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22/01/2024 | LUXEMBOURG | N°48603

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 janvier 2024, 48603


Tribunal administratif N° 48603 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48603 2e chambre Inscrit le 27 février 2023 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48603 du rôle et déposée le 27 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Fran

ck Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 48603 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48603 2e chambre Inscrit le 27 février 2023 Audience publique du 22 janvier 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48603 du rôle et déposée le 27 février 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 janvier 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 avril 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Greff et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 novembre 2023.

Le 10 janvier 2020, Monsieur … se rendit au ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », pour y déposer une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », et indiqua qu’il était mineur.

Par ordonnance du 17 janvier 2020, le juge aux tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg lui désigna un administrateur ad hoc.

Le 4 juin 2020, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande de protection internationale.

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche menée à cette occasion dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … y était enregistré comme ayant irrégulièrement franchi la frontière grecque en date du 26 août 2019.

Le 9 juin 2020, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande d’information à leurs homologues grecs, qui répondirent le 24 juin 2020 que Monsieur … leur avait présenté un passeport sur lequel il était indiqué qu’il était né le ….

Afin d’éclaircir la question de son âge, Monsieur … fut convoqué pour le 8 décembre 2020 à un examen médical, auquel celui-ci ne se présenta pas.

Par courrier du 27 avril 2021, le ministère informa le juge aux tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg des informations reçues par les autorités grecques et sollicita la révocation de l’administrateur ad hoc de Monsieur …, demande à laquelle il fut fait droit par ordonnance du 19 mai 2021.

En date des 2 et 26 novembre 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 26 janvier 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 4 juin 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 juin 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 2 et 26 novembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vos empreintes digitales ont été enregistrées par les autorités grecques en date du 26 août 2019 dans le système Eurodac où il est renseigné que vous avez illégalement franchi la frontière. Vous indiquez avoir quitté la Grèce après quatre mois et avoir traversé de nombreux pays sans y introduire de demande protection internationale avant d’arriver au Luxembourg.

Vous avez déclaré au moment de votre arrivée au Luxembourg être né le …, puis, un peu plus tard, être né en …. Toutefois, il est établi que lors de votre arrivée en Grèce le 26 août 2019, vous étiez muni d’un passeport indiquant de manière claire et non équivoque que vous 2 êtes né le …. Vous tentez de vous justifier en indiquant avoir eu sur vous un passeport falsifié.

Afin d’écarter tout doute, vous avez été invité le 8 décembre 2020 à vous soumettre à un examen médical ayant pour finalité de déterminer votre âge. Toutefois, vous ne vous êtes pas présenté à ce rendez-vous et avez ainsi refusé toute collaboration avec les autorités. Finalement, afin de tenter de prouver votre version initiale vous avez remis un duplicata d’une carte d’identité afghane et sa traduction mentionnant que vous seriez né le …. Or, cette date ne correspond à aucune des dates de naissance que vous avez indiquées auparavant. De plus, l’authenticité de ce document n’a pas pu être confirmée par l’Unité de Police à l’Aéroport.

Ainsi, Monsieur, au vu de vos déclarations hasardeuses et divergentes et sur base des informations en mes mains, il a été décidé de vous considérer comme majeur d’âge, décision qui a été confirmée par Madame la Juge aux Affaires familiales qui a révoqué Maître FATHOLHZADEH en tant que votre administrateur ad’hoc par ordonnance du 19 mai 2021.

Pour le surplus, vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession musulmane chiite et vous indiquez avoir vécu à …, dans le district de … situé dans la province de Ghazni. Vous relatez que votre mère et votre fratrie vivraient toujours en Afghanistan. Vous précisez ne plus avoir de contact avec votre père.

Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous prétendez premièrement avoir peur d’être recruté de force par les Taliban afin de combattre les autorités afghanes.

A cet égard, vous affirmez qu’il y a environ 6 ans, les Taliban auraient envoyé plusieurs courriers au directeur de votre école, aux Imans et aux barbes blanches de votre quartier exigeant que tous les enfants âgés de … ans et plus devraient les rejoindre pour partir en guerre contre l’Etat afghan. Vous expliquez que votre nom n’y aurait pas été mentionné, mais que tous les enfants auraient été concernés. Vous ajoutez que la fermeture des écoles aurait également été un objectif des Taliban qui seraient contre toute forme d’enseignement hormis l’apprentissage du coran. Vous indiquez que malgré cette situation vous seriez resté en Afghanistan pendant encore à peu près 3 ans, mais que suite à une attaque des Taliban dans votre quartier il y a … ans, vous auriez quitté l’Afghanistan.

