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09/11/2023 | LUXEMBOURG | N°48304

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2023, 48304


Tribunal administratif N° 48304 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48304 2e chambre Inscrit le 23 décembre 2022 Audience publique du 9 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48304 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2022 par Maître Tom

Krieps, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 48304 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48304 2e chambre Inscrit le 23 décembre 2022 Audience publique du 9 novembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48304 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2022 par Maître Tom Krieps, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … au … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 novembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 février 2023 ;

Vu l’ordonnance du président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 22 mars 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Tom Krieps et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2023.

Le 6 novembre 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

A l’occasion d’une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC par la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par unressortissant de pays tiers ou un apatride, il s’avéra que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 26 novembre 2018.

Les 15 juillet et 6 août 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 28 décembre 2021, un entretien complémentaire fut mené par un agent du ministère, suite à la prise de pouvoir des talibans dans le pays d’origine de Monsieur ….

Par décision du 18 novembre 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 24 novembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 6 novembre 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 6 novembre 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 15 juillet et 6 août 2021, et le rapport d’entretien complémentaire du 28 décembre 2021 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 26 novembre 2018 sous une autre identité, à savoir celle de …, né le … alors qu’au Luxembourg vous déclarez vous nommer … et être né le …. Toutefois, vous avez quitté la Grèce, en direction du Luxembourg, sans avoir attendu l’issue de votre procédure de protection internationale, étant donné que « Pendant les deux ans que je suis resté en Grèce, personne ne me demandait pourquoi j’étais là. La situation était très mauvaise. Il n’y avait pas de sécurité non plus » (p.6/21 de votre rapport d’entretien). Avant d’arriver au Luxembourg, vous seriez passé par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, de confession musulmane chiite et avoir vécu dans le quartier … situé dans le district … dans la province de …. Vous indiquez que votre mère et six de vos sept frères et sœurs vivraient encore en Afghanistan, tandis que votre père aurait été emmené par les Taliban en juillet ou août 2021 et que vous n’auriez plus de nouvelles de lui depuis. Vous indiquez que votre frère … se trouverait en Allemagne. Vous expliquez que vous n’auriez plus de contact avec ce dernier, car il vous reprocherait d’être responsable de son départ d’Afghanistan.

Concernant vos craintes en cas de retour dans votre pays d’origine, vous indiquez avoir 2 peur d’être tué par les Taliban, qui vous accuseraient d’avoir entretenu une relation extraconjugale avec la dénommée …, une fille d’ethnie Pachtoune qui aurait vécu dans le même quartier que vous et qui aurait été promise en mariage à un dénommé …, un prétendu commandant des Taliban.

Concernant les faits qui se seraient déroulés dans votre pays d’origine avant votre départ, vous racontez que vous auriez habité dans un quartier où auraient vécu des personnes d’ethnie Hazara et Pachtoune. Un jour en 2018, …, une amie d’enfance, vous aurait demandé de l’accompagner, alors qu’elle aurait voulu se rendre à Kaboul pour y étudier, car son oncle paternel l’empêcherait d’aller à l’école à …. Sans trop vous inquiéter, ni réfléchir aux conséquences possibles, vous auriez accepté de l’accompagner et vous seriez partis en moto en empruntant la route pour …, ville qui se situe sur la route pour se rendre à Kaboul. Arrivés à …, situé à 100 kilomètres de votre domicile, vous auriez commencé à vous inquiéter et auriez proposé à … de rentrer, ce qu’elle aurait refusé. Vous auriez croisé un chauffeur de taxi que vous auriez connu de votre quartier. Ce dernier vous aurait averti que vos deux familles seraient à votre recherche et qu’elles auraient prévenu tous les chauffeurs de taxi de la région de vous indiquer de rentrer s’ils vous croisaient.

Commençant à avoir peur, vous auriez forcé … à monter dans le taxi et vous seriez retournés dans votre quartier. En arrivant, vous auriez été attendus par les barbes blanches du quartier, la famille d’… et votre famille. Elles vous auraient frappés et vous auraient interrogés sur les raisons de votre départ et si vous aviez eu une relation intime. Vous auriez nié toute relation, mais … aurait ensuite dit à son père qu’elle aurait été au courant qu’il aurait eu l’intention de la marier à son cousin paternel, un commandant taliban, beaucoup plus âgé qu’elle et que cela aurait été la véritable raison de sa fuite.

