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04/12/2023 | LUXEMBOURG | N°46995

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 04 décembre 2023, 46995


Tribunal administratif N° 46995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46995 5e chambre Inscrit le 7 février 2022 Audience publique extraordinaire du 4 décembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre un arrêté du ministre de la Justice, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46995 du rôle et déposée le 7 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Cyril Chapon, avocat à la Cour, inscri

t au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, te...

Tribunal administratif N° 46995 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46995 5e chambre Inscrit le 7 février 2022 Audience publique extraordinaire du 4 décembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre un arrêté du ministre de la Justice, en matière de changement de nom patronymique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46995 du rôle et déposée le 7 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Cyril Chapon, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Justice du 17 novembre 2021 portant refus de l’autorisation de changer son nom patronymique de « … » en celui de « … » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2022 par Maître Cyril Chapon pour le compte de sa mandante, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2022 ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cyril Chapon et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique 18 octobre 2023.

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Par un courrier daté au 5 octobre 2020 et entré au ministère de la Justice, ci-après désigné par « le ministère », le lendemain, Madame … s’adressa au ministre de la Justice, ci-

après désigné par « le ministre », afin de solliciter l’autorisation de changer son nom patronymique de « … » en celui de « … ».

Par courrier du 5 novembre 2020, le ministère invita Madame … à compléter son dossier, demande à laquelle elle donna suite par courrier du 18 novembre 2020, réceptionné le 24 novembre 2020.

Par un arrêté du 17 novembre 2021, le ministre refusa de faire droit à la demande de changement de nom introduite par Madame …. Ledit arrêté est libellé comme suit :

« Vu la demande présentée par Madame …, née le … à …, de nationalité luxembourgeoise et française, et demeurant actuellement à L-… ;

Vu que la requérante sollicite l’autorisation de changer son nom actuel en celui de « … » ;

Vu la loi du 19 décembre 2020 sur le changement du nom et des prénoms ;

Considérant qu’un changement du nom ne peut être autorisé qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes ;

Considérant que la requérante n’établit ni des circonstances exceptionnelles, ni des raisons importantes ;

Considérant que le principe de la fixité du nom patronymique constitue une règle d’ordre public et social ;

Considérant que la demande n’est donc pas fondée ;

Arrête :

Art.1er. L’autorisation sollicitée est refusée.

Art. 2. Une expédition du présent arrêté est notifiée à la requérante.

Art. 3. Le présent arrêté peut faire l’objet d’un recours en réformation devant le tribunal administratif, à introduire par requête d’un avocat à la cour dans un délai de trois mois à partir de la notification. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 février 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel du 17 novembre 2021, précité, portant refus de sa demande de changement de nom patronymique.

Etant donné que la loi du 19 décembre 2020 sur le changement du nom et des prénoms et portant modification de la loi modifiée du 8 mars 2017 sur la nationalité luxembourgeoise, ci-après désignée par « loi du 19 décembre 2020 », prévoit, en son article 10, un recours en réformation contre une décision de refus de changement de nom, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse explique vouloir substituer à son nom patronymique actuel celui de son ex-mari, Monsieur …, qui aurait, par une convention signée en date du 17 septembre 2002, marqué son accord à ce qu’elle puisse utiliser, sa vie durant, son nom marital de « … ». Cet accord aurait par la suite été entériné par ordonnance du juge aux affaires familiales près le Tribunal de grande instance de Lyon en date du 18 mars 2004.

La demanderesse précise, à cet égard, qu’elle aurait contracté mariage avec Monsieur … par devant l’officier de l’état civil de la Ville de … en date du …, union de laquelle serait né un fils unique, Monsieur …, puis deux petits-enfants, … et …, et que le mariage aurait été dissout suivant un jugement du juge aux affaires familiales près le Tribunal de grande instance de Lyon en date du 6 mai 1999.

En droit, la demanderesse estime que ce serait à tort que les motifs avancés à l’appui de sa demande de changement de nom patronymique n’auraient pas été considérés comme constituant des circonstances exceptionnelles, respectivement des raisons importantes de nature à justifier un changement de nom. En effet, elle serait professionnellement et socialement connue depuis son mariage intervenu en … sous le nom de « … ». Elle explique que Monsieur … l’aurait autorisé - malgré le divorce - à utiliser le nom de …, entre autres, afin qu’elle puisse continuer à porter le même nom que son fils et ses petits-enfants.