Deuxièmement, Monsieur, vous invoquez la situation précaire des gens d’ethnie Hazara et de confession musulmane chiite en Afghanistan, tout en indiquant que « Les pashtounes rentraient dans notre quartier chaque année. Ils frappaient, torturaient, tuaient les habitants du quartier » (p.8/16 de votre rapport d’entretien). Vous faites également référence à un incident survenu lors de votre trajet d’Afghanistan en Iran. A cet égard, vous relatez que votre voiture aurait été arrêtée par les Taliban et que tous les passagers auraient été fouillés.

Vous indiquez que plusieurs personnes auraient été torturées et que les Taliban auraient décapité un policier Hazara devant vos yeux. Toutefois, personne ne s’en serait pris à vous.

Troisièmement, vous indiquez craindre d’être tué par les Taliban alors qu’ils considéreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants, sans toutefois donner plus de précisions.

A l’appui de votre demande de protection internationale, vous versez un duplicata de votre prétendue carte d’identité afghane, une traduction de celle-ci ainsi que l’enveloppe de l’envoi des deux documents susmentionnés. La vérification de l’authenticité du document effectuée par l’Unité de Police à l’Aéroport n’a pas pu mener à un résultat concluant, étant 3 donné que la carte d’identité remise ne présente aucun élément de sécurité. La police a conclu qu’une manipulation des données personnelles ne peut pas être exclue.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Monsieur, soulevons avant tout autre développement que la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d’origine doivent être réfutées au vu de vos déclarations incohérentes et contradictoires, de votre comportement adopté en Europe et du fait que vous n’êtes pas en mesure de prouver vos allégations par la moindre pièce.

En effet, il s’agit dans un premier temps de constater que vous n’avez pas été en mesure de prouver votre identité. En effet, au moment de votre arrivée au Luxembourg, vous avez déclaré être né le …, puis, un peu plus tard, être né en … tout en précisant que vous souhaitez garder la date de 2003. De plus, il ressort de votre rapport de police que vous aviez initialement indiqué n’avoir remis aucun document aux autorités grecques. Puis, après que l’agent de la police judiciaire vous a informé que les autorités grecques avaient indiqué que vous possédiez un passeport afghan, vous avez admis que vous auriez obtenu un faux passeport auprès d’un passeur afin d’entrer légalement en Iran. En Grèce, vous auriez oublié que vous aviez ce passeport dans votre sac à dos et les autorités grecques l’auraient trouvé lors d’une fouille.

Immédiatement après cette remarque, la police vous a pris en flagrant délit de mensonge supplémentaire, puisque vous avez affirmé que les données personnelles figurant dans le passeport correspondaient aux vôtres. Après que la police vous a dit que votre année de naissance était 1998 d’après ce passeport, vous vous êtes empressé d’ajouter que toutes les données personnelles étaient correctes, à l’exception de l’année de naissance. Lors de votre entretien personnel, vous changez de nouveau de version en expliquant qu’en effet les autorités vous auraient enregistré avec l’année de naissance de 1998 puisque la famille avec laquelle vous auriez voyagé aurait fait toutes les démarches pour vous et qu’elle aurait indiqué cette date de naissance. Vous n’auriez jamais donné un passeport aux autorités grecques, mais que tout aurait été réglé par cette famille.

Lors de votre entretien personnel vous avez ensuite présenté un duplicata d’une carte d’identité afghane accompagnée d’une traduction renseignant que vous seriez né en …, ce qui ne correspond à aucune des dates de naissance que vous avez indiquées auparavant. De plus, vous n’êtes pas en mesure de donner le moindre détail sur comment cette carte a été délivrée et par qui. Vous indiquez également ne pas savoir quand vous avez demandé à votre mère de faire établir cette carte d’identité, ni comment il est possible qu’une date de naissance précise soit indiquée sur la traduction, alors que cette date ne figure pas sur l’original. En effet, vous vous bornez à répondre « je ne sais pas » à toute question relative à votre carte d’identité.

A cela s’ajoute que l’authenticité de ce document n’a pas pu être confirmée par l’Unité de Police à l’Aéroport.

Il convient également de souligner que vous avez refusé toute collaboration avec les autorités, en refusant de vous présenter à votre rendez-vous à vous soumettre à un examen médical ayant pour finalité de déterminer votre âge, et ainsi de permettre d’écarter tout doute sur votre âge, de sorte qu’il faut évidemment s’interroger sur les raisons réelles vous ayant amené à ne pas présenter le moindre document d’identité, respectivement, à tenter de cacher votre réelle identité.