Vous continuez vos dires en relatant que quelques jours plus tard, l’oncle paternel d’… serait venu chez votre grand-père, accompagné de plusieurs Taliban, et lui aurait ordonné soit de leur remettre sa petite-fille, en l’occurrence votre sœur, soit de leur payer 10 millions d’afghanis. Dans le cas contraire, ils prendraient votre sœur de force et vous tueraient. Ils lui auraient laissé un temps de réflexion.

Quelques jours plus tard, vous auriez entendu dire que … serait décédée prétenduement tuée par ce cousin. Encore quelques jours après, le soir, le commandant taliban serait venu à votre domicile avec d’autres Taliban. Vous racontez que vous auriez été chez votre grand-père ce soir-là de sorte que vous n’auriez donc pas été à la maison. Les Taliban auraient frappé vos parents et votre fratrie et auraient violé votre sœur. Le même soir, après l’assaut des Taliban, votre père serait venu chez votre grand-père avec l’intention de vous livrer aux Taliban. Votre grand-père aurait pu l’en empêcher alors que cela aurait été votre mort certaine. Ils vous auraient cependant donné un peu d’argent et vous auraient obligé de quitter l’Afghanistan la nuit-même.

Finalement, vous mentionnez que quelques mois après votre départ, votre père aurait été arrêté par les Taliban à un point de contrôle routier et ils l’auraient emmené avec eux.

Depuis, vous n’auriez plus eu de nouvelles de lui.

Vous n’avez remis aucun document à l’appui de votre demande de protection internationale.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale 3 Monsieur, soulevons avant tout autre développement que la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d’origine doivent être réfutées au vu de vos déclarations incohérentes et incomplètes, de votre comportement adopté en Europe et du fait que vous n’êtes pas en mesure de prouver vos allégations par la moindre pièce.

Avant tout progrès en cause il convient de souligner que vous avez utilisé au moins deux identités depuis votre arrivée en Europe ce qui entache sérieusement votre crédibilité. En effet, vous n’avez pas hésité à donner un autre nom et une autre date de naissance aux autorités européennes auprès desquelles vous avez sollicité une protection internationale. Que l’on puisse se tromper en faisant la conversion du calendrier perse est compréhensible mais qu’on se vieillisse respectivement se rajeunisse de cinq ans ne saurait se justifier. Vous tentez de vous justifier en incombant la faute à un interprète en Grèce qui aurait confondu les noms et aurait décidé de vous inventer une date de naissance, étant donné que vous n’auriez pas eu de document d’identité sur vous. Il vous aurait dit de choisir un jour et un mois, et aurait lui-

même ajouté une année. Or ceci parfait parfaitement impossible. A cela s’ajoute que vous indiquez avoir vécu pendant deux ans en Grèce sous cette identité et avec cette date de naissance sans vous en inquiéter. Par ailleurs vous n’avez depuis votre arrivée au Luxembourg aucunement essayé d’établir votre identité car vous restez deux ans plus tard toujours en défaut d’apporter un quelconque élément de preuve dans ce contexte et ce malgré le fait que votre famille soit toujours en Afghanistan et ainsi parfaitement à même de vous envoyer ne serait-ce qu’une copie de documents.

A cela s’ajoute que vos affirmations concernant l’absence de documents ne sont pas cohérentes. En effet, le jour de votre arrivée vous déclarez à la police judiciaire que votre passeport serait tombé à la mer lors de la traversée de la Turquie vers la Grèce.

Puis, lors de votre entretien personnel avec l’agent du Ministère visant à déterminer les motifs de votre fuite et les raisons qui vous empêchent de rentrer dans votre pays d’origine, interrogé sur cette absence de documents, vous changez radicalement de version et vous alléguez que votre carte d’identité, et non votre passeport, serait tombée à la mer. Vous précisez dans ce contexte ne jamais avoir détenu de passeport.

Or, il convient de soulever ici qu’il est parfaitement impossible de se méprendre sur la nature du document qu’on possède, surtout, lorsqu’il s’agit d’une carte d’identité, qui en Afghanistan est une simple feuille de papier en format A4, et un passeport.

