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09/11/2023 | LUXEMBOURG | N°48078

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 novembre 2023, 48078


Tribunal administratif N° 48078 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48078 2e chambre Inscrit le 21 octobre 2022 Audience publique du 9 novembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48078 du rôle et déposée le 21 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Gr

eff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de...

Tribunal administratif N° 48078 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48078 2e chambre Inscrit le 21 octobre 2022 Audience publique du 9 novembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48078 du rôle et déposée le 21 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Frank Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Somalie), de nationalité somalienne, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 septembre 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Frank Greff et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 septembre 2023.

Le 20 mai 2021, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

En date des 17 décembre 2021 et 11 février 2022, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 20 septembre 2022, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le 29 septembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait étérefusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 20 mai 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 20 mai 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 mai 2021 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 17 décembre 2021 et du 11 février 2022 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents remis à l’appui de votre demande de protection internationale.

Avant tout autre développement, il convient de signaler que vos revirements de positions sur des points fondamentaux de votre récit au fil de votre témoignage et vos déclarations contradictoires, vagues et incohérentes ont complexifié la synthétisation de votre rapport d’entretien de sorte que la reconstitution ci-dessous ne représente qu’une tentative de refléter aux mieux votre vécu en Somalie et les motifs vous ayant poussée à introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

Madame, vous déclarez vous nommer …, être née le … à … dans la région du …, être de nationalité somalienne, de confession musulmane et appartenir au clan …. Vous indiquez avoir vécu toute votre vie à …, au domicile familial avec votre mère, alors que votre époux …, un soldat que vous auriez marié en …, aurait résidé et résiderait encore actuellement près de … en raison de ses activités professionnelles.

Vous relatez également avoir été professeure dans l’école privée … à … où vous auriez enseigné les mathématiques et le somali. Vous précisez que vous y auriez été deux professeurs et que l’école aurait été financée par une dénommée ….

À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté la Somalie car vous craindriez de vous faire assassiner par des combattants d’Al-Shabaab.

À cet égard, vous expliquez qu’… serait sous le contrôle d’Al-Shabaab et que leurs combattants auraient assassiné votre frère et votre père en 2017 après que ce dernier aurait refusé d’effectuer une mission pour eux, et ils seraient aussi responsables de la disparition de votre sœur en 2018. Vous ajoutez que depuis votre fuite de Somalie en avril 2021, des combattants d’Al-Shabaab auraient appelé votre époux en Somalie pour le menacer et que ce dernier ne se servirait par conséquent plus de son téléphone portable.

2 Quant à vous, votre situation personnelle avec Al-Shabaab se serait aggravée au cours de l’année 2021.

Dans ce contexte, vous indiquez que le 1er mars 2021, vers 17h00, vous auriez reçu un appel d’un numéro masqué auquel vous auriez répondu. Il se serait agi d’un inconnu qui aurait affirmé être un combattant d’Al-Shabaab et qui vous aurait informé qu’un émir souhaiterait vous épouser malgré votre état civil de femme mariée. Vous auriez demandé un délai de réflexion à votre interlocuteur et celui-ci vous aurait accordé cinq jours. Il vous aurait ensuite convoqué à le retrouver au cinquième jour, à 20h00, près de votre école tout en vous ordonnant d’en parler à personne.

En dépit de cette injonction, vous auriez fait part de votre conversation téléphonique à votre mère tout comme à votre époux lorsque ce dernier vous aurait appelée le soir-même.

Conscient du danger et du risque d’être poursuivie, voire assassinée par Al-Shabaab si vous exprimez votre refus, il vous aurait recommandé d’attendre un deuxième appel de leur part en espérant notamment qu’il se serait agi d’un malentendu.

Le cinquième jour après votre échange téléphonique, respectivement le 5 mars 2021, vous auriez été contactée par votre collègue de travail qui, étant malade, vous aurait demandé de le remplacer en matinée alors que vous auriez habituellement enseigné l’après-midi de 14h00 à 18h00. Après avoir fini votre journée de travail et en quittant l’école, vous auriez été interpellée par un groupe de quatre individus cagoulés faisant partie d’Al-Shabaab. L’un d’entre eux vous aurait reproché que vous auriez « Dein Wort nicht gehalten » (p.9 du rapport d’entretien) et vous lui auriez répliqué que vous auriez respecté l’engagement, que vous vous seriez rendue à l’école pour remplacer votre collègue et que vous ne les auriez pas recontactés car vous n’auriez pas été en possession d’un de leur numéro de téléphone. Votre interlocuteur aurait été compréhensif et aurait fixé à nouveau le rendez-vous au soir-même à 20h00, comme convenu initialement. Vous leur auriez demandé deux jours de réflexion additionnels étant donné que vous auriez été contrainte de remplacer votre collègue malade. L’un d’entre eux aurait directement manifesté son refus tandis qu’un autre aurait accepté cette nouvelle échéance. Ce dernier aurait ensuite téléphoné à ce que vous estimez être son supérieur pour l’informer qu’un nouveau rendez-vous aurait été fixé et l’on vous aurait finalement accordé trois jours de réflexion additionnels.

