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29/01/2024 | LUXEMBOURG | N°47155

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 janvier 2024, 47155


Tribunal administratif N° 47155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47155 1re chambre Inscrit le 9 mars 2022 Audience publique du 29 janvier 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du bourgmestre de la commune de Leudelange, en présence de Madame …, …, en matière de droit de préemption

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47155 du rôle et déposée le 9 mars 2022 au greffe du tribunal administratif

par la société anonyme Krieger Associates SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre d...

Tribunal administratif N° 47155 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:47155 1re chambre Inscrit le 9 mars 2022 Audience publique du 29 janvier 2024 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, … contre une décision du bourgmestre de la commune de Leudelange, en présence de Madame …, …, en matière de droit de préemption

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47155 du rôle et déposée le 9 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Krieger Associates SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège à L-

2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation d’une « délibération du conseil communal de Leudelange, rendue lors de sa séance du 9 juillet 2021, par laquelle la commune a décidé d'exercer « son droit de préemption » pour un terrain à bâtir situé à …, et inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, section … de Leudelange, sous le numéro …, d'une contenance de 8 a 77 ca ; décision communiquée à la requérante en date du 13 décembre 2021 » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly Ferreira Simoes, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, demeurant à Luxembourg, des 17 et 18 mars 2022 portant signification de ce recours à la commune de Leudelange, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie en sa maison communale à L-

3361 Leudelange, 5, place des Martyrs, et à Madame …, demeurant à L-… ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Anne-Laure Jabin, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée le 22 mars 2022 au greffe du tribunal administratif pour compte de la commune de Leudelange, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 juin 2022 par Maître Anne-Laure Jabin pour compte de la commune de Leudelange, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2022 par la société anonyme Krieger Associates SA pour compte de la société à responsabilité limitée …, préqualifiée ;

1Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 octobre 2022 par Maître Anne-Laure Jabin pour compte de la commune de Leudelange, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Couvreur, en remplacement de Maître Georges Krieger et Maître Anne-Laure Jabin entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 octobre 2023.

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En date du 24 février 2021, la société à responsabilité limité …, ci-après désignée par la « société … », signa un compromis de vente portant sur une parcelle, sise à …, inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, ci-après désignée par la « commune », section … de Leudelange, sous le numéro …, ci-après désignée par « la parcelle », avec Madame … en tant que partie venderesse.

Par courrier du 10 mars 2021, Maître Mireille Hames, notaire instrumentant, s’enquit auprès de la commune afin de savoir si la parcelle est située en zone constructible et si elle est dotée de toute l’infrastructure nécessaire et si la commune désirait exécuter ou non son droit de préemption.

Lors de la séance du 2 avril 2021, le conseil communal de Leudelange, ci-après désigné par le « conseil communal », siégeant à huis clos, décida d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle, l’extrait de cette délibération étant libellé comme suit :

« (…) Considérant qu’il appartient au Conseil communal de prendre les décisions relatives aux actes de disposition des biens de la commune dont l’exercice du droit de préemption fait partie ;

Considérant que le Conseil communal a décidé unanimement en séance du 30 mars 2021 de convoquer le 2 avril 2021 une réunion d’urgence du Conseil communal afin de pouvoir délibérer dans les délais impartis sur la présente demande de préemption et que partant l’urgence est invoquée ;

Vu le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités ;

Vu le décret des 16-24 août 1790 sur l’organisation judiciaire ;

Vu la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse – PANC ;

Vu le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;

Vu la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain ;

Vu la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l’aménagement du territoire ;

2Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;

Vu la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat dite « Loi Pacte logement », modifiée par la loi du 03 mars 2017 dite « Omnibus » ;

Vu les circulaires ministérielles no. 3897 du 2 septembre 2020 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes – jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020 et no. 3951 du 19 janvier 2021 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes – arrêt de la Cour administrative du 5 janvier 2021 ;

Vu la demande du droit de préemption telle que reproduite ci-dessous ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ; (…) décide à l’unanimité des voix de réaliser un projet de logements à caractère social sur le terrain en question. (…) ».

Par une note manuscrite portant la date du 8 avril 2021, le secrétaire communal informa Maître Hames que la commune désirerait faire usage de son droit de préemption et qu’un courrier avec la décision officielle du conseil communal suivrait.

L’acte de vente entre Madame … et la commune fut signé en date du 30 avril 2021.

En sa séance du même jour, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Leudelange prit la délibération libellée comme suit :

« (…) Vu la décision du Conseil communal du 2 avril 2021 de faire usage de son droit de préemption et de réaliser un projet de logements à caractère social sur le terrain en question ;

Considérant que le Collège des bourgmestre et échevins entend affecter le terrain préqualifié à la construction de logement répondant aux critères sociaux ;

Vu la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l’habitat, dite « Loi Pacte logement », modifiée par la loi du 03 mars 2017 dite « Omnibus » ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Décide à l’unanimité des voix • de prendre contact avec l’Agence Immobilière … pour élaborer un projet de logement sur le terrain, • de vouloir conserver un droit de regard sur la forme et sur l’aspect esthétique des logements à construire, 3• d’élaborer un règlement pour définir les personnes cibles qui peuvent entrer en bénéfice des logements ainsi construits (…) ».

