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02/02/2024 | LUXEMBOURG | N°46542

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 février 2024, 46542


Tribunal administratif N° 46542 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46542 5e chambre Inscrit le 7 octobre 2021 Audience publique du 2 février 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision implicite du directeur de l’administration des Contributions directes et des bulletins de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur la fortune

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46542 du rôl

e et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2021 par Monsieur …, expert-co...

Tribunal administratif N° 46542 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:46542 5e chambre Inscrit le 7 octobre 2021 Audience publique du 2 février 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, …, contre une décision implicite du directeur de l’administration des Contributions directes et des bulletins de l’administration des Contributions directes, en matière d’impôt sur la fortune

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46542 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2021 par Monsieur …, expert-comptable, inscrit au tableau de l’Ordre des experts-comptables du Luxembourg, en sa qualité de représentant de la société anonyme Atoz SA, sise à L-…, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, au nom de la société à responsabilité limitée A (anciennement B), établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil de gérance actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) des bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017 ainsi que 2) des bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017, tous émis le 25 avril 2019 et, 3) d’une « décision implicite de refus du Directeur de l’ACD à la suite de la réclamation (…) déposée auprès de l’ACD en date du 25 juillet 2019 (…) » ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 4 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 4 février 2022 par Monsieur … préqualifié, pour compte de la société à responsabilité limitée A, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes critiqués ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en sa plaidoirie à l’audience publique du 10 octobre 2023, Monsieur … s’étant excusé.

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Suite au dépôt des déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune des collectivités résidentes des années 2016 et 2017, auprès du bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », en date du 12 janvier 2018, ledit bureau informa la société à responsabilité limitée A (anciennement B), désignée ci-après par « la société A », par courrier du 1er février 2019, sur le fondement du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », qu’il envisageait de dévier des déclarations fiscales telles que déposées par ladite société, touten l’invitant à formuler ses éventuelles objections de façon écrite jusqu’au 22 février 2019.

Ledit courrier est formulé comme suit :

« (…) Primes d'émissions et primes assimilées Suivant les comptes annuels au 31/12/2015, déposés au Registre de Commerce et des Sociétés en date du 09/12/2016, le poste « Primes d'émissions et primes assimilées » est bien classé comme compte de capital. La somme de …€ n'est donc pas à considérer comme dette déductible pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2016.

Suivant les comptes annuels au 31/12/2016, déposés au Registre de Commerce et des Sociétés en date du 17/07/2017, le poste « Primes d'émissions et primes assimilées » est bien classé comme compte de capital. La somme de …€ n'est donc pas à considérer comme dette déductible pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2017.

Immobilisations financières Pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2016, les titres détenus dans la société C sont à évaluer à la valeur du marché au 31 décembre 2015.

Pour la détermination de la valeur unitaire au 01/01/2017, les titres détenus dans la société C sont à évaluer à la valeur du marché au 31 décembre 2016.

La valeur comptable ne reflète pas nécessairement la valeur réelle de ces titres.

La valeur prise en compte au 01/01/2016 … € La valeur prise en compte au 01/01/2017 … € (…) ».

Par courrier du 15 mars 2019 la société A répondit au bureau d’imposition qu’elle n’avait « pas d’objection sur les commentaires formulés » par ledit bureau. Elle argumenta toutefois que dans la mesure où les titres qu’elle détenait étaient évalués à la valeur du marché, les dettes au passif de la société seraient également à évaluer à la valeur de marché lors de la détermination de la valeur unitaire étant donné que la valeur de marché des obligations convertibles qu’elle aurait émises aurait augmenté dans les mêmes proportions que l’augmentation de la valeur des titres détenus par la société dans la société à responsabilité limité C, désignée ci-après par « la société C ».

En date du 25 avril 2019, le bureau d’imposition émit à l’égard de la société A les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2016, respectivement au 1er janvier 2017, ainsi que les bulletins de l’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2016, respectivement au 1er janvier 2017.

