La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2023 | LUXEMBOURG | N°48991a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2023, 48991a


Tribunal administratif N° 48991a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:48991a 1re chambre Inscrit le 30 mai 2023 Audience publique 22 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

__________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48991 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mai 2023 par Maître Louis Tin

ti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de ...

Tribunal administratif N° 48991a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2022:48991a 1re chambre Inscrit le 30 mai 2023 Audience publique 22 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

__________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48991 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mai 2023 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mai 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à cette demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 juin 2023 ;

Vu le jugement du 21 juin 2023, inscrit sous le numéro 48991 du rôle, rendu par le premier juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries à l’audience publique du 20 septembre 2023.

Le 7 juillet 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers.

En date du 28 septembre 2022, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 3 janvier 2023, l’unité de la police de l’Aéroport – section Expertise Documents informa le ministère que l’acte de mariage, la fiche familiale d’état civil, l’acte de naissance ainsi que la fiche individuelle de l’état civil soumis par Monsieur … au ministère sont des falsifications.

En date du 11 mars 2023, Monsieur … fut l’objet d’un entretien complémentaire auprès du ministère.

Par décision du 12 mai 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à partir du jour où la décision de refus est devenue définitive.

Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 juillet 2022, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 28 septembre 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport de l'Unité de Police de l'Aéroport du 3 janvier 2023, le rapport d'entretien complémentaire du 13 mars 2023 ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Monsieur, lors de l'introduction de votre demande de protection internationale vous avez déclaré être de nationalité syrienne, d'ethnie Arabe, marié et originaire du village d'…, qui se situerait dans le …, dans le gouvernorat d'Alep en Syrie et où vous auriez vécu avec vos parents, trois de vos frères et l'une de vos sœurs.

Vous avez introduit une demande de protection internationale alors que vous craindriez, d'une part, être enrôlé de force par l'armée kurde et d'autre part, être contraint à rejoindre l'armée du régime syrien.

A cet égard, vous expliquez que des soldats kurdes seraient venus à votre domicile deux semaines avant votre départ de Syrie, le 15 mai 2022, mais qu'ils ne vous auraient pas trouvé car vous n'y étiez pas à ce moment-là. Etant donné que vous auriez atteint l'âge requis pour rejoindre l'armée, lesdits soldats seraient venus vous chercher afin de vous enrôler dans l'armée kurde.

Vous exprimez ensuite la même inquiétude face à l'armée syrienne malgré que vous n'auriez jamais reçu, ni de convocation, ni de livret militaire. De plus, dans la mesure où vous auriez évité le service militaire pendant toutes ces années, vous seriez considéré comme étant un traître.

A l'appui de votre demande de protection internationale dans le cadre de laquelle vous n'avez versé aucun document de voyage ou d'identité, votre avocat a versé uniquement les documents suivants :

- Un acte de mariage, accompagné d'une traduction en langue française ;

- une fiche familiale d'état civil, accompagnée d'une traduction en langue française ;

- un acte de naissance, accompagné d'une traduction en langue française ;

- une fiche individuelle d'état civil, accompagnée d'une traduction en langue française.

2. Quant à l'application de la procédure accélérée Je tiens tout d'abord à vous informer que conformément à l'article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale dans le cadre d'une procédure accélérée alors qu'il apparaît que vous tombez sous deux des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

c) « le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité ou sa nationalité, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable. » Monsieur, au moment de l'introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déclaré vous nommer …, être de nationalité syrienne et être né le … à … en Syrie.

Lors du contrôle d'identité effectué par le Service de Police Judiciaire, vous avez expliqué que vous ne disposeriez « ni de passeport, ni de carte d'identité. » (p.2 du rapport du Service de Police Judiciaire).

Toutefois, après vérification de votre téléphone portable, il s'est avéré que vous êtes venu au Luxembourg en utilisant un faux passeport, ce que vous niez en bloc en essayant vainement de justifier que vous auriez voyagé avec un vrai passeport luxembourgeois d'une personne qui vous ressemblerait. Questionné à ce sujet, de toute mauvaise foi, vous avez refusé de donner plus de détails, notamment concernant l'identité de la personne qui vous aurait prêté le passeport ou encore l'identité de la personne qui aurait organisé le voyage.