Il ressort d’un jugement rendu en date de ce jour, inscrit sous le numéro 48270 du rôle, que par délibération du 11 mai 2021, le conseil communal approuva l’acte de vente, précité.

Par courriers séparés du 24 juin 2021, la commune informa Madame … ainsi que la société … de la décision du 2 avril 2021 tout en les priant de prendre position sur ladite décision dans un délai de 8 jours.

Par requête déposée le 2 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46194 du rôle, la société … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la « délibération du conseil communal de Leudelange, qui aurait été rendue lors de sa séance du 2 avril 2021, par laquelle il a décidé d'exercer son droit de préemption concernant un terrain à bâtir situé à …, et inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, section … de Leudelange, sous le numéro …, d'une contenance de 8 a 77 ca. » et « pour autant que de besoin, [de] la « décision du collège échevinal » de Leudelange du 8 avril 2021, par laquelle il confirme au notaire que la commune entend exercer son droit de préemption ».

Par courrier du même jour, la société … s’adressa, par l’intermédiaire de son litismandataire, à la commune en observant que tant que le conseil communal ne procéderait pas au retrait de sa décision du 2 avril 2021, il serait inutile de réaliser ex post une procédure d’information des parties.

Lors de la séance du 9 juillet 2021, le conseil communal décida, à nouveau, d’exercer son droit de préemption concernant la parcelle, l’extrait de cette délibération étant libellé comme suit :

« (…) Considérant qu'il appartient au Conseil communal de prendre les décisions relatives aux actes de disposition des biens de la commune dont l'exercice du droit de préemption fait partie ;

Vu le décret du 14 décembre 1789 relatif à la constitution des municipalités ;

Vu le décret des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire ;

Vu la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse - PANC ;

Vu le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes ;

Vu la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l'aménagement communal et le développement urbain ;

Vu la loi modifiée du 17 avril 2018 concernant l'aménagement du territoire ;

Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;

4Vu la loi du 22 octobre 2008 portant promotion de l'habitat, dite « Loi Pacte logement », modifiée par la loi du 03 mars 2017 dite « Omnibus » ;

Vu les circulaires ministérielles no. 3897 du 2 septembre 2020 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes — jugement du tribunal administratif du 22 juillet 2020 et no. 3951 du 19 janvier 2021 concernant la loi Pacte logement, droit de préemption des communes — arrêt de la Cour administrative du 5 janvier 2021 ;

Vu la demande du droit de préemption telle que reproduite ci-dessous ;

Considérant que par courrier recommandé daté du 10 mars 2021 et reçu le 11 mars 2021 le notaire Maître Mireille HAMES, de résidence à Mersch, a demandé, conformément à l'article 8 de la prédite loi modifiée du 22 octobre 2008, si la commune entendait exercer son droit de préemption concernant une parcelle inscrite au cadastre de la commune, section … de Leudelange, au lieu-dit « Rue … », place, sous le numéro … d'une surface de 8,77 ares ;

Considérant que suivant délibérations du 2 avril 2021, tenues à huis clos, le conseil communal a reconnu vouloir faire usage du prédit droit de préemption aux fins de construction de logements à coût modéré ;

Considérant que la commune a, par courrier du 8 avril 2021, accusé réception de la demande et informé le notaire Maître Mireille HAMES de ce que la commune désire faire usage de son droit de préemption ;

Considérant que par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 juin 2021 et par télécopie du même jour réceptionnée le 25 juin 2021, le collège des bourgmestre et échevins a fait part de son intention à la société …, en abrégé société …, de vouloir exercer son droit de préemption et a demandé à recevoir les observations éventuelles endéans huit jours ; Copie de ce courrier a été adressé à son mandataire ;

Considérant que par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 juin 2021, le collège des bourgmestre et échevins a fait part de son intention à Madame … de vouloir exercer son droit de préemption et a demandé à recevoir les observations éventuelles endéans huit jours ;

Considérant que Madame … a, par courrier du 29 juin 2021, répondu qu'elle est favorable à l'exercice du droit de préemption pour la commune et si possible avec déclaration d'utilité publique ;

Considérant que la société …, en abrégé société …, n'a pas adressé d'observations endéans le délai de huit jours ;

Considérant que le mandataire de la société …, en abrégé société …, a par courrier du 2 juillet 2021, demandé à être entendu quant à ses observations pour le compte de sa mandante ;

Considérant que par courrier du 7 juillet 2021, le collège des bourgmestre et échevins a répondu au mandataire de la société …, en abrégé société …, que sa demande était tardive et partant qu'il était forclos à être entendu ;

5 Considérant que la parcelle ici en cause n°… est classée selon le plan d'aménagement général actuellement en vigueur en zone d'habitation 1 (HAB-1) superposée d'un plan d'aménagement particulier Quartier Existant, Considérant les explications du collège des bourgmestre et échevins au conseil communal lors de la séance tenue à huis clos du 2 avril 2021 concernant un projet d'utilité publique sur des parcelles adjacentes ;