Par courrier de son mandataire daté du 25 juillet 2019, la société A fit introduire auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation à l’encontre desdits bulletins de l’impôt sur la fortune ainsi que des bulletins de l’établissement de la valeur unitaire sur le revenu des collectivités, émis le 25 avril 2019, réclamation qui ne connut pas de suite de la part du directeur.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2021, la société A fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation 1) des bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017 ainsi que 2) des bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017, tous émis le 25 avril 2019 et, 3) d’une « décision implicite de refus du Directeur de 2 l’ACD à la suite de la réclamation (…) déposée auprès de l’ACD en date du 25 juillet 2019 (…) ».

1. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Le délégué du gouvernement conclut dans le cadre du dispositif de son mémoire en réponse à l’irrecevabilité du recours. Il insiste sur l’irrecevabilité du volet du recours ayant trait aux bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 et 2017 au motif que l’imposition en question serait basée sur des valeurs établies séparément, de sorte que ces bulletins ne pourraient pas être attaqués au motif que leurs bases d'imposition seraient inexactes. Selon le délégué du gouvernement, tout recours devrait obligatoirement être formé contre les bulletins d’établissement de la valeur unitaire émis en amont, alors qu’en application du paragraphe 218, alinéa 4 AO, toute réformation du bulletin d'établissement de la valeur unitaire entraînerait d'office un redressement du bulletin d'impôt établi sur la base dudit bulletin d'établissement de la valeur unitaire.

La société demanderesse insiste dans le cadre de son mémoire en réplique sur la recevabilité du recours. Elle rappelle à cet égard que le recours serait dirigé tant contre les bulletins de l'impôt sur la fortune au 1er janvier 2016 et au 1er janvier 2017 que contre les bulletins relatifs à l'établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2016 et au 1er janvier 2017, de sorte que même à supposer qu'il ne soit pas possible de déposer un recours à l'encontre des bulletins de l'impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 et 2017, il n’en demeurerait pas moins que le recours serait recevable pour avoir été déposé à l'encontre des bulletins relatifs à l'établissement de la valeur unitaire de la fortune d'exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017.

Le tribunal constate à titre liminaire que le recours sous examen est introduit contre différents actes, à savoir, (i) contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017, émis le 25 avril 2019, (ii) contre les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017, émis le 25 avril 2019 et (iii) contre une décision implicite de refus du directeur suite à la réclamation introduite contre les bulletins précités auprès du directeur en date du 25 juillet 2019.

S’agissant, tout d’abord, de la compétence du tribunal pour statuer sur le recours sous analyse, force est de souligner que conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », il est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition étant encore précisé qu’un recours contre un bulletin n’est prévu à l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la même loi que dans l’hypothèse où une réclamation a été introduite par le contribuable et qu’aucune réponse n’est intervenue dans un délai de six mois. Le tribunal est dès lors compétent pour connaître du recours principal en réformation sous examen.

Il s’ensuit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

En ce qui concerne, ensuite, la recevabilité du recours principal en réformation sous analyse pour autant qu’il vise la prétendue décision de refus implicite du directeur, qualifiée comme telle, force est de constater que s’il est exact que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi du 7 novembre 1996 dispose : « Lorsqu’une réclamation au sens du §228 de la loi 3 générale des impôts […] a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant […] peu[t] considérer la réclamation […] comme rejetée […] et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation […] » et reprend ainsi textuellement l’article 4, paragraphe (1) de la même loi, à savoir « les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée », disposition dont découle une décision implicite de refus, il n’en demeure pas moins qu’il résulte des documents parlementaires que le législateur n’a pas prévu la création d’une décision implicite de refus en cas de silence du directeur suite à l’introduction d’une réclamation contre un bulletin d’impôt1. Par voie de conséquence, le tribunal est amené à conclure que l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », et non pas contre une décision implicite de refus du directeur2. Ainsi, dans la mesure où aucune décision directoriale n’a été adoptée par l’effet du silence de plus de six mois après l’introduction de la réclamation, le recours sous analyse est irrecevable pour défaut d’objet pour autant qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de refus du directeur.