4 Il est manifeste que vous ne coopérez pas avec les autorités quant à l’établissement de votre identité, chose qui est essentielle dans toute demande de protection internationale.

Enfin, il y a lieu de réitérer qu’en raison de vos déclarations hasardeuses et divergentes quant à votre identité et sur base des informations fournies par les autorités grecques, Madame la Juge aux Affaires familiales, convaincue que vous ne sauriez prétendre être mineur, a révoqué Maître FATHOLAHZADEH en tant que votre administrateur ad’hoc par ordonnance du 19 mai 2021.

Il a dès lors été retenu que vous êtes né en …, de sorte que vous avez quitté l’Afghanistan à l’âge de … ans et que vous aviez 18 ans et non 13 ans au moment des prétendues menaces des Taliban. Il s’ensuit que toutes vos déclarations concernant le recrutement forcé d’enfants par les Taliban pour combattre l’Etat afghan sont caduques et à déclarer non crédibles étant donné que vous n’auriez guère été concerné par ce prétendu recrutement forcé de tous les enfants par les Taliban, puisque vous étiez déjà adulte à ce moment-là.

Force est en plus de constater que vous n’avez pas versé une quelconque pièce à l’appui de vos dires et que vous ne semblez à aucun moment lors de votre séjour en Europe avoir eu le réflexe ou l’envie de vous procurer une quelconque preuve qui permettrait d’appuyer vos dires, respectivement de vous faire envoyer ces documents.

Ceci étant dit, il convient de souligner que votre récit est tout autant truffé de descriptions vagues concernant vos prétendus problèmes en Afghanistan qui se définissent par leur manque total de détail. En effet, il convient de souligner qu’à de maintes reprises, vous n’avez pas été en mesure de répondre aux questions de l’agent du Ministère. Ainsi, par exemple, vous parlez du fait que les Taliban vous auraient demandé de faire le « jihad » mais vous ne pouvez pas répondre à la question « qu’est-ce que le Jihad ». Vous vous contentez par répondre « je ne sais pas » (p.8/16 de votre rapport d’entretien). Vous faites état de réunions entre les barbes blanches, les enseignants et les parents, mais ignorez de quoi il a été question lors de ces réunions. Vous indiquez également ne pas connaître le contenu des lettres envoyées par les Taliban au directeur de votre école, aux Imans et aux barbes blanches de votre quartier.

Vous mentionnez que les Taliban auraient fermé l’école et auraient tué des enfants, mais vous ignorez pourquoi. Vous évoquez une tentative d’attentat-suicide dont vous auriez été témoin, pour ensuite, faute de pouvoir répondre aux questions de l’agent du Ministère, changer de version et dire que les enseignants vous auraient parlé de l’incident et que personnellement vous n’auriez rien vu. Il est parfaitement compréhensible qu’on puisse se méprendre sur des détails respectivement omettre certains détails mais il s’agit en l’occurrence d’éléments clés de votre récit de sorte qu’on ne saurait accepter vos réponses vagues ou évasives voire votre absence de réponse à des questions essentielles.

Ceci ne fait que conforter l’idée que votre sincérité doit être réfutée et que votre seul et unique but est d’obtenir une protection internationale au Luxembourg en intégrant à votre récit un maximum d’éléments censés maximiser vos probabilités de vous faire octroyer une telle protection.

Ce constat vaut d’autant plus au vu du comportement que vous adopté depuis votre arrivée en Europe. En effet, après avoir vécu en Grèce durant quelques mois, vous auriez décidé de voyager à travers l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale pour gagner le Luxembourg, où vous avez introduit votre demande de protection internationale. Or, on peut évidemment attendre d’une personne réellement à 5 risque dans son pays d’origine et réellement à la recherche d’une protection internationale, qu’elle introduise sa demande dans le premier pays sûr rencontré, qu’elle ne traverse pas plusieurs pays sûrs sans y rechercher une forme de protection quelconque. Un tel comportement fait preuve d’un désintérêt évident par rapport à la procédure d’asile, alors qu’on devrait du moins pouvoir attendre d’une telle personne qu’elle joue franc jeu et qu’elle n’essaye pas d’induire en erreur les autorités, quant à son identité, desquelles elle attend se voir offrir une protection internationale. En effet, il saute aux yeux que vous ne semblez avoir aucune envie de collaborer avec les autorités desquelles vous demandez une protection internationale, ne serait-ce que pour pouvoir corroborer les éléments les plus basiques de votre demande de protection internationale, en commençant par votre identité et votre âge, et en terminant avec les réels motifs vous ayant poussé à quitter votre pays d’origine.