Considérant qu'au vu des prédites explications du collège des bourgmestre et échevins, l'acquisition de la parcelle ici en cause n°… est indispensable à la création d'un projet d'envergure de logements à coût modéré ;

Considérant la pénurie de logements à coût modéré au sein de la commune ;

Considérant les incitations gouvernementales, notamment par le projet de loi Pacte logement 2.0 quant à la réalisation de logements à coût modéré par les communes aux fins d'offrir des logements abordables ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

décide à l'unanimité des voix (1) d'exercer le droit de préemption sur la parcelle n°… aux fins de réaliser un projet de logements accessibles pour des personnes économiquement plus faibles sur la parcelle en question ;

(2) de transmettre la présente délibération aux fins d'approbation par la ministre de l'Intérieur ;

(3) de charger le collège des bourgmestre et échevins de l'exécution de la présente décision ;

La présente délibération remplace la délibération du 2 avril 2021. (…) ».

Par courrier du 6 octobre 2021 adressé à Maître Hames, au collège des bourgmestre et échevins de la commune de Leudelange, ci-après désigné par « le collège échevinal », et au ministre de l’Intérieur, ci-après désigné par « le ministre », la société … sollicita, par l’intermédiaire de son litismandataire, la communication de « la nouvelle décision du conseil communal portant exercice du droit de préemption », de « la décision du conseil communal portant approbation de l’acte notarié » et de « la décision d’approbation de la ministre de l’Intérieur par rapport à cet acte notarié ».

Par décision du 25 octobre 2021, le ministre approuva les délibérations du conseil communal des 2 avril et 11 mai 2021. Ladite décision est libellée comme suit :

« Retourné à l’administration communale de Leudelange avec l’information que j’approuve les délibérations émargées du conseil communal portant sur l’exercice du droit 6de préemption sur la parcelle n°… sise à Leudelange au lieu-dit « Rue … », respectivement portant approbation de l’acte de vente n°… du 30 avril 2021.

Etant donné que la délibération émargée du 2 avril 2021 fut prise à huis clos, je tiens à attirer l’attention des autorités communales sur l’article 21 de la loi communale du 13 décembre 1988 telle que modifiée, qui dispose ce qui suit :

« Les séances du conseil communal sont publiques. Toutefois, pour des considérations d’ordre public ou à cause d’inconvénients graves, le conseil, à la majorité des deux tiers des membres présents, peut décider, par délibération motivée, que la séance est tenue à huis clos. » Or, il échet de constater que les autorités communales n’invoquent aucun des motifs précités justifiant la tenue de la délibération à huis clos.

En outre, dans la mesure où la décision de préempter constitue un acte administratif détachable du contrat de vente, je me permets d’attirer l’attention des autorités communales sur l’application de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, qui prévoit ce qui suit :

« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concerne, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir (…) ». (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2022, inscrite sous le numéro 47155 du rôle, la société … fit introduire un recours en annulation à l’encontre de la « délibération du conseil communal de Leudelange, rendue lors de sa séance du 9 juillet 2021, par laquelle la commune a décidé d'exercer « son droit de préemption » pour un terrain à bâtir situé à …, et inscrit au cadastre de la commune de Leudelange, section … de Leudelange, sous le numéro …, d'une contenance de 8 a 77 ca ; décision communiquée à la requérante en date du 13 décembre 2021 ».

En date du 13 septembre 2022, la société … prit connaissance de l’acte de vente du 30 avril 2021 ainsi que de la décision d’approbation du ministre du 25 octobre 2021.

Le 27 octobre 2022, la société … introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision du 25 octobre 2021.

Par décision du 22 novembre 2022, le ministre rejeta le recours gracieux de la société … dans les termes suivants :

« Par la présente, j’ai l’honneur d’accuser bonne réception de votre courrier sous objet concernant l’exercice d’un droit de préemption par les autorités communales de Leudelange.

7En réponse au courrier précité, et vu que le délai raisonnable pour le retrait de ma décision est écoulé, je tiens à vous informer qu’il m’est impossible de retirer ma décision d’approbation dans le dossier visé. (…) ».

Il ressort d’un jugement du tribunal administratif rendu en date de ce jour, inscrit sous le numéro 48270 du rôle, que par requête déposée le 13 décembre 2022, la société … fit introduire un recours en annulation à l’encontre de la « décision de la ministre de l'Intérieur datée du 25 octobre 2021 portant approbation des délibérations du conseil communal « du 2 avril 2021 et du 11 mai 2021 » portant sur le droit de préemption sur la parcelle n°… sis à Leudelange au lieu-dit « Rue … », respectivement portant approbation de l'acte de vente n°… du 30 avril 2021 » et de la « décision de la ministre de l'Intérieur en date du 22 novembre 2022, refusant d'annuler sa décision d'approbation précitée du 25 octobre 2021 suite à un recours gracieux adressé par la requérante à la ministre de l'Intérieur en date du 27 octobre 2022 ».

I) Quant à la compétence et à la recevabilité Aucun recours en réformation n’étant prévu en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit par la société …, qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévu par la loi.