Concernant, ensuite, la question de la recevabilité du volet du recours dirigé contre les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 et 2017, il convient de constater que s’il est vrai que le contrôle de la régularité d'un bulletin d'établissement séparé de la valeur unitaire doit se faire dans le cadre d'un recours dirigé contre ledit bulletin et non pas dans le cadre d’un recours contre le bulletin de l’impôt sur la fortune reprenant la base d’imposition qui s’ensuit, les dispositions du paragraphe 218, alinéa 4 AO ne rendent pas ipso facto irrecevable le recours dirigé contre les bulletins de l’impôt sur la fortune déférés en même temps que les bulletins d’établissement de la valeur unitaire sur lesquels ces premiers se basent, alors que rien n’empêche le tribunal, dans le cadre d’un recours en réformation dirigé contre tous les bulletins litigieux, de réformer, le cas échéant, en application de cette même disposition, les bulletins de l’impôt sur la fortune en fonction des éventuelles rectifications à opérer sur les bulletins d’établissement de la valeur unitaire émis en amont3.

Il suit des éléments qui précèdent et à défaut de tout autre moyen d’irrecevabilité que le recours principal en réformation dirigé contre les bulletins de l’établissement séparé de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier des années 2016 et 2017, ainsi que les bulletins de l’impôt sur la fortune au 1er janvier des années 2016 à 2017, tous émis le 25 avril 2019, est à déclarer recevable pour avoir été introduit, par ailleurs, dans les formes et délai de la loi.

2. Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, la société demanderesse explique détenir 100% des titres de la société C. La participation dans la société C aurait été financée par des fonds propres 1 Voir doc. parl. 3940A, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p. 5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. (…) Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée ».

2 Trib. adm. 25 novembre 1998, n° 10308 à 10311 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n°1254 et les autres références y citées.

3 V. en ce sens : trib. adm. 22 janvier 2019, n° 40240 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1318à hauteur de … euros et par des obligations convertibles émises par la société demanderesse elle-même et souscrites par Monsieur X, pour un montant de … euros.

Elle explique que par son courrier adressé le 15 mars 2019 au bureau d’imposition ainsi que par sa réclamation auprès du directeur, elle aurait fait valoir que puisque ses actifs étaient évalués à la valeur de marché, il conviendrait également d'évaluer ses dettes au passif, plus précisément les obligations convertibles à leur valeur de marché lors de la détermination de sa valeur unitaire. Elle explique encore que la valeur de marché des obligations convertibles qu’elle aurait émises aurait augmenté dans les mêmes proportions que la valeur des titres qu’elle détiendrait dans la société C. Ainsi, la valeur des obligations convertibles à prendre en considération pour la détermination de sa valeur unitaire devrait correspondre à la valeur de marché de ses propres parts sociales, laquelle correspondrait en effet à la valeur réelle des obligations convertibles.

Concrètement et en chiffres, la société A fait valoir que d’après ses estimations, la valeur de marché des titres de la société C qu’elle détiendrait s'élèverait à … euros au 1er janvier 2016 et à … euros au 1er janvier 2017. Ces valeurs auraient été confirmées par l’administration des Contributions directes dans un courrier lui adressé en date du 1er février 2019. La société demanderesse en conclut que la valeur réelle des obligations convertibles qui devrait être retenue pour la détermination de sa valeur unitaire devrait s'élever à … euros au 1er janvier 2016 et à … euros au 1er janvier 2017.

La société demanderesse fonde son raisonnement sur le fait que lors de l’émission des obligations convertibles destinées à financer sa participation dans la société C, un contrat aurait été signé entre elle-même et Monsieur X, agissant en tant que porteur des obligations, désigné ci-après par « le contrat », lequel prévoirait que les obligations convertibles pouvaient être (i) converties en parts sociales de la société A elle-même ou encore, (ii) rachetées à la valeur de marché des parts sociales de la société A ou enfin, (iii) cédées à un tiers à la valeur de marché.