De retour à votre domicile, vous auriez fait part de votre altercation à votre mère et vous auriez appelé votre époux. Celui-ci vous aurait détaillé trois scénarios potentiels : soit les combattants d’Al-Shabaab vous emmèneraient, soit ils vous assassineraient si vous exprimez votre refus, soit vous devriez quitter la Somalie. Compte tenu de l’inquiétude de votre mère et de votre époux quant à votre situation personnelle, vous auriez opté pour la troisième option, respectivement la fuite de votre pays d’origine.

Ainsi, vous vous seriez rendue avec votre mère près d’un marché et vous auriez négocié avec un chauffeur de camion pour qu’il vous emmène avec lui à …. Celui-ci aurait accepté et vous aurait conduite près d’un check-point devant la capitale somalienne où vous auriez été récupérée par un passeur commandé par votre époux. Vous auriez été emmenée au domicile du passeur dans le quartier de … à … où vous auriez vécu cachée pendant un mois, respectivement du 7 mars 2021 au 20 avril 2021; votre unique sortie aurait été celle où vous vous seriez rendue avec le passeur le 9 mars 2021 à un bureau de l’immigration en vue de vous faire délivrer un nouveau passeport et un certificat de naissance. Vous précisez que vous auriez éteint votre téléphone portable après avoir quitté votre région natale suite aux 3 recommandations de votre époux et que vous auriez maintenu le contact avec ce dernier via le passeur.

Le 20 avril 2021, vous auriez pris un vol vers Nairobi au Kenya où un autre passeur aurait pris le relai. Un mois plus tard, le 15 mai 2021, vous vous seriez rendue à Amsterdam aux Pays-Bas avec un faux passeport pour ensuite rejoindre le Luxembourg en train.

À l’appui de votre demande, vous présentez une photocopie de votre certificat de naissance émis par la municipalité de … en date du 9 mars 2021.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vous faites des revirements de position sur des points fondamentaux de votre récit au fil de votre témoignage et vos déclarations sont contradictoires, vagues et incohérentes. Par conséquent Madame, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes.

Avant tout autre développement, il convient de mentionner que dans le cadre de votre entretien, l’agent en charge de celui-ci a émis des doutes concernant votre prétendue identité revendiquée. En effet, lorsque l’agent vous compare avec la photographie issue de votre certificat de naissance, il fait savoir que : « Die Sachbearbeiterin hat Zweifel, ob es sich um die gleiche Frau handelt (im Vergleich mit der Frau … im Büro, der Frau auf dem Foto auf der « Attestation d’introduction d’une demande de protection internationale ». Die Frau auf dem Foto der Geburtsurkunde hat ein länglicheres Gesicht, die Nase scheint anders zu sein » (p.3 du rapport d’entretien). Suite à ce constat, il n’est donc pas établi que vous soyez la personne que vous prétendez être compte tenu de la différence morphologique de votre visage et de celle de la personne photographiée sur le certificat de naissance. De plus, compte tenu de la qualité plutôt médiocre de la photocopie que vous avez remise, qualité qui n’objecte cependant en rien le précédent constat, vous vous étiez engagée à remettre à la Direction de l’Immigration luxembourgeois l’original de votre certificat de naissance. Or, malgré votre engagement, vous n’avez jamais remis son original à la Direction de l’Immigration alors que celui-ci aurait probablement permis de mieux vous comparer à la photographie en question et d’écarter ces soupçons. Partant, les doutes susmentionnés quant à votre réelle identité persistent et rien ne permet de confirmer que vous êtes réellement la personne que vous prétendez être conformément au certificat de naissance remis.

4 Premièrement, force est de constater que les raisons pour lesquelles vous auriez quitté votre pays d’origine diffèrent entre vos déclarations issues du rapport du Service de Police Judiciaire du 20 mai 2021 et votre rapport d’entretien. En effet, si initialement vous étiez formelle pour déclarer en date du 20 mai 2021 auprès du Service de Police Judicaire que vous auriez quitté votre pays d’origine car « Ich war Lehrerein (sic), und die Al-Shabaab ist gegen die westliche Schule. Mir wurde seitens eines Mann der Al-Shabaab bedroht, dass er mich töten wird », il appert que vous avez radicalement changé de version lors de vos entretiens du 17 décembre 2021 et du 11 février 2022 dans lesquels vous mentionnez uniquement que vous auriez quitté la Somalie après avoir refusé un mariage forcé avec un émir d’Al-Shabaab (p.16 du rapport d’entretien). Or, si les menaces pour votre sécurité personnelle dans ces deux scénarios ont bien été émises par Al-Shabaab, il s’avère que les raisons sont fondamentalement différentes : se faire menacer pour avoir enseigné dans une « westliche Schule » - sous-

