule la décision ministérielle du 11 avril 2019 refusant de vous accorder l’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute et qui renvoie l’affaire devant mon ministère en prosécution de cause.

À titre liminaire, je tiens à attirer votre attention sur le jugement rendu le 2 février 2021 par le Tribunal administratif dans une affaire similaire (TA 2021-02-02;43555), où il a été retenu :

« (…) force est de retenir qu’à la date de la prise de la décision litigieuse, le ministre ne pouvait plus légalement faire droit, ni refuser la demande d’autorisation lui soumise par Madame … sur base de l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015, et ceci nonobstant le fait que la demande en question avait été introduite le 19 décembre 2016, soit endéans le délai susmentionné de trois ans et il lui aurait appartenu d’examiner ladite demande au regard des dispositions légales applicables à la date de la prise de la décision litigieuse. ».

Conformément au jugement du 2 février 2021, le régime transitoire prévu à l’article 20 de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de psychothérapeute ne s’applique seulement lorsque la décision ministérielle a été prise avant l’écoulement du délai de trois ans à partir de la publication de ladite loi.

3 Dès lors, votre demande d’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute devra être analysée selon les dispositions de l’article 2 de la loi précitée. Cependant, il faut savoir que cette procédure change par rapport au régime transitoire prévu à l’article 20 de ladite loi. À noter que le demandeur d’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute doit préalablement solliciter la reconnaissance de la formation étrangère en psychothérapie auprès du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche avant de pouvoir introduire une demande d’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute au sein de mon ministère.

En restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de ma considération distinguée. […] ».

Par courrier électronique de son litismandataire du 1er décembre 2022, Madame … prit position comme suit :

« […] Tout d’abord, je me dois de constater avec regret que le Ministère a pris un an et demi avant de reprendre contact avec ma mandante depuis le troisième jugement dans cette affaire, et ce alors que la demande initiale date du 24 janvier 2017 et que la loi prévoit un délai de trois mois pour le Ministre pour se prononcer.

Par ailleurs, je me vois dans l’obligation de marquer mon désaccord avec votre argumentaire basé sur la position du Tribunal Administratif alors que celle-ci a été mise à néant par la Cour Administrative d’Appel dans son arrêt du 9 novembre 2021, rendu sur appel du jugement que vous citez, que je vous joins.

J’annexe également à la présente la décision C.577/20 du 16 juin 2022 de la CJUE de laquelle il ressort qu’un ressortissant de l’Union Européenne disposant des qualifications pour prétendre à l’exercice d’une profession réglementée dans un Etat membre ne saurait se voir refuser le titre en question par un autre Etat membre, sauf circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas données en l’espèce, et ce même s’il n’a jamais pratiqué dans l’Etat lui ayant délivré le diplôme. Sur ce point je me permets de vous renvoyer aux pages 5 et 6 du recours ayant abouti au jugement du 14 juin 2021.

Aussi et au vu de ce qui précède, je vous indique que ma mandante ne sollicitera pas de reconnaissance supplémentaire.

Je vous rappelle d’ailleurs que le diplôme de ma mandante fut homologué au Luxembourg avant même que la profession de psychothérapeute n’y soit réglementée, et ce alors qu’elle l’était déjà en France, pays de délivrance de son diplôme.

J’ose espérer que ce dossier trouvera une issue favorable […]. ».

A défaut de réponse du ministre à ce courrier électronique du 1er décembre 2022, Madame … a fait déposer le 2 février 2023 au greffe du tribunal administratif une demande sur base de l’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 tendant à la désignation d’un commissaire spécial et de le charger de la mission « de satisfaire aux prescriptions visées par le jugement du 14 juin 2021 4 précité et de prendre en lieu et place et aux frais de l’Etat la décision, après avoir mené à bien la procédure idoine ».