La société demanderesse développe son raisonnement en précisant que la possibilité pour le porteur des obligations convertibles de les convertir en parts sociales serait expressément prévue au contrat. Cette conversion serait possible en respectant un ratio de conversion d'une obligation convertible pour une part sociale de la société A. Par ailleurs, le contrat prévoirait également la possibilité pour elle-même de racheter les obligations convertibles à la valeur de marché, laquelle serait définie par la clause 1 du contrat comme :

« le prix qui serait négocié entre parties indépendantes lors d'une transaction effectuée dans des conditions normales de marché ». Enfin, concernant la dernière possibilité prévue par le contrat, à savoir celle de céder les obligations convertibles à un tiers, elle fait valoir qu’eu égard aux conditions particulières des obligations convertibles de l’espèce, lesquelles pourraient soit être converties en parts sociales, soit être rachetées à la valeur de marché, leur valeur de marché en cas, de cession à un tiers, devrait correspondre à la valeur de marché de ses propres parts sociales.

Toutefois, l’administration des Contributions directes n’aurait pas suivi son raisonnement et n’aurait pas pris en compte pour le calcul de sa valeur unitaire pour les années 2016 et 2017, la valeur de marché des obligations convertibles, mais uniquement la valeur nominale.

En droit, la société demanderesse appuie son raisonnement sur le paragraphe 14, point (1) de la loi du 16 octobre 1934 concernant l’évaluation des biens et valeurs, communémentappelée « Bewertungsgesetz », en abrégé « BewG », selon lequel les créances et les dettes devraient en principe être comptabilisées à leur valeur nominale, sauf lorsque des circonstances particulières justifient une évaluation supérieure ou inférieure à la valeur nominale. En l'espèce, il ne serait pas contesté que les obligations convertibles seraient des dettes au sens de cette disposition. Dès lors, le BewG prévoirait la possibilité de valoriser les dettes d'un contribuable à une valeur inférieure ou supérieure dans le cas où cette valorisation serait justifiée par des « circonstances particulières ». Cette notion de « circonstances particulières » ne serait toutefois définie ni par la loi fiscale, ni par les commentaires de la loi, ni même par la doctrine.

De la connaissance de la société demanderesse, une seule jurisprudence des juridictions administratives se serait prononcée à cet égard, dans le contexte de la reconnaissance de la valeur de marché d’une obligation cotée à une bourse étrangère pour les besoins de l’évaluation dans le cadre de l’impôt sur la fortune. Il s’agirait d’un jugement du tribunal administratif du 15 mars 2000, inscrit sous le numéro 11226 du rôle.

En ce qui concerne le pouvoir d'appréciation par l'administration fiscale de la notion de « circonstances particulières », la société demanderesse renvoie au paragraphe 2 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, communément désignée « Steueranpassungsgesetz », en abrégé « StAnpG », selon lequel, l'administration fiscale, investie d'un pouvoir d'appréciation, devrait procéder, selon des considérations d'équité et d'opportunité, à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.