II) Quant au fond Moyens des parties A l’appui de son recours et en fait, la société …, après avoir rappelé les faits et rétroactes relevés ci-avant, fait valoir qu’elle aurait appris par « facebook », que, lors d'une séance extraordinaire du 2 avril 2021, le conseil communal aurait décidé d'exercer son droit de préemption concernant le terrain qu'elle avait acquis.

Elle aurait reçu de la part du notaire instrumentant la copie d'une note manuscrite signée par le secrétaire communal et datée au 8 avril 2021, par laquelle celui-ci aurait informé le notaire que la commune désirerait faire usage de son droit de préemption et que le « courrier avec décision officielle conseil communal suivra[it] ».

La société demanderesse précise que la commune ne lui aurait fait parvenir une copie de la décision du conseil communal du 2 avril 2021 qu’en date du 2 juillet 2021 et ce après qu’elle avait déjà introduit le recours inscrit sous le numéro 46194 du rôle.

Elle donne encore à considérer qu’après avoir reçu le courrier du 24 juin 2021 de la commune, l’informant qu’elle entendrait faire usage de son droit de préemption sur la parcelle et lui laissant la possibilité de faire valoir ses objections dans un délai de 8 jours francs, elle aurait fait valoir ses objections contre cette prétendue intention de la commune de faire usage de son droit de préemption et aurait sollicité d’être entendue, courrier qui aurait été envoyé à la commune tant par télécopie réceptionnée le vendredi, 2 juillet 2021 que par envoi recommandé réceptionné le lundi, 5 juillet 2021.

La société … fait observer que dans son mémoire en réponse déposé dans l'affaire introduite sous le numéro 46194 du rôle, la commune aurait conclu à l’irrecevabilité dudit recours dirigé contre la décision du 2 avril 2021 en expliquant que le conseil communal 8n'aurait pas décidé de préempter en date du 2 avril 2021 mais qu'il aurait uniquement décidé « qu'il serait opportun de décider de préempter » et que la décision de préemption aurait été prise en date du 9 juillet 2021 lui communiquée en date du 13 décembre 2021.

Elle fait valoir qu’elle ignorerait si l'acte notarié a été conclu entre Madame … et la commune.

En droit, la société … invoque :

- une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, ci-

après désigné par le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 » ;

- une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et de l’article 3 de la loi modifiée du 22 octobre 2008 concernant la promotion de l’habitat, dite « Pacte Logement », ci-après désignée par « la loi du 22 octobre 2008 » ;

- une violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 en ce que la décision de préemption aurait été prise de manière tardive ;

- un défaut de nécessité de la décision de préemption, alors qu’un promoteur privé aurait aussi bien pu réaliser l’objectif de réalisation de logements à coût modéré que la commune.

S’agissant plus particulièrement du moyen ayant trait à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, la société … fait plaider qu’elle aurait fait valoir ses observations dans le délai de 8 jours lui imparti par la commune, alors que la commune prétendrait ne pas avoir reçu de courrier de réclamation dans le délai. La commune aurait mal calculé ledit délai.

Elle reproche à la commune de ne pas avoir pris position par rapport à sa demande d’être entendue, sans même lui transmettre la décision déférée.

Il serait manifeste que la commune aurait violé le principe du contradictoire.

Dans son mémoire en réponse, la commune fait valoir que lors de sa délibération à huis clos en date du 2 avril 2021, le conseil communal aurait indiqué être intéressé à préempter et aurait par la suite analysé plus en profondeur son projet de réalisation sur la parcelle en s’informant auprès des ministères quant aux subsides qu'elle pourrait avoir.

Elle expose avoir reçu le courrier contenant les objections de la société … de manière tardive, de sorte à avoir poursuivi la procédure en saisissant le conseil communal de la demande de préemption. Ce ne serait qu’en date du 9 juillet 2021 que le conseil communal aurait décidé d’exercer son droit de préemption.

La commune admet avoir réceptionné le courrier de la société … du 6 octobre 2021 par le biais duquel elle a sollicité une copie de la décision du conseil communal décidant de préempter et ne pas y avoir répondu, mais précise qu’elle aurait été dans l’impossibilité de communiquer ladite décision à la société demanderesse, alors qu’elle n’aurait pas encore été approuvée par le ministre.

La commune conteste que la société … aurait introduit ses objections endéans le délai imposé de 8 jours. Elle affirme ne pas avoir reçu la télécopie en date du 2 juillet 2021, fait qui 9se manifesterait à travers son courrier du 7 juillet 2021 adressé à la société … constatant qu’elle n’aurait pas reçu d’observations de sa part.

Dans ce même contexte, la commune conteste avoir été informée endéans le délai de 8 jours du fait que la société … aurait demandé d’être entendue.

La commune soutient ensuite que la finalité tant de la possibilité de faire part de ses observations que de celle d'être entendue reposerait sur la mise en œuvre du principe du contradictoire et qu'en cas de difficultés quant à l'assiette soumise au droit de préemption ou autres éléments touchant l'exercice même du droit de préemption, il serait nécessaire d'entendre la position du tiers acquéreur aux fins de trouver des solutions communes.