Eu égard au fait qu’il est établi que vous n’avez manifestement pas joué franc jeu avec les autorités luxembourgeoises, à votre recours à plusieurs dates de naissance dans un but clairement opportuniste, ainsi qu’à l’absence de toute preuve à l’appui de vos allégations, il est conclu que la sincérité de vos propos doit être formellement réfutée et il s’ensuit qu’aucune suite positive quant à votre demande de protection internationale ne saurait être envisagée.

Même à supposer que votre récit serait crédible, il s’avère que vous ne remplissez pas les conditions pour l’octroi du statut de réfugié, respectivement pour l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Premièrement, vous indiquez avoir quitté votre pays d’origine au motif que vous auriez eu peur que les Taliban vous recruteraient de force afin de combattre à leurs côtés. Dans ce contexte, vous précisez que les Taliban auraient envoyé plusieurs lettres au directeur de votre école ainsi qu’aux Imans et aux barbes blanches de votre quartier exigeant que tous les enfants âgés de 13 ans et plus devraient les rejoindre pour combattre contre l’Etat afghan.

6 Avant tout progrès en cause il convient de souligner que vous n’avez à aucun moment été personnellement menacé par les Taliban et qu’au moment des prétendus faits vous n’auriez plus été mineur d’âge. De plus, vous étiez nullement dans le viseur des Taliban, qui auraient nominativement indiqué les personnes qui devaient être enrôlées, alors que vous expliquez que votre nom n’aurait pas figuré sur cette liste. Il convient dans ce contexte de souligner que vous avez malgré l’existence de ces courriers décidé de rester en Afghanistan pendant encore trois ans avec votre frère cadet aussi prétendument à risque et ne faites état d’aucun événement qui laisserait croire que vous auriez été approché par les Taliban.

De plus, il convient de souligner que vos craintes sont dénuées de tout lien avec les motifs énumérés par la Convention de Genève et la Loi de 2015 alors que vous ne craignez pas de subir de représailles de la part des Taliban du fait de votre race, de votre nationalité, de votre religion, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques, mais simplement étant donné que vous auriez refusé de les rejoindre.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que vous ne sauriez bénéficier du statut de réfugié.

A cela s’ajoute qu’il ne ressort pas des informations en mes mains que les Taliban procéderaient depuis leur prise de pouvoir à des recrutements forcés de jeunes, pour intégrer leurs rangs, de sorte que votre crainte n’est pas fondée. En effet, il convient de souligner que vos craintes remontent à 2016, c’est-à-dire à un moment où les Taliban avaient intérêt à forcer les jeunes hommes à rejoindre leurs rangs en vue de combattre les autorités afghanes pour renverser celles-ci du pouvoir. Or, en raison du changement du régime et de l’instauration d’un nouveau gouvernement après le mois d’août 2021, vos craintes relatives au recrutement forcé ne sont plus d’actualité et sont à qualifier de purement hypothétiques, et ce d’autant plus que vous n’auriez jamais effectué une formation militaire, et vous êtes désormais une personne adulte.

Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Deuxièmement, vous mentionnez également craindre de rentrer dans votre pays d’origine car vous risqueriez d’être victime de persécutions en raison de votre appartenance à l’ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite.

Force est de constater que votre crainte d’être tué en Afghanistan à cause de votre confession musulmane chiite respectivement votre ethnie relève du champ d’application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015 alors que cette crainte est liée à votre religion respectivement à votre ethnie.

Or, il convient néanmoins de constater que vous vous bornez à faire état de considérations générales et ne faites référence à aucun risque, respectivement menace, qui vous toucherait personnellement et individuellement.

Il ne ressort pas des informations à ma disposition que toutes les personnes de confession musulmane chiite respectivement d’ethnie Hazara seraient toutes à risque de 7 devenir victimes de persécution en Afghanistan de par leur seule appartenance ethnique ou confession religieuse.

Il convient dès lors de faire une analyse des motifs individuels et personnels présentés par chaque demandeur de protection internationale.

Il échet de constater que vous n’établissez aucunement être personnellement à risque alors que vous ne faites état que des considérations générales qui sont dépourvues de lien directe avec votre personne.

Il convient dès lors de constater que votre crainte est à qualifier de purement hypothétique. Or, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Troisièmement, vous faites encore état de craindre en cas de retour en Afghanistan d’encourir le risque d’être tué par les Taliban alors qu’ils considèreraient tous ceux qui auraient vécu en Europe comme étant des mécréants.

