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02/02/2024 | LUXEMBOURG | N°49977

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2024, 49977


Tribunal administratif N° 49977 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49977 5e chambre Inscrit le 24 janvier 2024 Audience publique du 2 février 2024 Recours formé par Monsieur X, Luxembourg, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22., L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49977 du rôle et déposée le 24 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur X, déclarant être né le … à … (Turquie) et être de nationali...

Tribunal administratif N° 49977 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49977 5e chambre Inscrit le 24 janvier 2024 Audience publique du 2 février 2024 Recours formé par Monsieur X, Luxembourg, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 22., L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49977 du rôle et déposée le 24 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X, déclarant être né le … à … (Turquie) et être de nationalité turque, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 22 janvier 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois avec à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath et Maître Ardavan Fatholahzadeh, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 février 2024.

En date du 4 août 2023, Monsieur X introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires intérieures, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les recherches effectuées dans la base de données EURODAC à la même date révélèrent que l’intéressé avait précédemment introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 24 juillet 2023.

Toujours le 4 août 2023, les déclarations de Monsieur X sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-

ducale, service criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

En date du 8 août 2023, Monsieur X fut entendu par un agent de la Direction de l’Immigration en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et les mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 8 août 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prit à l’égard de Monsieur X une mesure d’assignation à résidence au sein de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) pour une durée de 3 mois à partir de la notification de l’arrêté.

En date du 24 août 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités autrichiennes en vue de la reprise en charge de Monsieur X sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par les autorités autrichiennes le 28 août 2023.

Par arrêté du 8 novembre 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prorogea la mesure d’assignation à résidence à l’égard de Monsieur X au sein de la SHUK pour une durée de 3 mois à partir de la notification de l’arrêté.

Par décision du 15 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile informa Monsieur X que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Autriche sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par arrêté du 22 janvier 2024, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par le « ministre », décida de placer Monsieur X au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision est fondée sur les motifs et considérations suivants :

« Vu l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu l’arrêté du 8 août 2023, notifié le même jour, assignant l’intéressé à résidence sur base de l’article 22, paragraphe (3), point b) ;

Vu que l’intéressé est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Autriche ;

Vu l’accord de reprise en charge des autorités autrichiennes du 28 août 2023 sur base de l’article 18, paragraphe (1) point b) du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Vu la décision de transfert du 15 novembre 2023 ;

Considérant que l’intéressé a fait usage d’identités multiples sur le territoire des États membres ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue du transfert de l’intéressé ont été engagées ;

Considérant que le transfert vers l’Autriche est prévu en date du 25 janvier 2024 ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de l’intéressé comme défini à l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 précitée ;

Considérant qu’afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement de l’intéressé, il y a lieu de révoquer la mesure moins coercitive sur base de l’article 22, paragraphe (3), alinéa 3 et que le placement en rétention est ordonné ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2024, Monsieur X a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 22 janvier 2024 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de sa notification.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise en vertu de cette loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend, en partie, les faits et rétroactes exposés ci-dessus.

Il fait valoir que les conditions de son placement en rétention ne seraient pas remplies et cite, dans ce contexte, l’article 15, paragraphe (1) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », et se prévaut du principe de proportionnalité qui serait consacré dans le considérant 16 de ladite directive. Cette « norme communautaire » aurait été transposée dans les articles 120, paragraphe (1) et 125, paragraphe (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désignée par la « loi du 29 août 2008 », dont il cite les dispositions.

Le demandeur estime qu’il « résulte[rait] de ce qui précède » que la légalité d’une mesure de rétention administrative devrait s’inscrire dans un contexte permettant d’établir l’existence d’un risque non négligeable de fuite qui devrait être apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, le caractère proportionné d’un placement en rétention basé sur « ce premier critère » et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives. Ce serait, dès lors, à tort que le ministre aurait eu recours à son placement en rétention au détriment de mesures moins coercitives « telle que celles ci-avant exposées », alors qu’il aurait déjà accepté, par courrier daté du 3 décembre 2023, la décision de transfert vers l’Autriche. La décision litigieuse aurait donc porté une atteinte injustifiée à sa liberté au motif qu’il se serait déjà trouvé « sous le coup d’une mesure coercitive » sur base de l’article 22 de la « loi précitée », de sorte que la décision déférée devrait encourir la réformation.

Le demandeur prend, ensuite, position par rapport aux diligences entreprises par le ministre et quant au principe de proportionnalité en expliquant que le dossier administratif démontrerait « à suffisan[ce] » qu’il aurait informé le ministre de sa collaboration pour que son transfert en Autriche puisse avoir lieu. Il se réfère à cet égard à une décision du Conseil d’Etat belge du 18 décembre 1979 dont il ressortirait que les motifs à la base de l’appréciation devraient être conformes aux exigences d’une conduite raisonnable et que l’administration devrait se laisser guider dans ses décisions par « les exigences de la raison ».

Il poursuit en expliquant que le principe de proportionnalité serait un principe d’adéquation des moyens à un but recherché et aurait une incidence particulièrement importante en droit au motif que l’autorité administrative devrait entreprendre des mesures qui seraient strictement nécessaires pour maintenir l’ordre public dans ses rapports avec ses administrés dans le cadre de ses décisions individuelles.

