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20/11/2023 | LUXEMBOURG | N°49682

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 novembre 2023, 49682


Tribunal administratif N° 49682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49682 2e chambre Inscrit le 10 novembre 2023 Audience publique du 20 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49682 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 par Maître Pierre-Marc Knaff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg

, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … en Tunisie et être de nationalité tun...

Tribunal administratif N° 49682 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49682 2e chambre Inscrit le 10 novembre 2023 Audience publique du 20 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49682 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023 par Maître Pierre-Marc Knaff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … en Tunisie et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 novembre 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 novembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Melissa Dias, en remplacement de Maître Pierre-Marc Knaff et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat de …, du 3 août 2023, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre et qu’à cette occasion, il ne put présenter de documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 3 août 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé à cette même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

1 Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 3 août 2023 établi par la Police grand-ducale ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par arrêté du 30 août 2023, notifié à l’intéressé le 1er septembre 2023, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 3 septembre 2023.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … en date du 12 septembre 2023, contre ledit arrêté ministériel du 30 août 2023, fut rejeté pour ne pas être fondé par un jugement du tribunal administratif du 20 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49412 du rôle.

Par arrêté du 2 octobre 2023, notifié à l’intéressé le 3 octobre 2023, le ministre prorogea une deuxième fois la mesure de placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à compter de la notification dudit arrêté.

Le recours contentieux introduit par Monsieur … en date du 13 octobre 2023, contre ledit arrêté ministériel du 2 octobre 2023, fut rejeté pour ne pas être fondé par un jugement du tribunal administratif du 18 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49563 du rôle.

Par arrêté du 2 novembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea une troisième fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 3 août, 30 août et 2 octobre 2023, notifiés le 3 août, le 1er septembre avec effet au 3 septembre et le 3 octobre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 3 août 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 2novembre 2023.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur donne à considérer qu’il serait … enregistré depuis le 24 février 2023 à …, Ile de France, pour la période 2022 à 2023. Il résiderait ainsi en France auprès de sa cousine, à l’adresse F-…, laquelle déclarerait le prendre en charge ainsi que subvenir à ses besoins pendant toute la durée de son séjour en France. Il précise encore qu’il se serait rendu au Luxembourg en août 2023 pour rencontrer un entraîneur afin de discuter des modalités, pour l’intégration d’… luxembourgeois.

En droit, le demandeur se prévaut, en premier lieu, de l’article 125 de la loi du 29 août 2008, transposant la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par la « directive 2008/115/CE », laquelle consacrerait, en son article 15, le principe suivant lequel un placement en rétention ne saurait intervenir si « d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives » peuvent être appliquées, ce qui obligerait les autorités des Etats membres à rechercher d’abord d’autres moyens moins coercitifs pour garantir l’éloignement d’un ressortissant en séjour irrégulier avant de pouvoir prendre une mesure de placement en rétention à son égard. Il reproche dans ce contexte aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir respecté ce principe de la subsidiarité du placement en rétention lorsqu’elles ont pris la décision litigieuse en n’envisageant aucune des trois mesures moins coercitives prévues à l’article 125 de la loi du 29 août 2008 comme alternative à son placement « en détention ».

Il estime qu’une obligation de se présenter régulièrement à des intervalles fixés par le ministre auprès d’un service donné serait envisageable dans son cas.

Par ailleurs, il préconise encore une assignation au domicile de Madame …, épouse …, demeurant à F-…, afin de s’assurer qu’il ne « se déroberait pas aux mains des autorités luxembourgeoises ».

Enfin, il donne à considérer qu’il serait également disposé à fournir une garantie financière d’un montant de 5.000 euros afin de garantir son maintien sur le territoire luxembourgeois.

Au vu de ces considérations, ce serait dès lors à tort que le ministre a opté pour une mesure de placement en rétention alors qu’il remplirait toutes les conditions pour bénéficier d’une mesure alternative moins coercitive et qu’il présenterait des garanties de représentations effectives au Luxembourg.