A cela s'ajoute que, toujours lors de ce même entretien, vous ne cessez de mentir aux agents du Service de la Police Judiciaire lors de la fouille de votre téléphone. En effet, vous expliquez que « arrivé au Luxembourg j'ai appelé mon frère qui est venu me chercher » (p. 2 du rapport d'entretien) mais après que votre téléphone a été vérifié, vous changez de version et dites que votre prétendu frère serait venu vous chercher en République Tchèque. Il en va de même lorsque vous prétendez être arrivé au Luxembourg la veille de ce même entretien et qu'après vérification, les agents du Service de la Police Judiciaire ont découvert sur votre profil « Facebook » que cela faisait déjà au moins trois semaines que vous vous trouviez sur le territoire luxembourgeois (p.3 du rapport du Service de la Police Judiciaire).

En date du 13 mars 2023, lors d'un entretien complémentaire ayant pour but d'avoir plus d'informations sur votre identité ainsi que des explications quant à vos propos discordants, vous continuez, à trois reprises, de nier avoir voyagé avec un passeport en insistant sur le fait que vous auriez voyagé clandestinement, notamment lorsque l'agent en charge de l'entretien vous confronte à nouveau au message de votre téléphone indiquant le contraire, à quoi vous répondez : « Je ne sais pas. Je suis venu clandestinement. » (p.4 du rapport d'entretien complémentaire).

Afin de prouver votre identité et votre nationalité, votre mandataire m'a fait parvenir par courrier du 8 août 2022, soit un mois après l'introduction de votre demande, un prétendu original de votre acte de naissance, un prétendu original d'une fiche familiale d'état civil, un prétendu original de votre acte de mariage ainsi qu'un prétendu original d'une fiche individuelle d'état civil.

Il est néanmoins curieux de constater que vous aviez initialement expliqué au Service de Police Judiciaire ne disposer que de copies de votre acte de naissance et de votre acte de mariage, mais que vous auriez réussi à vous procurer, endéans le court délai d'un mois, les originaux de ces documents ainsi que des originaux d'autres documents dont vous ne disposiez, selon vos propres explications, pas au moment de l'introduction de votre demande, tous les documents munis de traductions assermentées.

Il n'est d'ailleurs pas clair non plus de quelle manière vous auriez obtenu ces documents alors que lors de l'entretien complémentaire du 13 mars 2023 vous expliquez d'abord que votre épouse se serait rendue dans un bureau à Alep avant d'affirmer qu'elle serait allée voir « une personne de confiance » (p.4 du rapport d'entretien complémentaire) que vous ne connaîtriez pas personnellement mais qui vous aurait été recommandée. Vous ajoutez que votre épouse aurait réussi à obtenir ces documents à travers « des personnes qui travaillent dans ça […] ils sont nombreux là-bas. Ce sont des personnes à qui on peut demander des documents. Vous allez là-bas et vous demandez les documents que vous avez besoin et eux ils proposent leurs services » (p.2 du rapport d'entretien complémentaire). De nouveau, vous n'êtes pas clair dans vos propos alors que vous expliquez également que vous ne sauriez pas qui est cette personne ni où se trouve le bureau dans lequel votre femme se serait présentée.

Par courrier du 25 août 2022, lesdits documents ont été transmis à l'Unité de la Police de l'Aéroport - Section Expertise Documents (ci-après désignée « UPA »), pour vérification de leur authenticité. Par courrier du 3 janvier 2023, l'UPA a confirmé que toutes les pièces communiquées constituent des falsifications de sorte que je ne dispose à ce jour d'aucun document qui permettrait d'établir votre identité.

Lors de l'entretien complémentaire du 13 mars 2023, vos explications quant aux documents falsifiés laissent encore à désirer. Vous expliquez que « Ce sont les documents que j'ai réussi à avoir » et que « mon père est opposant et […] notre nom est fiché. Mon père ne voulait pas qu'on aille donner nos empreintes car il savait qu'il était demandé et qu'on risquait des problèmes. » (p.3 du rapport d'entretien) ce qui, évidemment, ne justifie pas le dépôt de faux documents.

Par ailleurs, il échet de relever qu'il existe des contradictions par rapport à votre date de naissance. Alors que selon les propos de votre prétendu frère vous seriez né en … vous avez indiqué lors de l'introduction de votre demande que vous seriez né le …. Confronté à cette incohérence, vous expliquez que « […] C'est ma véritable date de naissance. Vous la voyez sur l'extrait d'état civil » (p.4 du rapport d'entretien complémentaire), document qui s'est avéré être un faux. Ceci vient conforter les doutes quant à votre identité et à vos réelles intentions à Luxembourg.

