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20/11/2023 | LUXEMBOURG | N°46541

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 novembre 2023, 46541


Tribunal administratif Numéro 46541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46541 2e chambre Inscrit le 7 octobre 2021 Audience publique du 20 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46541 du rôle et déposée le 7 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Alexandre Chateaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi

eur …, demeurant à L-… tendant principalement à la réformation et subsidiairement à...

Tribunal administratif Numéro 46541 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46541 2e chambre Inscrit le 7 octobre 2021 Audience publique du 20 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46541 du rôle et déposée le 7 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Alexandre Chateaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-… tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du directeur de l’ACD du 7 juillet 2021 ayant rejeté sa réclamation introduite contre le bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition le 8 octobre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alexandre Chateaux et Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 mai 2023.

En date du 8 octobre 2020, le bureau d’imposition RTS Luxembourg … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») sur le fondement du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, dénommée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur … en sa qualité de directeur de la société anonyme “A” S.A., ci-après désignée par la « société “A” », entretemps déclarée en faillite par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du 1er mars 2021, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de … euros dont … euros en principal et … euros en intérêts de retard, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires qui aurait dû être retenu et continué à l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’ « administration », par la société “A” pour les années d’imposition 2019 et 2020.

Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société “A” S.A. ayant son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Luxembourg Business Registers sous le numéro … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :

1Années Principal Intérêts Total 2019 … € … € … € 2020 … € … € … € 2013 77 114,80 € 30 385,90 € 2 364,10 € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Luxembourg Business Registers sous la référence … du 04.07.2019 que vous avez été nommé directeur de la société “A” S.A..

En cette qualité vous avez le pouvoir d’engager la société sous signature conjointe depuis le 05.05.2019.

En votre qualité de directeur vous êtes en charge de la gestion de la société “A” S.A..

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société “A” S.A., à l’aide des fonds administrés.

En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société “A” S.A. il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2019 à 2020 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société “A” S.A..

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société “A” S.A. les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

2 Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Années Principal Intérêts Total 2019 … € … € … € 2020 … € … € … € 2013 77 114,80 € 30 385,90 € 2 364,10 € TOTAL … € … € … € Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société “A” S.A..

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … € Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constitué codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société “A” S.A. j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg. […] ».

Par courrier recommandé de son litismandataire daté du 23 novembre 2020, réceptionné pour l’administration le 26 novembre 2020, Monsieur … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration, ci-après désigné par le « directeur », contre le prédit bulletin d’appel en garantie émis le 8 octobre 2020.

Par décision du 7 juillet 2021, répertoriée sous le numéro du rôle …, le directeur reçut la réclamation de Monsieur … en la forme mais la rejeta comme étant non fondée dans les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite le 24 novembre 2020 par Me Alexandre Chateaux, au nom du sieur …, demeurant à L-…, pour réclamer contre le bulletin d’appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition RTS Luxembourg 1 en date du 8 octobre 2020;

Vu le dossier fiscal ;

3 Vu le § 119, alinéa ter AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO) dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 245 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le bulletin attaqué a déclaré le réclamant codébiteur solidaire de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2019 et 2020, y compris les intérêts accumulés depuis lors, au motif qu'il aurait en sa qualité de représentant légal de la société anonyme “A”, entretemps en faillite, commis une faute en ne veillant pas à ce que soient payées au receveur des Contributions, sur les fonds administrés, les sommes qui ont été retenues ou qui auraient dû être retenues à titre d’impôt sur les salaires, et dont la société était redevable au moment de l'émission du bulletin d'appel en garantie litigieux ;

Considérant, à titre liminaire tout comme en matière de principe, que le représentant d’une personne morale est responsable du paiement des dettes d’impôt de la personne morale qu’il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ; qu’aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable (CE du 20 octobre 1981, n° 6902) ;

Considérant dès lors que dans la mesure où le représentant, par l’inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l’impôt légalement dû, il est, en principe, constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité du représentant est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l’administration ;

Considérant qu’il s’avère nécessaire dans ce contexte de mettre en exergue qu’en matière de responsabilité du fait personnel (article 1382 du code civil), l’auteur du dommage ne peut pas s’exonérer en invoquant une prétendue faute d’un tiers, lequel n’entrera en ligne de compte qu’au stade du recours entre les coresponsables ; que le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s’opposer à une poursuite au motif qu’elle n’a pas été engagée contre un autre, quod non en l’espèce, étant donné que trois autres bulletins d'appel en garantie ont été émis à l’encontre de la dame … et des sieurs … et … ;

Considérant, matériellement, qu’en vertu de l'article 136, alinéa 4 de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) l’employeur est tenu de retenir, de déclarer et de verser l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel ; que dans le cas d’une société, cette obligation incombant aux employeurs est transmise à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers (§ 103 A0); que la responsabilité de l’administrateur, voire du gérant, selon le cas, est à qualifier de fautive du moment que des paiements de salaires sont effectués sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l'administration (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle) ; qu’il en est de même en ce qui concerne les retenues échues avant son entrée en fonction, si, par sa faute, elles ne sont pas payées sur les fonds disponibles de la société ;

Considérant que sous l’empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait et en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG) une appréciation effective et explicite des 4circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH du 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH du 24 novembre 1961, BStBI. 1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG Anm.