Toutefois, il convient de noter que vous n’étayez aucunement vos dires et n’expliquez pas en quoi vous seriez personnellement considéré comme un mécréant en cas de retour en Afghanistan. En effet, vous vous bornez de mentionner que les Taliban auraient annoncé de punir tous les mécréants revenant d’Europe, mais vous n’établissez aucunement que vous auriez acquis un tel profil de « mécréant » ou qu’un tel profil pourrait vous être imputé en cas de retour. A cet égard, et faute de preuve d’une adoption visible d’un mode de vie occidental, votre seul séjour en Europe ne saurait suffire à vous attribuer un tel profil ou à démontrer le risque d’une telle imputation en cas de retour dans votre pays d’origine.

De plus, aucune source d’informations publique pertinente et disponible ne permet de démontrer que le seul séjour en Europe d’un ressortissant afghan, afin d’y demander une protection internationale, l’exposerait de manière systématique, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves de la part des Taliban.

Il convient dès lors de conclure que les craintes que vous exprimez sont, une fois de plus, purement hypothétiques. Or, comme susmentionné, une crainte hypothétique, qui n’est basée sur aucun fait réel ou probable ne saurait constituer une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention et de la Loi de 2015.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

8 L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment que vous auriez peur d’être recruté de force par les Taliban, sinon d’être tué par ces derniers en raison de votre ethnie Hazara et de votre confession musulmane chiite ou sinon en raison du fait que vous seriez considéré comme étant un « mécréant » pour avoir vécu en Europe.

Tous ces motifs ayant été analysés dans la première partie de la présente décision et rejetés comme étant des craintes hypothétiques, il convient de réitérer que ces éléments ne permettent pas de conclure à l’existence dans votre chef d’un risque de devenir victime d’atteintes graves alors que vous ne faites état d’aucune menace concrète.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 26 janvier 2023 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 26 janvier 2023, prise dans son double volet, telle que déférée, ledit recours, étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, le demandeur indique être de religion musulmane chiite, d’ethnie hazara et originaire de la province de Ghazni. Il explique que, depuis son enfance, il aurait vécu avec la menace permanente des talibans. En tant qu’adolescent, il aurait été témoin de situations violentes, notamment de tirs des talibans sur des habitants de son quartier. Il aurait, en outre, personnellement été la cible des talibans qui auraient essayé de le recruter de force. Pour y échapper, il aurait bénéficié de l’aide de sa mère et de son grand-père. Il auraitainsi réussi à fuir son pays d’origine et il serait arrivé au Luxembourg « début juin 2020 » pour y déposer une demande de protection internationale.

En droit, il reproche au ministre d’avoir déployé beaucoup d’efforts pour mettre en cause la crédibilité de son récit. Il explique, en s’appuyant sur le « Global Peace Index » de 2022 établi par l’Institute for Economics and Peace, que l’Afghanistan aurait été qualifié de pays le moins paisible du monde en 2022. Il ajoute que le ministre n’aurait pas remis en cause sa nationalité et son appartenance ethnique et conclut qu’en ne procédant pas à une analyse détaillée de sa situation personnelle en cas de retour en Afghanistan, le ministre aurait commis une véritable erreur manifeste d’appréciation concernant ses craintes de persécutions. En s’appuyant sur un jugement du tribunal administratif du 16 janvier 2023, inscrit sous le numéro 46732 du rôle, dans lequel il aurait été retenu que la question essentielle était d’examiner les risques actuels encourus en cas de retour du demandeur dans son pays d’origine, Monsieur … fait valoir que le ministre aurait dû citer les sources selon lesquelles un jeune homme hazara, ayant séjourné plusieurs années en Europe, ne risquerait pas de subir des persécutions ou atteintes graves en cas de retour en Afghanistan.

Concernant le statut de réfugié, après avoir cité l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … estime que son récit permettrait de retenir qu’il serait victime, en cas de retour en Afghanistan, de persécutions. Il cite, à cet égard, plusieurs documents qui démontreraient qu’après leur prise de pouvoir, les talibans auraient procédé à l’exécution et à l’expropriation forcée de Hazaras, à la destruction des symboles hazaras, et que le risque pour ces derniers d’être persécutés en Afghanistan, notamment au vu de leur apparence physique qui serait caractéristique de leur ethnie, aurait augmenté depuis lors et qu’ils encourraient un risque sérieux de subir un génocide. Il en conclut que sa crainte d’être persécuté par les talibans en raison de son appartenance ethnique et religieuse ne serait pas hypothétique.