Ainsi, le but de cet échange serait, dans une phase précontentieuse, de trouver des solutions par rapport à un différend entre les parties.

La commune soutient qu’en l'espèce, aucun dialogue n’aurait été nécessaire, étant donné que les arguments de la société … se seraient limités à des questions de pure forme quant au recours à la procédure administrative non contentieuse et non quant au principe même de la préemption.

Elle donne encore à considérer que la société … ne formulerait aucun moyen tendant à infléchir la position de la commune quant à l'exercice de son droit de préemption, alors qu’elle ne contesterait ni l’exercice du droit de préemption, ni le fait que la commune poursuit la réalisation de logements à coût modéré sur la parcelle en cause.

La commune conclut finalement que la démarche de la société … aurait consisté en une « tentative de blocage sans avoir la moindre démarche constructive », de sorte à être « manifestement abusive ».

Dans son mémoire en réplique, la société … observe tout d’abord que la société … ne verserait pas parmi ses pièces la décision d'approbation du ministre de la délibération du 9 juillet 2021 et demande la remise de cet acte.

A supposer qu'il n'y ait pas eu d'approbation de la délibération, la société demanderesse conclut à la nullité de la délibération du 9 juillet 2021.

La société … fait ensuite valoir qu’il « semble[rait] que la commune a[ura]it bien acquis la parcelle litigieuse auprès de Madame …, suite à la signature d'un acte notarié » en se référant à une décision du ministre du 25 octobre 2021 approuvant les délibérations du conseil communal des 2 avril et 11 mai 2021. La société … précise dans ce contexte ne pas avoir connaissance d’une décision du 11 mai 2021 et que la décision d'approbation ne se référerait pas à une délibération du conseil communal prise en date du 9 juillet 2021.

Elle insiste sur le fait qu’elle n’aurait été informée de l’intention de la commune d’exercer son droit de préemption qu’en date du 25 juin 2021, de sorte qu’elle aurait pu légitimement partir du principe que la décision d’exercice du droit de préemption n’aurait pas encore été prise. En conséquent, l'argumentaire de la commune tendant à affirmer que la décision de préempter aurait été prise en date du 30 avril 2021 serait contredit.

10La société … fait encore observer que le courrier du 25 juin 2021 n’aurait pas été envoyée à son avocat, alors que la commune aurait été informée du fait qu’elle était représentée par un avocat.

D’après la Convention de Bâle sur la computation des délais, le délai de 8 jours aurait commencé à courir le 26 juin 2021, de sorte que le dernier délai pour faire valoir ses observations aurait été le samedi, 3 juillet 2021, reporté au lundi, 5 juillet 2021.

Quant à l’affirmation de la commune que ledit courrier ne contiendrait aucune observation, la société … rétorque qu’elle aurait au contraire épinglé le non-respect des exigences de débat contradictoire, le défaut de motivation de la décision de préemption ainsi que l’absence d'une nécessité justifiant l'ingérence dans les droits de propriété et de liberté contractuelle.

Dans son mémoire en duplique, la commune soutient que la référence à la décision du 2 avril 2021 dans la décision d’approbation du 25 octobre 2021 serait inopérante, alors qu’elle ne reposerait que sur « une question de pur principe ».

Elle soutient que la décision du 30 avril 2021 du collège échevinal aurait été ratifiée par la décision du conseil communal du 9 juillet 2021.

Quant au délai d’introduction des observations de la société …, la commune soutient que ledit délai aurait commencé à courir le 25 juin 2021 à minuit pour s’écouler le vendredi 2 juillet 2021 à minuit.

La commune fait ensuite valoir que le contenu du courrier du 2 juillet 2021 n'apporterait aucun élément quant à l'exercice du droit de préemption mais se bornerait à invoquer une violation de la procédure administrative non contentieuse sans prendre position quant au principe même du droit de préemption, respectivement des modalités y afférentes.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».

En vertu de cette disposition, l’autorité qui (i) se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l'avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou (ii) qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de 11droit qui l’amènent à agir et lui donner la possibilité de présenter ses observations, à moins qu’il n’y ait péril en la demeure.

Force est de constater que l’article 9, précité, vise deux catégories de décisions, à savoir, d’une part, celles révoquant ou modifiant d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, et, d’autre part, celles prises par l’autorité administrative en dehors d’une initiative de la partie concernée.

S’il n’est pas contesté qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de révocation d’une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, le tribunal est toutefois amené à retenir qu’une décision d’exercer un droit de préemption en application de la loi du 22 octobre 2008 est à qualifier de décision prise en dehors d’une initiative de la partie concernée1.

Dans la mesure où la décision d’exercer le droit de préemption rentre dans les catégories de décisions visées par cette disposition, à savoir une décision prise en dehors de l’initiative de la partie concernée, l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 trouve application et est à respecter, sous réserve de l’examen à faire, au cas par cas, de l’exception y prévue du péril en la demeure.