5 Abs. 3) ; que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe même de la mise en oeuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant (« Vertreter ») d’une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109, alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (Cour administrative du 22 février 2000, n° 11694C du rôle) ;

Considérant que la responsabilité du représentant est cependant à qualifier de fautive du moment qu’il n’accomplit pas ses obligations fiscales, dont notamment celle de veiller à ce que les impôts dus soient payés, même ceux datant d’avant son entrée en fonction, à l’aide des fonds administrés ; que cette dernière prémisse l’emporte, le cas échéant, ainsi de plein droit sur la situation telle qu’elle s'est présentée durant les années antérieures ;

Considérant dans ce contexte, et notamment d’après une jurisprudence constante, que le paiement de salaires sans retenue d'impôt et sans continuation des montants à retenir à l’administration des contributions directes est à qualifier de fautif per se (Cour administrative du 6 mai 2003, n° 15989C du rôle ; Cour administrative du 6 janvier 2011, n° 27126C du rôle ; Tribunal administratif du 15 janvier 2009, n° 24145 du rôle) ;

Considérant encore qu'en ce qui concerne la notion de l’inexécution fautive, à savoir de la « schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter des Steuerpflichtigen » au sens du § 109, alinéa 1er AO, que la Cour administrative a consigné que :

1) « Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l'omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif.

(…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d'impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d'inexécution fautive des obligations du représentant d'une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d'impôt visées dans le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée 5par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d'après les éléments du dossier, qu’il n'est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (Cour administrative du 23 août 2016, n° 38378C), et que :

2) « Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l'obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l'attitude que l'on peut attendre d'une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d'administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d'imposition et qu'il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d'appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (Cour administrative du 31 janvier 2017, n° 38343C) ;

Considérant que suivant le Registre de commerce et des sociétés (RCS), le réclamant a été nommé directeur de la société “A” en date du 5 mai 2019 ; qu'aucune démission ni révocation de son poste n’ont été publiées jusqu’au jugement déclaratif de faillite en date 1er mars 2021 ;

Considérant que le réclamant a été occupé en tant que salarié de la société “A” du 19 mars 2019 au 30 septembre 2020 ; qu'il affirme avoir été engagé en tant que directeur technique de la société “A” par le biais d'un contrat de travail sans néanmoins avoir reçu « la délégation d'un quelconque pouvoir de gestion » ; qu'il « n’a[urait] jamais été administrateur de son employeur et n’a[urait] jamais exercé aucune responsabilité similaire pour la société “A” S.A. » ; qu’il « n’a[urait] jamais eu le pouvoir d’engager la société sous signature conjointe, ni sous signature individuelle d'ailleurs » ;

Considérant que le réclamant affirme « ignorer qui est ou a été le titulaire de l'autorisation d'établissement de son employeur » ; qu’il résulte néanmoins de l’instruction menée par l’instance contentieuse que pendant la période du 5 mai 2019 au 27 octobre 2020, le réclamant a été le détenteur de l’autorisation d’établissement n° …, émise au nom de la 6société “A”, en sa qualité d’ « entrepreneur de construction et de génie civil » ; que cette autorisation n’a été annulée qu’en date du 27 octobre 2020 suite à la demande de cessation d'activité du réclamant en sa qualité de dirigeant ;

Considérant que l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales est réglementé par la loi du 2 septembre 2011 ainsi que les règlements grand-ducaux d’exécution y afférents ; qu’une des conditions pour l’obtention et le maintien d’une autorisation d’établissement est que le demandeur, en l’espèce le réclamant, assure personnellement et de manière régulière la gestion et la direction journalière effective de l’entreprise (article 4, numéro 2 de la loi du 2 septembre 2011), ce qui est d’ailleurs explicité au cours de la procédure pour obtenir une autorisation d’établissement ainsi que rappelé sur les documents officiels envoyés par le Ministère compétent à l’attention du demandeur ;

Considérant que le représentant qui, tel que le réclamant, a accepté sa fonction ne peut, en matière d'appel en garantie, se contenter de contester son pouvoir ; qu’en n’exécutant pas les obligations légales de la société ou en ne veillant pas à leur accomplissement, le représentant manque à son premier devoir, celui d’administrer (Tribunal administratif du 19 mars 2014, n° 32140 du rôle) ;