En s’emparant de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur donne à considérer, en renvoyant à divers rapports et articles, qu’en étant de confession chiite et d’ethnie hazara, il risquerait de subir des discriminations ou des violences physiques graves et, dans le pire des cas, mortelles de la part des talibans. Il ajoute que l’Etat islamique aurait commis des attaques meurtrières contre les Hazaras, le demandeur renvoyant à cet effet à un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) du 31 octobre 2021, intitulé « Afghanistan : Die aktuelle Sicherheitslage », relatant des attaques contre les mosquées chiites et dans lequel il serait noté que l’Etat islamique, qui aurait pourtant considéré les talibans comme ayant la même foi, mènerait depuis un certain temps une campagne pour assassiner les cadres et sympathisants des talibans et aurait intensifié les attaques contre eux. Ainsi, la représentante spéciale des Nations Unies pour l’Afghanistan aurait alerté le 19 novembre 2021, par le biais d’un article intitulé « Islamischer Staat verübt vermehrt Anschläge in Afghanistan », la communauté internationale sur la dangerosité de cette résurgence de l’Etat islamique, en notant que les attaques qui auraient été revendiquées par cette organisation seraient passées de 60 en 2020 à 334 pour 2021 et qu’elle continuerait d’attaquer les chiites.

En raison de ces attaques, Amnesty International aurait publié le 8 août 2022 un article intitulé « Afghanistan: Taliban must immediately step-up measures to protect the Hazara Shiite communities » afin que les talibans prennent des mesures efficaces pour protéger les Hazaras des attaques de l’Etat islamique, ce qui relèverait de l’utopie. Il ajoute que des indices et éléments laisseraient penser qu’il existerait une véritable motivation de détruire définitivement les Hazaras, et notamment la plus jeune génération des Hazaras à laquelle il appartiendrait, en se référant à cet égard à un rapport publié sur le site internet The Hazara Inquiry en août 2022, intitulé « The situation of the Hazara in Afghanistan ». Il en conclut que la communauté chiite,dont les Hazaras, ne devrait pas seulement craindre des attaques meurtrières de la part des talibans, mais également de la part de l’Etat islamique, ce qui se confirmerait par l’article de France 24, publié le 30 septembre 2022, intitulé « Afghanistan : attentat meurtrier dans un centre éducatif de Kaboul », relatant d’un attentat qui aurait été commis dans un quartier chiite de Kaboul.

Ensuite, en soutenant que l’Etat islamique serait également auteur de persécutions à l’égard des Hazaras au sens du prédit article 39 de la loi du 18 décembre 2015, Monsieur … estime qu’aucune protection ne serait disponible pour ces derniers en Afghanistan, et ce d’autant plus que les talibans mettraient tout en œuvre pour les exclure de la société afghane.

Après avoir reproché au ministre de ne pas avoir analysé la possibilité d’une fuite interne en Afghanistan, le demandeur souligne qu’une telle fuite ne serait de toute façon pas réalisable dans son chef, alors qu’il serait actuellement impossible de déterminer une zone sûre où il pourrait vivre en tant qu’Hazara dans son pays d’origine.

Ensuite, le demandeur fait valoir que la Cour nationale d’asile français (CNDA) aurait, dans un arrêt du 5 novembre 2021, inscrit sous le numéro 20025121 du rôle, accordé le statut de réfugié à un demandeur de protection internationale afghan eu égard au fait qu’il appartient à l’ethnie minoritaire des Hazaras.

Finalement, le demandeur renvoie à un rapport publié par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, ci-après désigné par le « HCR », de février 2023, intitulé « Leitlinien zum internationalen Schutzbedarf von Personen, die aus Afghanistan fliehen – Update I », dans lequel il estime que le manque d’informations sortant de l’Afghanistan augmenterait le risque que des actes de persécutions commis sur le territoire afghan ne soient pas documentés, ce qui compliquerait l’évaluation concrète des craintes de persécutions des ressortissants afghans en cas de retour dans leur pays d’origine.

Quant au volet de la décision lui refusant le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, après avoir cité les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur estime que le ministre n’aurait pas examiné la situation régnant dans son pays d’origine. Il relève qu’en tant que jeune Hazara, il risquerait de subir des traitements inhumains ou dégradants, en renvoyant à cet égard aux divers documents cités dans la partie concernant le refus de l’octroi du statut de réfugié. Il ajoute que les talibans auraient, en outre, commencé à partir de décembre 2022 à recourir à des exécutions publiques. Il verse encore divers articles de presse relatant d’attentats récents perpétrés par l’Etat islamique, dans la majorité des cas à l’encontre de la communauté chiite de Kaboul.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise, en insistant sur le comportement du demandeur concernant son âge, et notamment le fait qu’il n’ait pas été mineur au moment de son arrivée au Luxembourg, et sur le manque de crédibilité de ses déclarations.