La requête tendant à la nomination d’un commissaire spécial au sens de l’article 84 de la loi précitée du 7 novembre 1996 est recevable pour avoir été introduite dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes de l’affaire, en expliquant, plus particulièrement que par son courrier du 7 novembre 2022, le « conseiller du Gouvernement » lui aurait enjoint de déposer une nouvelle demande d’autorisation au motif que « Conformément au jugement du 2 février 2021, le régime transitoire prévu à l’article 20 de la loi modifiée du 14 juillet 2015 portant création de la profession de psychothérapeute ne s’applique seulement lorsque la décision ministérielle a été prise avant l’écoulement du délai de trois ans à partir de la publication de ladite loi. ». Or, comme le dépôt d’une nouvelle demande aurait comme conséquence d’annuler celle déposée en 2017 et partant de l’empêcher de bénéficier du régime transitoire prévu par la loi du 14 juillet 2015, elle aurait informé le ministre qu’elle n’entendait pas procéder à un tel dépôt, mais qu’elle estimait qu’il appartiendrait plutôt au ministre de prendre une décision, ce qu’il n’aurait toutefois jamais fait.

Elle fait encore valoir qu’il serait injuste de faire peser sur elle les conséquences des retards, respectivement des choix faits par les autorités compétentes, tout en rappelant qu’à deux reprises les décisions prises par le ministre furent annulées et ce à défaut pour le ministre d’avoir suivi la procédure respectivement les règles de forme prévues par la loi. Il se serait, par ailleurs, écoulé un délai de plus de deux ans entre le dépôt de sa requête, le 13 mai 2019, et le jugement du tribunal administratif du 14 juin 2019, et ensuite à nouveau un délai d’un an et demi avant que le ministre ne reprenne contact avec elle. Ces délais ne lui seraient pas non plus imputables.

Au vu des considérations qui précèdent, Madame … estime, dès lors, être en droit de continuer à bénéficier du régime transitoire, tout en se référant, à ce propos, à un arrêt de la Cour administrative du 9 novembre 2021, inscrit sous les numéros 45993C et 46024C du rôle, de même qu’à un jugement du tribunal administratif du 29 septembre 2022, inscrit sous le numéro 45658 du rôle. Elle n’aurait partant pas besoin d’introduire une nouvelle demande auprès du ministre.

En ce qui concerne le fond de l’affaire, elle explique n’entrevoir aucun motif permettant au ministre de lui refuser le titre sollicité, tout en renvoyant à cet égard à ses arguments évoqués dans son recours déposé en date du 13 mai 2019 et qu’elle entend faire siens dans la présente requête en nomination d’un commissaire spécial.

Elle donne encore à considérer qu’en l’espèce, un refus de faire droit à sa demande créerait une inégalité entre, d’un côté, les personnes ayant obtenu leur diplôme en France et, après s’y être inscrites comme psychothérapeutes, viendraient s’établir au Luxembourg, et, de l’autre côté, celles choisissant de s’inscrire directement au Luxembourg après l’obtention du même diplôme. Une telle inégalité serait toutefois prohibée par les articles 10bis et 111 de la Constitution, dans leur version applicable au cas d’espèce.

5 Dans son mémoire en réplique, la demanderesse estime que la partie étatique reconnaîtrait elle-même, dans le cadre de son mémoire en réponse, que la Cour administrative aurait jugé que les demandes d’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute introduites régulièrement dans le délai de trois ans en vertu de l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015 étaient à instruire conformément à la procédure dérogatoire du délai, quand bien même ledit délai serait écoulé au moment où le ministre rend sa décision. Le raisonnement de la partie étatique selon lequel l’autorité ministérielle n’aurait pas pu prendre en considération le revirement de jurisprudence « lors de l’exécution du jugement » du 14 juin 2021 au motif qu’il serait intervenu postérieurement audit jugement, serait absurde. L’attitude étatique serait d’autant plus aberrante que, d’une part, le courrier ministériel du 7 novembre 2022 aurait été émis plus d’un an après l’arrêt, précité, de la Cour administrative du 9 novembre 2021 et que, d’autre part, à ce jour, le ministre n’aurait toujours pas pris de décision à son égard. Il ne serait dès lors pas clair à quelle « exécution » le délégué du gouvernement fait référence. En outre, le raisonnement adopté par la partie étatique créerait une discrimination illégale en ce que deux administrés disposant l’un d’un jugement du 8 novembre 2021 et l’autre d’un jugement du 10 novembre 2021, tous deux renvoyant l’affaire devant le ministre en prosécution de cause, ne verraient pas la même solution s’appliquer à leurs cas respectifs qui seraient pourtant similaires.