entendant que le contenu de votre enseignement n’aurait pas été aligné sur l’idéologie islamique d’Al-Shabaab - n’est en rien similaire et comparable au fait de subir des menaces pour avoir refusé un mariage forcé. Face à un tel changement radical de position, il convient de percevoir votre récit comme étant non crédible.

Ce manque de crédibilité se trouve encore corroboré par vos déclarations relativement vagues et très générales issues de votre fiche manuscrite du 20 mai 2021 dans laquelle vous vous contentez seulement d’écrire « Ich kam wegen der Friedenslosigkeit. Ich kam weil ich Angst vor den Al Shabaab habe ». Or, il s’agit là de déclarations très lacuneuses et imprécises qui ne mentionnent aucunement vos craintes susmentionnées, respectivement celles liées à vos activités professionnelles ou celles liées à votre refus de marier de force un émir d’Al-Shabaab, alors que l’opportunité de vous exprimer ouvertement et rigoureusement vous avait été donnée.

Partant, si vous aviez réellement vécu ces faits, il est aberrant que vous n’ayez aucunement mentionné auprès du Service de Police Judiciaire le mariage forcé que vous auriez encouru alors qu’il représente le fil conducteur de votre rapport d’entretien, et inversement, que vous n’ayez nullement fait référence dans le cadre de votre entretien à vos supposés problèmes avec Al-Shabaab en raison de votre profession alors qu’il s’agit de l’unique motif que vous invoquez auprès du Service de Police Judiciaire. Par ailleurs, lorsque l’agent en charge de votre entretien vous a demandé si vous avez quitté la Somalie pour d’autres raisons, en dehors de ce prétendu mariage forcé, vous avez répondu par la négative (p.16 du rapport d’entretien) de sorte que vous démentez vous-même les propos que vous avez tenu auprès du Service de Police Judiciaire. Il convient d’en conclure que vous avez simplement tenter d’induire en erreur les autorités luxembourgeoises en multipliant à votre guise les types de menaces auxquelles vous auriez été confrontée dans votre pays d’origine, tout comme leur raison, afin d’augmenter considérablement vos chances de vous voir octroyer une protection internationale.

Deuxièmement, concernant le prétendu évènement s’étant déroulé devant votre école le 5 mars 2021, lorsque vous auriez été interpellée par quatre membres d’Al-Shabaab après les cinq jours de réflexion accordés, il appert que vous avez radicalement changé la chronologie journalière de son déroulement de sorte qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos déclarations.

En ce qui concerne donc la première chronologie pour laquelle vous avez opté, il ressort de vos déclarations que vous prétendez d’abord avoir travaillé le 5 mars 2021 à votre école pendant quatre heures « von 14h00 bis 18h00 » (p.12 du rapport d’entretien), à savoir 5 vos horaires habituels. Cette information fait réagir rationnellement l’agent en charge de l’entretien puisque vous avez auparavant affirmé que vous auriez été chargée de remplacer votre collègue, absent pour cause de maladie, qui travaillerait normalement en matinée. Alors que vous êtes interrogée à ce sujet et que vous paraissait déjà vous perdre dans vos propres mensonges, vous confirmez « Ich habe ihn ersetzt am Vormittag » (p.12 du rapport d’entretien), modifiant donc déjà indirectement les heures de travail que vous auriez effectuées et insinuant que vous auriez travaillé ce jour-là en matinée et de 14h00 à 18h00.

L’agent en charge de votre entretien vous demande ensuite vers quelle heure vous auriez été interpellée par les quatre individus en sortant de l’école et vous répondez à 17h00.

Or, cette réponse incohérente et non alignée sur vos déclarations précédentes suscite l’interrogation de l’agent en charge de votre entretien puisque vous veniez d’affirmer que vous auriez travaillé ce jour-là jusqu’à 18h00. En guise d’explication, vous vous contentez de réparer cette incohérence en expliquant brièvement que vous n’auriez en fait travaillé que trois heures cet après-midi.