Le demandeur conteste, en deuxième lieu, tout risque de fuite dans son chef. Il fait valoir à cet égard que sa vie affective et sociale serait établie en France et qu’il résiderait à quelques kilomètres de la frontière luxembourgeoise au domicile de sa cousine. Il réitère ainsi n’avoir nullement l’intention « de se dérober aux mains des autorités luxembourgeoises »,mais avoir, au contraire, le profond souhait de régulariser sa situation en France afin de pouvoir intégrer ….

Finalement, le demandeur critique les démarches entreprises par l’autorité ministérielle en vue de préparer son éloignement.

Tout en se référant à un jugement du tribunal administratif du 18 décembre 2019, inscrit sous le numéro 43884 du rôle, il soutient qu’il aurait été placé au Centre de rétention depuis le mois d’août 2023 et que les mesures prises en vue de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement seraient quasi-inexistantes. Il fait valoir que la mesure de rétention devrait être exceptionnelle et de la plus courte durée possible tout en soulignant que les retards ne lui seraient pas imputables du fait qu’il aurait coopéré avec les autorités.

Il conclut que les démarches effectuées depuis le mois d’août 2023 auprès des autorités étrangères seraient inefficaces et insuffisantes en vue de garantir son éloignement rapide et afin d’écourter au maximum la durée de la privation de sa liberté, tout en se prévalant à ce sujet des articles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH », et 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », de même que d’une jurisprudence y relative de la Cour européenne des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », Khlaifia et autres c. Italie, n° 16483/12.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

A titre liminaire, il convient de préciser que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

Il échet d’abord de relever qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

S’agissant tout d’abord des contestations du demandeur quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, il y a lieu de relever, à l’instar de ce qui avait été retenu dans les jugements précités des 20 septembre et 18 octobre 2023, qu’il est constant en cause pour se dégager du dossier administratif que le demandeur est en séjour irrégulier d’une durée de cinq ans au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, ainsi qu’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire ont été prises à son encontre le 3 août 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Force est encore de retenir que le demandeur omet toujours de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption du risque de fuite existant dans son chef.

Au contraire, l’argumentation du demandeur selon laquelle il souhaiterait regagner la France pour y régulariser sa situation administrative est tout au plus de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef, alors que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement, soit en l’occurrence à la mainmise des autorités luxembourgeoises. Il s’ensuit que la circonstance selon laquelle il souhaite pouvoir intégrer … en France, ne saurait avoir la moindre pertinence dans le cadre de l’évaluation du risque de fuite du demandeur, sauf à conforter un tel risque alors qu’un retour en France serait de nature à soustraire le demandeur à la mainmise des autorités luxembourgeoises. En tout état de cause, il ressort des éléments du dossier administratif, et plus particulièrement du résultat de la recherche effectuée auprès du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en date du 3 août 2023, que les autorités françaises ont indiqué, à propos de Monsieur …, que cette personne était inconnue de leurs fichiers, - bases judiciaires, SIS -, et qu’une tentative de vérification par le biais du logiciel de reconnaissance faciale à partir des photos anthropométriques communiquées dans la demande d’identification avait été en vaine, en ajoutant qu’aucun véhicule n’était immatriculé en France sous cette identité. Ainsi, l’affirmation de Monsieur … selon laquelle il serait … enregistré à …, Ile de France depuis le 24 février 2023, reste à l’état de pure allégation, une simple capture d’écran mentionnant son nom et un numéro de …, sans indiquer la moindre source de provenance, ne saurait être suffisante pour contredire les éléments du dossier, et ce d’autant plus qu’un tel certificat ne démontre pas que Monsieur … dispose d’un droit légal de se rendre sur le territoire français.

Les autorités allemandes ont, quant à elles, répondu que Monsieur … est registré sous le nom « … » et qu’il est recherché par le parquet de Saarbrücken pour entrée illicite sur le territoire, de sorte qu’il est établie qu’il s’est trouvé sans droit légal sur ledit territoire en 2023, et ce contrairement à ses déclarations faites dans le cadre de la vérification de son identité auprès de la police grand-ducale en date du 3 août 2023, selon lesquelles il disposerait d’un visa en Allemagne.

