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11/12/2023 | LUXEMBOURG | N°49774

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 décembre 2023, 49774


Tribunal administratif Numéro 49774 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49774 2e chambre Inscrit le 4 décembre 2023 Audience publique du 11 décembre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49774 du rôle et déposée le 4 décembre 2023 au greffe du trib

unal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or...

Tribunal administratif Numéro 49774 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49774 2e chambre Inscrit le 4 décembre 2023 Audience publique du 11 décembre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49774 du rôle et déposée le 4 décembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Libye), et déclarant être de nationalité libyenne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 novembre 2023, ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 décembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour E. Hellal et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, centre d’intervention Luxembourg, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », du 2 février 2015, que Monsieur … fut appréhendé lors du contrôle d’un squat situé à …, à l’occasion duquel il était incapable de présenter des documents d’identité et de voyage valables.

Les recherches effectuées le 5 mars 2015 dans la base de données EURODAC révélèrent que Monsieur … avait précédemment été appréhendé en France en date du 29 novembre 2006, en Belgique en date du 6 février 2007, en Allemagne en date du 22 février 2007, ainsi qu’en Norvège en date du 1er octobre 2007.

Il se dégage d’un acte d’écrou du Centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) du 11 août 2015 que, par un jugement du 2 juillet 2015 rendu par la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 5 ans, assortie d’un sursis à exécution de 2 ans, pour vol à l’aide de violences, menaces d’attentat et outrage à agent, et que la fin de sa durée de détention fut fixée au 21 janvier 2018.

1Il se dégage d’un acte d’écrou du CPL du 18 août 2016 que ladite peine d’emprisonnement fut interrompue par un nouveau mandat de dépôt du 12 juillet 2016 au 18 août 2016.

Il se dégage ensuite de deux actes d’écrou du CPL du 7 août 2017 et du 26 novembre 2020, que Monsieur …, suite à une condamnation à 24 mois d’emprisonnement pour vol qualifié et menaces d’attentat et suite à une confusion de peine, fût déchu de son sursis, de sorte à fixer la fin de sa durée de détention au 20 novembre 2022.

Il ressort encore dudit acte d’écrou du 26 novembre 2020, ainsi que d’un acte d’écrou du 20 novembre 2022 que Monsieur … fut, après un pourvoi en cassation, condamné pour menaces d’attentat à une peine d’emprisonnement de 9 mois, reportant la fin de sa détention au 17 août 2023.

Par courrier de son mandataire de l’époque du 16 juin 2021, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au sens de l’article 78, paragraphe (3) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci- après dénommée « loi du 29 août 2008 », laquelle lui refusée par décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 1er juillet 2021.

Suite au recours gracieux introduit le 30 septembre 2021 contre la prédite décision du 1er juillet 2021, le ministre confirma son refus initial par une décision du 13 octobre 2021.

Par « BRM » du 21 novembre 2022, l’agent ministériel en charge du dossier de Monsieur … demanda au service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, d’enquêter sur l’intéressé et de lui faire parvenir les résultats d’International Criminal Police Organisation (INTERPOL) en relation avec l’intéressé.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre les décisions ministérielles, précitées, du 1er juillet et du 13 octobre 2021 fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 25 mai 2023, inscrit sous le numéro 46897 du rôle, lequel fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 7 novembre 2023, inscrit sous le numéro 49152C du rôle.

Il ressort du dossier administratif, qu’une vérification faite le 20 juillet 2023 dans les bases de données du Centre de coopération policière et douanière Luxembourg (CCPD) révéla, d’une part, que Monsieur … était connu des autorités françaises et des autorités allemandes, ainsi que des autorités belges, pour de nombreuses infractions pénales, dont des actes de rébellion, d’extorsion, de menaces sans ordre ni condition, de coups et/ou blessures volontaires, de dégradations volontaires, de vols simples, de vols qualifiés et, d’autre part, que l’intéressé était signalé dans la base de données d’INTERPOL.

Par arrêté du 11 août 2023, notifié à l’intéressé le 17 août 2023 à sa libération du CPL, le ministre déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, ou à destination de tout autre pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou de tout autre pays où il est autorisé à séjourner. Par le même arrêté, le ministre lui interdit encore l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

2Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé également le 17 août 2023, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu ma décision de retour du 11 août 2023 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans ;

Considérant que l’intéressé constitue un danger pour l’ordre public ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 11 septembre 2023, notifié à l’intéressé le 15 septembre 2023, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 17 septembre 2023.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … en date du 2 octobre 2023, contre ledit arrêté ministériel du 11 septembre 2023, fut déclaré fondé par un jugement du tribunal administratif du 9 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49499 du rôle, jugement qui fut toutefois réformé par la Cour administrative à travers un arrêt du 19 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49556C du rôle.