En ce qui concerne, tout d’abord, le reproche du demandeur selon lequel, de manière générale, le ministre n’aurait pas procédé à une évaluation correcte de sa demande de protection internationale en ne prenant pas en compte la situation sécuritaire en Afghanistan et sa situation personnelle, force est de constater que ce moyen est simplement suggéré, de sorte qu’il encourt le rejet, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeuren recherchant lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Ensuite, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

12 (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel était le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, et indépendamment de la crédibilité du récit du demandeur, le tribunal relève que Monsieur … invoque différents motifs à la base de sa demande du statut de réfugié, à savoir le risque d’être persécuté par les talibans (i) qui voulaient le recruter de force, (ii) en raison de son appartenance ethnique hazara et de sa religion musulmane chiite, et (ii) en raison de son séjour en Europe pendant plusieurs années.

En ce qui concerne la crainte de persécutions de la part des talibans pour ne pas les avoir rejoints, étant précisé que le demandeur invoque ainsi des opinions politiques qui pourraient lui être imputées par les talibans, il échet de retenir que si à l’époque des faits vécus par le demandeur, soit en 2016, ils auraient pu avoir un intérêt à forcer des jeunes hommes à rejoindre leurs rangs en vue de combattre les autorités afghanes pour les renverser et asseoir leur pouvoir dans le pays, force est au tribunal de constater qu’en raison du changement de régime et du remaniement du gouvernement suite à la prise de pouvoir des talibans en août 2021, les craintes du demandeur de faire l’objet d’un recrutement forcé ne sont plus d’actualité et sont à qualifier de purement hypothétiques.

Quant aux craintes de subir des persécutions de la part des talibans en tant qu’Hazara chiite, si ces motifs relèvent de la Convention de Genève pour être en lien avec la religion etl’appartenance ethnique du demandeur, le tribunal est néanmoins amené à relever que, dans un arrêt récent du 5 décembre 2023, la Cour administrative a décidé que « […] Concernant ensuite les craintes de persécutions ou d’atteintes graves de la part des Talibans en raison de sa confession musulmane chiite et son appartenance à l’ethnie hazara, les premiers juges se sont à juste titre appuyés sur la jurisprudence de la Cour administrative par rapport à la situation générale des membres de cette communauté en Afghanistan, ayant retenu que s’il se dégage certes des sources à sa disposition que les membres de l’ethnie hazara font l’objet de la persistance d’actes de violence et de harcèlements de la part des Talibans, il ne ressort néanmoins pas des éléments d’informations lui soumis que les Hazaras feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. Tel que déjà retenu par la Cour dans ses arrêts des 19 mai 2022 (n° 46363C du rôle) et 30 juin 2022 (n° 46108C du rôle), les attaques menées contre les Hazaras sont pour la plupart l’œuvre de l’organisation terroriste EIK et visent surtout les lieux de culte chiites respectivement des civils hazara en raison de leur profil de fonctionnaires, de journalistes ou encore de personnel d’organisations non gouvernementales, attaques qui sont pour le surplus très ponctuelles, non quotidiennes et perpétrées dans les grandes villes du pays.

La Cour a encore retenu dans des arrêts du 21 février 2023 (n° 48083C du rôle) et 9 mars 2023 (n° 48007C du rôle) qu’un rapport « EUAA Country Guidance : Afghanistan » d’avril 2022 recommande de vérifier si la personne concernée hazara présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle correspond à un profil plus à risque que d’autres.

Il s’ensuit que le seul fait d’être hazara et de confession chiite n’est pas suffisant en soi pour justifier une crainte de persécution dans le chef de l’appelant.

Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations additionnelles invoquées par l’appelant en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des Hazaras chiites en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que la situation actuelle puisse être qualifiée de telle. […] » 1.

Cette conclusion s’impose, en l’espèce, au tribunal, en ce qui concerne les craintes de persécutions du demandeur tant à l’égard des talibans que de l’Etat islamique, dans la mesure où il reste en défaut de fournir des éléments personnels qui permettraient de retenir qu’il aurait un profil plus à risque de subir des persécutions que les autres Hazaras. Partant, le seul fait qu’il soit un Hazara chiite n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