Le tribunal rappelle, à cet égard, que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et ayant trait aux droits de la défense, consacrent des garanties visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée et de faire valoir, au préalable, son point de vue et ses moyens qui sont de nature à influer sur cette décision et, le cas échéant, à modifier la décision envisagée initialement. En la présente matière, c’est l’effet de surprise tant en ce qui concerne le principe même de l’exercice du droit de préemption, qu’en ce qui concerne l’identité du pouvoir préemptant, qu’en ce qui concerne l’assiette de l’exercice du droit de préemption, auquel le respect de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 permet de pallier en donnant, en de telles hypothèses, à l’administré concerné la possibilité de faire valoir ses droits avant la prise de la décision envisagée et de convaincre l’autorité administrative, le cas échéant, de la prise d’une décision différente. A cela s’ajoute encore qu’en la présente matière, une fois que la décision de préempter est prise, l’acte authentique doit, en application de l’article 11 de la loi du 22 octobre 2008, être dressé au plus tard dans les trois mois, de sorte que la procédure prévue ne laisse point d’autres possibilités aux administrés de faire valoir leurs droits avant que la décision de préempter n’ait sorti ses effets. Le respect de ces exigences de transparence et de respect du contradictoire est encore d’autant plus important en la présente matière que l’exercice du droit de préemption porte une entorse à la liberté contractuelle et au droit de propriété consacré par l’article 1er du Protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, principes dont le Conseil d’Etat s’est de façon constante montré particulièrement soucieux dans ses différents avis rendus tant par rapport au projet ayant donné lieu à la loi du 22 octobre 2008 que par rapport au projet à la base de la loi dite Omnibus venue modifier celle du 22 octobre 2008, et que la Cour administrative a également mis en avant dans un arrêt récent2,3.

1 Cour adm. 21 octobre 2021, n° 45871C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Logement, n° 58.

2 Cour adm., 5 janvier 2021, n° 44939C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Logement, n° 47 et les autres références y citées.

3 Doc parl. 6704-13.

12Dès lors et en tout état de cause, la transparence de l’action de l’administration dans le respect du contradictoire doit être la règle : c’est dans cette logique que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, qui trouve son pendant dans l’article 5 du même règlement grand-ducal en ce qui concerne les décisions susceptibles d’affecter les droits et intérêts de tierces personnes, est rédigé.

S’agissant ensuite de la question de savoir si les conditions du péril en la demeure se trouvent vérifiées en l’espèce – hypothèse, par ailleurs, non invoquée par la commune -, le tribunal relève que l’hypothèse visée est celle où il y a urgence à prendre la décision qui est telle que tout retard serait susceptible de compromettre des intérêts publics ou privés4. Au regard des principes retenus ci-avant et au regard de l’importance qu’il convient d’attacher au respect du principe du contradictoire et de l’obligation de transparence à charge de l’administration, principes fondamentaux dans un Etat de droit, les conditions de l’exception du péril en la demeure doivent être appréciées restrictivement.

Si le tribunal concède que, de manière générale, l’exercice du droit de préemption s’inscrit de par la loi dans des délais stricts, à savoir en l’occurrence les délais prévus aux articles 9 et 10 de la loi du 22 octobre 2008 d’un mois pour accuser réception du dossier de notification reçu de la part du notaire, respectivement celui d’un mois à partir de cet accusé de réception, et s’il est encore vrai que le respect de ces délais peut s’avérer en pratique plus délicat, il n’en reste toutefois pas moins que les délais précités doivent être mis en relation avec le délai de 8 jours prévu par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Le tribunal conclut de l’ensemble de ces considérations que les conditions du péril en la demeure ne se trouvent pas réunies en l’espèce, la commune ne justifiant pas une urgence à un point tel que le respect du délai de 8 jours prévu à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 aurait impliqué un retard tel qu’il aurait été susceptible de compromettre des intérêts publics ou privés, en l’occurrence rendre impossible l’exercice en l’espèce du droit de préemption.

Il s’ensuit que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 aurait dû être respecté et que les parties concernées auraient dû être informées au préalable de l’intention de la commune par la communication des éléments de fait et de droit qui l’amène à agir.

En l’espèce, force est au tribunal de constater qu’au moment de la rédaction de la requête introductive d’instance, respectivement du mémoire en réplique, la société … n’avait pas connaissance du fait que l’acte authentique de vente entre Madame … et la commune avait déjà été signé. En effet, ce n’est qu’en date du 28 octobre 2022 que la société … - et non pas la commune - a soumis au tribunal une copie dudit acte de vente.

Ledit acte authentique porte la date du 30 avril 2021, de sorte qu’il est manifeste que tant le courrier du 24 juin 2021 de la commune à la société … l’informant de son intention d’exercer son droit de préemption que la délibération du 9 juillet 2021 sont postérieurs à l’acte formalisant la vente de la parcelle.

Il s’ensuit que la société … n’a pas été informée au préalable de l’exercice du droit de préemption, alors qu’au moment de son information, l’acte de vente avait déjà été signé.

