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31/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49621

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 octobre 2023, 49621


Tribunal administratif N° 49621 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49621 3e chambre Inscrit le 27 octobre 2023 Audience publique du 31 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49621 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2023 par Maître Pierre-Marc KNAFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lux

embourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nat...

Tribunal administratif N° 49621 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49621 3e chambre Inscrit le 27 octobre 2023 Audience publique du 31 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49621 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 octobre 2023 par Maître Pierre-Marc KNAFF, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 octobre 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en sa plaidoirie à l’audience publique de ce jour, Maître Pierre-Marc KNAFF s’étant excusé.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 17 août 2023, référencé sous le numéro …, qu’en date du même jour, Monsieur … fut appréhendé par les forces de l’ordre sans qu’il n’ait put présenter de documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 17 août 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de le quitter sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur ledit territoire pour une durée de cinq ans.

Par arrêté ministériel séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres à cette même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

1 Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 17 août 2023 établi par la Police grand-ducale, Région …, Commissariat … ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par un arrêté du 15 septembre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres à cette même date, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 17 septembre 2023. Le recours contentieux dirigé contre ledit arrêté fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 2 octobre 2023, inscrit sous le numéro 49461 du rôle.

Par un arrêté du 16 octobre 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre prorogea à nouveau le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet à partir de la notification, arrêté motivé comme suit :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 17 août et 15 septembre 2023, notifiés le 17 août respectivement le 15 septembre avec effet au 17 septembre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 août 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel, précité, du 16 octobre 2023.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit en l’espèce, lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en droit, le demandeur se prévaut, en premier lieu, de l’article 125 de la loi du 29 août 2008, transposant la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115/CE », laquelle consacrerait, en son article 15, le principe suivant lequel un placement en rétention ne saurait intervenir si « d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives » peuvent être appliquées, ce qui obligerait les autorités des Etats membres à rechercher d’abord d’autres moyens moins coercitifs pour garantir l’éloignement d’un ressortissant en séjour irrégulier avant de pouvoir prendre une mesure de placement en rétention à son égard. Il reproche dans ce contexte aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir respecté ce principe de la subsidiarité du placement en rétention lorsqu’elles ont pris la décision litigieuse en n’envisageant aucune des trois mesures moins coercitives prévues à l’article 125 de la loi du 29 août 2008 comme alternative à son placement « en détention ».

Il estime qu’une obligation de se présenter régulièrement à des intervalles fixés par le ministre auprès d’un service donné serait envisageable dans son cas.

Par ailleurs, il préconise encore une assignation à son domicile en Belgique sis … où il résiderait depuis le 4 décembre 2022, avec son épouse de nationalité belge également déclarée à cette adresse, par rapport à laquelle il aurait sollicité un regroupement familial.

Enfin, il donne à considérer qu’il serait également disposé à fournir une garantie financière d’un montant de 5.000,- euros afin de garantir son maintien sur le territoire luxembourgeois.

Au vu de ces considérations, ce serait dès lors à tort que le ministre a opté pour une mesure de placement en rétention alors qu’il remplirait toutes les conditions pour bénéficier d’une mesure alternative moins coercitive et qu’il présenterait des garanties de représentations effectives au Luxembourg.

Le demandeur conteste, en deuxième lieu, tout risque de fuite dans son chef. Il fait valoir à cet égard qu’il résiderait officiellement à seulement quelques kilomètres de la frontière luxembourgeoise. Il n’aurait ainsi nullement l’intention de se dérober aux mains des autorités luxembourgeoises, mais aurait, au contraire, le profond souhait de régulariser sa situation en Belgique pour y avoir introduit une demande de carte de séjour de membre de famille de Madame ….

En troisième et dernier lieu, le demandeur critique les démarches entreprises par l’autorité ministérielle en vue de préparer son éloignement.

Tout en se référant à un jugement du tribunal administratif du 18 décembre 2019, inscrit sous le numéro 43884 du rôle, il soutient qu’il aurait été placé au Centre de rétention depuis le mois d’août 2023 et que les mesures prises en vue de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement seraient quasi-inexistantes. Il fait valoir que la mesure de rétention devrait être une mesure exceptionnelle de la plus courte durée possible et que les retards ne lui seraient pas imputables du fait qu’il aurait coopéré avec les autorités.

Il conclut que les démarches effectuées depuis le mois d’août 2023 auprès des autorités étrangères seraient inefficaces et insuffisantes en vue de garantir son éloignement rapide et afin d’écourter au maximum la durée de la privation de sa liberté, tout en se prévalant à ce sujet desarticles 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », et 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », de même que d’une jurisprudence y relative de la Cour européenne des Droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », du 15 décembre 2016, n° 16483/12.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il convient de préciser que le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis et qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

Il échet d’abord de relever qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’éloignement de l’étranger concerné, de le placer en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au premier paragraphe de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir (i) que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, (ii) que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, (iii) que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et (iv) qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

Conformément à la jurisprudence de la CourEDH1, il faut que l’éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste.