Concrètement, en l’espèce, la société demanderesse fait donc valoir que dans la mesure où elle pourrait, à tout moment, racheter une obligation convertible à une valeur correspondant à la valeur de marché de ses propres parts sociales, la valeur réelle des obligations convertibles correspondrait effectivement à la valeur réelle de ses propres parts sociales. D'un point de vue économique, dans les deux hypothèses, la valeur réelle et effective des obligations convertibles correspondrait à la valeur de marché de ses propres parts sociales. Par ailleurs, le contrat prévoirait également la possibilité de céder les obligations convertibles à une partie tierce. En cas de cession desdites obligations à une partie tierce, le prix de cession correspondrait à la valeur de marché des obligations convertibles. Ainsi, les clauses contractuelles des obligations convertibles constitueraient une circonstance particulière inhérente aux obligations convertibles en question au sens du paragraphe 14, point (1) BewG qui justifierait de retenir la valeur de marché de ses propres parts sociales pour les besoins de l'évaluation des obligations convertibles dans le cadre de l'établissement de l'impôt sur la fortune.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Appréciation du tribunal Force est d’abord de constater qu’encore que le délégué du gouvernement insiste sur le fait que le bureau d’imposition serait à confirmer tant dans sa démarche de ne pas avoir considéré comme éléments déductibles les « Primes d'émission et primes assimilées » étant donné que ces dernières seraient à considérer comme capital que dans l’évaluation qu’il aurait opéré des parts détenues dans la société C à la valeur estimée de réalisation, la société demanderesse n’a pas contesté ledit raisonnement du bureau d’imposition et a même affirmé tant dans son courrier du 15 mars 2019 que dans le cadre de sa réclamation adressée au directeur et enfin dans le cadre de son recours qu’elle acceptait ladite évaluation telle qu’opérée par le bureau d’imposition. La société demanderesse a toutefois ensuite fait valoir que corollairementà l’évaluation des parts détenues dans la société C, il conviendrait d’évaluer également ses dettes au passif à la valeur de marché et non point à leur valeur nominale.

Il s’ensuit que le désaccord des parties ne porte, en l’espèce, que sur la seule question de la détermination de la valeur unitaire de la fortune d’exploitation de la société A au 1er janvier 2016, respectivement au 1er janvier 2017 et plus précisément sur la question de savoir si dans ledit contexte, les obligations convertibles en actions émises par ladite société sont à évaluer à leur valeur nominale ou à leur valeur de marché.

A cet égard, il convient à titre liminaire de préciser qu’une obligation constitue une valeur mobilière, donc un titre, lequel correspond à un contrat entre l’émetteur et le porteur de l’obligation et qui représente une dette de l’émetteur envers le porteur de l’obligation. En d’autres termes, les obligations sont des valeurs mobilières négociables constatant une créance à long terme sur une société. Les obligations convertibles en actions ont pour caractéristique de permettre à leur titulaire de devenir à son gré associé de la société à laquelle il a prêté dans les conditions fixées par le contrat d’émission4.

En l’espèce, il s’agit de déterminer la valeur unitaire de la fortune d’exploitation au 1er janvier 2016 de la société émettrice, en l’occurrence de la société demanderesse, des obligations convertibles en actions dont la qualification en instrument de dettes n’est, tel que relevé ci-avant, pas contestée. Dès lors que dans le chef de l’émetteur les obligations s’analysent en une dette envers le porteur, il convient donc de déterminer le mode d’évaluation de leur valeur conformément aux dispositions applicables à l’évaluation des dettes de sociétés.

En vertu de du paragraphe 1er BewG, ayant pour objet de fixer des procédés uniformes d’évaluation des biens soumis aux différents impôts, les dispositions générales d’évaluation contenues dans les paragraphes 2 à 17 de la même loi sont applicables, notamment aux impôts de l’Etat, pour autant qu’il n’en est pas disposé autrement dans les lois insitituant les différents impôts ou dans la deuxième partie du BewG5. A défaut de dispositions spécifiques relatives au mode d’évaluation d’obligations convertibles en actions dans le chef de l’émetteur, il convient de se référer à la règle générale contenue au paragraphe 14 BewG.

Aux termes dudit paragraphe 14 BewG relatif aux « Kapitalforderungen und Schulden »: « (1) Kapitalforderungen, die nicht im § 13 bezeichnet sind, und Schulden sind mit dem Nennwert anzusetzen, wenn nicht besondere Umstände einen höheren oder geringeren Wert begründen. (…) ».

Il ressort du paragraphe 14 précité qu’aux fins de la fixation de la valeur unitaire, les dettes, en l’occurrence les obligations convertibles, sont à évaluer à leur valeur nominale à moins que des circonstances exceptionnelles justifient une évaluation à une valeur supérieure ou inférieure. Le principe est donc celui d’une évaluation à la valeur nominale tandis qu’une évaluation à une valeur supérieure ou inférieure constitue l’exception.