Par arrêté du 16 octobre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … une deuxième fois pour une durée d’un mois avec effet au 17 octobre 2023.

Par arrêté du 15 novembre 2023, notifié à l’intéressé le 17 novembre 2023, le placement en rétention de Monsieur … fut prorogé une troisième fois pour une durée d’un mois avec effet à partir de sa notification. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 11 août, 11 septembre et 16 octobre 2023, notifiés le 17 août, le 15 septembre avec effet au 17 septembre et le 17 octobre 2023, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

3Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 11 août 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 décembre 2023, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 15 novembre 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en soutenant qu’il serait atteint d’un lymphome « T », lui causant des périodes de rémission et de rechute qui impliqueraient qu’il « s’établisse en lieu stable, avec une liberté d’aller et de venir », afin de pouvoir se soigner. Il explique encore qu’il serait arrivé en Europe il y a environ vingt-deux ans, sans que sa situation administrative n’ait jamais été régularisée et qu’à l’heure actuelle, il ne ferait toujours l’objet « d’aucune mesure ». Dans ce contexte, son litismandataire aurait adressé « une demande d’information », en vue de connaître l’évolution de son dossier, qui serait cependant restée sans réponse.

En droit, le demandeur reproche en premier lieu au ministre d’avoir motivé la décision déférée de manière stéréotypée, dans la mesure où elle ne laisserait pas « transparaître [sa] réelle situation […], ou du moins la genèse et l’historique de son cas, et l’état d’avancement du dossier ».

En second lieu, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir, dès son refus de lui consentir un titre de séjour pour des motifs médicaux, soit dès le mois de juin 2021, entamé les préliminaires des démarches relatives à son éloignement, tout en rappelant qu’une décision de placement en rétention d’un étranger ne pourrait être prononcée qu’à condition qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite ou qu’il évite ou empêche la préparation de son retour ou la procédure d’éloignement, et à condition que la mesure de placement en rétention puisse concrètement aboutir.

Monsieur … donne à considérer qu’alors même que le ministre aurait énoncé dès sa première décision de placement que les démarches nécessaires en vue de son éloignement seraient engagées dans les plus brefs délais, il aurait été détenu depuis le mois de novembre 2020, jusqu’au mois d’août 2023. Il ajoute que « l’autorité administrative » serait saisie de son cas, et plus particulièrement d’une demande de titre de séjour pour des raisons médicales, respectivement humanitaires depuis le deuxième trimestre 2021 et plus précisément depuis le 16 juin 2021, date à laquelle son précédent mandataire aurait formulé une demande officielle de titre, de sorte à être connu de ladite « autorité ».

4Le demandeur donne à considérer qu’une mesure de rétention serait indissociable de l’attente de l’exécution de l’éloignement d’un étranger non autorisé à séjourner légalement sur le territoire luxembourgeois et qu’il incomberait ainsi à l’autorité administrative de faire état et de documenter les démarches qu’elle estimerait requises et qu’elle serait en train d’exécuter afin d’écourter au maximum sa privation de liberté, et notamment de faire preuve de diligence pour obtenir les autorisations nécessaires en vue de son éloignement.

Après avoir relevé que la rétention administrative serait certes une privation de liberté spécifique prévue par le législateur pour les étrangers « en instance d’éloignement du territoire », il précise qu’il s’agirait néanmoins d’un placement à vocation précise « dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire d’un étranger qui ferait l’objet d’une mesure d’éloignement forcé » et qui ne pourrait quitter immédiatement le territoire luxembourgeois « pour le temps strictement nécessaire à son départ ».

Dans ce contexte, il fait valoir que son dossier n’avancerait pas depuis 2021 et qu’il semblerait « certain que se profile une rétention maximale sans perspective finale » - tel qu’en attesterait le défaut de réponse à la « demande d’information » formulée en date du 29 novembre 2023 - tout en précisant que si l’administration n’arrivait pas à éloigner un étranger endéans la période prévue par la loi, celui-ci devrait être remis en liberté, même si la situation de ce dernier n’était pas régularisée. En effet, le délai maximal prévu par le législateur pour procéder à l’éloignement d’une personne en situation irrégulière serait à considérer comme un délai limite.

Le demandeur conclut de ce qui précède que les conditions requises par l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008 ne seraient plus réunies et que « ce délai » ne saurait être « constitutif, à terme d’une peine privative de liberté […] comme [ce serait] le cas en l’espèce », en ajoutant, à cet égard, qu’aucune démarche efficace n’aurait été entreprise par le ministre pour permettre son éloignement ou son transfert rapide vers son pays d’origine, de sorte qu’il devrait être immédiatement libéré, alors que la nécessité requise « pour ordonner [son] placement » ferait défaut.