Considérant ensuite que le fait d’accepter un poste d’administrateur à titre de complaisance pour avoir le nombre d’administrateurs requis dans les statuts sans exercer réellement les missions de surveillance liées à cette fonction est caractéristique d’un comportement fautif (Tribunal administratif du 12 novembre 2019, n° 41711 du rôle) ; qu’il en est de même lorsqu’on accepte un poste de directeur à titre de complaisance pour permettre à la société d’obtenir une autorisation d'établissement ; que le recours à une personne interposée ou l’intervention comme personne interposée dans le cadre de la direction d’une entreprise soumise à la loi du 2 septembre 2011 constitue d’office un manquement qui affecte l’honorabilité professionnelle du dirigeant (article 6, alinéa (4), lettre a) de la loi du 2 septembre 2011) ;

Considérant qu’il découle de tout ce qui précède que c’est à tort que le réclamant estime sa responsabilité personnelle ne pas devoir être engagée ; que la mise à charge des arriérés de la société anonyme “A”, en faillite, au titre de la retenue d’impôt sur les traitements et salaires des années 2019 et 2020, ainsi que les intérêts de retard y relatifs, est donc parfaitement justifiée en ce qui le concerne ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

En date du 15 juillet 2021, le bureau d’imposition émit un deuxième bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu des paragraphes 103 et 118 AO à l’encontre de Monsieur …, en sa qualité de directeur et de représentant de la société “A”, déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de … € en principal aux titres de l’impôt sur les traitements et salaires.

I. Quant à la recevabilité du recours 7Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 octobre 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale précitée du 7 juillet 2021.

Conformément aux dispositions du paragraphe 119 AO, la personne à l’encontre de laquelle un bulletin d’appel en garantie a été émis, bénéficie des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable, débiteur principal.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition.

Il s’ensuit que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en date du 7 octobre 2021 par Monsieur … à l’encontre de la décision directoriale précitée du 7 juillet 2021 ayant rejeté comme non fondée sa réclamation, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

II. Quant au fond Argumentation des parties Dans sa requête introductive d’instance, le demandeur, après avoir repris les faits et rétroactes relatés ci-avant, explique à titre principal qu’en date du 15 juillet 2021, le bureau d’imposition aurait émis un second bulletin d’appel en garantie à son encontre pour un montant de … euros, sans précision des mois exacts concernés par les retenues sur salaires non reversées.

Il en conclut que ce deuxième bulletin d’appel en garantie serait à substituer intégralement au bulletin d’appel en garantie du 8 octobre 2020, qui serait, dès lors, à considérer comme nul et non avenu.

A titre subsidiaire, le demandeur conteste d’abord la capacité de l’administration d’agir par voie de bulletin d’appel en garantie, alors que la société “A” n’aurait été ni en état de faillite, ni en état de liquidation au jour de l’établissement du bulletin d’appel en garantie le 8 octobre 2020. L’administration aurait dû, selon lui, agir en premier lieu contre le débiteur principal et se retourner contre lui seulement dans l’hypothèse où ledit débiteur principal n’aurait pas été en mesure de solder sa dette, de sorte que l’administration aurait été en droit d’agir contre lui uniquement dans le cas où le passif indiqué n’aurait pas pu être recouvert auprès de la société “A” sur l’actif de la faillite après clôture. Il précise que la faillite de la société “A”, postérieurement à l’émission du bulletin d’appel en garantie du 8 octobre 2020, ne changerait rien à ce raisonnement et ne devrait pas avoir pour effet de le rendre légal.

Ensuite, le demandeur souligne avoir été engagé en tant que directeur par un contrat de travail, de sorte qu’il aurait obligatoirement été soumis à l’autorité de son employeur, la société “A”, représentée par son conseil d’administration, par un lien de subordination réel et incontestable.

8Ce conseil d’administration aurait mis, en date du 23 juillet 2020, un terme à son contrat de travail concernant ses fonctions de directeur avec une dispense de travail, de sorte que si sa fonction réelle avait été exécutive, seule l’assemblée générale de la société “A” aurait été compétente pour le révoquer et non pas le licencier. Il en conclut que les administrateurs de ladite société l’auraient considéré comme étant un simple salarié et non pas comme un dirigeant. En citant l’article 13 des statuts coordonnés de la société “A”, il souligne que son contrat de travail n’aurait emporté aucun pouvoir de gestion à son égard et qu’il n’aurait jamais exercé aucune responsabilité similaire à celle d’un administrateur pour la société “A”, n’ayant jamais eu le pouvoir d’engager la société sous signature conjointe, ni sous signature individuelle.