En ce qui concerne le risque de persécutions pour avoir passé plusieurs années en Europe, la Cour administrative a été amenée à retenir que « […] Concernant la prétendue « occidentalisation » de l’appelant, la Cour partage encore l’appréciation des premiers juges selon laquelle celui-ci reste en défaut d’expliquer les raisons concrètes qui pourraient conduire les talibans à le persécuter du seul fait d’avoir vécu quelques années en Europe, les craintes afférentes ne traduisant dès lors qu’un vague sentiment d’insécurité. En outre, le séjour de l’appelant au Luxembourg et sa prétendue « occidentalisation » conséquente, faute de preuve d’une adoption visible d’un mode de vie occidental impliquant un risque personnel de persécution en cas de retour en Afghanistan, n’apparaissent pas plus de nature à justifier la 1 Cour adm., 5 décembre 2023, n° 48946C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.reconnaissance d’une protection internationale »2. Elle a été encore amenée, dans le prédit arrêt du 5 décembre 2023, à confirmer cette solution en précisant qu’« […] il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation de la Cour que des personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan risqueraient des persécutions de ce fait, même si elles peuvent être regardées avec suspicion ou faire l’objet de stigmatisation ou de rejet. », de sorte que ces faits ne sont pas non plus susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des persécutions.

Or, force est de constater que Monsieur … reste en défaut de fournir des explications circonstanciées quant à un risque personnel de subir des persécutions en raison de sa prétendue « occidentalisation », de sorte que le tribunal est amené à faire siennes les conclusions précitées de la Cour administrative. Ainsi, la seule circonstance d’avoir vécu à l’étranger pendant plusieurs années n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié au demandeur.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement 2 Cour adm., 5 octobre 2023, n° 49005C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, il échet de relever que le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

En ce qui concerne les atteintes graves auxquelles il serait amené à faire face en cas de retour en Afghanistan, force est au tribunal de réitérer ses constatations faites dans le cadre de l’analyse de la demande du statut de réfugié, à savoir que les risques avancés par le demandeur vis-à-vis des talibans en raison de son refus de les rejoindre sont essentiellement hypothétiques, de sorte qu’ils ne peuvent pas non plus permettre l’octroi d’une protection subsidiaire sur base des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Concernant l’appartenance ethnique et religieuse du demandeur, le tribunal estime qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes motifs que ceux développés dans le cadre de l’analyse du recours dirigé contre la décision de refus du statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Quant à l’occidentalisation du demandeur, le tribunal est encore amené à reprendre ses précédentes constatations, en ce sens que si les personnes « occidentalisées », majeures et de sexe masculin, qui retournent en Afghanistan peuvent être regardées avec suspicion ou peuvent faire face à la stigmatisation ou au rejet, ces faits ne sont cependant pas susceptibles d’être considérés comme pouvant constituer des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur restant pour le surplus en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles son propre mode de vie le rendrait plus à risque de subir personnellement des atteintes graves.

Partant, il échet d’ores et déjà de conclure, au vu des développements qui précèdent, que le demandeur reste en défaut de démontrer que les conditions de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies dans son chef.

Ensuite, afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par« la directive 2011/95 ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH3.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui distingue deux situations : (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »4 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »5.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région6, de l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves7.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

3 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, point 28.

4 Ibid., point 35.

5 Ibid., point 39.

6 CJUE, 10 juin 2021, CF, DN c. Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, point 32.

7 Ibid., point 43.En l’espèce, il échet de relever que la Cour administrative a retenu dans l’arrêt récent du 5 décembre 2023, précité, que « […] les rapports produits en cause ne permettent pas de conclure à l’existence d’une situation où l’ampleur de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé est telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil, du seul fait de sa présence sur place, court un risque réel d’être exposé à des atteintes graves au sens de 15 l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. […] ». Le tribunal est amené à retenir que les articles de presse versés par le demandeur ne sont pas non plus suffisants pour considérer que les attaques, certes graves, que l’Etat islamique a perpétrées atteignent un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne.

Au vu de ces considérations et en l’absence d’éléments qui permettraient de retenir que le demandeur serait exposé, en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, à un risque réel découlant de la violence aveugle au point qu’il faille admettre qu’en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque réel de menace grave pour sa vie ou sa personne, le tribunal est amené à conclure que le demandeur ne remplit pas non plus les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection subsidiaire de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur estime principalement que ce volet de la décision ministérielle devrait encourir la réformation, en conséquence de la réformation du premier volet de la décision portant refus de l’octroi d’une protection internationale dans son chef et, subsidiairement, il conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 129 de la loi du 29 août 2008 renvoie à l’article 3 de la CEDH, qui proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de crainte fondée de subir des persécutions et de risque réel et actuel de subir des atteintes graves, de sorte qu’il ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH8, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et de l’article 3 de la CEDH, encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

8 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59. reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 26 janvier 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 26 janvier 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 janvier 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 janvier 2024 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48603
Date de la décision : 22/01/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-01-22;48603 ?

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