Finalement, tout en rappelant que la rétention administrative serait le dispositif permettant à l’administration de maintenir, pour une durée limitée « dans des locaux spécifiques, les étrangers en instance d’éloignement du territoire luxembourgeois », Monsieur … soutient qu’il serait malade, usé par les soins endurés et que le Centre de rétention, « dans sa dimension actuelle », contribuerait à le faire souffrir, alors qu’il aurait besoin de trouver « un lieu propice à une rémission totale », de sorte qu’une perspective de rétention maximale « pourrait s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant » dans son chef. Il ajoute, dans ce contexte, que la rétention se distinguerait de la détention, alors qu’il s’agirait d’une mesure administrative et non d’une sanction judiciaire en ce qu’elle serait exécutée dans les locaux dépendant non pas de l’administration pénitentiaire, mais des services placés sous l’autorité de la direction de l’immigration.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Quant au moyen de légalité externe tenant à un défaut de motivation tiré du caractère prétendument stéréotypé de la décision déférée, force est de relever qu’il n’existe aucun texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, de sorte que le ministre n’avait 5pas à motiver spécialement la décision déférée. Le moyen fondé sur un défaut de motivation suffisant doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, […] l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en 6cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal administratif dans son jugement du 9 octobre 2023, prémentionné, et par la Cour administrative dans son arrêt du 19 octobre 2023, prémentionné, il est constant que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de 5 ans ont été prises à son encontre le 11 août 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni de documents d’identité, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite […] est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait par conséquent appartenu au demandeur de soumettre des éléments permettant de renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite ce qu’il est toutefois resté en défaut de faire. Au contraire, force est de constater que le demandeur a affirmé, dans sa requête introductive d’instance, qu’il serait arrivé en Europe il y a environ vingt-deux ans, sans jamais avoir régularisé sa situation, affirmation qui est, au contraire, de nature à renforcer le risque de fuite tel que retenu ci-avant.

Au vu des considérations qui précèdent, le ministre pouvait, dès lors, a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Concernant l’existence de mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il échet de rappeler que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le 7ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-avant. Il est, en effet, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, 1 Trib. adm. 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

8paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose, de sorte que l’application de mesures moins coercitives prévues par ledit article 125 de la loi du 29 août 2008 n’est pas envisageable en l’espèce.

Si, de l’entendement du tribunal, le demandeur semble encore affirmer que son état de santé serait incompatible avec un placement en rétention et que, de ce fait « une perspective de rétention maximale [pourrait s’apparenter] à un traitement inhumain et dégradant », force est au tribunal de constater que cette affirmation ne se trouve, en l’état actuel du dossier, corroborée par aucun élément, et est, de ce fait, à considérer comme simple allégation, de sorte qu’aucune contre-indication médicale avec un placement du demandeur en rétention respectivement avec le maintien de celui-ci en rétention, n’est établie en l’espèce.

Par ailleurs, comme le demandeur a droit, en application de l’article 9 de la loi modifiée du 28 mai 2009 portant création et organisation du Centre de rétention, aux soins médicaux requis au cours de son séjour au Centre de rétention, la seule affirmation non autrement sous-tendue selon laquelle il aurait « besoin de se trouver en un lieu propice à une rémission totale » est insuffisante pour remettre en cause le caractère approprié du placement en rétention, respectivement avec le maintien de celui-ci en rétention, par rapport à sa situation personnelle.

En l’état actuel du dossier et à défaut d’autres pièces ou d’éléments qui corroboreraient que le demandeur nécessiterait une prise en charge, respectivement un suivi en milieu hospitalier, le tribunal est amené retenir que l’état de santé du demandeur ne s’oppose pas à son maintien au Centre de rétention et le moyen afférent est par conséquent à rejeter.

S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur selon laquelle les diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement le plus rapidement possible seraient insuffisantes, le tribunal a, dans son jugement du 9 octobre 2023, prémentionné, relatif à la première prorogation du placement en rétention de Monsieur …, constaté qu’en date du 1er août 2023, donc avant le placement du demandeur au Centre de rétention, les autorités luxembourgeoises avaient saisi l’Ambassade du Liban à Bruxelles, en vue de la délivrance d’un laissez-passer et de l’identification du demandeur, tout en y joignant une liste avec 28 noms alias, une photo d’identité et un jeu d’empreintes digitales de ce dernier.

Le tribunal a également constaté que par courriel du 3 août 2023, l’Ambassade du Liban à Bruxelles avait répondu aux autorités luxembourgeoises qu’elle enverrait la demande d’identification de l’intéressé aux autorités libanaises à Beyrouth et que les autorités luxembourgeoises avaient relancé l’Ambassade du Liban à Bruxelles à deux reprises, à savoir une première fois le 25 août 2023 et une deuxième fois le 26 septembre 2023.