Dans sa réplique, la demanderesse réitère en substance ses contestations, tout en ajoutant que le nom … serait un nom d’origine arménienne qui poserait « certains problèmes dans [s]a vie courante […] que ce soit, à l’époque, durant sa vie professionnelle ou actuellement encore, durant sa vie personnelle ». Elle poursuit que l’origine arménienne de son nom « … » rendrait problématique « certaines visites ou certains contacts » avec notamment la Turquie et ses ressortissants ainsi qu’avec la partie turque de l’île de … ou encore « certains » pays asiatiques. Cette problématique l’inciterait également à éviter tous les voyages avec …, qui l’obligeraient à faire une escale en Turquie.

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a, tout d’abord, lieu de relever que l’article 1er de la loi du 6 fructidor an II, en disposant qu’« [a]ucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance », a consacré le principe de la fixité des noms et prénoms.

Il convient ensuite de constater qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020, « [l]e changement du nom […] est ouvert aux personnes :

1° possédant la nationalité luxembourgeoise ;

2° bénéficiant du statut d’apatride ;

3° ayant le statut de réfugié ou celui conféré par la protection subsidiaire. ».

L’article 2, paragraphe (1) de la loi du 19 décembre 2020 prévoit que « [l]e changement du nom peut consister dans :

1° l’adaptation du nom, ou d’un ou de plusieurs de ses composants, aux usages en vigueur au Grand-Duché de Luxembourg ;

2° l’attribution du nom, ou d’un ou de plusieurs de ses composants, indiqués dans l’acte de naissance du demandeur ;

3° l’inversion de l’ordre des composants du nom ;

4° la suppression d’un ou de plusieurs composants du nom, à condition de garder au moins un composant. ».

Il se dégage de ces dispositions que seules sont admises à introduire une demande en autorisation de changement de nom patronymique, les personnes possédant la nationalité luxembourgeoise ou celles bénéficiant du statut d’apatride, du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire, et que ledit changement peut, en principe, prendre la forme soit (i) d’une adaptation du nom, ou d’un ou de plusieurs de ses composants, aux usages en vigueur au Grand-Duché de Luxembourg, (ii) d’une attribution du nom, ou d’un ou de plusieurs de ses composants, indiqués dans l’acte de naissance du demandeur, (iii) de l’inversion de l’ordre des composants du nom, ou (iv) de la suppression d’un ou de plusieurs composants du nom, à condition de garder au moins un composant.

Par ailleurs, aux termes de l’article 5 de la loi du 19 décembre 2020, « [s]ous réserve de l’application de[…] [l’]article[…] 2 […], un changement de nom […] ne peut être autorisé que si le demandeur établit des circonstances exceptionnelles et des raisons importantes. ».

Il résulte de cette disposition que sous réserve des cas prévus à l’article 2 de la loi précitée du 19 décembre 2020, ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles et pour des raisons importantes qu’un changement de nom peut être accordé, ladite disposition maintient ainsi le principe de la fixité du nom1 dans la loi du 19 décembre 2020, tel que consacré à l’article 1er de la loi du 6 fructidor An II, resté inchangé suite à l’adoption de la loi du 19 décembre 2020.

En l’espèce, la demanderesse qui possède la nationalité luxembourgeoise depuis le 21 septembre 2020, entend substituer à son nom patronymique celui de son ex-mari, Monsieur ….

Il n’est pas contesté par le ministre que la demande de changement de nom litigieuse tombe dans un des cas de figure énumérés à l’article 2 de la loi du 19 décembre 2020.

Il appartient, en revanche, au tribunal d’analyser si la demanderesse a établi des circonstances exceptionnelles et des raisons importantes justifiant le changement de nom au sens de l’article 5 de la loi du 19 décembre 2020, tel que contesté par le ministre.

La partie étatique estime, pour sa part, que la demanderesse reste en défaut d’avancer des motifs pouvant s’analyser en des circonstances exceptionnelles ou en des raisons importantes pouvant justifier le changement de nom tel que sollicité.