Considérant le bulletin d’appel en garantie émis en date du 15 juillet 2021, il évoque que les montants réclamés se rapporteraient manifestement aux derniers mois de l’exercice de l’année 2020, tant au vu de leur quantum, qu’au vu de l’absence d’intérêts computés, de sorte qu’il n’aurait aucun lien avec cette dette fiscale née postérieurement à son licenciement le 23 juillet 2020.

En troisième lieu, le demandeur soutient qu’il n’aurait été en mesure de prester son travail en tant que directeur qu’entre le 5 mai 2019 et le 7 novembre 2019, alors qu’il aurait ensuite été incapable de se présenter physiquement à son travail tel que le démontreraient les certificats médicaux versés en l’espèce. A partir du 7 novembre 2019 et jusqu’à la fin de son préavis, il n’aurait, en raison de son état de santé, presté aucun travail pour son employeur, de sorte qu’il ne saurait être tenu responsable d’un quelconque manquement au-delà des six mois qu’il aurait effectivement travaillé pour le compte de son employeur en 2019. Il en conclut qu’il y aurait à tout le moins lieu de réduire les montants réclamés à la seule période pendant laquelle il était effectivement présent dans l’entreprise. Considérant encore le bulletin d’appel en garantie émis en date du 15 juillet 2021, le demandeur souligne que les montants réclamés se rapporteraient à l’exercice de l’année 2020, pour lequel il n’aurait médicalement pas été en mesure de travailler pour la société “A”.

Le demandeur expose encore que la décision directoriale litigieuse lui causerait grief alors qu’elle ne serait pas motivée à suffisance, en prenant en considération sa situation spécifique et qu’elle méconnaitrait l’exigence d’une faute de sa part, ce qui serait pourtant exigé par la loi. En effet, il explique que le seul fait d’être directeur et le fait que des retenues n’aient pas été versées ne suffirait pas à engager sa responsabilité en qualité d’administrateur, alors qu’il n’aurait jamais exercé cette fonction. Il ajoute que la décision litigieuse confondrait la notion de faute et de dommage en aboutissant en pratique à lui consacrer une responsabilité sans faute, alors qu’elle n’examinerait pas s’il lui avait été possible de procéder au versement desdites retenues et d’éviter la survenance du dommage.

Selon le paragraphe 118 AO, la poursuite du tiers responsable, à la différence de l’imposition du contribuable serait, selon le demandeur, toujours discrétionnaire et exigerait de ce fait et en vertu du §2 de la loi modifiée d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après désignée par « StAnpG », une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifieraient la décision en raison et en équité. Ce pouvoir discrétionnaire impliquerait une motivation quant au principe-même de la mise en œuvre de la responsabilité d’un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité serait engagée et quant au quantum de sa responsabilité. Dans ce contexte, le demandeur explique qu’un manquement fiscal découlant du paragraphe 103 AO, même dans le chef de l’administrateur-délégué d’une société, ce qu’il n’aurait d’ailleurs jamais été alors 9qu’il n’aurait jamais fait partie du conseil d’administration de la société “A”, ne serait pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du paragraphe 109 alinéa 1er AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive des obligations du représentant de la société envers le fisc.

Il ajoute que s’il y avait une inexécution fautive, encore faudrait-il qu’il ait eu connaissance du problème et un pouvoir d’exécuter les versements des retenues sur salaires litigieuses.

Le demandeur invoque un défaut de motivation de la décision en ce que le directeur, en se bornant à relever qu’il aurait été directeur de la société “A” et que les retenues sur salaire n’auraient pas été versées du temps de ses fonctions, aurait retenu sa responsabilité, sans toiser aucun des moyens soulevés par lui dans sa réclamation, de sorte qu’il ne pourrait être considéré, en l’espèce, qu’il aurait révélé des circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision de le poursuivre et de mettre à sa charge les arriérés de la société au titre de la retenue d’impôt sur les salaires.

Au contraire, la rédaction de la décision querellée constituerait un copier-coller d’autres décisions rendues en la même matière, ne tirant aucune conséquence du fait qu’il aurait été manipulé voire instrumentalisé par son employeur et qu’il n’aurait tout simplement eu aucun moyen, ni aucun pouvoir de procéder au versement desdites retenues sur salaires, ni en droit, ni en fait, dès lors que le compte bancaire lui aurait été inaccessible et indisponible.

Le demandeur soulève encore qu’il serait de jurisprudence constante que la responsabilité des dirigeants se limiterait aux seules créances d’impôts qui seraient restées en souffrance par leur faute, mais que le dirigeant ne saurait répondre personnellement ni des frais de poursuite ni des sanctions encourues à titre de supplément ou d’intérêts de retard par la société dont il serait appelé en garantie. Ainsi, même s’il devait être appelé en garantie sur le principe, malgré l’absence de faute de sa part, il y aurait lieu à ce qu’il ne supporte pas la charge des intérêts dus pour les années 2019 et 2020.