Bien que le tribunal a déclaré, dans son jugement, précité, du 9 octobre 2023, que le moyen du demandeur - tiré d’un défaut de diligences suffisantes de la part des autorités luxembourgeoises dans la prise de décision relative à la première prorogation du placement en rétention de ce dernier - était fondé au motif que suivant les éléments soumis à son appréciation, tels que renseignés dans le dossier administratif, il n’apparaissait pas à suffisance pour quelles raisons l’autorité ministérielle n’avait pas également contacté les autorités libyennes en vue de l’identification de Monsieur …, alors même que celui-ci avait déclaré de manière constante depuis son arrivée au Luxembourg, être de nationalité libyenne, respectivement les autres pays en relation avec ses divers alias, la Cour administrative a réformé ledit jugement dans son arrêt, précité, du 19 octobre 2023, en retenant qu’en instance d’appel, l’Etat avait complété son dossier administratif en produisant des pièces qui n’avaient pas été versées en première 9instance, et notamment un courrier du bureau d’INTERPOL de Tripoli du 14 mars 2023, faisant suite à une demande des autorités luxembourgeoises du 19 janvier 2023, indiquant que le demandeur n’est pas un de leurs nationaux, de sorte que l’introduction d’une demande d’identification auprès des autorités libyennes devait être considérée comme établie.

La Cour administrative a également relevé dans ledit arrêt, qu’il se dégageait des éléments et pièces du dossier que l’autorité ministérielle luxembourgeoise avait déjà contacté au début de l’année 2023, soit avant l’arrivée du terme de la peine d’emprisonnement du demandeur et de son placement en rétention, les bureaux d’INTERPOL situés en Algérie, au Maroc, en Egypte, en Tunisie et en Libye, lesquels avaient tous répondu que le demandeur n’était pas connu de leurs services et qu’il se dégageait, en outre, des pièces supplémentaires soumises par le délégué du gouvernement en instance d’appel que les autorités consulaires libanaises, contactées le 1er août 2023, avaient répondu le 3 août 2023 que les mesures nécessaires allaient être prises et que ces dernières avaient encore été relancées par courriels des 25 août, 26 septembre et 13 octobre 2023.

Eu égard à l’ensemble des éléments relevés par la Cour, et notamment au fait que le demandeur est connu sous pas moins de 28 alias, dont plusieurs alias libyens, égyptiens et libanais, ce qui ne faciliterait pas son identification, celle-ci conclu que les diligences déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise devaient être considérées, au moment où elle était amenée à statuer, comme suffisantes.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis lors, force est au tribunal de constater qu’il ressort du dossier administratif que les autorités ministérielles luxembourgeoises se sont adressées le 20 octobre 2023 par courriel au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles au motif qu’il existerait « la possibilité que cette personne possède la nationalité tunisienne » pour obtenir un laissez-passer en faveur de l’intéressé, tout en y joignant un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identités, demande qui a ensuite été réitérée le 10 novembre 2023. Suivant une note au dossier du 23 novembre 2023, les autorités luxembourgeoises furent informées, au cours d’un rendez-vous avec le Consulat de Tunisie à Bruxelles du même jour, que la demande d’identification du demandeur était en cours d’instruction. Par courriels des 5 et 6 décembre 2023, les autorités luxembourgeoises ont encore relancé aussi bien les autorités tunisiennes, que les autorités libanaises, en vue de s’enquérir, de part et d’autre, de l’était d’avancement du dossier du demandeur.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes - que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement rapide du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Ce constat n’est pas énervé par l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’un éloignement et selon laquelle il « semble[rait] certain que se profile une rétention maximale sans perspective finale », alors qu’en l’état actuel du dossier, l’éloignement de Monsieur … demeure une perspective raisonnable et qu’il n’existe à l’heure actuelle pas d’élément permettant de conclure que l’éloignement vers son pays d’origine ne puisse pas être mené à bien, étant à cet égard précisé que ni l’absence d’identification du concerné à l’heure 10actuelle, ni le défaut de réponse concrète des consulats tunisiens et libanais ne sont à ce jour définitifs, le demandeur n’ayant, pour sa part, fourni aucune indication susceptible d’énerver cette conclusion. D’un autre côté, il ressort au contraire manifestement des éléments du dossier administratif relevés ci-avant que le demandeur, qui est connu sous de multiples alias, avec des nationalités différentes, est, à tout le moins partiellement, sinon essentiellement à l’origine des difficultés rencontrées par le ministre pour déterminer son identité, de sorte qu’il est particulièrement malvenu de se plaindre du fait que la procédure d’éloignement risque de durer plus longtemps et que l’argumentation afférente est à rejeter.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce que compris les moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 11 décembre 2023 par le vice-président en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 décembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49774
Date de la décision : 11/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-12-11;49774 ?

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