Vous êtes ensuite interrogée sur la raison pour laquelle les quatre individus d’Al-

Shabaab vous auraient reproché que vous auriez « Dein Wort nicht gehalten » (p.9 du rapport d’entretien) alors que l’échéance du rendez-vous fixé à 20h00 n’avait pas encore abouti et qu’il parait donc illogique qu’ils puissent vous faire un quelconque reproche à 17h00. Dans ce contexte, il convient de souligner que vous n’êtes pas en mesure de répondre à cette question et que vous restez également très vague quant à la nature du reproche émis par ces combattants d’Al-Shabaab, de sorte qu’il est encore incompréhensible de savoir en quoi vous n’auriez pas tenu parole selon eux. Vous vous limitez à répondre à cette incompréhension que : « Sie haben vorgehabt, dass ich sie zum (sic) dem Termin treffe und mitgehe » (p.13 du rapport d’entretien).

Puis face à ces diverses questions mettant déjà à mal le caractère authentique de votre récit, vous optez pour une nouvelle et seconde chronologie en complète contradiction avec votre version initiale en expliquant que : « An dem Tag, an dem Sie zu mir kamen, das war nicht nachmittags, sondern vormittags » (p.13 du rapport d’entretien). Au sein même de cette nouvelle chronologie vous continuez à être incohérente en expliquant tout d’abord « Am fünften Tag habe ich vier Stunden für den Kollegen gearbeitet. Um 14H00 hat meine Schicht begonnen. Bis 17H00 » (p.13 du rapport d’entretien) - insinuant d’abord que votre journée de travail aurait fini à 17h00 - puis directement après vous prétendez avoir « bis 12h00 gearbeitet.

Feierabend. Dann habe ich diese Leute getroffen. Das heißt um 12h00 » (p.14 du rapport d’entretien) - insinuant ensuite que votre journée de travail aurait fini à 12h00.

Force est donc de constater que non seulement vous avez opté pour deux chronologies journalières complètement différentes - qui contiennent toutes les deux des contradictions quant à leur déroulement respectif - mettant à mal la crédibilité de votre récit mais en plus, vous n’êtes jamais en mesure de fournir une réponse cohérente et précise relative à la raison illogique pour laquelle Al-Shabaab vous aurait reproché, soit à 12h00, soit à 17h00, de ne pas avoir tenu parole pour un engagement, respectivement un rendez-vous, dont l’échéance été initialement prévue pour 20h00.

Troisièmement, concernant votre départ d’… pour vous rendre à …, il y a lieu de souligner que vous avez également changé la chronologie à deux reprises de sorte que les doutes quant à votre crédibilité sont encore amplifiés et que le caractère fictif de votre récit n’est plus à démontrer.

6 Vous affirmez que vous vous seriez rendue le 5 mars 2021, respectivement le jour-même de votre prétendue altercation avec les quatre individus membres d’Al-Shabaab, au marché avec votre mère « Ungefähr gegen 13H00 » (p.14 du rapport d’entretien), respectivement une heure après votre altercation avec Al-Shabaab puisque la discussion porte clairement sur les évènements du 5 mars 2021, et que vous y auriez parlé avec un chauffeur de camion qui aurait accepté de vous emmener à ….

À ce propos, vous indiquez dans un premier temps que le chauffeur vous aurait dit que « Heute Abend fahre ich nach … » (p.9 du rapport d’entretien) et que vous auriez directement appelé votre époux pour le prévenir que « "Da ist ein LKW, der heute Abend in Richtung … fährt". Mit dem LKW fuhr ich nach … » (p.9 du rapport d’entretien), insinuant donc clairement que vous seriez partie le 5 mars 2021 au soir d’….

Puis dans un deuxième temps, vous fournissez une temporalité différente selon laquelle vous n’auriez pas pris ce camion le soir-même du 5 mars 2021 mais que vous auriez attendu le lendemain : « Am fünften Tag habe ich noch zu Hause übernachtet. Und am sechsten Tag um 10h00 bin ich mit dem LKW losgefahren (…) Um 10H00 abends sind wir losgefahren » (p.14 du rapport d’entretien); version que vous confirmez légèrement plus tard lorsque vous évoquez que le chauffeur « sagte meiner Mutter, er würde … um 10h00 am darauffolgenden Tag verlassen » (p.15 du rapport d’entretien). Dans cette nouvelle chronologie, non seulement la réponse du chauffeur de camion aurait été différente, mais en plus, vous seriez donc partie non pas le 5 mars au soir d’… mais plutôt le 6 mars 2021 à 22h00.

Or, il s’agit là de deux versions radicalement différentes qui peuvent difficilement être confondantes pour une personne ayant réellement vécu de tels faits. En effet, avoir une altercation avec Al-Shabaab et quitter précipitamment le jour-même sa région natale et sa mère esseulée pour aller s’abriter dans la capitale somalienne n’est pas une expérience similaire au fait de rester encore une nuit et quasiment une journée entière dans sa région natale pour préparer plus minutieusement son exil.