Enfin, force est de constater que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités en ce qui concerne votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg. D'une part, tel qu'expliqué ci-

dessus, vous avez tenu des propos contradictoires auprès des autorités quant à votre trajet et à votre date d'arrivée au Luxembourg. D'autre part, confronté à l'information que vous vous seriez trouvé en Turquie depuis au moins 2016, vous tentez d'expliquer que vous auriez uniquement été de passage en Turquie en 2022, le temps de trouver un passeur (p.3 du rapport d'entretien complémentaire). Or, vos déclarations sur ce point sont en parfaite contradiction avec celles de votre prétendu frère.

Les doutes quant à votre lieu de séjour avant votre arrivée au Luxembourg sont confortés par le fait que vous restez en défaut de fournir la moindre preuve de votre prétendue vie en Syrie en expliquant vainement que vous auriez vendu votre téléphone en Serbie parce qu'il vous fallait de l'argent (p.4 du rapport d'entretien complémentaire). Cette explication n'est évidemment nullement convaincante alors que de nos jours toute personne a la possibilité de fournir une quelconque preuve de son vécu des dernières années, ce d'autant plus si aviez effectivement vécu ensemble avec votre famille toute votre vie et cela au même endroit. Force est à nouveau de constater que vous tentez de cacher des informations.

Eu égard à ce qui précède, force est de constater que vous tentez manifestement et ostentatoirement d'induire en erreur les autorités luxembourgeoises en mentant, en fournissant de fausses informations et en versant, en toute connaissance de cause, de faux documents, ce qui constitue non seulement un manque de transparence respectivement de collaboration mais aussi une infraction pénale.

Votre comportement parfaitement inapproprié et inacceptable constitue un abus des procédures en matière de protection internationale et il est actuellement tout simplement impossible d'établir votre identité, votre nationalité, votre date de naissance ou encore votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg.

Il est partant clair que vous tentez manifestement de cacher la vérité aux autorités luxembourgeoises afin d'influencer l'issue de votre demande de protection internationale et d'augmenter vos chances de vous voir octroyer un statut de protection internationale.

Finalement, il est évidemment que les autorités luxembourgeoises ne sauraient accorder une protection internationale à une personne qui ment de manière ostentatoire depuis son arrivée et dont on ignore les informations essentielles qui sont les noms et date de naissance respectivement le pays d'origine car aucun élément du dossier ne permet de les établir.

Eu égard à ce qui précède, il échet de relever que vos manœuvres frauduleuses justifient pleinement l'application de la procédure accélérée à votre égard.

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n'a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; » Tel qu'il ressort de l'analyse de votre demande de protection internationale ci-dessous développée, il s'avère que le point a) de l'article 27 se trouve également être d'application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h) de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Par définition, pour se voir octroyer une protection internationale, le demandeur doit établir une crainte fondée d'être persécuté, respectivement de subir une atteinte grave dans son pays d'origine.

Or, Monsieur, et tout en renvoyant aux développements ci-dessus, force est de constater que vous restez en défaut d'établir votre identité, votre nationalité, votre date de naissance et votre vécu avant votre arrivée au Luxembourg et donc a fortiori les raisons qui vous auraient conduit à quitter votre pays d'origine, que vous prétendez être la Syrie.

Vous remettez ostentatoirement de faux documents et fournissez délibérément des informations aux autorités luxembourgeoises afin de tenter de les induire en erreur. Il est évident que vous tentez de cacher des choses, ce qui est inacceptable et ce qui constitue un abus des procédures en matière de protection internationale. En effet, la seule raison qui conduit une personne à mentir sur des informations aussi essentielles que son identité est celle de cacher la vérité, élément qui pourraient conduire les autorités à refuser l'octroi d'une protection internationale. Vous tentez de manière grossière de berner les autorités afin de pouvoir bénéficier d'une protection internationale qui revient aux seules personnes contraintes de quitter leur pays d'origine et se trouvant dans l'impossibilité d'y retourner.

Il est en effet inconcevable que les autorités luxembourgeoises accordent un titre de voyage et un titre de séjour à une personne sur base de faux documents et d'une identité, d'une nationalité et d'une date de naissance qui ne sont pas établies. En effet, le seul fait de prétendre d'être de nationalité syrienne ne saurait pas suffire pour se voir octroyer une protection internationale.

