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22/11/2023 | LUXEMBOURG | N°49713

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2023, 49713


Tribunal administratif Numéro 49713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49713 5e chambre Inscrit le 16 novembre 2023 Audience publique du 22 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49713 du rôle et déposée le 16 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,

au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie), et être de nationalit...

Tribunal administratif Numéro 49713 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49713 5e chambre Inscrit le 16 novembre 2023 Audience publique du 22 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49713 du rôle et déposée le 16 novembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie), et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 novembre 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 novembre 2023, Maître Says s’étant excusé et rapporté aux écrits.

Le 3 avril 2023, Monsieur …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 13 avril 2023, le demandeur fut auditionné par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 26 avril 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le surlendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), point a) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le recours introduit à l’encontre de la décision du ministre du 26 avril 2023 fut rejeté par jugement du tribunal administratif du 15 juin 2023, inscrit sous le numéro 48938 du rôle.

Le 6 juillet 2023, l’intéressé fut signalé dans le système d’information Schengen (SIS) pour le motif suivant : « Ressortissant d’un pays tiers en vue d’une décision de retour ».

Par courrier du 10 juillet 2023, remis à l’intéressé en mains propres le même jour, Monsieur … fut convoqué à un rendez-vous au ministère fixé au 20 juillet 2023, en vue de la préparation de son retour volontaire, rendez-vous auquel l’intéressé ne se présenta pas.

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Région Nord, Commissariat Diekirch/Vianden, dit « Fremdennotiz », du 10 septembre 2023, référencé sous le numéro …, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité lors duquel il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 10 septembre 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prit à l’égard de Monsieur … une décision de retour sans délai, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. L’arrêté afférent est libellé comme suit :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 10 septembre 2023 établi par Police grand-ducale (Région Nord, Commissariat Diekirch/Vianden) ;

Vu ma décision de retour du 10 septembre 2023 comportant une interdiction d'entrée sur le territoire de 5 ans ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l'intéressé ne justifie pas de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 9 octobre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre décida de prolonger la mesure de placement de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la date de la notification. Le recours contentieux introduit par l’intéressé en date du 12 octobre 2023 à l’encontre de l’arrêté précité fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 23 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49550 du rôle.

Par un arrêté du 9 novembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre décida de prolonger une nouvelle fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification.

Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 10 septembre et 9 octobre 2023, notifiés le 10 septembre respectivement le 10 octobre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 10 septembre 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 9 novembre 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 en contestant que les démarches nécessaires auraient été entamées, qu’il existerait dans son chef un danger de fuite et qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier un placement en rétention.

Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre, étant donné qu’en vertu de l’article 3, point g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit le ministre de l’Immigration et de l’Asile.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 10 septembre 2023, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), numéro 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement et qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, mais qu’elle est fondée sur le défaut pour le demandeur de satisfaire aux conditions de l’article 34 de la loi du 29 aout 2018 et sur le fait que les démarches auprès des autorités tunisiennes n’ont pas encore abouti, l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne ensuite les diligences entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal a constaté dans son jugement, précité du 23 octobre 2023 que les démarches entreprises jusqu’alors par les autorités luxembourgeoises devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Quant aux démarches accomplies depuis lors, le tribunal constate qu’il se dégage du dossier administratif et des explications du délégué du gouvernement qu’en date des 25 octobre et 9 novembre 2023, l’autorité ministérielle s’est de nouveau enquise par courrier électronique sur l’état d’avancement du dossier auprès de son homologue tunisien.

Au regard de ces démarches concrètes et au vu du fait que, tel que relevé ci-avant, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables ainsi que des démarches auprès des autorités compétentes notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé, le tribunal est amené à conclure que le dispositif d’éloignement est actuellement toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire, étant relevé que le ministre est tributaire de la collaboration et de l’efficacité des autorités tunisiennes, auxquelles il s’est adressé, et qu’il ne saurait nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes. Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Il s’ensuit que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic ¨ s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49713
Date de la décision : 22/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-22;49713 ?

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