Dans la mesure où la demanderesse reproche en l’espèce au bureau d’imposition d’avoir évalué les obligations convertibles en actions qu’elle a émises à leur valeur nominale au lieu de les avoir évaluées à la valeur supérieure des actions qui en formeraient la contrepartie, il appartient au tribunal de vérifier dans la limite des arguments de la société demanderesse, 4 Alain Steichen, Précis de droit fiscal, 5e édition, 2020, p.448, n°487 5 E. Maquil et P. Lauterbour, « L’évaluation des biens et des droits, Commentaire de la loi d’évaluation », Études fiscales, 1968/74, nos 24/25/44, p. 1 et 7.l’existence en l’espèce de circonstances exceptionnelles au sens du paragraphe 14, point (1) in fine BewG, justifiant une évaluation des obligations à une valeur supérieure de leur valeur nominale.

S’agissant du régime des obligations convertibles en actions, il y a lieu de se référer au contrat d’émission desdites obligations signé le 30 octobre 2014 entre l’émetteur et le porteur des obligations. Il en ressort, tel que la société demanderesse l’affirme, que lesdites obligations peuvent (i) soit être converties en parts sociales de la société A6, (ii) soit être rachetées par la société A elle-même7, (iii) soit être cédées à un tiers8. Il s’ensuit que la conversion des obligations en actions est facultative et ne constitue qu’une option parmi trois qui s’offrent tant à l’émetteur qu’au porteur des obligations, lesquels disposent donc du libre choix de convertir ou non les obligations en actions.

En l’espèce, si la société demanderesse estime que la valeur des obligations convertibles qu’elle a émises seraient à aligner à celles de ses actions détenues dans la société C, il convient toutefois de constater qu’il est constant en cause qu’aucune des parties au contrat d’émission des obligations convertibles n’a manifesté son intention de convertir les obligations en actions aux dates clés de l’espèce, à savoir au 1er janvier 2016 ou au 1er janvier 2017, et, a fortiori qu’aucune conversion n’est intervenue.

Or, c’est justement la valeur unitaire de l’entreprise à la date-clé du 1er janvier de l’année civile qui est, conformément au § 21 BewG9 déterminante dans la fixation de la valeur des éléments dont elle se compose, en ce compris les dettes. L’argumentation de la société demanderesse revient, quant à elle, à anticiper une hypothétique conversion des obligations par 6 La clause 6 du contrat d’émission des obligations convertibles en action stipule que : « A la Date de Conversion, tout ou partie des Obligations Convertibles concernées est convertie en Parts Sociales intégralement libérées » La clause 6.1 stipule que : « Tout ou partie des Obligations Convertibles détenues par un Porteur d'Obligations pourront, au cours de la Période de Conversion et si ce dernier le souhaite, être converties en Parts sociales intégralement libérées sur la base d'une Part Sociale par Obligation Convertible. » 7 La clause 7 du contrat d’émission des obligations convertibles en action stipule que : « La Société est en droit de racheter tout ou partie des Obligations Convertibles détenues par le Porteur d'Obligations Convertibles.

(…) ».

8 La clause 3.2 du contrat d’émission des obligations convertibles en action, intitulée « Cession », stipule : « Si un porteur d'Obligations Convertibles souhaite céder tout ou partie de ses Obligations Convertibles sans respecter la procédure ci-dessous décrite, ces Obligations Convertibles seront immédiatement annulées par la Société sans aucun paiement. (…) ». La clause 4, intitulé « Preuve de la cession des Obligations Convertibles », prévoit sous son pont 4 1 que : « La cession des Obligations Convertibles doit être prouvée par un acte notarié ou par un acte sous seing privé. (…) ».

9 §21 BewG. « Hauptfestellung (1) Die Einheitswerte werden allgemein festgestellt (Hauptfeststellung):

1. in Zeitabständen von je sechs Jähren: für die wirtschaftlichen Einheiten des land- und forstwirtschaftlichen Vermögens und des Grundvermögens, für die Betriebsgrundstücke (§ 57) und für die Gewerbeberechtigungen (§ 58);

2. in Zeitabständen «von je einem Jahr»: für die wirtschaftlichen Einheiten des Betriebsvermögens.