Partant, aucune protection internationale ne vous est accordée. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation 1) de la décision précitée du ministre du 12 mai 2023 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même jour portant rejet de sa demande de protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire.

En application de l’article 35, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le premier juge siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif a, par jugement rendu en date du 21 juin 2023, inscrit sous le numéro 48991 du rôle, jugé que le recours n’est pas manifestement infondé, et a renvoyé l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution- les obiter dicta- ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée.1 De même, le tribunal relève que la recevabilité des recours a été tranchée par le jugement précité du 21 juin 2023.

1 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p.759.

Il convient ensuite de constater qu’il résulte des enseignements de la Cour administrative que : « La Cour estime qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Il est évident qu’en cas d’un débouté de pareille demande, le juge unique doit rejeter tous les moyens présentés par le demandeur. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. » 2.

Il s’ensuit que le tribunal n’examinera plus la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée et limitera par conséquent son analyse au fond du litige, à savoir le rejet de sa demande de protection internationale dans son double volet, ainsi que l’ordre de quitter le territoire.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Il échet de rappeler que le demandeur explique se trouver dans une situation particulière qui serait la genèse de l'imbroglio qui caractériserait son dossier administratif, à savoir que pour des raisons de sécurité, il lui aurait été impossible d'entrer en relation directe avec les autorités administratives syriennes afin de se voir délivrer les documents qui auraient permis d'établir de manière irréfutable son identité de même que sa nationalité. Il donne à considérer à cet égard que les autorités syriennes continueraient de persécuter la communauté sunnite et plus précisément ceux qui par leur comportement manifesteraient une opposition, tel que le demandeur en refusant le service militaire.

Il renvoie à plusieurs rapports internationaux documentant que des personnes retournant en Syrie après avoir déposé des demandes de protection internationale à l’étranger feraient l’objet d’actes de persécution.

A l’appui de son recours, le demandeur critique l’application par le ministre des dispositions des points a) et c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant du point c) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir que cette disposition pourrait être invoquée que pour autant que la preuve qu’il ait menti soit rapportée et que ces mensonges porteraient sur des éléments essentiels de son récit de nature à influer sur la décision à prendre par l'autorité ministérielle.

Il conteste avoir menti aux autorités ministérielles sur des éléments de son dossier à tel point substantiels qu'ils permettraient le recours aux prédites dispositions.

S’il est vrai qu’il aurait changé de version quant au fait que son frère serait venu le chercher en République Tchèque, il n’en resterait pas moins que ce mensonge s’expliquerait par sa volonté de ne pas causer des problèmes à son frère résidant légalement au 2 Cour adm., 11 février 2020, n° 43796C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

Luxembourg, d’autant plus que ce mensonge ne saurait porter à conséquence quant au fond du dossier.

S’agissant du fait qu’il aurait déclaré auprès du service de la police judiciaire être arrivé la veille au Luxembourg, alors qu’il se serait avéré à la suite de la consultation de son profil facebook qu’il serait arrivé trois semaines plus tôt, le demandeur explique qu’il aurait eu besoin de récupérer ses forces à la suite du périple qu’il aurait eu avant d’arriver en Europe.

Ce mensonge resterait encore sans conséquences quant au bien-fondé de sa demande de protection internationale, étant donné que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 préciserait que l'examen d'une demande de protection internationale ne serait ni refusé ni exclu au seul motif que la demande n'a pas été présentée dans les délais les plus brefs.

S’agissant du fait que l’autorité ministérielle a retenu qu’il aurait voyagé avec un faux passeport, Monsieur … soutient qu’il serait venu de manière clandestine en Europe, sans avoir utilisé le passeport vrai ou faux de quiconque.

Quant à son récit relatif à l’acquisition des documents qui se sont avérés être des documents falsifiés, Monsieur … soutient qu’il aurait été dangereux pour un insoumis militaire d’entrer en relation directe avec les autorités syriennes pour obtenir des documents d’état civil, de sorte que son épouse aurait fait appel à un « entremetteur ».

Il soutient qu'après avoir appris que les documents versés par lui étaient falsifiés, il se serait empressé de contacter un avocat syrien afin que ce dernier obtienne pour son compte des documents confirmant son identité.

S’agissant des déclarations de son frère, qui aurait déclaré, lors de l’audition ayant eu lieu dans le cadre de sa propre demande de protection internationale, que son frère serait né en …, alors que lui-même aurait déclaré être né en …, le demandeur explique que manifestement son frère se serait trompé, sans que cette erreur puisse lui être reprochée.