Finalement, le demandeur rappelle que la décision litigieuse violerait la loi, alors qu’elle ne serait qu’une reprise simple de formulations génériques utilisées systématiquement dans tous les dossiers d’appel en garantie, n’examinant aucun des arguments développés par lui dans sa réclamation.

Le demandeur sollicite, enfin, la condamnation de la partie étatique au paiement des frais et dépens de l’instance, d’une part, ainsi qu’à une indemnité de procédure d’un montant de 500 euros, d’autre part, sur base des articles 32 et 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour être non fondé.

Appréciation du tribunal 10Le tribunal rappelle d’abord qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

A titre liminaire, il échet de rejeter le moyen du demandeur tiré du fait que le bulletin d’appel en garantie émis le 15 juillet 2021 aurait remplacé le bulletin d’appel en garantie émis le 8 octobre 2020. En effet, même si aucun des deux bulletins d’appel en garantie n’indique les périodes de l’année 2020 sur lesquelles il porte, il ressort des explications cohérentes du délégué du gouvernement à cet égard que les deux bulletins sont complémentaires en ce que celui du 8 octobre 2020 porte sur les mois de janvier à août 2020 et celui du 15 juillet 2021 porte sur les mois de septembre à décembre 2020. Le demandeur ne s’est d’ailleurs pas mépris à cet égard et indique dans le cadre de sa requête introductive d’instance que le bulletin d’appel en garantie du 15 juillet 2021 se reporte « manifestement aux trois derniers mois de l’exercice 2020 tout au vu de [son] quantum, qu’au vu de l’absence d’intérêts computés ».

Eu égard aux considérations qui précèdent et, dans le mesure où, en tout état de cause, le recours sous examen est dirigé contre la décision directoriale du 7 juillet 2021 et non point directement contre un bulletin d’appel en garantie, le moyen afférent est à rejeter.

Toujours à titre liminaire, il convient de constater que le recours sous examen est dirigé contre la seule décision directoriale du 7 juillet 2021 ayant rejeté la réclamation contre le bulletin d’appel en garantie du 8 octobre 2020. Le recours n’est pas dirigé contre le bulletin d’appel en garantie du 15 juillet 2021, il ne ressort d’ailleurs même pas des éléments soumis au tribunal qu’une réclamation ait été introduite contre ledit bulletin en garantie du 15 juillet 2021.

Dès lors, les moyens et arguments du demandeur avancés dans le cadre du recours sous examen contre le bulletin d’appel en garantie du 15juillet 2021 sont d’ores et déjà rejetés pur ne pas être pertinents en l’espèce.

Concernant ensuite la question du bien-fondé de la décision du directeur déférée, il y a lieu de préciser que le dirigeant d’une société ne peut être tenu personnellement responsable du non-paiement des impôts litigieux, que dans les conditions plus particulièrement prévues au paragraphe 109 AO, aux termes duquel: « die Vertreter und die übrigen in den Paragraphen 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den Paragraphen 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütungen zu Unrecht gewährt worden sind. ».

Cette disposition soumet la mise en œuvre de la garantie à la triple condition de l'existence d'une faute (« schuldhafte Verletzung ») commise dans une qualité visée aux §§ 103 à 108 AO, d'un dommage subi par l’Etat et d'un lien de causalité entre le dommage et la faute.

En vertu des dispositions de l’article 136, paragraphe (4), de la loi modifiée du 4 novembre 1967 sur l’impôt sur le revenu (LIR), l’employeur est tenu de retenir et de verser l’impôt qui est dû sur les salaires et traitements de son personnel. Dans le cas d’une société, cette obligation incombant à l’employeur est transmise aux représentants de celle-ci, conformément au paragraphe 103 AO, qui dispose que « die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, 11obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen », de sorte que le représentant légal d’une société commerciale est tenu de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

L’impôt sur les salaires, en relation avec lequel l’appel en garantie a été émis en l’espèce, est un impôt dû par le salarié qu’il incombe à l’employeur de retenir et de continuer pour compte du salarié à partir du moment qu’un salaire passible dudit impôt lui est versé.

Il s’ensuit que le fait par l’employeur de verser un salaire sans pour autant effectuer, voire continuer les retenues qui s’imposent, s’analyse en un détournement des sommes en question au profit de la société, alors que cette partie du salaire est due à l’Etat non pas par l’employeur, mais par le salarié.

Il se dégage des dispositions légales qui précèdent que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du paragraphe 103 AO, précité, n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du paragraphe 109 (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant, en effet, posé, à cet égard, l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers le fisc.