Il échet aussi d’ajouter que finalement vous mentionnez ne pas connaître votre date de naissance alors que vous ne seriez pas né à l’hôpital.

On peut dès lors légitimement remettre en doute l’ensemble des indications que vous avez fournies concernant votre identité alors que vous estimez d’une part avoir eu un passeport, puis ne pas en avoir eu, pour finalement dire que vous n’auriez aucun document et ne pas savoir quand vous êtes né.

Il est manifeste que vous ne coopérez pas avec les autorités quant à l’établissement de votre identité, chose qui est essentielle dans toute demande de protection internationale.

Ajoutons dans ce contexte que votre comportement adopté depuis votre arrivée en Europe met en doute la gravité de votre situation. En effet, rappelons qu’après avoir vécu en 4 Grèce durant environ deux ans, vous auriez décidé de voyager à travers la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France, sans toutefois y introduire de demande de protection internationale pour gagner le Luxembourg, où vous avez finalement décidé d’introduire votre demande de protection internationale. Or, notons qu’on peut évidemment attendre d’une personne réellement à risque dans son pays d’origine et réellement à la recherche d’une protection internationale, qu’elle introduise sa demande dans le premier pays sûr rencontré et qu’elle ne traverse pas plusieurs pays sûrs sans y rechercher une forme de protection quelconque. Un tel comportement fait preuve d’un désintérêt évident par rapport à la procédure d’asile et n’est évidemment pas celui d’une personne réellement en danger et réellement à la recherche d’une protection.

Un tel comportement est tout bonnement inacceptable et intolérable et prouve de manière non équivoque que le but poursuivi n’est pas l’obtention d’une protection internationale en raison d’une crainte fondée de persécution, respectivement d’un risque de subir des atteintes graves. Il est en effet incompréhensible pourquoi vous vous comportez de la sorte depuis votre arrivée en Europe. Le seul fait qui est réellement établi est que votre comportement n’est pas celui d’une personne en danger qui serait contente et soulagée de pouvoir poser ses bagages dans le premier pays d’accueil sûr dans lequel elle pourrait reprendre le cours de sa vie, apprendre un métier et retrouver une certaine sérénité et une perspective d’avenir.

Ceci étant dit il convient de souligner que votre récit est tout autant truffé d’éléments incohérents pour ne pas dire improbables. A la lecture de votre récit, il apparait que votre seul et unique but est d’obtenir une protection internationale au Luxembourg en intégrant à votre récit un maximum d’éléments censés maximiser vos probabilités de vous faire octroyer une telle protection. En effet, il convient de souligner qu’à de maintes reprises, vous n’avez pas été en mesure de répondre aux questions de l’agent du Ministère. Ainsi, vous indiquez ne pas connaître le nom de famille d’… et de son père, ni le nom de son oncle. Vous indiquez ne pas savoir comment la famille d’… et la vôtre auraient pu savoir que vous auriez quitté le village ensemble. Vous expliquez également que vous ne vous souvenez pas du nombre de Taliban présents lors des visites, ni de la date de décès …, ni si quelque chose s’était passé entre les différentes visites des Taliban. Vous indiquez également ne plus pouvoir vous souvenir si quelque chose s’était passé pendant votre bref séjour à Kaboul ou lors de votre départ d’Afghanistan. En outre, vous ne vous rappelez apparemment plus si vous aviez séjourné à Kaboul dans un hôtel ou chez des amis, ni comment vous auriez trouvé l’ami de votre grand-

père à Kaboul qui vous aurait aidé à quitter l’Afghanistan. En fait, vous n’avez pas pu répondre à de nombreuses questions tout au long de l’entretien personnel, ce qui ne fait que conforter le fait que votre récit est tout simplement inventé. Il est parfaitement compréhensible qu’on puisse se méprendre sur des détails respectivement omettre certains détails mais il s’agit en l’occurrence de tous les éléments clés de votre récit de sorte qu’on ne saurait accepter vos réponses vagues ou évasives voire votre absence de réponse à des questions essentielles.