Quant à l’affirmation du ministre selon laquelle il se serait trouvé en Turquie depuis 2016, le demandeur fait valoir que le ministre fonderait son argumentation sur les déclarations de son frère, alors que le ministre nierait toute relation de parenté entre le demandeur et son frère. Monsieur … insiste sur le fait qu’il n’aurait traversé la Turquie qu’en 2022 et explique les propos de son frère par le fait qu’il aurait eu initialement l’intention de se rendre en Turquie en 2016, mais qu’il aurait finalement renoncé à ce projet.

S’agissant de l’absence de preuves lui reprochée par le ministre quant à son vécu en Syrie durant les dernières années, Monsieur … fait valoir que la situation dans la ville d’Alep, dont il serait originaire, serait chaotique, de sorte qu’il lui aurait été impossible de se procurer des éléments de preuve de sa présence.

Le demandeur soutient encore que ce serait à tort que le ministre se serait basé sur le point a) de l’article 27, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 en retenant qu’il n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, étant donné qu’il aurait exposé le risque pour lui de se voir enrôlé dans l’armée syrienne, voire dans l’armée des Kurdes, motifs pouvant être interprétés par les autorités syriennes comme étant l’expression d’une opposition au régime en place.

Il soutient qu’il remplirait les critères pour bénéficier du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire en précisant que les menaces et violences qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d'origine, à l'occasion notamment de sa probable incarcération du fait de son insoumission militaire, seraient à assimiler à un traitement inhumain ou dégradant.

Quant au recours dirigé contre la décision de refus de lui accorder une protection internationale, le demandeur fait valoir que le ministre aurait refusé de lui accorder une protection internationale en se basant exclusivement sur la considération qu'il aurait induit l'autorité ministérielle en erreur sans apprécier ladite demande par rapport aux critères légaux.

Monsieur … soutient qu’il ne saurait lui être reproché d'avoir induit en erreur l'autorité ministérielle, de sorte que le rejet de sa demande de protection internationale pour des motifs tenant exclusivement au fait qu'il aurait menti sur des éléments essentiels de sa demande de protection internationale se heurterait aux dispositions de l'article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015. Il expose que l’autorité ministérielle lui reprocherait implicitement mais nécessairement un manque de crédibilité de son récit et ce sans avoir procédé à une analyse au fond des conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il y aurait dès lors lieu d’annuler la décision déférée et de renvoyer le dossier en prosécution de cause au ministre afin qu’il puisse statuer sur le fond.

Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 12 mai 2023, le demandeur soutient qu’il y aurait lieu d'annuler la décision emportant ordre de quitter le territoire dans son chef.

Le délégué du gouvernement pour sa part conclut au rejet du recours en ses différents volets.

Il rappelle que lors du contrôle d'identité effectué par le service de police judiciaire, Monsieur … aurait expliqué qu'il ne disposerait « ni de passeport, ni de carte d'identité » et qu’après vérification de son téléphone portable, il se serait avéré qu’il serait venu au Luxembourg en utilisant un faux passeport, ce qu'il nierait en bloc en essayant de justifier qu'il aurait voyagé avec un vrai passeport luxembourgeois d'une personne qui lui ressemblerait. Questionné à ce sujet, il aurait refusé de donner plus de détails, notamment concernant l'identité de la personne qui lui aurait prêté le passeport ou encore sur celle de la personne qui aurait organisé le voyage.

A cela s'ajouterait que, toujours lors de ce même entretien, Monsieur … n’aurait cessé de mentir aux agents du service de police judiciaire lors de la fouille de son téléphone en changeant de version par rapport à son arrivée au Luxembourg. Il serait manifeste que le demandeur aurait tenté d'induire en erreur les autorités et qu'il pourrait être attendu d'un demandeur de protection internationale qu'il présente immédiatement une version correcte des faits et ne se perd pas dans des mensonges, comportement qui conduirait à la remise en cause de sa crédibilité.

Le délégué du gouvernement fait valoir qu’il serait « curieux » de constater que Monsieur …, après avoir dans un premier temps expliqué au service de police judiciaire ne disposer que de copies de son acte de naissance et de son acte de mariage, aurait réussi à se procurer, endéans le court délai d'un mois, les originaux de ces documents ainsi que des originaux d'autres documents dont il n’aurait pas disposé au moment de l'introduction de sa demande de protection internationale et ce sans fournir la moindre explication comment il aurait réussi à se procurer lesdits documents.