À cela s’ajoute que, compte tenu des différentes variations temporelles qui parsèment votre récit, des doutes sont également émis quant à votre date d’arrivé réelle à …. Après avoir maintenue votre deuxième chronologie, respectivement celle où vous auriez quitté … le 6 mars 2021 à 22h00, et sachant que votre trajet aurait duré plus d’une journée entière, vous expliquez que vous seriez arrivée à … le 7 mars 2021 à 20h00. Ensuite, vous indiquez qu’« am nächsten Tag » (p.9 du rapport d’entretien) ayant suivi votre arrivé à …, respectivement le 8 mars 2021, vous vous seriez rendue au bureau de l’immigration pour faire une demande de passeport et récupérer un certificat de naissance. Or, la photocopie de votre certificat de naissance que vous avez remise à la Direction de l’Immigration luxembourgeois date du 9 mars 2021 et non du 8 mars 2021 comme vous l’avez prétendu et vous avez d’ailleurs, de manière contradictoire, affirmé en début d’entretien que vous auriez demandé ces documents « Am 09.03.2021 » (p.4 du rapport d’entretien).

Quatrièmement, il est difficilement imaginable de croire qu’Al-Shabaab vous aurait accordé une première fois à avoir cinq jour de réflexion après avoir formulé l’exigence de l’émir de vous épouser, puis une seconde fois de vous octroyer trois jours additionnels au bout du cinquième jour alors que vous en auriez demandé que deux, pour la simple raison que votre collègue de travail aurait été malade. En effet, il est raisonnable de penser que ces combattants n’ont pas de raison d’agir d’une manière altruiste et qu’ils auraient très certainement et 7 légitiment pu redouter que vous envisagiez de prendre la fuite pendant le temps de réflexion additionnel qui vous aurait été accordé, voir même pendant les cinq premiers jours.

À cet égard, il convient d’ajouter que la réaction de votre époux après avoir pris connaissance de leur exigence lorsque vous lui en auriez parlé le 1er mars 2021 ne semble pas crédible compte tenu de son caractère apathique et contradictoire. En effet, vous mentionnez que celui-ci vous aurait tout d’abord dit « Bleib ruhig und warte bis du den zweiten Anruf von den Leuten bekommst » (p.9 du rapport d’entretien) puis, dans le même contexte, « Jetzt bist du in Schwierigkeiten. Wenn diese Leute dir so eine Nachricht überbringen, werden sie dich verfolgen und du wirst nie freikommen. Es kann sein, dass sie dich umbringen » (p.11 du rapport d’entretien). Or, il s’agit là de deux réactions diamétralement antinomiques puisque, d’une part, votre époux vous aurait recommandé de rester passive et inactive face à cette situation alors que, de l’autre part, il vous aurait expliqué que vous encourriez un grand danger, respectivement que vous seriez poursuivie, voire tuée en cas de refus.

Par ailleurs, étant soldat auprès des forces gouvernementales somaliennes et citoyen averti de la menace que représente Al-Shabaab, l’on aurait raisonnablement pu s’attendre de la part de votre époux de directement préparer votre exil vers … au lieu de vous faire attendre l’échéance des cinq jours de réflexion sans vous donnez d’alternatives au motif loufoque qu’« Er hat gehofft, dass sie sich nach fünf Tagen vielleicht nicht mehr melden werden » et que « seiner Meinung nach könnte es sein, dass es jemand anderes war, der angerufen hatte » (p.11 du rapport d’entretien). De plus, il est aberrant que vous auriez décidé de poursuivre comme si de rien n’était votre routine quotidienne en vous rendant à votre école le 5 mars 2021 et que vous vous apprêtiez visiblement à respecter l’échéance de votre rendez-vous fixé avec Al-

Shabaab, et ce en dépit des risques que vous auriez encouru conformément aux avertissements de votre époux, respectivement que vous seriez poursuivie, voire tuée en cas de refus de leur exigence : « Sie wollten mich mitnehmen zum Amir (…) Wenn ich nein sage, werde ich getötet » (p.12 du rapport d’entretien).

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la Loi de 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la Somalie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 octobre 2022, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 septembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire qui s’ensuit, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 20 septembre 2022, prise en son double volet, telle que déférée.

Ledit recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose être de nationalité somalienne, originaire d’…, dans la région de … et être l’aînée de trois enfants. Elle appartiendrait au clan des … et aurait exercé la profession d’enseignante dans une école privée à …. Elle explique qu’elle aurait dû vivre, depuis une dizaine d’années, sous la crainte de persécutions de la part de l’organisation terroriste islamiste Al-Shabaab. En 2017, son père et son frère auraient été assassinés par ladite organisation et, en 2018, sa sœur aurait disparu, la demanderesse expliquant à cet égard qu’elle soupçonnerait Al-Shabaab de l’avoir enlevée.