De plus, vous expliquez qu’un jour, lorsque vous auriez été avec … dans les champs, elle vous aurait demandé de partir avec elle, alors qu’elle voudrait aller à Kaboul pour étudier, car son oncle paternel l’empêcherait d’aller à l’école à …. Sans trop vous inquiéter, ni réfléchir aux conséquences possibles, vous auriez accepté de l’accompagner et vous seriez partis en moto pour …, ville qui serait sur la route de Kaboul.

Il faut cependant souligner que vous n’êtes pas en mesure de donner ne serait-ce que les informations les plus importantes et basiques sur … et sa famille, à commencer par le nom 5 de famille de la jeune fille que vous affirmez connaître depuis votre enfance et celui de son père, dont vous affirmez qu’il aurait été votre professeur à l’école ou encore le nom de son oncle, qui serait la raison pour laquelle vous auriez dû quitter votre pays d’origine. Or, on peut légitimement s’attendre à ce que vous connaissiez au moins les noms des personnes qui auraient joué un rôle important dans votre vie depuis votre enfance et qui seraient responsables de votre départ d’Afghanistan.

De plus, il ressort clairement de vos déclarations qu’… n’aurait jamais été scolarisée et que vous lui auriez régulièrement donné des cours l’après-midi, lorsque vous amèneriez les animaux aux champs, ce que vous auriez appris le matin à l’école. Il est toutefois incroyable que d’un côté, vous ayez accepté de quitter votre village avec une jeune fille pour qu’elle puisse "poursuivre" ses études à Kaboul, alors que, d’un autre côté, vous avez clairement indiqué qu’elle n’aurait jamais été scolarisée. Il faut souligner qu’il est contradictoire d’affirmer d’une part que vous auriez régulièrement vu … dans les champs, que vous auriez joué ensemble quand vous étiez enfants et que vous lui auriez appris plus tard tout ce que vous auriez étudié à l’école, mais d’autre part d’indiquer que les Pachtounes "ne veulent pas que leurs filles parlent à un garçon" (p.10/21 de votre rapport d’entretien). Compte tenu de ce qui précède, il est curieux que le fait que vous ayez passé tout ce temps avec … n’ait jamais posé de problème, mais le jour où vous seriez allés ensemble à …, cela aurait fait scandale, et ce alors que les filles pachtounes n’auraient même pas le droit de parler aux garçons.

De plus, il est tout à fait aberrant d’attendre des autorités luxembourgeoises qu’elles croient que vous seriez parti sans hésitation à Kaboul avec … pour vous y installer et pour y étudier, mais que vous n’auriez même pas eu assez d’argent pour vous payer un déjeuner à ….

Même si vous n’aviez eu qu’environ … ans respectivement … ans à l’époque, vous ne pouvez pas sérieusement prétendre que vous ne vous seriez à aucun moment demandé avant de partir comment vous pourriez vous rendre à Kaboul et comment vous pourriez y vivre sans argent ni logement. Le fait que vous n’aviez même pas pu répondre à la question s’il était possible de se rendre de … à Kaboul en moto, renforce le constat que votre récit est inventé de toute pièce et que vous n’êtes jamais parti avec ….

Il convient encore de noter que le district de … s’étend sur une superficie d’environ 3000 km2 ce qui est, à titre d’exemple, plus grand que l’ensemble du Grand-Duché de Luxembourg. Il est donc très improbable que le chauffeur de taxi de votre village vous ait trouvé après seulement 1 à 2 heures, sans aucune indication sur l’endroit où vous vous trouviez ou même si vous étiez à …. Et même s’il vous avait trouvé par hasard, il est incroyable que vous soyez monté dans son taxi pour rentrer chez vous et que vous ayez simplement laissé votre moto à …. Ce n’est absolument pas crédible, d’autant plus que vous avez déclaré que vous, ainsi que votre famille, auriez souvent utilisé la moto comme moyen de transport.

En outre, vous racontez que l’oncle d’… et les Taliban auraient exigé de votre grand-

père soit de leur remettre sa petite-fille, en l’occurrence votre sœur, soit de leur payer 10 millions d’afghanis, tout en précisant que dans le cas contraire, ils prendraient votre sœur de force et vous tueraient. Ils lui auraient accordé un délai de réflexion. Quelques jours plus tard, les Taliban se seraient rendus à votre domicile pour vous capturer. Or, ce jour-là, vous auriez été chez votre grand-père. Comme vous n’étiez pas à la maison ce soir-là, les Taliban auraient voulu prendre votre sœur à votre place, comme annoncé à votre grand-père quelques jours auparavant. Votre mère les aurait cependant suppliés de lui laisser sa fille, et ils seraient partis sans votre sœur. Après cet incident, votre père serait venu chez votre grand-père pour vous emmener avec lui et vous livrer aux talibans.