Il estime également « curieux » le fait par le demandeur de réussir à se faire procurer par le biais de son avocat syrien un nouvel acte de naissance établi le 15 mai 2023 et une nouvelle fiche individuelle d'état civil établie le 15 mai 2023. Il en conclut que l'argumentaire du demandeur relatif à des difficultés de se procurer des documents d'état civil ne serait manifestement pas fondé.

Le délégué du gouvernement observe que le demandeur ne tenterait pas dans sa requête introductive d’instance de justifier le fait qu’il aurait présenté de faux documents mais se bornerait à indiquer qu’il aurait, après avoir été informé qu'il s'agit de documents falsifiés, contacté son avocat syrien pour se faire parvenir de nouveaux documents confirmant son identité. Les originaux de ces nouveaux documents auraient été transmis à I'UPA pour vérification de leur authenticité.

Il fait encore observer que lesdits documents auraient été établis le jour de la notification de la décision ministérielle de refus d’octroi d’une protection internationale.

Il insiste encore sur des contradictions par rapport à la date de naissance indiquée par le demandeur et son prétendu frère selon lequel il serait né en ….

Le délégué du gouvernement rappelle encore la contradiction entre les déclarations du prétendu frère du demandeur ayant déclaré que Monsieur … se serait trouvé en Turquie depuis 2016 et celles du demandeur selon lesquelles il n’aurait été que de passage en Turquie en 2022.

Ainsi, faute d'éléments concrets permettant d'établir son vécu, voire sa date de naissance, aucune crédibilité ne saurait, notamment au regard du fait que Monsieur … aurait tenté d'induire en erreur les autorités luxembourgeoises, être accordée à ses dires.

Les doutes quant à son lieu de séjour avant son arrivée au Luxembourg seraient encore confortés par le fait qu’il resterait en défaut de fournir la moindre preuve de sa prétendue vie en Syrie en expliquant qu'il aurait vendu son téléphone en Serbie au motif qu'il aurait eu besoin d'argent. Il fait valoir dans ce contexte que de nos jours, toute personne aurait la possibilité de fournir une quelconque preuve de son vécu des dernières années, ce d'autant plus s'il avait effectivement vécu ensemble avec sa famille pendant toute sa vie et cela au même endroit.

Quant au renvoi du demandeur aux difficultés de se procurer en Syrie des documents de preuve, le délégué du gouvernement soutient que la famille du demandeur vivrait toujours en Syrie et qu'il n’aurait pas eu de difficultés pour contacter son avocat syrien pour se faire parvenir des copies de documents d'état civil, de sorte qu'il devrait être conclu qu'il pourrait également se faire envoyer des éléments de preuve prouvant son prétendu vécu en Syrie au cours des dernières années.

Le délégué du gouvernement en conclut qu’il serait évident que les autorités luxembourgeoises ne sauraient accorder une protection internationale à une personne qui mentirait de manière ostentatoire depuis son arrivée et dont on ignorerait les informations essentielles, telles que les noms et date de naissance, respectivement le pays d'origine, à défaut de documents les établissant.

Le délégué du gouvernement expose ensuite que ce serait à bon droit que le ministre aurait été amené à remettre en cause la crédibilité générale du récit du demandeur.

Il précise à cet égard que le demandeur resterait en défaut d'établir son identité, sa nationalité, sa date de naissance et son vécu avant son arrivée au Luxembourg et a fortiori les raisons qui l'auraient conduit à quitter son pays d'origine, qu'il prétend être la Syrie.

Il rappelle que le demandeur aurait remis de faux documents et aurait fourni de fausses informations aux autorités luxembourgeoises afin de tenter de les induire en erreur, de sorte qu’il serait évident qu'il tenterait de cacher des choses. En effet, la seule raison qui conduirait une personne à mentir sur des informations aussi essentielles que son identité serait celle de cacher la vérité.

Le délégué du gouvernement soutient qu’il serait inconcevable que les autorités luxembourgeoises accordent un titre de voyage et un titre de séjour à une personne sur base de faux documents et lorsque l'identité, la nationalité et la date de naissance de la personne concernée ne seraient pas établies. En effet, le seul fait de prétendre d'être de nationalité syrienne ne saurait suffire pour se voir octroyer une protection internationale.

En vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2, point g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne l’analyse au fond, il se dégage du libellé de la décision que le ministre a globalement retenu un manque de crédibilité du récit du demandeur affectant ce dernier dans son ensemble. Il appartient dès lors au tribunal d’examiner cette question à titre liminaire.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, cette dernière pouvant notamment être retenue lorsque le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, lorsque tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ou encore lorsque les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et qu’elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande3.

A cet égard, il échet de relever que le ministre a mis en doute la crédibilité générale du récit du demandeur en soutenant qu’il n’aurait pas établi son identité, sa nationalité, sa date de naissance ou son vécu avant son arrivée au Luxembourg en lui reprochant plus particulièrement d’avoir fourni des documents falsifiés et de ne pas avoir fourni de documents prouvant qu’il aurait vécu en Syrie les dernières années. Le ministre s’est dès lors limité au constat que la nationalité du demandeur ne serait pas établie sans procéder à l’analyse des motifs à la base de sa demande de protection internationale, à savoir sa crainte d’être obligé de rejoindre l’armée syrienne.

Il est constant en cause que les documents remis par le demandeur au ministre en date du 8 août 2022 se sont avérés être des documents falsifiés. Or, il ressort du rapport international cité par le délégué du gouvernement qu’il peut arriver qu’un demandeur de documents officiels en Syrie n’est pas au courant du fait que ses documents sont des faux4, de sorte que le fait que les documents remis par l’intermédiaire du litismandataire du demandeur en date du 8 août 2022 se sont révélés être des faux n’est pas de nature à exclure ipso facto qu’il serait de nationalité syrienne, d’autant plus qu’il ressort de la déclaration sur l’honneur de Monsieur …, lui-même de manière non contestée de nationalité syrienne, qu’il serait le frère du demandeur, étant rappelé à cet égard que les preuves fournies par le demandeur ou par des amis ou des parents de celui-ci sont cruciales en l’absence de documents pertinents, mais aussi lorsque les documents produits ne sont pas authentiques ou ont été falsifiés5.

Si la partie gouvernementale émet des doutes quant à la réalité de ce lien familial en soulignant que le demandeur aurait indiqué lors de son audition auprès du ministère que son frère porterait le prénom de « Omran », alors que la personne prétendant être son frère serait dénommée « … », et que « selon les propos de [son] prétendu frère [le demandeur serait] né en … », alors qu’au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale il aurait indiqué être né le …, il n’en reste pas moins que, d’un côté, Monsieur …, dont la date de naissance correspond à celle indiquée par le demandeur lors de son audition auprès du ministère, déclare être appelé « Omran » par ses connaissances, étant donné qu’il n’aurait « jamais accepté [s]on prénom … », et, d’un autre côté, même si Monsieur … a déclaré à un 3 Voir art. 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015.

4 Ministère des affaires étrangères néerlandais “Country of origin information report Syria”, mai 2022:

« Multiple sources reported that documents can be obtained through bribery in a manner inconsistent with the legal requirements. The use of forged or falsified documents is common in Syria, for documents ranging from identity documents to powers of attorney, education-related documents and driving licences. People generally use such documents out of desperation. Moreover, citizens are not always aware that their documents are false.

People sometimes make use of an intermediary, popularly called a samasira, who arranges documents for them.

The customer may knowingly request fraudulent documents, but it is also possible that a customer does not know whether an officially issued document has been subsequently falsified. Citizens are at great personal risk if their documents are found to be false. ».

5 EUAA, Analyse juridique, « Evaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », p. 134.

moment que son frère serait né en …, ce que le tribunal n’est en tout état de cause pas en mesure de vérifier, à défaut par la partie gouvernementale d’avoir soumis à son appréciation une preuve tangible à la base de cette allégation, cet élément n’est pas non plus suffisant pour conclure à une absence de lien familial, dans la mesure où il n’est pas inconcevable que des membres d’une même famille ne se rappellent pas des dates de naissance de leurs siens surtout si, tel qu’en l’espèce, une fratrie de 8 personnes est en cause.

Il échet encore - et surtout - de constater qu’il ressort du rapport de l’Unité de la police de l’Aéroport – service expertise de documents du 7 juin 2023 que l’acte de naissance ainsi que la fiche individuelle de l’état civil établis en date du 7 mai 2023 en Syrie et soumis au ministre en date du 2 juin 2023 sont des documents authentiques.