Le paragraphe 7, alinéa (3) StAnpG, disposant, par ailleurs, que « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldetet Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

Conformément au paragraphe 2 StAnpG disposant dans son alinéa (1) que « Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessensentscheidungen) müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessensentscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen », l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision.

S’agissant de prime abord du reproche selon lequel l’administration n’aurait pas pu appeler le demandeur en garantie, alors que la société “A” n’était pas en faillite au moment de l’émission du bulletin d’appel en garantie en date du 8 octobre 2020, force est au tribunal de constater, en admettant que le demandeur ait entendu soutenir qu’une contrainte ou un commandement de payer aurait dû être émis à l’égard de la société “A” avant l’émission du bulletin d’appel en garantie litigieux, qu’outre le fait qu’il n’est pas démontré que la société ne se soit pas vue notifier de tels actes, il ne ressort pas des dispositions des § 103 et 109 AO que la mise en œuvre de la responsabilité du représentant d’une société exige, au préalable, le 12déclenchement d’une procédure de recouvrement - pour laquelle les juridictions administratives ne sont, par ailleurs, pas compétentes1- auprès de la société en question.

En effet, le recours contre le tiers responsable n’exige ni que le débiteur principal de l’impôt soit insolvable, ni que le recouvrement forcé contre ce débiteur de l’impôt ait été infructueux, le tribunal relevant, de manière générale, que le défaut de l’administration de procéder au recouvrement forcé de la créance fiscale auprès du contribuable principal n’exonère en tout état de cause pas le tiers responsable2, indépendamment de la question du bien-fondé de la mise en œuvre de la responsabilité du demandeur à ce stade de l’analyse, de sorte que le reproche est à rejeter pour être non fondé.

Concernant ensuite le moyen fondé sur une indication insuffisante de la motivation, pour autant que le moyen tel qu’invoqué par le demandeur vise un défaut d’indication formelle des motifs à la base de la décision litigieuse, force est de constater qu’une décision directoriale statuant sur une réclamation n’est pas soumise à une exigence formelle de motivation complète dont le non-respect serait sanctionné par l’annulation de la décision et que l’obligation de motivation ne se conçoit à l’égard d’une décision directoriale qu’à travers le principe général du droit au respect des droits de la défense, en ce sens qu’il faut et il suffit que les motifs à la base de la décision aient existé à la date où elle a été prise et que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense3, ce qui a été le cas en l’espèce.

Le moyen afférent est partant également rejeté.

Le demandeur conteste encore toute faute intentionnelle dans son chef, alors qu’il n’aurait de facto pas été en charge de la gestion journalière de la société “A”, puis qu’il aurait été embauché par contrat de travail en tant que « directeur », sans aucun pouvoir de délégation ou de pouvoir de gestion quelconque.

En l’espèce, il se dégage du bulletin d’appel en garantie que le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité de directeur de la société “A” ayant disposé du pouvoir d’engager la société sous signature conjointe depuis le 5 mai 2019, et ayant été en charge de la gestion journalière, pour conclure qu’en tant que tel, il lui aurait incombé de procéder aux retenues d’impôt sur les salaires et de verser cette retenue au Trésor public.

Force est de constater qu’il ressort du dossier administratif que le demandeur a, en date du 21 mars 2019, sollicité une autorisation d’établissement pour la société “A” en tant que « exploitant/dirigeant de l’entreprise ». Une autorisation d’établissement lui a été, par conséquent, délivrée en date du 5 mai 2019, valable uniquement sous condition « que la société [soit] dirigée de manière effective par … ».

Or, il relève de l’article 3 de la loi modifiée du 2 septembre 2011 règlementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions 1 Trib. adm, 4 juin 2003, n° 15706 du rôle, confirmé par Cour adm., 18 novembre 2003, n° 16634C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Compétence, n° 129 et l’autre référence y citée.

2 Trib. adm, 19 avril 2010, n° 25874 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 538 et les autres références y citées.

3 Cour adm. 5 juillet 2016, n° 36888C du rôle ; Cour admin. 27 juillet 2016, nos 36842C et 36845C du rôle, Pas.

2022, V° Impôts, n°1144 et les autres références y citées.

13libérales, ci-après désignée par « la loi du 2 septembre 2011 », que « l’autorisation d’établissement requise au préalable pour l’exercice d’une activité visée par la présente loi est délivrée par le ministre si les conditions d’établissement, d’honorabilité et de qualification prévues aux articles 4 à 27 sont remplies. ».

L’article 4 de ladite loi prévoit, quant à lui, que « l’entreprise qui exerce une activité visée à la présente loi désigne au moins une personne physique, le dirigeant, qui:

1. satisfait aux exigences de qualification et d'honorabilité professionnelles; et 2. assure effectivement et en permanence la gestion journalière de l'entreprise; et 3. a un lien réel avec l'entreprise en étant propriétaire, associé, actionnaire, ou salarié;

4. ne s'est pas soustrait aux charges sociales et fiscales, soit en nom propre, soit par l'intermédiaire d'une société qu'il dirige ou a dirigée. ».