En l’espèce, tel que cela avait déjà été relevé par le tribunal dans son jugement précité du 2 octobre 2023, il est constant en cause pour résulter du dossier administratif que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où une décision de retour a été prise à son encontre le 17 août 2023 sur base du constat qu’il ne dispose ni d’un passeport, ni d’un visa en cours de validité, ni d’une autorisation de séjour valable, ni d’une autorisation de travail, cette décision, prononçant en outre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée de cinq ans, arrêté qui ne fait pas l’objet du présent recours.

En conséquence, le risque de fuite est présumé dans le chef du demandeur en vertu de l’article de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant relevé qu’en son paragraphe (2), point 1, ledit article 34 de la loi du 29 août 2008 impose notamment au ressortissant de pays tiers qui souhaite entrer sur le territoire luxembourgeois et y séjourner pour une période n’excédant pas 90 jours de posséder un passeport et un visa ou une autorisation de voyage, qui doivent être en cours de validité.

Le ministre pouvait donc a priori valablement et sans excéder ses pouvoirs, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et maintenir son placement, étant relevé qu’il ne ressort toujours pas du dossier administratif ni des pièces versées à l’appui du recours que le demandeur disposerait entretemps d’un quelconque document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’il ne remplit toujours pas les conditions énoncées à l’article 34 précité.

Force est encore de retenir que le demandeur omet toujours de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser la présomption du risque de fuite existant dans son chef.

Au contraire, l’argumentation du demandeur selon laquelle il souhaiterait regagner la Belgique 1 CourEDH, 25 juin 2019, Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (n° 2), req. n° 10112/16.pour y régulariser sa situation administrative est tout au plus de nature à corroborer le risque de fuite présumé dans son chef, alors que le risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement, soit en l’occurrence à la mainmise des autorités luxembourgeoises. Il s’ensuit que la circonstance selon laquelle une demande de regroupement familial déposée en Belgique serait en cours de traitement, ne saurait avoir la moindre pertinence dans le cadre de l’évaluation du risque de fuite du demandeur, sauf à conforter un tel risque alors qu’un retour en Belgique serait de nature à soustraire le demandeur à la mainmise des autorités luxembourgeoises. En tout état de cause, au-delà du constat qu’il ressort des pièces versées par le demandeur à l’appui de son recours que la demande de regroupement familial avec Madame … a été refusée par une décision du 23 mai 2023, il ressort des éléments du dossier administratif, et plus particulièrement du résultat de la recherche effectuée auprès du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en date du 18 août 2023, que les autorités belges ont indiqué, à propos de Monsieur …, tel que confirmé en date du 21 août 2023, qu’« un fait de séjour illégal en 2014 à l’aéroport de … » était enregistré et que ce dernier a été « radié du registre de la population (perte du droit au séjour) en date du 23/05/2023 ».

Ainsi, l’affirmation de Monsieur … suivant laquelle il disposerait d’un droit légal de se rendre sur le territoire belge et de s’y maintenir reste à l’état de pure allégation, voire est contredite par les éléments du dossier. Ce constat n’est pas énervé par le document versé en cause selon laquelle une nouvelle carte de séjour d’étranger serait disponible, faute de pouvoir clairement lier ce document au demandeur.

Le moyen visant à contester l’existence d’un risque de fuite dans le chef du demandeur est, dès lors, à rejeter pour être non fondé.

S’agissant, ensuite, de l’argumentation du demandeur selon laquelle son placement en rétention serait disproportionné et inadéquat par rapport à sa situation particulière, respectivement que le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, il échet de rappeler que l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que :

« Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de 6 la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125 (1) pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi.

Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes2.

En l’espèce et au vu des considérations relatives au risque de fuite qui précèdent, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. Il est, en effet, constant en cause qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes y visées s’impose, alors qu’au contraire, tel que retenu ci-

avant, l’argumentation du demandeur a tout au plus pour effet de corroborer le risque de fuite existant dans son chef, de sorte que sa proposition de déposer une garantie financière ne saurait suffire à cet égard, étant relevé qu’à défaut d’un passeport ou de tout autre document justificatif 2 Trib. adm. 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.de son identité en cours de validité, l’obligation de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui au sens du point a) de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne saurait en tout état de cause être appliquée en l’espèce. De même, une assignation à résidence ne peut se limiter qu’au territoire luxembourgeois, de sorte que l’assignation au domicile de Madame … en Belgique ne saurait en tout état de cause être envisagée, étant par ailleurs relevé dans ce contexte que lors de son appréhension par la police grand-ducale en date du 17 août 2023, le demandeur a affirmé séjourner en Belgique auprès d’un ami et non avec son épouse, tel qu’il l’allègue dans le cadre de sa requête introductive d’instance.