En ce qui concerne la demande de la part du ministre de fournir la reconnaissance de la formation étrangère en psychothérapie auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la demanderesse renvoie aux développements contenus dans son recours du 13 mai 2019, inscrit sous le numéro 42837 du rôle, ainsi qu’à son courrier du 1er décembre 2022 pour insister sur le fait que son diplôme aurait d’ores et déjà fait l’objet d’une homologation par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en date du 15 juillet 2014, de sorte qu’une nouvelle homologation ne serait pas nécessaire. Le délégué du gouvernement se contenterait, d’ailleurs, de réitérer cette demande sans spécifier la disposition sur laquelle il se base, et ce alors même que la loi du 14 juillet 2015 ne contiendrait aucune disposition rétroactive, pas non plus en matière d’homologation.

Madame … conclut de ce qui précède que les conditions prévues à l’article 84 de la du 7 novembre 1996 seraient remplies. Il serait constant en cause que le ministre n’aurait pas pris de décision suite au jugement définitif du 14 juin 2021, et cela alors que, d’une part, la pièce sollicitée n’entrerait pas dans le cadre de l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015 et que, d’autre part, il serait d’ores et déjà en possession de l’homologation de son diplôme. En outre, l’article 5 du règlement du 31 juillet 2015 prévoirait un délai de 3 mois pour le « retour » du ministre.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de la demande en nomination d’un commissaire spécial.

L’article 84 de la loi du 7 novembre 1996 prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’en cas d’annulation ou de réformation, coulée en force de chose jugée, d’une décision administrative qui n’est pas réservée par la Constitution à un organe déterminé, la juridiction ayant annulé ou réformé la décision a renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omet de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt, la partie intéressée peut, à l’expiration d’un délai de trois mois à partir du prononcé de l’arrêt ou du 6 jugement, saisir la juridiction qui a renvoyé l’affaire en vue de charger un commissaire spécial de prendre la décision aux lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci. La juridiction fixe au commissaire spécial un délai dans lequel il doit accomplir sa mission. La désignation du commissaire spécial dessaisit l’autorité compétente. ».

Il se dégage du libellé clair et précis de cet article que différentes conditions doivent être cumulativement réunies pour que la nomination d’un commissaire spécial soit possible, l’une de ces conditions étant que la juridiction ayant annulé ou réformé la décision administrative litigieuse ait renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omette de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt.

Le tribunal avait retenu dans son jugement du 14 juin 2021 qu’il lui était impossible de vérifier si la condition légale ayant trait à l’adoption de l’avis du Conseil à la majorité des membres présents, telle que prévue par l’article 6, alinéa 6 de la loi du 14 juillet 2015, à défaut de toute mention en ce sens et, par ailleurs, de tout autre élément d’information concluant, soumis, le cas échéant, exclusivement au tribunal, sans être communiqué à la partie demanderesse, avait été respectée et, ainsi, d’exercer son contrôle de légalité à cet égard. Il a, en conséquence, annulé la décision ministérielle reposant sur ledit avis du Conseil pour être affectée d’un vice de forme auquel il n’a pas pu être remédié au cours de la procédure contentieuse et renvoyé le dossier en prosécution de cause devant le ministre.