Au vu de ces considérations, le moyen ayant trait à une absence de risque de fuite dans le chef du demandeur encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant au reproche du demandeur suivant lequel le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, il échet de rappeler que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après 6 remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le demandeur reste toujours en défaut de soumettre au tribunal des éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. A cet égard, il convient de relever qu’il est constant en cause qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, ni d’une quelconque autre attache dans ce même pays.

Il n’a, par ailleurs, présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose, 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.alors qu’au contraire, tel que retenu ci-avant, l’argumentation du demandeur a tout au plus pour effet de corroborer le risque de fuite existant dans son chef.

Afin d’être tout à fait complet, le tribunal relève que la proposition de Monsieur … de déposer une garantie financière ne saurait suffire à cet égard étant relevé qu’à défaut d’un passeport ou de tout autre document justificatif de son identité en cours de validité, l’obligation de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui au sens du point a) de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne saurait en tout état de cause être appliquée en l’espèce. De même, une assignation à résidence ne peut se limiter qu’au territoire luxembourgeois, de sorte que l’assignation au domicile de Madame …, épouse …, situé en France ne saurait en tout état de cause être envisagée.

Quant à la référence faite, dans ce contexte, par le demandeur à l’article 15 de la directive 2008/115/CE, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection entretemps abrogée par la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et si l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte2.

Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter, en ce compris celles tenant à une prétendue disproportion de la prorogation de sa mesure de placement en rétention.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré par les articles 5 de la CEDH et 6 de la Charte, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH, corollaire de l’article 6 de la Charte : « 1.

Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

2 Trib. adm., 9 octobre 2003, n° 15375 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 89 et les autres références y citées.Il ressort du libellé de l’article 5 (1) f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays3. Dans un arrêt4 du 15 décembre 2015, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

Etant donné (i) que le demandeur a fait l’objet le 3 août 2023 d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans, et (ii) qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH, respectivement l’article 6 de la Charte, de sorte que le moyen y relatif est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a relevé dans ses jugements précités des 20 septembre et 18 octobre 2023 que les autorités ministérielles avaient accompli les démarches en vue de l’identification et de l’éloignement subséquent de Monsieur … avec la diligence légalement requise.

En effet, dans le jugement précité du 20 septembre 2023, le tribunal a retenu que dès le lendemain du placement en rétention du demandeur, les autorités compétentes avaient relevé ses empreintes digitales et avaient effectué une recherche dans la base de données EURODAC aux fins de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membre par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, recherches restées infructueuses pour ne pas avoir donné lieu à un « hit ». En outre, en date du 7 août 2023, les autorités luxembourgeoises s’étaient adressées au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles, en vue de la délivrance d’un laissez-passer et de l’identification du demandeur, tout en y joignant une photo d’identité et un jeu d’empreintes digitales de ce dernier, lesdites autorités consulaires tunisiennes ayant été relancées, à défaut de réponse, à deux reprises en date des 28 août et 11 septembre 2023.

Ensuite, dans son jugement du 18 octobre 2023, le tribunal a relevé que par courrier électronique du 25 septembre 2023, un agent ministériel luxembourgeois s’était adressé au Consulat Général de Tunisie à Bruxelles pour se renseigner sur l’état d’avancement de la procédure d’identification du demandeur. Une relance avait encore été envoyée par courrier électronique du 10 octobre 2023. Enfin, une note au dossier administratif renseignait qu’en date du 12 octobre 2023 un agent ministériel luxembourgeois avait contacté les autorités consulaires tunisiennes par téléphone et que Madame la Consule lui avait confirmé que « Le dossier de Monsieur … est toujours en cours d’instruction. ».

3 Trib. adm., 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

4 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis lors, il se dégage du dossier administratif que par courriers électroniques des 26 octobre et 9 novembre 2023, l’agent en charge du dossier au sein de la direction de l’Immigration s’est enquis de l’état d’avancement du dossier de Monsieur …, courriers électroniques restés cependant sans réponse à ce jour.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères – étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes – que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 20 novembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49682
Date de la décision : 20/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-20;49682 ?

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