Le tribunal est tout d’abord amené à constater que la demanderesse motive plus spécifiquement le changement de nom sollicité par (i) le fait que depuis son mariage intervenu en …, elle serait « professionnellement et socialement » connue sous le nom de « … », (ii) son souhait de porter le même nom que celui de sa descendance, à savoir son fils et ses petits-

enfants et (iii) la circonstance que le nom « … » serait un nom d’origine arménienne qui poserait « certains problèmes dans la vie courante […] que ce soit, à l’époque, durant sa vie professionnelle ou actuellement encore, durant sa vie personnelle », à savoir qu’il rendrait problématique « certaines visites ou certains contacts » avec notamment la Turquie et ses ressortissants ainsi qu’avec la partie turque de l’île de … ou encore « certains » pays asiatiques, problématique qui l’inciterait également à éviter tous les voyages avec … qui l’obligeraient à faire une escale en Turquie.

Or, de telles raisons, loin de s’analyser en une véritable nécessité de modifier son nom de famille actuel pour ne pas suffire au regard des critères établis par l’article 5 de la loi du 19 décembre 2020 exigeant des circonstances exceptionnelles et des raisons importantes, traduisent en fin de compte des motifs de simple convenance personnelle visant à aboutir à une simplification, voire à une amélioration de la vie quotidienne de Madame ….

1 Document parlementaire N°6568B2, Deuxième avis complémentaire du Conseil d'État, 20 octobre 2020, page 3, J-2020-O-0224.

Plus particulièrement, la demanderesse ne saurait argumenter que le fait de porter le nom patronymique de « … » serait à un tel point intolérable qu’il constituerait une circonstance exceptionnelle et raison importante au sens de l’article 5 précité au seul motif qu’elle ne porterait pas le même nom que celui porté par son fils et par ses petits-enfants.

Il y a par ailleurs lieu de relever que dans la mesure où la demanderesse se limite à affirmer péremptoirement que l’origine de son nom compliquerait sa vie courante en ce qu’elle rendrait plus difficile de nouer des contacts avec des ressortissants turcs, respectivement de voyager en Turquie, sans expliquer concrètement de quels problèmes il s’agit et sans avancer des éléments concrets tirés de son vécu personnel, le tribunal ne saurait conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles et de raisons importantes justifiant le changement de nom de la demanderesse, d’autant plus que de telles situations ne se présentent pas quotidiennement et que la fréquence de ses voyages allégués demeure inconnue.

S’il ressort ensuite, certes, des propres affirmations de la demanderesse que les problèmes qu’elle affirme rencontrer actuellement en raison de l’origine arménienne de son nom seraient en relation non pas seulement avec sa vie personnelle, mais également avec sa vie professionnelle, il n’en reste pas moins que le tribunal ne saurait actuellement pas non plus retenir que Madame … rencontrerait dans sa vie professionnelle des circonstances exceptionnelles et des raisons importantes permettant de justifier le changement de son nom patronymique de « … » en celui de « … », dans la mesure où la demanderesse précise qu’elle ne les aurait rencontrés qu’ « à l’époque », soit lorsqu’elle travaillait encore, ce qui n’est, de façon non contestée, plus le cas.

En ce qui concerne ensuite l’affirmation de Madame … selon laquelle elle serait connue sous le nom de « … » depuis son mariage en …, ce qui serait confirmé par les documents fournis par la demanderesse à l’appui de sa requête introductive d’instance, à savoir des attestations testimoniales établies par son fils Monsieur …, par ses petits-enfants, … et …, ainsi que par un dénommé « Monsieur … », force est au tribunal de retenir que celle-ci n’est pas non plus de nature à caractériser des circonstances exceptionnelles ou des raisons importantes justifiant une dérogation au principe de la fixité du nom patronymique.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse reste actuellement en défaut de faire état de circonstances exceptionnelles et de raisons importantes susceptibles de justifier le changement de nom tel que sollicité.

Le recours en réformation sous analyse est, dès lors, à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 4 décembre 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 décembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 46995
Date de la décision : 04/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-12-04;46995 ?

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