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22/01/2024 | LUXEMBOURG | N°49936

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2024, 49936


Tribunal administratif N° 49936 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49936 2e chambre Inscrit le 15 janvier 2024 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49936 du rôle et déposée le 15 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif

par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des a...

Tribunal administratif N° 49936 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49936 2e chambre Inscrit le 15 janvier 2024 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre des Affaires intérieures en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49936 du rôle et déposée le 15 janvier 2024 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, connu sous différents alias, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre des Affaires intérieures du 20 décembre 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois avec effet à partir du 24 décembre 2023 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 janvier 2024 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Naïma El Handouz et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », du 16 septembre 2023, que le même jour, Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », avait été interpellé par les forces de l’ordre à la suite de plusieurs vols de voitures et qu’à cette occasion, l’intéressé n’avait pas été en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Il ressort encore dudit rapport de police que sur ordre du ministère public une radiographie du poignet de Monsieur … avait été ordonnée le 9 septembre 2023 et qu’à cette occasion, il fut constaté qu’il était majeur.

Il se dégage ensuite du relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff (« CPU ») du 16 septembre 2023 que l’intéressé y fut placé en détention préventive pour des faits de vol qualifié.

En date du 28 septembre 2023 fut effectuée une demande auprès du Centre de Coopération policière et douanière de Luxembourg (« CCPD ») afin d’obtenir de plus amples renseignements sur Monsieur … de la part des autorités limitrophes.

La recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d'une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (ci-après le « règlement Dublin III »), révéla un « no hit ».

Par arrêté du 24 octobre 2023, notifié à Monsieur … le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile déclara le séjour de celui-ci sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans à partir de la sortie de l’espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié également le même jour à l’intéressé, le même ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est basé sur les considérations suivantes :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 24 octobre 2023, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Il ressort du relevé journalier du CPU du 24 octobre 2023 que le même jour, l’intéressé fut transféré au Centre de rétention.

Par arrêté du 16 novembre 2023, notifié à l’intéressé le 24 novembre 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile prorogea la mesure de placement initiale prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.

Par arrêté du 20 décembre 2023, notifié à l’intéressé le 22 décembre 2023, le ministre des Affaires intérieures, entretemps en charge du dossier, ci-après désigné par « le ministre », prorogea une deuxième fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 24 décembre 2023.

Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 24 octobre et 16 novembre 2023, notifiés les 24 octobre et 24 novembre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 24 octobre 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 janvier 2024, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle, précitée, du 20 décembre 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique donne à considérer qu’au jour des plaidoiries, soit le 22 janvier 2024, le recours sous analyse deviendrait sans objet « au vu de la nouvelle mesure de placement qui sera prise et notifiée au requérant au plus tard en date du 24 janvier 2024 ».

Dans la mesure toutefois où il se dégage de l’arrêté ministériel du 20 décembre 2023 que la mesure de placement en rétention actuellement litigieuse a été prorogée pour une durée d’un mois avec effet au 24 décembre 2023, de sorte à produire encore ses effets à la date de l’audience des plaidoiries, les développements afférents de la partie étatique sont à écarter.

Le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les faits et rétroactes relevés ci-avant, le demandeur reproche, tout d’abord, au ministre d’avoir apprécié sa situation de manière erronée et estime que la décision litigieuse devrait être réformée pour excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, tels qu’ils seraient énumérés à l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, et, pour violation de l’article 121 de la loi du 29 août 2008.

Il reproche, à cet égard, au ministre de ne pas avoir pris en considération les éléments liés aux faits de l’espèce et à sa personne, alors qu’une rétention équivaudrait à une détention et serait une mesure privative de liberté ne devant être prononcée que de manière exceptionnelle et être proportionnée à la situation personnelle de l’étranger visé. Il faudrait ainsi vérifier si le placement dans une structure fermée serait approprié, et ce non seulement par rapport à l’opportunité du principe de l’enfermement, mais également par rapport au type de structure fermée retenu par le ministre et par rapport à tous les éléments liés à la personne concernée.

Le demandeur soutient, dans ce contexte, qu’il serait mineur, tout en se référant aux articles 22, paragraphe (1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire et 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour reprocher au ministre de ne pas avoir tenu compte de cet état de fait lorsqu’il a décidé de le placer au Centre de rétention. Le demandeur renvoie, dans ce contexte, à « la fiche d’inscription aux autorités espagnoles » du 15 septembre 2021 qui viendrait appuyer ses affirmations quant à son identité et à sa date de naissance.

Il reproche, en tout état de cause, au ministre de ne pas avoir appliqué des mesures moins coercitives ou encore de ne pas l’avoir placé dans un lieu « plus approprié », alors qu’il ne serait pas établi que la mesure de prorogation litigieuse serait une mesure « de dernier ressort », et ce d’autant plus qu’il se trouverait en rétention depuis presque trois mois.

Monsieur … se réfère encore au projet de loi n° 7633 relatif à l’interdiction du placement en rétention des personnes mineures et à un « article du quotidien du 19 mai 2021 », dans lequel la Commission consultative des droits de l’Homme aurait souligné que la législation et la pratique luxembourgeoises ne seraient pas « conformes aux recommandations des experts nationaux et internationaux », ni d’ailleurs à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cet article préciserait ainsi que « tous s’accorderaient à dire que la rétention d’enfants migrants, seuls ou avec leur famille, [ne serait] jamais de l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle constituerait toujours une violation des droits de l’enfant en vertu du droit international des droits de l’homme ».