En l’espèce, le tribunal relève qu’il résulte du courrier ministériel du 7 novembre 2022 qu’en vue de l’exécution du jugement du 14 juin 2021, le ministre s’est adressé à la demanderesse pour l’informer, par référence à un jugement du tribunal administratif du 2 février 2021, inscrit sous le numéro 43555 du rôle, qui aurait été rendu dans une affaire similaire, que le régime transitoire, tel que prévu à l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015, s’appliquerait seulement lorsque la décision ministérielle a été prise avant l’écoulement du délai de trois ans à partir de la publication de ladite loi, et qu’en conséquence, suite au renvoi de l’affaire en prosécution de cause par le jugement du 14 juin 2021, la demande d’autorisation à exercer la profession de psychothérapeute de Madame … devrait être analysée selon les dispositions de l’article 2 de la loi du 14 juillet 2015, dont la procédure changerait toutefois par rapport à celle du régime transitoire, en ce sens qu’elle devrait solliciter la reconnaissance de sa formation étrangère en psychothérapie auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Il doit dès lors être admis que suite au renvoi du dossier et afin de se conformer au jugement du 14 juin 2021 ayant annulé sa décision du 11 avril 2019, le ministre a, à travers le courrier précité, informé la demanderesse qu’il avait décidé de se prononcer à nouveau sur la demande d’autorisation de Madame …, en l’analysant selon les dispositions de l’article 2 de la loi du 14 juillet 2015, avec toutes les conséquences en droit en découlant pour la demanderesse.

Si cette décision ne devait pas satisfaire les attentes de Madame … au vu du fait qu’elle estime toujours bénéficier du régime transitoire tel que prévu par l’article 20 de la loi du 14 juillet 2015 et donc ne pas avoir à solliciter la reconnaissance de sa formation étrangère en psychothérapie auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il aurait appartenu, respectivement il appartient à celle-ci de la soumettre au juge administratif, étant rappelé qu’il n’y 7 a pas lieu d’examiner, dans le cadre de la procédure en nomination d’un commissaire spécial, le bien-fondé de la décision de l’autorité administrative.1 Il découle de ces développements que les conditions pour la nomination d’un commissaire spécial chargé de l’exécution du jugement du 14 juin 2021 ne sont pas remplies, de sorte que la requête en nomination d’un commissaire spécial est à rejeter.

En ce qui concerne ensuite la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros, telle que formulée par la demanderesse, il échet d’abord de retenir qu’une demande en allocation d’une indemnité de procédure procède d’une cause juridique particulière et autonome, de sorte que le rejet du recours principal n’implique pas l’irrecevabilité de la demande en allocation d’une indemnité de procédure2. En effet, une demande en obtention d’une indemnité de procédure sort du cadre d’une simple défense à l’action et a une individualité propre et doit dès lors être toisée à la demande du demandeur ou du défendeur3.

Aux termes de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 » : « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

En l’espèce, il y a lieu de constater que le jugement précité du tribunal administratif du 14 juin 2021 ayant annulé la décision ministérielle précitée du 11 avril 2019 et renvoyé le dossier en prosécution de cause au ministre n’a été suivi d’aucun effet jusqu’au 7 novembre 2022, date de la décision ministérielle adressée à la demanderesse l’informant qu’il avait été décidé de se prononcer à nouveau sur sa demande d’autorisation d’exercer la profession de psychothérapeute, non pas dans le cadre du régime transitoire mais selon les dispositions de l’article 2 de la loi du 14 juillet 2015. Ce n’est partant qu’après presque dix-sept mois que le ministre a fini par rendre une décision, le tout sans que ni le ministre, ni la partie étatique n’expliquent les raisons d’être de ce délai. Au vu des circonstances particulières de l’espèce, le tribunal estime qu’il paraît inéquitable de laisser en l’espèce à la charge de la demanderesse les frais exposés par elle et non compris dans les dépens, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à sa demande et de lui accorder une indemnité de procédure évaluée ex æquo et bono au montant de 500 euros.

Pour les mêmes motifs, il y a lieu de mettre les frais et dépens de l’instance à charge de l’Etat, conformément à l’article 32 de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

rejette la requête en nomination d’un commissaire spécial ;

1 Cour adm., 28 février 2002, n° 14216C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1311 et les autres références y citées.

2 En ce sens : trib. adm. 23 septembre 2013, n°31658 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 1131.

3 cf. Cour adm., 9 octobre 2007, n° 22603C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 1128 et trib. adm.

5 mars 2008, n° 23409 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 1132 et autres références y citées.

8 condamne l’Etat à payer une indemnité de procédure d’un montant de 500 euros à Madame … ;

met les frais et dépens de l’instance à charge de l’Etat.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 5 février 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48483
Date de la décision : 05/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-05;48483 ?

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