Quant à la référence faite, dans ce contexte, par le demandeur à l’article 15 de la directive 2008/115/CE, le tribunal précise que cette directive a été transposée en droit luxembourgeois par le biais de la loi du 1er juillet 2011 modifiant la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration et la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection. Or, les directives ne peuvent être directement applicables et invoquées par les seuls justiciables que si leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et si l’Etat n’a pas transposé dans les délais ladite directive ou s’il en a fait une transposition incorrecte3. Dans la mesure où, en l’espèce, le demandeur ne démontre pas que l’Etat luxembourgeois aurait été en défaut de transposer ladite directive dans les délais impartis ou en aurait fait une transposition incorrecte, il y a lieu de retenir qu’il n’est pas fondé à se prévaloir directement des dispositions communautaires invoquées, mais qu’il lui aurait appartenu d’invoquer à la base de ses prétentions les dispositions de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, il y a lieu de souligner qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions, une telle obligation incombant au seul litismandataire du demandeur, professionnel de la postulation, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008 ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter, en ce compris celles tenant à une prétendue disproportion de la prorogation de sa mesure de placement en rétention.

En dernier lieu, en ce qui concerne les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de son éloignement, il échet de rappeler qu’il ressort du jugement précité du 2 octobre 2023, qu’en date du 18 août 2023, soit le lendemain du placement en rétention de Monsieur …, le ministre a fait une demande auprès du CCPD à laquelle les autorités belges ont répondu qu’un « fait de séjour illégal en 2014 » était enregistré à son encontre et qu’il avait été « radié du registre de la population (perte du droit au séjour) en date du 23/05/2023 », information confirmée par ces dernières suite à nouvelle demande leur adressée directement en date du 21 août 2023. Il ressort encore des constatations du jugement précité du 2 octobre 2023 qu’en date du 22 août 2023, les autorités luxembourgeoises se sont encore adressées aux autorités consulaires algériennes à Bruxelles en vue de l’identification du demandeur et de la délivrance d’un laissez-passer dans son chef, tout en y joignant des photos d’identité, une copie du passeport, une copie de la carte d’identité et un jeu d’empreintes digitales de ce dernier, demande qui a ensuite été rappelé à deux reprises, en date des 12 et 26 3 Trib. adm., 9 octobre 2003, n°15375 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 89 et les autres références y citées.septembre 2023.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis le jugement du 2 octobre 2023, force est au tribunal de relever qu'il ressort d’une note au dossier que lors d’un entretien téléphonique ayant eu lieu en date du 29 septembre 2023 entre l'agent en charge du dossier et Madame la Vice-Consule du Consulat d'Algérie, cette dernière a confirmé que le dossier du demandeur serait toujours en cours d'instruction.

Suite à un courrier électronique de la part de l'agent en charge du dossier adressé aux autorités consulaires algériennes en date du 13 octobre 2023, ces dernières ont répondu, le 14 octobre 2023, que le dossier du demandeur serait en cours de traitement et qu'une réponse y relative serait communiquée dans les meilleurs délais.

Au vu des démarches ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise, actuellement tributaire de la collaboration et de l’efficacité des autorités algériennes, étant à cet égard relevé que le ministre ne saurait nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes, et compte tenu du fait qu’il ne se dégage pas du dossier administratif que l’éloignement du demandeur ne puisse être mené à bon terme endéans les délais prévus, le tribunal est amené à retenir que les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes et que les contestations y relatives du demandeur sont à rejeter.

En ce qui concerne encore l’invocation par le demandeur, dans ce contexte, d’une atteinte au droit à sa liberté de mouvement, consacré par les articles 5 de la CEDH et 6 de la Charte, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH, corollaire de l’article 6 de la Charte : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5 (1), point f), précité, de la CEDH, que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays4. Dans un arrêt5 du 15 décembre 2015, la CourEDH a encore retenu que : « […] L’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir. Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) […] ».

Dans la mesure où, d’une part, le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire et où, d’autre part, une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution et est menée avec la diligence requise, tel que cela a été 4 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

5 CourEDH, 15 décembre 2016, grande chambre, Affaire Khlaifia et autres c. Italie, requête n° 16483/12, § 90.retenu ci-avant, le tribunal est dès lors amené à rejeter le moyen relatif à une violation des articles 5 de la CEDH et 6 de la Charte.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 octobre 2023 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Daniel Weber, vice-président, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49621
Date de la décision : 31/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-31;49621 ?

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