Le demandeur ajoute que comme le placement en rétention porterait atteinte à sa liberté de mouvement, il devrait être considéré comme étant un « ultime remède » en ce sens qu’il ne constituerait pour le ministre qu’une simple faculté dont l’usage ne serait pas discrétionnaire, mais qui devrait être motivé à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, qui équivaudrait à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Il reproche, dès lors, au ministre de ne pas avoir envisagé des mesures moins coercitives dans son chef, notamment un placement « dans la structure d’hébergement pour mineur », ce d’autant plus qu’une mesure de placement en rétention entraverait la liberté d’aller et de venir reconnue à tout individu, de sorte à ce qu’il ne puisse y être recourue que si aucune autre possibilité n’a pu être envisagée.

Enfin, le demandeur donne à considérer qu’un placement au Centre de rétention ne serait permis que si une mesure d’éloignement était en cours, si elle était menée avec diligence et surtout si elle avait des chances d’aboutir, ce qui ne serait, au vu du dossier administratif, pas le cas en l’espèce.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant1, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision. Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

1 Trib. adm., 31 mai 2006, n° 21060 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 515 et les autres références y citées.

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En ce qui concerne tout d’abord le moyen fondé sur le fait que le demandeur serait mineur d’âge et que tant son placement au Centre de rétention que les prorogations de la mesure de placement seraient disproportionnés par rapport à sa situation, force est de constater, tel qu’il se dégage du rapport médical du 9 septembre 2023, établi par le docteur …, médecin spécialiste en radiologie auprès du Centre Hospitalier du Nord, à la suite d’une radiographie de la main et du poignet gauche de Monsieur …, que l’âge osseux de l’intéressé est estimé à 19 ans.

Il aurait dès lors appartenu au demandeur d’établir qu’il est mineur d’âge, tel qu’il le soutient actuellement, étant relevé qu’aucune présomption de minorité ne saurait jouer en sa faveur. Force est cependant de constater que le demandeur se contente d’affirmer qu’il serait mineur d’âge et que, de ce fait, il ne pourrait faire l’objet d’un placement en rétention, sans toutefois appuyer ses dires par une quelconque pièce tangible. En effet, le document intitulé « ficha inscripcion MENA » émis par les autorités espagnoles n’est, en tout état de cause, pas de nature à établir qu’il serait mineur puisqu’il ne s’agit, à première vue, et à défaut d’autres explications, que d’un document qui a été établi par lesdites autorités sur base des informations que le demandeur leur a fournies unilatéralement. Dès lors, face au résultat de la radiographie de sa main et de son poignet gauche, et à défaut pour le demandeur de rapporter la preuve de sa prétendue minorité, le tribunal doit retenir que Monsieur … est à considérer comme étant majeur d’âge. Il s’ensuit que l’ensemble de ses moyens relatifs à une prétendue minorité sont à rejeter.

Le tribunal constate ensuite qu’il est constant en cause pour se dégager du dossier administratif que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, ainsi qu’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire ont été prises à son encontre le 24 octobre 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, de même qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Compte tenu de l’existence d’une présomption de risque de fuite dans le chef de Monsieur … - ce que ce dernier ne conteste d’ailleurs pas - il aurait, par conséquent, appartenu à celui-ci de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

En ce qui concerne ensuite le reproche suivant lequel ce serait à tort que le ministre n’a pas appliqué au demandeur des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il y a lieu de relever que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.

En l’espèce, tel que relevé ci-dessus, le demandeur n’a pas soumis au tribunal d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. Il est, en effet, constant que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré ni d’autres attaches au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a) à c) dudit article, s’impose.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur et notamment celle tenant au caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement dans une structure fermée, sont à rejeter.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la 2 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-

ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3.

Etant donné (i) que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire de 5 ans en date du 24 octobre 2023, et (ii) qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH, respectivement le principe de proportionnalité, de sorte que le moyen y relatif est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, il se dégage du dossier administratif que le 25 octobre 2023, soit dès le lendemain du placement initial de l’intéressé au Centre de rétention, l’autorité ministérielle a contacté les autorités consulaires algériennes afin de leur transmettre une demande d’identification en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef de Monsieur …, tout en joignant à cette demande quatre photos d’identité et un jeu d’empreintes digitales. Il apparaît ensuite que les autorités consulaires algériennes ont été relancées en date des 15 et 29 novembre 2023, suite à quoi celles-ci ont répondu par courrier électronique du 30 novembre 2023 que la demande d’identification était en cours d’examen. A défaut de réponse, les autorités luxembourgeoises ont adressé des rappels aux autorités consulaires algériennes en date des 15 et 28 décembre 2023, rappels suite auxquels les autorités consulaires algériennes ont répondu par courrier électronique du 28 décembre 2023 que le dossier de Monsieur … était toujours en cours de traitement. Enfin, les autorités luxembourgeoises ont de nouveau relancé leurs homologues algériens en date du 13 janvier 2024.

Compte tenu des démarches déployées concrètement par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration des autorités algériennes - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes -, le tribunal retient que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours, mais qu’elle n’a pas encore abouti, et que les démarches ainsi entreprises en l’espèce par les autorités luxembourgeoises doivent être considérées comme suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est toujours en cours et exécutée avec toute la diligence légalement requise et que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter. De même, il ne se dégage d’aucun élément du dossier que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien endéans les délais légalement requis, de sorte que l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement est également à rejeter pour ne pas être fondée.

3 Trib. adm., 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2024 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49936
Date de la décision : 22/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-22;49936 ?

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