Force est dès lors au tribunal de constater que Monsieur …, en ayant été désigné, tel qu’il ressort de l’autorisation d’établissement du 5 mai 2019, comme dirigeant de la société “A”, se doit d’assurer, en vertu de l’article 4, paragraphe 2 de la loi du 2 septembre 2011, la gestion journalière de ladite société, sans qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier soumis au tribunal qu’une autre personne ait repris cette fonction à travers l’émission d’une nouvelle autorisation d’établissement ou que cette fonction ait été déléguée.

Il ressort finalement d’un extrait du Registre de Commerce et des Société du 4 juillet 2010, que Monsieur … a été nommé en sa fonction de « directeur général/comité de direction » de la société “A”.

Quant au moyen tiré dans ce contexte du licenciement et de la durée de la fonction du demandeur, force est au tribunal de constater que, s’il ressort certes des pièces versées par ce dernier que son contrat de travail a été résilié par courrier du 23 juillet 2020 avec effet au 30 septembre 2020 avec « dispense de travail », il n’en ressort toutefois pas qu’il aurait, par la suite, sollicité l’annulation de son autorisation d’établissement auprès du Ministère de l’économie, étant par ailleurs relevé qu’il ressort des recherches effectuées par la partie étatique au Registre du Commerce et des Sociétés à la date du 4 janvier 2022, telles que figurant au dossier administratif, que le demandeur y figure toujours en tant que directeur général, de sorte que le tribunal est dès lors amené à retenir que la résiliation de son contrat de travail n’est pas opposable à l’Etat.

Le demandeur était partant, en tant que dirigeant et détenteur de l’autorisation d’établissement de la société “A”, de jure en charge de l’administration de ladite société, et était partant personnellement tenu, en vertu des dispositions légales précitées, à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société, et plus particulièrement de celle de retenir, lors du paiement des salaires, l’impôt sur les salaires, ainsi que de le verser au Trésor public.

Au regard de ces considérations, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, qu’en omettant en sa qualité de dirigeant de la société “A” de verser au trésor public l’impôt qui était dû sur les traitements et salaires du personnel de celle-ci pour la période concernée ou du moins de veiller à ce que les paiements soient effectués, le demandeur s’est rendu coupable d’une inexécution fautive de ses obligations.

Le demandeur n’est, par ailleurs, pas fondé à s’exonérer partiellement de sa responsabilité au motif qu’il aurait été en incapacité de travail à partir du 7 novembre 2019 et 14jusqu’à la fin de son préavis, dans la mesure où, bien que le demandeur ait certes versé des certificats médicaux à cet égard, il reste toutefois en défaut de soumettre au tribunal des explications, voire des éléments permettant de retenir qu’il aurait été dans l’incapacité physique, respectivement mentale de surveiller l’administration de la société dont il était le gérant, étant relevé que si l’état de santé de Monsieur … ne lui avait effectivement plus permis de remplir sa fonction d’administrateur, il aurait dû, tel que soulevé à juste titre par le délégué du gouvernement, démissionner dudit mandat, en sollicitant notamment l’annulation de son autorisation d’établissement auprès du Ministère de l’économie, afin de ne pas compromettre la gestion de la société “A”.

S’agissant de l’appréciation de la faute commise du fait du défaut de paiement, plus spécifiquement des impôts sur traitements et salaires, force est de constater que le gérant, en tant que représentant d’une société, agissant en lieu et place de celle-ci, doit veiller à l’exécution des obligations fiscales de celle qu’il représente. Une de ces obligations consiste ainsi pour le représentant légal d’une société à opérer, déclarer et verser les retenues d’impôt et, de manière générale, à payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Il convient dès lors de retenir que le représentant qui a accepté sa fonction ne peut pas se contenter de contester son pouvoir. En n’exécutant pas les obligations légales de la société, il manque à son premier devoir, celui de gérer4. Il est en effet admis que les gérants sont nommés parce que l’on attend d’eux la compétence nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions, de sorte qu’actifs et non-actifs répondent de leurs actes de la même façon. Si le demandeur déclare avoir eu un rôle purement théorique dans la société “A”, n’avoir ainsi pas été en charge de la gestion de la société et n’avoir eu aucune autonomie est de nature à confirmer la négligence lui reprochée par l’administration des Contributions directes. Or, et à défaut d’autres éléments susceptibles de confirmer qu’il ait, le cas échéant, tout mis en œuvre pour assumer ses responsabilités, le demandeur ne saurait être considéré comme une victime échappant à sa responsabilité.