Depuis ces évènements, sa mère et elle-même vivraient sous la crainte d’être également enlevées et tuées par les membres de ladite organisation. Le 1er mars 2021, elle aurait reçu un appel téléphonique de ces derniers lors duquel elle aurait été informée qu’un membre d’Al-

Shabaab, et plus particulièrement un émir, voudrait se marier avec elle, alors qu’elle aurait déjà été mariée, et un délai de réflexion de cinq jours lui aurait été accordé. Elle aurait, dès cet appel, su que sa vie aurait été en danger, dans la mesure où elle n’aurait pas pu refuser cette demande en mariage au risque d’être tuée par Al-Shabaab. Sa mère et son époux auraient, dès lors, effectué toutes les démarches pour organiser sa fuite de Somalie, qu’elle aurait entreprise le 20 avril 2021.

En droit, et concernant la crédibilité de ses déclarations, la demanderesse estime que le ministre se serait efforcé de remettre en question ses déclarations, mais sans prouver de manière claire que celles-ci seraient véritablement contradictoires, vagues et incohérentes. Elle ajoute que le ministre aurait questionné son identité, sans démontrer de manière non équivoque qu’elle aurait réellement fait usage d’une fausse d’identité. Elle soutient, à cet égard, que l’appréciation personnelle d’un seul agent ministériel ne suffirait pas pour remettre en cause l’identité d’un demandeur de protection internationale et qu’il appartiendrait, dans ce contexte, au ministre de prouver l’usage d’une fausse identité. Elle reproche encore au ministre de s’être arrêté au constat que son récit ne serait pas crédible et de ne pas avoir, par conséquent, effectué un examen approprié de la situation sécuritaire générale et actuelle en Somalie, et surtout de celle d’une femme qui serait ciblée et menacée par l’organisation terroriste Al-Shabaab, tout en renvoyant à ses craintes de subir des persécutions de la part de celle-ci et aux évènements subis par son père, son frère et sa sœur. Elle estime, en conclusion, qu’en remettant en cause la crédibilité de son récit et en n’analysant pas la situation sécuritaire dans son pays d’origine, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

Au fond, et quant au refus d’octroi du statut de réfugié, la demanderesse donne à considérer qu’en tant que « femme forcée de se marier avec un membre d’Al-Shabaab », elle appartiendrait à un groupe social, tel que défini par les principes directeurs sur la protection internationale du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) du 8 juillet 2008. En tant que femme, elle risquerait également d’être persécutée en Somalie, la demanderesse renvoyant dans ce contexte à une publication de l’organisation non gouvernementale International Crisis Group de novembre 2019, intitulé « Women and Al-

Shabaab’s insurgency ». Elle ajoute qu’elle appartiendrait au clan des …, qui serait un sous-

clan du clan majoritaire de Dir et qu’en conséquence, le membre d’Al-Shabaab, lequel elle serait forcée d’épouser, pourrait, du fait de ce mariage, monter dans la hiérarchie des clans.

Elle renvoie encore au « Country Guidance » sur la Somalie de juin 2022 de l’Agence del’Union européenne pour l’asile (AUEA) pour faire valoir que les femmes et les enfants seraient à risque de faire l’objet d’un mariage forcé avec un membre d’Al-Shabaab, de sorte qu’il existerait, dans son chef, une crainte fondée d’être persécutée en cas de retour dans son pays d’origine.

Après avoir cité l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, elle renvoie au susdit rapport de l’AUEA de juin 2022, à un communiqué de presse du Conseil des droits de l’Homme du 6 octobre 2021, intitulé « Le Conseil des droits de l’homme se penche sur les situations en Somalie, en République centrafricaine et au Soudan », ainsi qu’à un rapport de l’UNHCR du 17 septembre 2022, intitulé « International Protection Considerations with Regard to People Fleeing Somalia », pour faire valoir que les femmes somaliennes encourraient chaque jour un risque extrêmement élevé d’être persécutées par les combattants d’Al-Shabaab, ce qui justifierait l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Elle soutient encore qu’Al-Shabaab, qui aurait étendu son contrôle sur le territoire au centre et au sud de la Somalie, serait plus puissant que le gouvernement fédéral et ses forces armées, de sorte que ladite organisation terroriste serait un acteur non étatique au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, contre laquelle les autorités somaliennes ne pourraient pas lui fournir de protection.