4 Cour adm., 13 novembre 2012, n° 30638C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 127.

13 Il est certes vrai que les formalités procédurales inscrites à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et ayant trait aux droits de la défense ne constituent pas une fin en soi, en ce sens que dans l’hypothèse où la finalité poursuivie, à savoir, tel que retenu ci-avant, celle visant à ménager à l’administré concerné une possibilité de prendre utilement position par rapport à la décision projetée, est atteinte, la question du respect de toutes les étapes procédurales préalables prévues afin de permettre d’atteindre cette finalité devient sans objet, l’administré n’ayant en l’occurrence aucun intérêt à se prévaloir de ces formalités s’il se dégage du dossier qu’il a effectivement pu faire valoir de manière détaillée et circonstanciée son point de vue par rapport à la décision projetée à travers une prise de position écrite5.

Par ailleurs, l’article 9, précité, comme d’ailleurs l’article 5 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif au droit des tiers intéressés à participer à l’élaboration d’une décision susceptible d’affecter leurs droits et intérêts, remplit une fonction essentielle en ce qu'il tend à garantir aux personnes susceptibles d’être affectées par une décision administrative de faire valoir, au préalable, leur point de vue et leurs moyens qui sont de nature à influer sur cette décision et, le cas échéant, à modifier la décision envisagée initialement. La participation de l’administré à l'élaboration de la décision administrative ne présente cependant une réelle utilité que dans la mesure où celui-ci est en mesure, par son intervention, d’apporter des éléments et arguments de nature à influencer la décision à intervenir. Tel est le cas lorsque l’administration dispose, pour prendre sa décision, d’un pouvoir d’appréciation et que la collaboration de l’administré peut amener celle-ci à prendre en compte les observations de l’administré et à rendre une décision différente de celle qu'elle aurait pu prendre en dehors de l’intervention de celui-ci. S’il est vrai que les dispositions afférentes de la réglementation sur la procédure administrative non contentieuse n’opèrent pas une distinction entre les décisions qui appellent l’administration à statuer en pure légalité et celles au sujet desquelles elle dispose d’un pouvoir d’appréciation et que les décisions relevant même de la pure légalité appellent en principe une consultation préalable des personnes concernées, l’omission par l’administration de ce faire entraînant dans son chef un comportement contraire à la lettre des textes en question, la sanction adéquate n’est dans ces hypothèses pas l’annulation de la décision administrative, la teneur de la nouvelle décision à intervenir ne pouvant différer de celle de la première décision, à supposer que celle-ci soit conforme à la loi, puisqu’elle intervient en pure légalité. En décider autrement reviendrait à assigner à l’annulation d’une décision administrative une fonction purement formelle sans utilité réelle étant donné que la nouvelle décision à prendre est, dans ces conditions, nécessairement la même que la décision annulée. Or, l’annulation d’une décision administrative, acte grave, ne doit intervenir que lorsque le contenu de la nouvelle décision à intervenir à la suite de l’annulation est susceptible de différer de celui de la décision annulée. L’hypothèse ainsi envisagée diffère fondamentalement de celle où la décision administrative prise dans une matière relevant de la pure légalité ne respecte pas cette légalité et où l’administré est en droit d'en solliciter, moyennant un recours contentieux, l’annulation6.

Dès lors, les décisions qui ont méconnu l’obligation de faire participer l’administré au processus décisionnel ne sont entachées d’illégalité entraînant leur annulation et le renvoi devant l’administration que dans les hypothèses où l’administré a la possibilité d’influencer concrètement sur le contenu de la décision à prendre, soit que l’administration dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation, soit qu’appelée à statuer dans le cadre d’une 5 En ce sens : Cour adm., 29 novembre 2011, n° 28756C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

6 Cour adm., 6 mars 2008, n° 23073C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 125 et les autres références y citées.

14compétence liée impliquant l’appréciation d’éléments subjectifs, l’administré puisse faire valoir des éléments utiles. Dans les autres hypothèses, la légalité interne des décisions prises sans le concours de l’administré peut encore utilement être vérifiée au cours de la procédure contentieuse7.

En la présente matière, si le pouvoir préemptant doit certes agir dans le cadre strict de la loi, le tribunal relève toutefois que même dans les hypothèses où les conditions légales de l’exercice du droit de préemption sont a priori remplies, il dispose néanmoins toujours d’un pouvoir discrétionnaire en ce qu’il peut ne pas exercer le droit de préemption, voire pourrait volontairement, en accord avec les parties concernées, le limiter à une assiette plus réduite pouvant, le cas échéant, s’avérer, après discussions avec les parties concernées, plus acceptable pour celles-ci, de sorte que l’information préalable de l’intention d’exercer le droit de préemption est susceptible d’avoir un effet utile à ce niveau.

Dans son arrêt du 21 octobre 2021, la Cour administrative a encore souligné qu’il s’agit « d’échanger entre parties intéressées et de clarifier les points de vue respectifs chaque fois que le principe même du droit de préemption, puis les modalités afférentes concernant notamment l’assiette de l’objet de celui-ci, portent à discussion ».

En l’espèce, force est de constater que tant le moyen fondé sur une violation de l’article 10 de la loi du 22 octobre 2008 que celui de l’absence de nécessité de la décision de préemption présentés par la société demanderesse remettent en question le principe même de l’exercice du droit de préemption de même qu’ils remettent en cause le projet concret en ce que la société … fait valoir qu’elle aurait elle-même pu réaliser le projet de construction.