6 Là encore, force est de constater que votre récit est dénué de toute logique et qu’il est tout simplement incroyable que les Taliban aient proféré à plusieurs reprises des menaces vaines, mais qu’à chaque fois qu’ils auraient eu la possibilité de capturer, vous ou votre sœur, ils ne l’auraient pas fait. Il faut souligner qu’il n’est pas crédible que les Taliban ne seraient pas parvenus à vous retrouver, alors que vous auriez été chez votre grand-père et que ces derniers seraient déjà allés chez lui à plusieurs reprises, et auraient donc connu son adresse.

Le fait qu’ils auraient quitté votre maison sans votre sœur et sans vous, et qu’ils ne se seraient pas rendus chez votre grand-père pour vous chercher, ne saurait manifestement pas convaincre. Vous indiquez également que votre famille aurait continué à vivre dans votre maison trois ans après votre départ et n’aurait quitté le quartier que brièvement lorsque les Taliban ont pris le pouvoir, mais que votre mère et votre fratrie se seraient actuellement installées chez votre grand-père. Vous indiquez également que les Taliban seraient toujours à votre recherche. Il est donc étonnant et invraisemblable que les Taliban soient censés vous rechercher depuis plus de trois ans et que votre famille, y compris vos sœurs, aurait pu vivre sans problème à la même adresse pendant tout ce temps, si les Taliban avaient réellement l’intention de se venger de votre famille ou de vous-même en raison des événements de 2018.

De ce fait, il convient de conclure que vous tentez de dramatiser votre récit en intégrant un maximum d’éléments censés maximiser vos probabilités de vous faire octroyer une telle protection.

Par ailleurs, en ce qui concerne la prétendue arrestation et disparition de votre père, il échet de relever que vous n’apportez aucun indice qui permettrait de conclure que cette disparition serait en lien avec votre prétendu problème. Il sied toutefois de souligner qu’il n’est pas plausible qu’il y a un lien entre les menaces de 2018 et la prétendue disparition de votre père en juillet ou août 2021, alors que votre famille a manifestement pu continuer à vivre dans votre village pendant près de 3 ans sans avoir été importunée par les Taliban. Le fait que vous ne déposez aucun document ou aucune preuve de la disparition de votre père ne fait que confirmer le manque de crédibilité et le fait que vous tentez par tout moyen de construire une histoire qui vous permettrait d’obtenir une protection internationale.

Eu égard à tout ce qui précède, il sied de souligner que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités luxembourgeoises et que vous avez inventé un récit de toutes pièces pour vous voir octroyer une protection internationale. Un tel comportement est évidemment inacceptable et constitue un abus des procédures en matière de protection internationale. En tout cas, aucun crédit ne saurait être accordé à vos déclarations incomplètes et incohérentes.

Au vu du manque de crédibilité de vos déclarations, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 18 novembre 2022 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 18 novembre 2022, prise en son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir remis en cause la crédibilité de son récit. Il soutient que les attestations testimoniales versées démontreraient la crédibilité de ses déclarations, ainsi que le fait que sa vie et sa santé seraient en danger dans son pays d’origine.

Concernant les critiques ministérielles à propos de son identité, le demandeur expose que les conditions dans lesquelles le voyage des réfugiés afghans se déroulerait entraîneraient un stress tel qu’ils feraient des déclarations incomplètes lors de leur arrivée en Europe. Ainsi, il estime que le fait que son prénom « … » se soit changé en « … » ne porterait pas à conséquence, d’autant plus que la traduction littérale des prénoms afghans ne serait pas aisée.

Il ajoute que tant l’erreur dans son prénom que celle dans sa date de naissance ne pourraient pas suffire pour lui refuser une protection internationale. A ce propos, il fait valoir que le certificat de mariage de ses parents prouverait qu’il serait né en 2002. Il indique encore que le Luxembourg serait compétent pour connaître de sa demande de protection internationale quand bien même il aurait déposé une première demande en Grèce, alors que celle-ci n’aurait pas été traitée par les autorités grecques pendant les deux années de sa présence sur leur territoire. Il précise que son frère … aurait décidé de se rendre en Allemagne, où se trouveraient des habitants de leur village.