Ensuite, quant au refus de la protection subsidiaire, la demanderesse fait valoir, en s’appuyant sur les articles 2 g) et 48 de la loi du 18 décembre 2015, que le ministre aurait dû procéder à un examen de sa situation personnelle, ainsi que de la situation sécuritaire en Somalie, afin de voir si les conditions de la protection subsidiaire auraient été remplies dans son chef. En renvoyant à divers rapports et articles de presse relatant d’attaques meurtrières qui auraient été commises par Al-Shabaab en août, septembre et octobre 2022, elle soutient que le conflit armé entre les forces armées du gouvernement fédéral somalien et Al-Shabaab, qui serait aggravé par la période de sécheresse qui sévirait dans son pays d’origine, y provoquerait de manière non équivoque une violence aveugle, situation qui serait d’autant plus exacerbée pour les femmes, qui s’y trouveraient dans une position de vulnérabilité extrême. Elle en conclut qu’en tant que femme somalienne, elle aurait dû, au moins, se voir attribuer le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé en se basant essentiellement sur les développements contenus dans la décision ministérielle litigieuse et en ajoutant que la demanderesse n’aurait pas démontré, dans le cadre de son recours, que ses déclarations seraient crédibles.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2g) de la loi du 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou 11 b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f), de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que tant l’identité que le récit de Madame … étaient remis en cause.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui deleur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.1 En ce qui concerne tout d’abord l’identité de la demanderesse, il échet de relever que le ministre la remet en cause en raison (i) de la photocopie de l’acte de naissance qu’elle a remise à l’agent en charge de son entretien et (ii) du fait qu’elle n’en a pas fourni l’original.

Or, force est de constater que, tel que le ministre le relève dans la décision litigieuse, l’agent en charge de l’entretien s’est uniquement basé sur la photo apposée sur une photocopie de mauvaise qualité du certificat de naissance pour émettre des doutes quant à la ressemblance entre la personne figurant sur cette photo et la demanderesse.

A cela s’ajoute, qu’après avoir estimé que la demanderesse ne ressemblait pas à la photo sur le document, l’agent a noté ses impressions, tout en restant en défaut d’approfondir la question de son identité et de sa nationalité avec la principale intéressée.

Ainsi, ni de simples doutes d’un agent ministériel ni l’absence de l’original du certificat de naissance de la demanderesse ne sont suffisants pour remettre fondamentalement en cause son identité, ainsi que sa nationalité.

Dès lors, et dans la mesure où le ministre ne démontre pas que Madame … se servirait d’une fausse identité, le tribunal est amené à retenir que les suspicions ministérielles à ce propos ne sont pas fondées.

Ensuite, concernant la crédibilité du récit de la demanderesse, le tribunal partage, cette fois-ci, les doutes du ministre et y constate de nombreuses incohérences et contradictions, qui affectent notamment les motifs essentiels invoqués à la base de sa demande de protection internationale.

Il échet, tout d’abord, de constater que Madame … a indiqué, lors de son entretien avec la police grand-ducale du 20 mai 2021, que « Ich musste Somalia verlassen, da ich seitens der Al Shabab bedroht wurde. Ich war Lehrerein, und die Al Shabab ist gegen die westliche Schule.

Mir wurde seitens eines Mann der Al Shabab bedroht, dass er mich töten wird ». Lors du dépôt de sa demande de protection internationale, elle a toutefois inscrit comme motifs que « Ich kam wegen der Friedenslosigkeit. Ich kam weil ich Angst vor den Al Shabaab habe ». Or, lors de ses entretiens avec l’agent du ministère, elle a encore indiqué craindre de retourner dans son pays d’origine, en raison d’un mariage forcé prévu avec un membre d’Al-Shabaab.

Au vu de ces versions, le tribunal est amené à constater que, bien que les craintes envers Al-Shabaab sont récurrentes, les raisons pour lesquelles Madame … appréhende un retour dans son pays d’origine changent fondamentalement d’un entretien à un autre, de sorte à ébranler la crédibilité de son récit.

En outre, la demanderesse se contredit concernant le moment où les membres d’Al-

Shabaab l’ont interpellée en date du 5 mars 2021, en déclarant qu’elle aurait travaillé quatre heures, à savoir de 14h00 à 18h00 ledit jour2, avant de préciser qu’elle remplaçait un collègue 1 Trib. adm., 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.

2 Page 12 du rapport d’audition.qui travaillait le matin3, qu’elle aurait été interpellée à 17h004, pour ensuite expliquer que « An dem Tag, an dem Sie zu mir kamen, das war nicht nachmittags, sondern vormittags. »5. Elle explique, par la suite, que « Am fünften Tag habe ich vier Stunden für den Kollegen gearbeitet.

Um 14H00 hat meine Schicht begonnen. Bis 17h00 »6, changeant de ce fait ses horaires de travail, avant d’indiquer que « An dem Tag habe ich nur bis 12h00 gearbeitet. Feierabend.