Der Finanzminister kann bestimmen, dass die Hauptfeststellung in kürzeren oder längeren als den in Satz 1 bezeichnetem Zeitabständen vorgenommen wird. Die Bestimmung kann sich auf einzelne Vermögensarten oder Vermögensunterarten beschränken.

(2) Der Hauptfeststellung werden die Verhältnisse zu Beginn des Kalenderjahres (Hauptfeststellungszeitpunkt) zugrunde gelegt. Die Vorschriften im § 32 Absatz 2 und § 63 über die Zugrundelegung eines anderen Zeitpunkts bleiben unberührt.Monsieur X, de sorte à solliciter la fixation d’une valeur par rapport à une situation non donnée aux dates-clés litigieuses, ce qui contrevient à la disposition susvisée.

Au 1er janvier des années 2016 et 2017, le constat demeure que les obligations convertibles litigieuses constituent des instruments de dettes n’ayant pas fait l’objet d’une conversion et devant, en conséquence, être évaluées en tant que tels, soit en principe à la valeur nominale, sans que la circonstance qu’en cas de conversion hypothétique des obligations convertibles en cause, leur valeur correspondrait à la valeur de marché des titres détenus dans la société C, ne constitue une circonstance exceptionnelle de nature à déroger audit principe.

Il ressort des éléments qui précèdent que dans la mesure où la conversion des obligations en actions n’est que facultative et dans la mesure où en l’espèce, il n’a pas été fait usage de cette faculté, la valeur des obligations n’est pas ipso facto à aligner avec la valeur des parts sociales de la société demanderesse du seul fait de l’existence d’une faculté de conversion stipulée dans un contrat.

Dès lors et à défaut par la société demanderesse de faire valoir d’autres éléments, aucune circonstance exceptionnelle justifiant de déroger au principe général de l’évaluation à la valeur nominale ne peut être constatée en l’espèce et l’exception prévue par le paragraphe 14, point (1) in fine BewG ne saurait partant trouver application.

Les considérations qui précèdent ne sont pas énervées par la référence de la société demanderesse au jugement précité du tribunal administratif du 15 mars 2000. En effet, si ledit jugement a conclu à l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant l’évaluation des obligations convertibles en actions à une valeur supérieure ou inférieure à leur valeur nominale, cette solution n’est pas transposable en l’espèce étant donné que la situation qui se présentait à l’époque diffère foncièrement de celle qui se présente dans le cadre du recours sous examen.

Ainsi, il s’agissait, à l’époque, de procéder à l’évaluation de la fortune du porteur et non point de l’émetteur des obligations, lesquelles étaient cotées à une bourse étrangère, de sorte que le tribunal avait retenu que leur liquidité était augmentée par la centralisation des opérations d’achat et de vente y relatives et par la potentialité d’un volume plus élevé de transactions, impliquant que le prix se dégageant de ces opérations devait être considéré comme traduisant avec plus de proximité la valeur effective de ce titre. La cotation de l’obligation en bourse et les conséquences s’en dégageant pour leur valeur constituaient donc des circonstances exceptionnelles justifiant une évaluation divergeant du principe général de l’évaluation à la valeur nominale, situation non vérifiée en l’espèce.

Il suit de l’ensemble des éléments qui précèdent que le bureau d’imposition a valablement pu évaluer les obligations convertibles émises par la société demanderesse à leur valeur nominale et que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 euros formulée par la société demanderesse sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare irrecevable le volet du recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite de refus du directeur de l’administration des Contributions directes ;

reçoit en la forme le recours en réformation pour le surplus ;

au fond, le dit non justifié partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros formulée par la société demanderesse ;

met les frais et dépens de l’instance à charge de la société demanderesse.

Ainsi jugé par et prononcé à l’audience publique du 2 février 2024 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 février 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 46542
Date de la décision : 02/02/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-02-02;46542 ?

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