En ce qui concerne les noms de familles qu’il n’aurait pas été en mesure de fournir lors de ses entretiens devant un agent du ministère, Monsieur … donne à considérer que l’usage du nom de famille entre familles pachtounes et hazaras ne serait pas comparable à l’usage fait au Luxembourg et que le nom de l’enseignant serait souvent oublié sinon jamais appris par les enfants, avant de conclure que ces éléments ne devraient pas influer sur la crédibilité de son récit. Il explique que, dans son quartier …, la vie entre les ethnies Pachtoune et Hazara serait séparée pour « des raisons diverses », que, de ce fait, la relation amoureuse entre les gens de ces communautés devrait être cachée, et que sa relation amoureuse avec la dénommée … l’aurait conduit à finalement quitter son pays d’origine. Les attestations testimoniales qui auraient « finalement joint l’occident après un périple complexe » prouveraient la véracité de ses dires.

Par ailleurs, il ne pourrait lui être reproché de ne pas avoir demandé à sa famille de lui envoyer des documents par la poste, alors que l’administration locale, voire régionale, serait déficiente en Afghanistan et que la corruption empêcherait la production de documents officiels hors versement de « bakchich ». Ainsi, la question de l’existence d’un passeport serait l’évidence même d’une communication déficiente et d’un rapport de police très négatif à son égard.

Quant à l’absence de réponses à certaines questions posées lors de ses entretiens, il fait valoir que celle-ci serait uniquement le résultat d’un désordre de stress post-traumatique qui l’aurait « déjà mené […] à la section psychiatrique » de l’Hôpital Kirchberg.

Enfin, le demandeur relève que l’hésitation du ministre à croire son récit à cause de l’absence de représailles à l’encontre de sa famille serait critiquable, alors qu’il serait parti bien avant la prise de pouvoir des talibans en 2021. Leur pouvoir en zone hazara aurait été plutôt limité auparavant mais cela aurait changé en 2021 et les autorités religieuses et civiles auraient, à partir de ce moment, « mis en exécution leur désir de vengeance » à l’égard de son père.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f), de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … ne serait pas crédible dans sa globalité.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et plausibles et qu’elles ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

En l’espèce, en ce qui concerne l’identité et la date de naissance de Monsieur …, le tribunal ne partage pas les doutes de la partie étatique. En effet, le fait que son nom ait été enregistré en Grèce comme « … … » au lieu de « … … » et que sa date de naissance y ait été enregistrée comme étant le « … » au lieu du « … » ne permettent pas de conduire, à eux seuls, au constat de l’absence de crédibilité générale du demandeur, et ce d’autant plus qu’il a fourni des explications quant à ces différences et qu’il a versé la copie de l’acte de mariage de ses parents qui corroborent, dans la mesure où la partie étatique ne soutient pas que la copie de cet acte serait un faux, les informations données par le demandeur sur son identité et sa date de naissance lors du dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg.

Néanmoins, en ce qui concerne la crédibilité du récit fourni par Monsieur … à la base de sa demande de protection internationale, le tribunal est amené à partager les doutes du ministre et du délégué du gouvernement.

Force est de constater, de prime abord, que les réponses du demandeur, lors de ses auditions devant un agent du ministère, restent essentiellement incomplètes et vagues.

En effet, il a répondu, à de nombreuses reprises, ne pas connaître la réponse aux questions qui lui étaient posées ou ne plus se rappeler des faits, bien que ceux-ci concernaient des éléments fondamentaux de son récit.

Ainsi, force est de constater que Monsieur … reste incapable de fournir le nom de famille de son amie d’enfance …, avec qui il affirme pourtant avoir grandi, avoir passé plusieurs 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.années à jouer, avoir enseigné les cours appris le matin, et dont le père aurait été son propre enseignant.