En effet, le fait de ne pas exercer ses fonctions dans la société, constitue en soi une faute de gestion5, étant rappelé que la faute n’implique pas de la part du gérant un agissement actif.

La responsabilité du gérant peut ainsi être engagée par son attitude passive, sa négligence, son incurie6. Aussi, le comportement du demandeur, consistant en une légèreté ou une insouciance impardonnable doit être considéré comme faute grave, à savoir une faute qu’un dirigeant raisonnablement diligent et prudent n’aurait pas commise et qui heurte les normes essentielles de la vie en société, ou du moins les normes importantes7.

Le comportement de Monsieur …, en sa qualité de gérant de la société “A”, relève dès lors de la faute caractérisée, respectivement de la faute grave et doit être considéré comme fautif au sens du paragraphe 109 AO, la négligence flagrante et inexcusable affichée par le demandeur en ce qui concerne le respect des obligations légales et statutaires de gérant constituant en effet une « schuldhafte Verletzung ».

4 F. Rosen, Obligations et responsabilité des dirigeants de société en matière de contributions directes, Livre Jubilaire de l’IFA Luxembourg, Bruylant, p. 199.

5 D. Matray, Observations sur la responsabilité dans la constitution et la gestion des sociétés, note n° 214.

6 P. Thielen et J. Delvaux, La responsabilité civile des administrateurs de sociétés anonymes en droit luxembourgeois - situation actuelle et tendance future, Bulletin Droit et banque, 4/1948, p.6, et N. Schaeffer, Réflexions sur la responsabilité des administrateurs et dirigeants de sociétés commerciales de capitaux, Bulletin de la Conférence St Yves, n° 77, novembre 1990, p.18.

7 D. Matray, op.cit., notes n° 67, 68, 69 et 70.

15 En l’espèce, la faute est encore plus grave dans la mesure où le défaut de paiement des retenues d’impôt s’est étendu sur deux années et que le demandeur est en aveu qu’il ne s’est délibérément jamais occupé de la gestion de la société.

S’agissant du dommage occasionné à l’Etat, le tribunal relève qu’à défaut de contestations concrètes du demandeur concernant les montants réclamés pour la période de janvier à août 2020, ceux-ci ne sauraient être remis en cause en l’espèce.

Si le tribunal vient de retenir dans le chef de Monsieur … un comportement fautif et de constater l’existence d’un dommage consistant en une insuffisance d’impôt (« Verkürzung der auferlegten Steueransprüche ») - résultant du défaut de paiement de l’impôt fixé à l’échéance -, il y a encore lieu de retenir que ce dommage se trouve dans un lien de causalité direct avec les agissements fautifs de celui-ci. En effet, il ne saurait être conclu à l’absence d’un lien de causalité que si le dommage était survenu alors même que le représentant avait eu un comportement conforme aux lois ou à ses obligations8. Or, en l’espèce, il convient de rappeler que la responsabilité personnelle du demandeur a été mise en cause pour ne pas avoir accompli, respectivement surveillé l’accomplissement des obligations incombant au contribuable à savoir la société “A”. Si le demandeur avait respecté ses obligations en les accomplissant personnellement en sa qualité d’administrateur unique, la non-perception des impôts redûs aurait pu être évitée, de sorte que la violation des obligations incombant à Monsieur … a engendré le résultat dommageable.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le bureau d’imposition a engagé la responsabilité du demandeur pour le paiement de l’impôt sur les traitements et salaires des années 2019 à 2020 de la société “A” resté en souffrance.

S’agissant, finalement, des intérêts de retard dont le demandeur estime qu’ils ne pourraient pas être mis à sa charge, il échet de relever qu’aux termes de l’article 155bis LIR :

« Les intérêts de retard constituent des prestations accessoires aux impôts auxquels ils se rapportent. Les dispositions applicables à ces impôts sont d’application correspondante aux intérêts de retard ».

Ainsi, dans la mesure où les intérêts de retard constituent un accessoire des impôts auxquels ils se rapportent, le directeur a valablement pu confirmer l’administration pour avoir inclus ceux-ci dans le bulletin d’appel en garantie9.

Le moyen afférent est partant également rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours contre la décision du directeur est rejeté pour être non fondé.

Le demandeur demande enfin la condamnation de la partie étatique au paiement des frais et dépens de l’instance, ainsi qu’à une indemnité de procédure d’un montant de 550 euros, conformément aux articles 32 et 33 de la loi du 21 juin 1999, demandes qu’il y a lieu de rejeter au vu de l’issue du litige.

8 F. Rosen, op.cit.. p. 212.

9 Trib. adm. 21 mai 2014, n° 33223 du rôle, Pas. adm. 2022, n° 603 et les autres références y citées.

16 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 20 novembre 2023 par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46541
Date de la décision : 20/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-20;46541 ?

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