Cela signifierait que l’autorité ministérielle devrait choisir, à efficacité égale, « celui » qui laisserait le plus de liberté aux particuliers. Le demandeur en tire la conséquence que la liberté d’appréciation dont disposerait l’autorité administrative d’évaluer discrétionnairement les éléments de la situation ne devrait pas donner lieu à un usage arbitraire de ce même pouvoir qu’il incomberait au tribunal de sanctionner.

Tel devrait être notamment le cas en l’espèce alors que l’autorité administrative aurait changé brusquement son attitude en dépit de la parfaite connaissance de sa situation par rapport au but qui pourrait être légitimement poursuivi par ladite autorité.

Le demandeur ajoute, par ailleurs, que la légalité de la décision déférée devrait être analysée au jour de son jugement au regard notamment des diligences jusqu’alors entreprises par l’autorité ministérielle afin d’écourter « autant se faire se peut » sa privation de liberté, d’autant que les autorités autrichiennes ont accepté sa reprise en charge depuis le 28 août 2023.

« Pour surplus », la décision serait « entachée d’illégalité, d’excès et de détournement de pouvoir et viole la loi et les formes destinées à protéger les intérêts privés », le demandeur se réservant encore le droit de faire valoir « tous autres moyens de droit et de fait » « en temps et lieu utile et suivant qu’il appartiendra ».

Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du présent recours au motif que le recours aurait perdu son objet suite au transfert de l’intéressé vers l’Autriche, de sorte qu’il ne se trouverait, dès lors, plus au Centre de rétention.

A l’audience des plaidoiries, le litismandataire de Monsieur X a indiqué maintenir son recours « sous l’angle de l’annulation ».

Le tribunal constate, indépendamment de la circonstance que l’argumentation du demandeur développée dans sa requête est fondée sur une base légale erronée, alors que les arguments et moyens qu’il invoque à l’appui de son recours sont fondés sur les dispositions de la directive 2008/115 et de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement les articles 120, paragraphe (1) et 125, paragraphe (1) de ladite loi – dispositions légales qui ne sont cependant pas applicables à la décision sous examen qui est basée sur l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, tel que cela ressort de la première phrase de la décision déférée (« Vu l’article 22 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ») –, qu’il est constant en cause, pour ne pas être contesté par le litismandataire du demandeur dans sa requête et pour avoir été expressément soulevé par lui-même à l’audience des plaidoiries du 2 février 2024, que Monsieur X a fait l’objet d’un transfert vers l’Autriche le 25 janvier 2024, tel que cela ressort encore d’un plan de vol daté du 10 janvier 2024 figurant dans le dossier administratif, ainsi que d’un courrier daté du 25 janvier 2024 adressé par le ministère à l’attention du litismandataire le même jour.

Il s’ensuit que Monsieur X n’est plus placé au Centre de rétention sur base de la décision de placement litigieuse, laquelle a cessé ses effets à l’heure actuelle. Aussi, la demande de l’intéressé tendant à voir mettre un terme, par voie de réformation, à la mesure de placement du 22 janvier 2024 et à ordonner sa libération du Centre de rétention, est à considérer comme étant actuellement sans objet1.

En effet, le tribunal saisi d’un recours en réformation est appelé à statuer au jour des présentes, de sorte à ne plus pouvoir utilement faire droit à la demande lui adressée par rapport à laquelle il est appelé à statuer.

Si, dans une matière où un recours en réformation est prévu, le demandeur peut certes limiter son recours en demandant au tribunal de ne pas épuiser son pouvoir de réformation, mais de restreindre son contrôle aux seules questions de légalité d’une décision litigieuse et d’annuler une décision déterminée, encore faut-il que cette demande soit présentée en bonne et due forme et que l’intérêt à agir du demandeur reste vérifié par rapport à cette demande.

Or, force est de constater qu’en l’espèce, le litismandataire du demandeur s’est contenté de faire état de sa volonté, en substance, de limiter son recours en réformation aux moyens de légalité y invoqués, – fondés sur une base légale erronée –, sans toutefois préciser en quoi consiste concrètement l’intérêt du demandeur à maintenir le présent recours limité aux seules questions de légalité par rapport à une décision qui a cessé de produire tout effet le lendemain de l’introduction du recours sous analyse, l’affirmation du litismandataire suivant laquelle le placement en rétention de l’intéressé pour une durée de 48 heures précédant son transfert aurait été contraire au principe de proportionnalité au motif qu’il aurait informé, par courrier du 3 décembre 2023, le ministère accepter la décision de transfert du 15 novembre 2023 en renonçant à son droit de recours et se tenir à disposition du ministère pour organiser son transfert n’étant pas pertinente dans le contexte de la question de l’existence d’une satisfaction concrète que pourrait lui procurer une éventuelle annulation de la décision déférée.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal constate que le recours est dépourvu d’objet, de sorte qu’il est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

dit que le recours principal en réformation est sans objet, partant le rejette ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et lu à l’audience publique du 2 février 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Benoît Hupperich, juge, Nicolas Greisher Schwerzstein, attaché de justice délégué, 1 En ce sens également : Trib. adm., 25 septembre 2023, n° 49435 du rôle ; trib adm., 25 octobre 2023, n° 49568 du rôle, disponibles sur le site www.justice.public.lu.

en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49977
Date de la décision : 02/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-02;49977 ?

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