A cela s’ajoutent de nombreuses incohérences dans les déclarations du demandeur, à savoir notamment le fait qu’il aurait emmené … à Kaboul pour qu’elle termine ses études2, bien qu’il ait indiqué qu’elle n’allait pas à l’école3. Il a également précisé lors de son audition devant un agent de police et dans la fiche des motifs qu’il a remplie lors du dépôt de sa demande de protection internationale qu’il aurait eu des problèmes avec les Pachtounes, qui auraient été racistes envers les Hazaras, puis lors de ses auditions devant un agent du ministère, il a ajouté que les Pachtounes n’auraient pas voulu que leurs filles parlent avec des garçons4. Dans le cadre de sa requête introductive d’instance, il a ajouté que les Pachtounes et les Hazaras auraient vécu séparément. Malgré cela, il aurait quand même pu (i) jouer et passer du temps avec une fille pachtoune pendant de nombreuses années et (ii) s’enfuir à moto avec elle, sans s’inquiéter des conséquences, non seulement pour elle mais aussi pour lui-même5. Il aurait pu, en outre, s’enfuir avec elle en direction de Kaboul sans se soucier du trajet, c’est-à-dire sans même savoir s’il était possible de se rendre dans la capitale en moto à partir de …6, ou encore des considérations matérielles liées à leur fuite.

De surcroît, il échet de relever que la chronologie des évènements, telle que relatée par le demandeur, manque de précision. Ainsi, Monsieur … a affirmé que les « barbes blanches », le père et l’oncle paternel d’…, ainsi que les talibans se seraient rendus une première fois à son domicile, après son retour de …, et qu’il aurait répondu à leurs questions7, puis que, quelques jours plus tard, l’oncle d’… et les talibans s’y seraient rendus une deuxième fois pour réclamer soit 10 millions d’afghanis soit sa sœur en échange. Il affirme encore qu’il aurait été présent à ce moment mais que son grand-père lui aurait, par la suite, demandé de partir, de sorte qu’il ne serait revenu qu’après le départ de l’oncle d’… et des talibans. Finalement, après le décès d’…, une troisième visite à son domicile aurait été effectuée par le cousin de celle-ci, un dénommé …, accompagné de talibans, lors de laquelle ces derniers auraient violé sa sœur8. Il a ensuite exposé que le père et l’oncle d’… auraient prévenu les talibans que « le fils d’un tel a amené leur fille […] la première fois quand son oncle et son père sont venus avec les barbes blanches.

Ça s’est passé avant que je retourne avec la fille dans le quartier. Je ne me rappelle plus exactement quand c’était. Je me rappelle juste qu’après les talibans sont passés chez nous à la maison, la nuit même je suis allé à Kaboul et puis j’ai quitté l’Afghanistan. »9, de sorte qu’il n’y aurait eu que deux visites à son domicile, dont la première aurait été sans les talibans, avant d’affirmer par la suite que « La première fois, le père, l’oncle de la fille et les barbes blanches sont venus et puis la deuxième fois ils sont venus avec les talibans. Je ne me souviens pas exactement mais je pense qu’ils sont venus avec les talibans. La troisième fois, le cousin de la fille est venu avec les talibans. »10. Il a, en outre, indiqué, dans un premier temps, qu’après la deuxième visite à son domicile, … aurait tué …, qu’il aurait entendu qu’elle se serait suicidée le lendemain des faits et que la nuit même … et les talibans seraient venus chez lui11, - celle-ci étant donc la troisième visite -, puis, dans un deuxième temps, il a déclaré que « La fille a été 2 Page 7 du rapport d’audition.

3 Page 8 du rapport d’audition.

4 Page 10 du rapport d’audition.

5 Page 9 du rapport d’audition.

6 Page 9 du rapport d’audition.

7 Page 7 du rapport d’audition.

8 Page 8 du rapport d’audition.

9 Page 12 du rapport d’audition.

10 Page 13 du rapport d’audition.

11 Page 8 du rapport d’audition.tuée avant que son cousin soit passé chez nous à la maison. C’était avant la deuxième fois qu’ils soient venus à la maison. [Après relecture : Je ne sais pas exactement quand la fille a été tuée. Si c’était après la première fois qu’ils sont passés à la maison ou après la deuxième fois.] »12, et non pas avant la troisième visite tel qu’indiqué auparavant, le demandeur rendant ainsi ses déclarations encore plus confuses. Or, eu égard à la particulière gravité des faits et aux liens entretenus avec la victime, il apparaît étonnant que le demandeur ne sache pas situer le moment du décès de son amie d’enfance dans le temps, amie qui aurait été tuée ou se serait suicidée en raison d’une virée en moto avec lui.