Dann habe ich diese Leute getroffen. Das heißt um 12h00 »7 et qu’elle se serait rendue ledit jour au marché avec sa mère « Ungefähr gegen 13H00 »8. Cette chronologie est encore remise en cause par les déclarations de la demanderesse selon lesquelles le même jour, à savoir le 5 mars 2021, elle aurait rencontré un chauffeur de camion au marché, qui l’aurait informée que son départ pour … aurait été le soir-même9 et aurait accepté de l’y emmener, avant d’indiquer que le départ aurait été, non pas le 5 mars 2021, mais le lendemain10, ce qui ajoute à la confusion globale de son récit.

A cela s’ajoute que, malgré le fait pour le ministre d’avoir remis en cause la crédibilité du récit de la demanderesse, la requête introductive d’instance ne fournit aucune explication de nature à pouvoir lever les différentes contradictions et incohérences valablement relevées dans la décision déférée, qui concernent non seulement les dates des différents évènements, mais également les motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit de la demanderesse, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a pu remettre en question la crédibilité du récit de la demanderesse en son ensemble, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a conclu que l’intéressée n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en relation avec son vécu personnel, tel que relaté à l’appui de sa demande de protection internationale.

Le recours dirigé contre le refus du statut de réfugié et contre le refus de la protection subsidiaire basée sur les points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 encourt, dès lors, le rejet pour être non fondé.

Enfin, en ce qui concerne l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de constater que la demanderesse se prévaut de l’existence d’un climat de violence aveugle et d’une détérioration de la situation sécuritaire en Somalie, en se fondant sur diverses sources d’informations versées à l’appui de son recours, dont elle cite des extraits.

Il échet de rappeler que le tribunal a retenu, dans les développements qui précèdent, que l’identité de Madame … n’avait pas été utilement remise en cause par la partie étatique. De ce 3 « Mein Kollege arbeitet vormittags. Ich habe ihn ersetzt am Vormittag. », page 12 du rapport d’audition.

4 Page 13 du rapport d’audition.

5 Ibid.

6 Ibid.

7 Page 14 du rapport d’audition.

8 Ibid.

9 Page 9 du rapport d’audition.

10 Page 15 du rapport d’audition.fait, la demanderesse étant originaire de Somalie, une analyse de la situation générale dans son pays d’origine s’avère nécessaire, quand bien même le tribunal est arrivé à la conclusion que son récit, concernant les motifs personnels à la base de sa fuite dudit pays, n’était pas crédible.

Or, au vu des nombreux documents versés par la demanderesse sur la situation sécuritaire dans certaines régions en Somalie occupées par Al-Shabaab, tel qu’… d’où la demanderesse est originaire, ainsi que sur les attaques perpétrées par ce groupe notamment dans la capitale …, et, dans la mesure où la partie étatique ne conteste ni n’apporte d’éléments concernant la situation sécuritaire en Somalie, le tribunal est amené à constater qu’au vu des seules pièces fournies par Madame …, la situation pourrait être qualifiée de violence aveugle dans le prédit pays en raison du conflit armé entre le groupe Al-Shabaab et les forces de sécurité somaliennes et internationales y présentes.

Dans la mesure où le ministre a omis d’instruire le dossier au-delà de la crédibilité du récit de Madame …, mettant ainsi le tribunal dans l’impossibilité d’apprécier le bien-fondé du refus d’octroi d’une protection internationale sous l’angle de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 et d’épuiser son pouvoir en réformation, il y a lieu d’annuler partiellement la décision déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre aux fins d’un nouvel examen au fond de la demande de protection internationale de Madame …, limité à la question de la situation générale en Somalie en application de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire A l’appui de ce volet de son recours, la demanderesse sollicite, d’abord, la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale et, ensuite, elle soutient que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration au motif qu’un retour dans son pays d’origine serait suivi de menaces graves et individuelles contre sa vie et sa personne.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2) précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient d’annuler partiellement la décision de refus d’une protection internationale et de renvoyer le dossier devant le ministre, et indépendamment du moyen subsidiaire avancé par la demanderesse, il y a également lieu d’annuler, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de Madame ….

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imputer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 20 septembre 2022 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare partiellement justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 20 septembre 2022 dans la seule mesure où le ministre de l’Immigration et de l’Asile a manqué d’instruire la demande de protection subsidiaire de Madame … sous l’angle de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 et renvoie le dossier devant ledit ministre en prosécution de cause ;

pour le surplus, déclare le recours en réformation non fondé, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 septembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 20 septembre 2022 portant ordre de quitter le territoire et renvoie le dossier devant le ministre en prosécution de cause ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à la demanderesse et pour moitié à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 9 novembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 novembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48078
Date de la décision : 09/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 18/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-11-09;48078 ?

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