Si certes, tel que soulevé à bon escient par le délégué du gouvernement tant à l’audience des plaidoiries du 14 juin qu’à celle du 20 septembre 2023, il ne s’agit pas de documents d’identité et de voyage, il n’en reste pas moins qu’ils constituent néanmoins un indice important dans le cadre de la détermination de la nationalité de Monsieur ….

Ce constat n’est pas ébranlé ni par l’affirmation du délégué du gouvernement lors de l’audience des plaidoiries selon laquelle lesdits documents seraient très probablement des « vrais faux », à savoir des documents établis sur du papier authentique mais contenant de fausses informations, ni par celle aux termes de laquelle il y aurait des contradictions par rapport au séjour du demandeur en Turquie, étant donné que, d’un côté, le demandeur a apporté des précisions utiles lors de la procédure contentieuse sur les doutes soulevés par le ministre quant aux documents remis, et, d’un autre côté, cette information n’est en tout état de cause pas de nature à remettre en cause la nationalité syrienne du demandeur.

En effet, dans le cadre de l’exigence par rapport aux documents dont il peut être raisonnablement attendu par un demandeur de protection internationale qu’il soit en mesure de les obtenir, il appartient au tribunal de prendre en compte les circonstances individuelles et contextuelles du demandeur, et notamment les circonstances dans le pays d’origine, sans que cette évaluation soit dénaturée par des hypothèses déraisonnables ou des idées préconçues concernant la question de savoir quels documents devraient être disponibles6.

S’il est constant en cause que le demandeur a menti par rapport à sa venue au Luxembourg en indiquant, dans un premier temps, être arrivé la veille de l’introduction de sa demande de protection internationale et en soutenant, dans un deuxième temps, être venu trois semaines auparavant, le tribunal constate cependant que le demandeur a avoué cette contrevérité dès l’entretien auprès de la police judiciaire et a précisé lors de la procédure contentieuse qu’il avait menti dans l’unique but de ne pas créer des problèmes à son frère, ce qui s’explique encore tant par sa méfiance par rapport aux autorités que par son état psychologique fragilisé, tel qu’il résulte d’un courrier électronique d’un psychologue de la Croix-Rouge du 9 juin 2023.

Le tribunal est par conséquent amené à retenir comme crédible l’affirmation du demandeur qu’il est de nationalité syrienne, en raison des éléments qui rendent cohérente et plausible cette affirmation.

6 EUAA, Analyse juridique, « Evaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen commun », p. 54.

Ainsi, et sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, il y a lieu de réformer la décision ministérielle sous analyse, en ce qu’elle a retenu un défaut de crédibilité du demandeur en ce qui concerne la nationalité syrienne de ce denier, étant relevé à cet égard que, dans le cadre de l’examen de la demande de protection internationale lui soumise par le demandeur, le ministre s’est en effet arrêté à cette première étape, relative à l’évaluation de la crédibilité de la nationalité du demandeur, et ne s’est prononcé ni sur la crédibilité des autres éléments de son récit ni sur le caractère fondé de la crainte de persécution ou du risque de subir des atteintes graves invoqués par le demandeur, de sorte qu’il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler la décision déférée et de renvoyer l’affaire devant le ministre en vue de l’examen, le cas échéant, de la crédibilité des motifs à la base de la demande de protection internationale du demandeur, et d’un examen au fond de la demande de protection internationale de ce dernier.

2) Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait être réformé comme conséquence de la réformation du refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait du rejet de la demande de protection internationale sous examen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à tort que le ministre a mis en doute la crédibilité du demandeur en ce qui concerne la nationalité de ce dernier et que la décision de refus du statut de la protection internationale est à annuler en conséquence, il y a lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision ministérielle déférée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi par le jugement du 21 juin 2023, inscrit sous le numéro 48991 du rôle, rendu par le premier juge, siégeant en remplacement du vice-président présidant la première chambre du tribunal administratif ;

vidant le jugement du 21 juin 2023 ;

déclare justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 12 mai 2023 portant refus d’octroi d’une protection internationale ;

partant annule, dans le cadre du recours en réformation, la décision ministérielle du 12 mai 2023 portant refus d’une protection internationale ;

déclare le recours justifié en ce qu’il est dirigé contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision 12 mai 2023 ;

partant annule, dans le cadre du recours en réformation, l’ordre de quitter le territoire contenu dans la décision du 12 mai 2023 ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 22 novembre 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 48991a
Date de la décision : 22/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-22;48991a ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award