Par ailleurs, le caractère inventé des déclarations du demandeur est conforté par (i) le fait qu’il n’a pas mentionné son histoire avec … lors de son entretien du 6 novembre 2020 avec un agent de la police judiciaire ni au moment de la rédaction des motifs lors du dépôt de sa demande de protection internationale, (ii) le fait qu’il affirme à présent, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, qu’il s’agirait d’une relation amoureuse interdite entre deux personnes d’ethnies différentes - ce qui contredit ses dires devant l’agent du ministère selon lesquels il n’aurait eu aucune relation amoureuse mais simplement d’amitié avec … -, et (iii) les attestations testimoniales qu’il a versées et qui sont censées corroborer la crédibilité de son récit.

A ce propos, outre le fait que les formalités liées à la validité des attestations testimoniales ne soient pas remplies, il y a lieu de constater que, dans la première attestation, le directeur du lycée fréquenté par Monsieur … a indiqué que ce dernier avait quitté la région « […] à cause de la guerre et des problèmes d’insécurité […] » et que, dans la deuxième attestation, trois autres personnes ont précisé que « […] c’était la période de la guerre contre les Talibans et des attaques de … aux villageois […] », et que Monsieur … avait quitté l’Afghanistan « […] à cause de l’insécurité et des problèmes sociaux […] » et que « […] lui-

même, sa famille et sa tribu n’avaient pas d’hostilité avec personne, il était une bonne personne calme dans le village aussi bien qu’à l’école et avait de bonnes relations avec les amis et voisins. », sans qu’il ne soit aucunement fait mention, dans ces deux attestations, de ses mésaventures personnelles liées à …, à sa famille, aux Pachtounes ou aux talibans. Il en ressort, au contraire, que les motivations du demandeur à la base de sa demande de protection internationale correspondent purement à un sentiment général d’insécurité.

Au vu de ces considérations, auxquelles s’ajoute le fait que le demandeur n’a pas pris position de manière circonstanciée dans son recours sur les points fondamentaux de crédibilité mis en avant par le ministre, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité.

Ce constat n’est pas ébranlé par les explications fournies par le demandeur selon lesquelles l’absence de réponse à certaines questions serait le résultat d’un « désordre de stress post traumatique » qui l’aurait « mené à la section psychiatrique de l’Hôpital Kirchberg », étant donné qu’il n’a versé aucun certificat médical ou autre document à cet égard permettant de corroborer l’existence de troubles de mémoire en raison de traumatismes vécus, le demandeur restant, au contraire, général dans ses développements afférents.

12 Page 14 du rapport d’audition.Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant, au contraire, comme tentant d’ajouter des éléments pour augmenter la probabilité d’obtenir une protection internationale.

Ainsi, à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé de la demande de protection internationale soumise à son analyse, le recours dirigé contre le refus du statut de réfugié et contre le refus de la protection subsidiaire basée sur les points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 encourt, dès lors, le rejet pour être non fondé.

Enfin, concernant l’hypothèse de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 relative aux violences aveugles dans le cadre d’un conflit armé interne ou international, force est de relever que Monsieur … est resté en défaut d’établir à suffisance de droit que la situation en Afghanistan, et notamment dans sa région d’origine, serait telle que par sa seule présence, il y serait soumis au risque avéré de faire l’objet de menaces graves contre sa vie ou sa personne, la simple invocation de la prise de pouvoirs des talibans en 2021 n’étant pas suffisant à cet égard.

Au vu de l’ensemble de ces considérations et des éléments à sa disposition, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas démontré qu’il remplirait les conditions pour se voir octroyer l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Par conséquent, le tribunal retient que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Force est de relever que le demandeur se limite à solliciter la réformation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son encontre dans le dispositif de sa requête introductive d’instance.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Il échet de préciser qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 18 novembre 2022 portant rejet d’un statut de protection internationale ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 18 novembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant, en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48304
Date de la décision : 09/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 18/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-09;48304 ?

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