Or, c’est précisément à ce niveau qu’il aurait été important que la société demanderesse ait été informée au préalable, cette information répondant à l’obligation de la commune de lui communiquer les éléments de fait sur lesquels sa décision projetée se base.

Cette information lui aurait permis de vérifier sur base de quels éléments factuels le droit de préemption est exercé et, le cas échéant, de rendre la commune attentive au fait que la société … aurait été disposée à réaliser en collaboration un projet poursuivant le même but, à savoir la réalisation de logements à coût modéré et de permettre ainsi un débat utile préalable sur les éléments factuels nécessaires afin d’apprécier si les conditions de fond posées par la loi pour l’exercice du droit de préemption sont remplies.

Au regard de ces indications, un débat utile préalable aurait permis d’aborder les difficultés se posant à ce niveau, qui ne se résument pas à des moyens de pure légalité par rapport à des dispositions légales pour l’application desquelles la commune ne disposerait d’aucun pouvoir d’appréciation, mais les moyens afférents de la société demanderesse touchent une question qui laisse un pouvoir d’appréciation à la commune.

Dans la mesure où, en l’espèce, la société demanderesse a été amputée de toute possibilité de faire valoir ses observations, préalablement à la signature de l’acte authentique, dans la mesure où elle n’a été officiellement informée de l’intention de la commune d’exercer son droit de préemption qu’en date du 24 juin 2021, soit à une date où l’acte de vente avait déjà été passé, le tribunal est amené à retenir que le non-respect de l’article 9, est en l’espèce de nature à entraîner la sanction de l’annulation de la décision du 9 juillet 2021.

7 Cour adm., 13 mai 2014, n° 34051C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 125 et les autres références y citées.

15 Ce constat s’impose indépendamment de la question de savoir si la société … a introduit ses observations dans le délai de 8 jours après le courrier de la commune du 24 juin 2021, dans la mesure où à ce moment, la décision de préemption avait déjà été prise et l’acte de vente avait déjà été signé, de sorte qu’il lui était impossible d’influer sur le sort de la décision de préemption.

Il s’ensuit que la décision du conseil communal du 9 juillet 2021 est à annuler pour violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, l’examen de l’ensemble des autres arguments devenant par conséquent surabondant.

La société … sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure à hauteur de 5.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », dans la mesure où la commune aurait fait preuve tout au long de la procédure, tant précontentieuse que contentieuse, d’un manque flagrant de transparence.

Force est au tribunal de constater que la commune a passé sous silence tant le fait que l’acte authentique de vente avait déjà été signé en date du 30 avril 2021 que celui que ledit acte avait été approuvé par délibération du conseil communal du 11 mai 2021, tel qu’il ressort d’un jugement rendu en date de jour, inscrit sous le numéro 48270 du rôle, sans en informer ni la société demanderesse ni le litismandataire de cette dernière ni, par ailleurs, le tribunal – malgré l’obligation lui imposée par l’article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 19998 imposant à l’administration de déposer l’intégralité du dossier afin de permettre aux parties de pendre utilement position y relativement, conformément aux exigences se dégageant du principe du contradictoire, dont le respect de leurs droits de la défense9.

En raison de cette circonstance, la société … a été obligée d’introduire, d’abord le recours inscrit sous le numéro 46194 du rôle à l’encontre de la décision du 2 avril 2021 ayant été rejeté par jugement prononcé en date de ce jour pour défaut d’objet en raison de la prise de la décision du 9 juillet 2021 étant venue remplacer celle du 2 avril 2021, et, ensuite, le présent recours à l’encontre de la décision du 9 juillet 2021, qui a été prise au seul prétexte de régulariser une violation manifeste de la procédure administrative non contentieuse, alors que la commune savait pertinemment que l’acte de vente avait été conclu sur base de la décision du 2 avril 2021, tel qu’il ressort d’un courrier électronique du secrétaire communal du 12 avril 2021 incorporé à l’acte de vente.

Il s’ensuit qu’eu égard à l’issue du litige et aux circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu d’allouer ex aequo et bono à la société …, à titre d’indemnité de procédure, la somme de 5.000 euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

8 Article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 1999 : « L’autorité qui a posé l’acte visé par le recours dépose le dossier au greffe sans autre demande, dans le délai de trois mois à partir de la communication du recours. Les parties peuvent obtenir copie des pièces de ce dossier (…) ».

9 En ce sens : Trib. adm. 15 décembre 2011, n°27646 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu et Trib. adm. 9 juillet 2009, n° 25142 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

16reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare justifié ;

partant annule la décision du conseil communal de Leudelange du 9 juillet 2021 d’exercer son droit de préemption sur la parcelle litigieuse et renvoie le dossier en prosécution de cause devant l’autorité compétente ;

condamne l’administration communale de Leudelange à payer à la société à responsabilité limitée … la somme de 5.000 euros à titre d’indemnité de procédure ;

condamne l’administration communale de Leudelange aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 janvier 2024 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 47155
Date de la décision : 29/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-29;47155 ?

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